OEUVRES DE

DESCARTES,

PUBLIÉES:

LETTRES

René Descartes, M. Thomas (Antoine Léonard)

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DE DESCARTES.

TOME DIXIÈME.

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DE L'IMPRIMERIE DE LACHEVARDIERE FILS,

RUE DU COLOMBIER, If° 3o , A PARIS.

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ŒUVRES

DE DESCARTES,

PUBLIÉES

PAR VICTOR COUSIN.

TOME DIXIÈME.

A PARIS,

CHEZ F. G. LEVKAULT, LIBRAIRE,

RUE DES FOSSÉS-MOHSIEUR-LE-PRINCE , 3l ; ET A STRASBOURG, RUE DES JUIFS, 33.

M. DCCC. XXV.

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LETTRES.

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ANNÉE l647-

A M. CHANUT.

(Lettre 35 du tome I.)

Monsieur,

L'aimable lettre que je viens de recevoir de votre part ne me permet pas que je repose jus- qu'à ce que j'y aie faijt réponse, et bien que vous y proposiez des questions que de plus savants que moi auroient bien de la peine à examiner en peu de temps , toutefois à cause que je sais bien qu'en- core que j'y en employasse beaucoup jene les pour- rois entièrement résoudre, j'aime mieux mettre promptement sur le papier ce que le zèle qui m'in- cite me dictera , que d'y penser plus à loisir , et n'écrire par après rien de meilleur.

Vous voulez savoir mon opinion touchant trois choses : ce que c'est que l'amour; 20 si la seule lumière naturelle nous enseigne à aimer Dieu ; lequel des deux dérèglements et mauvais usages est le pire , de l'amour ou de la haine.

4 LETTRES.

Pour répondre au premier point, je distingue entre l'amour qui est purement intellectuelle ou raisonnable, et celle qui est une passion; la pre- mière n'est, ce me semble, autre chose sinon que, lorsque notre âme aperçoit quelque bien, soit pré- sent, soit absent, qu'elle juge lui être convenable, elle se joint à lui de volonté, c'est- à-dire elle se con- sidère soi-même avec ce bien-là comme un tout dont il est une partie , et elle l'autre ; en suite de quoi, s'il est présent, c'est-à-dire si elle le possède, ou qu'elle en soit possédée, ou enfin qu'elle soit jointe à lui non seulement par sa volonté, mais aussi réellement et de fait, en la façon qu'il lui convient d'être jointe, le mouvement de sa volonté qui accompagne la connoissance qu'elle a que ce lui est un bien, est sa joie; et-, s'il est absent, le mou- vement de sa volonté qui accompagne la connois- sance qu'elle a d'en être privée, est sa tristesse; mais celui qui accompagne la connoissance qu'elle a qu'il lui seroit bon de l'acquérir, est son désir. Et tous ces mouvements de la volonté auxquels consistent l'amour, la joie, et la tristesse, et le dé- sir, en tant que ce sont des pensées raisonnables, et non point des passions, se pourroient trouver en notre âme, encore qu'elle n%ut point de corps; car, par exemple, si elle s'apercevoit qu'il y a beaucoup de choses à connoître en la nature qui sont fort belles, sa volonté se porteroit infailliblement à ai-

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LETTRES. 5

mer la connoissance de ces choses, c'est-à-dire à la considérer comme lui appartenant ; et si elle re- marquoit avec cela qu'elle eût cette connoissance, elle en auroit de la joie; si elle considéroit quelle ne l'eût pas, elle en auroit de la tristesse; si elle pensoit qu'il lui seroit bon de l'acquérir, elle en auroit du désir. Et il n'y a rien eu tous ces mou- vements de sa volonté qui lui fût obscur , ni dont elle n'eût une très parfaite connoissance , pourvu qu'elle fit réflexion sur ses pensées. Mais pen- dant que notre âme est jointe au corps, cette amour raisonnable est ordinairement accompa- gnée de l'autre , qu'on peut nommer sensuelle ou sensitive, et qui, comme j'ai sommairement dit de toutes les passions , appétits et sentiments, en la page 46 1 de mes Principes françois, n'est autre chose qu'une pensée confuse excitée en l'âme par quelque mouvement des nerfs, laquelle la dispose à cette autre pensée plus claire en qui consiste l'amour raisonnable. Car, comme en la soif, le sentiment qu'on a de la sécheresse du gosier est une pensée confuse qui dispose au désir de boire , mais qui n'est pas ce désir même ; ainsi en l'amour on sent je ne sais quelle chaleur autour du cœur, et une grande abondance de sang dans le poumon, qui fait qu'on ouvre même les bras comme pour embrasser quelque chose, et cela rend l'âme en- cline à joindre à soi de volonté l'objet qui se pré*

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6 LETTRES;

sente. Mais la pensée par laquelle l'âme sent cette chaleur est différente de celle qui la joint à cet objet; et même il arrive quelquefois que ce sen- timent d'amour se trouve en nous sans que notre volonté se porte à rien aimer , à cause que nous ne rencontrons point d'objet que nous pensions en être digne. Il peut arriver aussi , au contraire , que nous connoissions un bien qui mérite beau- coup , et que nous nous joignions à lui de volonté , sans avoir pour cela aucune passion , à cause que le corps n'y est pas disposé. Mais pour l'ordinaire ces deux amours se trouvent ensemble : car il y a une telle liaison entre l'une et l'autre , que lorsque l'âme juge qu'un objet est digne d'elle, cela dispose incontinent le cœur aux mouvements qui excitent la passion d'amour , et lorsque le cœur se trouve ainçi disposé par d'autres causes , cela fait que l'âme imagine des qualités aimables en des objets elle ne verroit que des défauts en un autre temps. Et ce n'est pas merveille que certains mouvements de cœur soient ainsi naturellement joints à cer- taines pensées , avec lesquelles ils n'ont aucune ressemblance; car de ce que notre âme est de telle nature qu'elle a pu être unie à un corps, elle a aussi cette propriété que chacune de ses pensées se peut tellement associer avec quelques mouve- ments ou autres dispositions de ce corps, que lorsque les mêmes dispositions se trouvent une

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LETTRES. 7

autre fois en lui , elles induisent lame à la même pensée , et réciproquement lorsque la même pen- sée revient, elle prépare le corps à recevoir la même disposition. Ainsi , lorsqu'on apprend une langue, on joint les lettres ou la prononciation de certains mots qui sont des choses matérielles, avec leurs significations qui sont des pensées : en sorte que lorsqu'on oit après derechef les mêmes mots, on conçoit les mêmes choses ; et quand on conçoit les mêmes choses , on se ressouvient des mêmes mots. Mais les premières dispositions du corps qui ont ainsi accompagné nos pensées lorsque nous sommes| entrés au monde ont sans doute se joindre plus étroitement avec elles que celles qui les accompagnent par après. Et pour examiner l'origine de la chaleur qu'on sent autour du cœur, et celle des autres dispositions du corps qui ac- compagnent l'amour , je considère que dès le pre- mier moment que notre âme a été jointe au corps, il est vraisemblable qu'elle a senti de la joie , et incontinent après de l'amour , puis peut-être aussi de la haine et de la tristesse ; et que les mêmes dis- positions du corps qui ont pour lors causé en elle ces passions , en ont naturellement par après ac- compagné les pensées. Je juge que sa première pas- sion a été la joie , pourcequ'il n'est pas croyable que l'âme ait été mise dans le corps , sinon lors- qu'il a été bien disposé, et que lorsqu'il est ainsi

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bien disposé, cela nous donne naturellement de la joie. Je dis aussi que l'amour est venue après , à cause que la matière de notre corps s'écoulant sans cesse, ainsi que l'eau d'une rivière , et étant besoin qu'il en revienne d'autre en sa place, il n'est guère vraisemblable que le corps ait été bien disposé , qu'il n'y ait eu aussi proche de lui quelque matière fort propre à lui servir d'aliment , et que l'âme se joi- gnant de volonté à cette nouvelle matière , a eu pour elle de l'amour ; comme aussi par après s'il est arrivé que cet aliment ait manqué , l'âme en a eu de la tristesse ; et s'il en est venu d'autre en sa place qui n'ait pas été propre à nourrir corps , elle a eu pour lui de la haine.

Voilà les quatre passions que je crois avoir été en nous les premières , et les seules que nous avons eues avant notre naissance ; et je crois aussi qu'elles n'ont été alors que des sentiments ou des pensées fort confuses, pourceque l'âme étoit tellement at- tachée à la matière , qu'elle ne pouvoit encore va- quer à autre chose qu'à en recevoir les diverses impressions ; et bien que quelques années après elle ait commencé à avoir d'autres joies et d'autres amours que celles qui ne dépendent que de la bonne constitution et convenable nourriture du corps , toutefois ce qu'il y a eu d'intellectuel en ses joies ou amours a toujours été accompagné des premiers sentiments qu'elle en avoit eus, et

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LETTRES. 9

même aussi des mouvements ou fonctions natu- relles qui étoient alors dans le corps; en sorte que d'autant que l'amour n'étoit causée avant la nais- sance que par un aliment convenable qui , entrant abondamment dans le foie, dans le cœur et dans le poumon , y excitoit plus de chaleur que de cou- tume, de vient que maintenant cette chaleur accompagne toujours l'âme, encore qu'elle vienne d autres causes fort différentes. Et si je ne craignois d'être trop long, je pourrois faire voir par le menu que toutes les autres dispositions du corps qui ont été au commencement de notre vie avec ces quatre passions les accompagnent encore; mais je dirai seulement que ce sont ces sentiments con- fus de notre enfance qui, demeurant joints avec les pensées raisonnables par lesquelles nous aimons ce que nous en jugeons digne, sont cause que la nature de l'amour nous est difficile à connoître. A quoi j'ajoute que plusieurs autres passions , comme la joie, la tristesse, le désir, la crainte, l'espé- rance , etc. , se mêlant diversement avec l'amour , empêchent qu'on ne reconnoisse en quoi c'est pro- prement qu'elle consiste. Ce qui est principale- ment remarquable touchant le désir; car on le prend si ordinairement pour l'amour , que cela est cause qu'on a distingué deux sortes d'amours: l'une qu'on nomme amour de bienveillance, en laquelle ce désir ne paroît pas tant; et l'autre

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ÎO LETTRES»

qu'on nomme amour de concupiscence , laquelle n'est qu'un désir fort violent, fondé sur une amour qui souvent est foible.

Mais iifaudroit écrire un gros volume pour trai- ter de toutes les choses qui appartiennent à cette passion; et bien que son naturel soit de faire qu'on se communique le plus que l'on peut, en sorte qu'elle m'incite à tâcher ici de vous dire plus de choses que je n'en sais , je me veux pourtant rete- nir, de peur que la longueur de cette lettre ne vous ennuie. Ainsi je passe à votre seconde question , savoir, si la seule lumière naturelle nous enseigne à aimer Dieu, et si on le peut aimer par la force de cette lumière. Je vois qu'il y a deux fortes rai- sons pour en douter. La première est que les attri- buts de Dieu qu'on considère le plus ordinaire- ment sont si relevés au-dessus de nous, que nous ne concevons en aucune façon qu'ils nous puissent être convenables , ce qui est cause que nous ne nous joignons point à eux de volonté ; la seconde est qu'il n'y a rien en Dieu qui soit imaginable, ce qui fait qu'encore qu'on auroit pour lui quelque amour intellectuelle, il ne semble pas qu'on en puisse avoir aucune sensitive, à cause qu'elle de- vroit passer par l'imagination pour venir de l'en- tendement dans le sens. C'est pourquoi je ne m'é- tonne pas si quelques philosophes se persuadent qu'il n'y a que la religion chrétienne qui, nous en-

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LETTRES. 11

seignant le mystère de l'incarnation par lequel Dieu s'est abaissé jusqu'à se rendre semblable à nous, fait que nous sommes capables de l'aimer; et que ceux qui, sans la connoissance de ce mys- tère, ont semblé avoir de la passion pour quelque divinité , n'en ont point eu pour cela pour le vrai Dieu, mais seulement pour quelques idoles qu'ils ont appelées de son nom; tout de même qu'Ixion, au dire des poètes, embrassoit une nue au lieu de la reine des dieux. Toutefois je ne fais aucun doute que nous ne puissions véritablement aimer Dieu par la seule force de notre nature. Je n'assure point que cet amour soit méritoire sans la grâce, je laisse démêler cela aux théologiens ; mais j'ose dire qu'au regard de cette vie c'est la plus ravissante et la plus utile passion que nous puissions avoir, et même qu'elle peut être la plus forte, bien qu'on ait be- soin pour cela d'une méditation fort attentive, à cause que nous sommes continuellement divertis par la présence des autres objets. Or, le chemin que je juge qu'on doit suivre pour parvenir à l'a- mour de Dieu est qu'il faut considérer qu'il est un esprit ou une chose qui pense, en quoi la nature de notre âme ayant quelque ressemblance avec la sienne, nous venons à nous persuader qu'elle est une émanation de sa souveraine intelligence, et di- vinœ quasi parlicula aura*. Même, à cause que notre connoissance semble se pouvoir accroître par de-

12 LETTRES.

grés jusqu'à l'infini, et que celle de Dieu étant in- finie, elle est au but vise la nôtre; si nous ne considérons rien davantage, nous pouvons venir à l'extravagance de souhaiter d'être dieux , et ainsi , par une très grande erreur, aimer seulement la di- vinité au lieu d'aimer Dieu. Mais si avec cela nous prenons garde à l'infinité de sa puissance par la- quelle il a créé tant de choses dont nous ne som- mes que la moindre partie; à l'étendue de sa pro- vidence, qui fait qu'il voit d'une seule pensée tout ce qui a été, qui est, qui sera et qui sauroit être; à l'infaillibilité de ses décrets , qui , bien qu'ils ne trou- blent point notre libre arbitre , ne peuvent néan- moins en aucune façon être changés; et enfin d'un coté à notre petitesse, et de l'autre à la grandeur de toutes les choses créées, en remarquant de quelle sorte elles dépendent de Dieu, et en les considérant d'une façon qui ait du rapport à sa toute-puissance, sans les enfermer en une boule , comme font ceux qui veulent que le monde soit fini : la méditation de toutes ces choses remplit un homme qui les entend bien d'une joie si extrême, que tant s'en faut qu'il soit injurieux et ingrat envers Dieu jusqu'à souhai- ter de tenir sa place, il pense déjà avoir assez vécu, de ce que Dieu lui a fait la grâce de parvenir à de telles connoissances ; et , se joignant entièrement à lui de volonté, il l'aime si parfaitement qu'il ne dé- sire plus rien au monde , sinon que la volonté de

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LETTRES. iS

Dieu soit faite; ce qui est cause qu'il ne craint plus ni la mort ni les douleurs , ni les disgrâces, pour- cequ'il sait que rien ne lui peut arriver que ce que Dieu aura décrété; et il aime tellement ce divin décret, il l'estime si juste et si nécessaire, il sait qu'il en doit si entièrement dépendre, que même lorsqu'il en attend la mort, ou quelque autre mal, si par impossible il pouvoit le changer, il n'en au- roit pas la volonté. Mais s'il ne refuse point les maux ou les afflictions pourcequ'elles lui viennent de la providence divine, il refuse encore moins tous les biens on plaisirs licites dont il peut jouir en cette vie, pourcequ'ils en viennent aussi; et les recevant avec joie sans avoir aucune crainte des maux, son amour le rend parfaitement heureux. Il est vrai qu'il faut que l'âme se détache fort du commerce des sens pour se représenter les vérités qui excitent en elle cet amour, d'où vient qu'il ne semble pas qu'elle puisse la communiquer à la fa- culté imaginative pour en faire une passion. Mais néanmoins je ne doute point qu'elle ne lui com- munique; car, encore que nous ne puissions rien imaginer de ce qui est en Dieu, lequel est l'objet de notre amour, nous pouvons imaginer notre amour même, qui consiste en ce que nous voulons nous unir à quelque objet, c'est-à-dire au regard de Dieu , nous considérer comme une très petite partie de toute l'immensité des choses qu'il a créées,

l4 LETTRES.

pourceque, selon que les objets sont divers, on se peut unir avec eux ou les joindre à soi en diverses façons; et la seule idée de cette union suffit pour exciter de la chaleur autour du cœur , et causer une très violente passion. Il est vrai aussi que l'usage de notre langue et la civilité des compli- ments ne permettent pas que nous disions à ceux qui sont d'une condition fort relevée au-dessus de la nôtre, que nous les aimons, mais seulement que nous les respectons, honorons et estimons, et que nous avons du zèle et de la dévotion pour leur service, dont il me semble que la raison est que l'amitié d'homme à homme rend égaux en quel- que façon ceux en qui elle est réciproque; et ainsi que pendant que Ton tâche à se faire ai- mer de quelque grand, si on lui disoit qu'on l'aime, il pourroit penser qu'on le traite d'égal et qu'on lui fait tort. Mais pourceque les philosophes n'ont pas coutume de donner divers noms aux choses qui conviennent en une même définition , et que je ne sais point d'autre définition de l'amour, sinon qu'elle est une passion qui nous fait joindre de vo- lonté à quelque objet, sans distinguer si cet objet est égal, ou plus grand, ou moindre que nous , il me semble que, pour parler leur langue, je dois dire qu'on peut aimer Dieu. Et si je vous demandois en conscience si vous n'aimez point cette grande reine auprès de laquelle vous êtes à présent, vous auriez

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LETTRES. l5

beau dire que vous n'avez pour elle que du res- pect, de la vénération et de l'étonnement, je ne laisserois pas déjuger que vous avez aussi une très ardente affection, car votre style coule si bien quand vous parlez d'elle, que, bien que je croie tout ce que vous eu dites, pourceque je sais que vous êtes très véritable, et que j'en ai aussi ouï parler à d'autres, je ne crois pas néanmoins que vous la pussiez décrire comme vous faites si vous n'aviez beaucoup de zèle, ni que vous puissiez être auprès d'une si grande lumière sans en rece- voir de la chaleur. Et tant s'en faut que l'amour que nous avons pour les objets qui sont au-dessus de nous soit moindre que celle que nous avons pour les autres; je crois que de sa nature elle est plus parfaite, et qu'elle fait qu'on embrasse avec plus d'ardeur les intérêts de ce qu'on aime. Car la nature de l'amour est de faire qu'on se considère avec l'objet aimé comme un tout dont on n'est qu'une partie, et qu'on transfère tellement les soins qu'on a coutume d'avoir pour soi-même à la con- servation de ce tout , qu'on n'en retienne pour soi en particulier qu'une partie aussi grande ou aussi petite qu'on croit être une grande ou petite partie du tout auquel on a donné son affection ; en sorte que, si on s'est joint de volonté avec un objet qu'on estime moindre que soi, par exemple, si nous ai- mons une fleur, un oiseau, un bâtiment, ou chose

,6 LETTRES.

semblable, la plus haute perfection cette amour puisse atteindre, selon son vrai usage, ne peut faire que nous mettions notre vie en aucun hasard pour la conservation de ces choses, pourcequ'elles ne sont pas des parties plus nobles du tout qu'elles composent avec nous, que nos ongles et nos che- veux sont de notre corps; et ce seroit une extra- vagance de mettre tout le corps au hasard pour la conservation des cheveux. Mais quand deux hom- mes s'entr'aiment, la charité veut que chacun d'eux estime son ami plus que soi-même; c'est pour- quoi leur amitié n'est point parfaite, s'ils ne sont prêts de dire en faveur l'un de l'autre: Même adsum qui feci, inme converlite ferrum, etc.Tout de même, quand un particulier se joint de volonté à son prince ou à son pays, si son amour est parfaite, il ne se doit estimer que comme une fort petite partie du tout qu'il compose avec eux, et ainsi ne craindre pas plus d'aller à une mort assurée pour leur service , qu'on craint de tirer un peu de sang de son bras pour faire que le reste du corps se porte mieux. Et on voit tous les jours des exemples de cette amour, même en des personnes de basse condition , qui donnent leur vie de bon cœur pour le bien de leur pays, ou pour la défense d'un grand qu'ils affectionnent. Ensuite de quoi il est évident que notre amour envers Dieu doit être sans com- paraison la plus grande et la plus parfaite de toutes.

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LETTRES. 17

Je n'ai pas peur que ces pensées métaphysiques donnent trop de peine à votre esprit , car je sais qu'il est très capable de tout; mais j'avoue qu'elles lassent le mien , et que la présence des objets sen- sibles ne permet pas que je m'y arrête long-temps. C'est pourquoi je passe à la troisième question , savoir , lequel des deux dérèglements est le pire , celui de l'amour ou celui de la haine. Mais je me trouve plus empêché à y répondre qu'aux deux autres , à cause que vous y avez moins expliqué votre intention , et que cette difficulté se peut en- tendre en divers sens, qui me semblent devoir être examinés séparément. On peut dire qu'une passion est pire qu'une autre , à cause qu'elle nous rend moins vertueux, ou à cause qu'elle répugne da- vantage à notre contentement , ou enfin à cause qu'elle nous emporte à de plus grands excès, et nous dispose à faire plus de mal aux autres hommes.

Pour le premier point , je le trouve douteux ; car, en considérant les définitions de ces deux pas- sions , je juge que l'amour que nous avons pour un objet qui ne le mérite pas nous peut rendre pires que ne fait la haine que nous avons pour un autre que nous devrions aimer ; à cause qu'il y a plus de danger d'être joint à une chose qui est mauvaise et d'être comme transformé en elle, qu'il n'y en a d'être séparé de volonté d'une qui

est bonne. Mais quand je prends garde aux incli- 10. *

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ï8 LETTRES.

nations ou habitudes qui naissent de ces passions, je change d'avis; car voyant que l'amour, quel- que déréglée quelle soit, a toujours le bien pour objet, il ne me semble pas qu'elle puisse tant corrompre nos mœurs que fait la haine, qui ne se propose que le mal. Et on voit par expérience que les plus gens de bien deviennent peu à peu malicieux, lorsqu'ils sont obligés de haïr quel- qu'un ; car, encore même que leur haine soit juste, ils se représentent si souvent les maux qu'ils re- çoivent de leur ennemi, et aussi ceux qu'ils lui souhaitent , que cela les accoutume peu à peu à la malice. Au contraire, ceux qui s'adonnent à ai- mer, encore même que leur amour soit déréglée et frivole, ne laissent pas de se rendre souvent plus honnêtes gens et plus vertueux que s'ils oc- cupoient leur esprit à d'autres pensées. Pour le second point, je n'y trouve aucune difficulté; car la haine est toujours accompagnée de tristesse et de chagrin, et quelque plaisir que certaines gens prennent à faire du mal aux autres , je crois que leur volupté est semblable à celle des démons , qui , selon notre religion , ne laissent pas d'être damnés , encore qu'ils s'imaginent continuellement se venger de Dieu en tourmentant les hommes dans les enfers. Au contraire, l'amour, tant déréglée qu'elle soit , donne du plaisir, et bien que les poètes s'en plaignent souvent dans leurs vers , je crois

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LETTRES. 19

néanmoins que les hommes s'abstiendroient natu- rellement d'aimer, s'ils n'y trouvpient plus de douceur que d'amertume ; et que toutes les af- flictions dont on attribue la cause à l'amour ne viennent que des autres passions qui l'accom- pagnent, à savoir, des désirs téméraires et des espérances mal fondées. Mais si Ton demande la- quelle de ces deux passions nous emporte à de plus grands excès , et nous rend capables de faire plus de mal au reste des hommes, il me semble que je dois dire que c'est l'amour, d'autant qu'elle a naturellement beaucoup plus de force et plus de vigueur que la haine, et que souvent l'affection qu'on a pour un objet de peu d'importance cause incomparablement plus de maux que ne pourroit faire la haine d'un autre de plus de valeur. Je prouve que la haine a moins de vigueur que l'amour, par l'origine de l'une et de l'autre : car s'il est vrai que nos premiers sentiments d'amour soient venus de ce que notre cœur recevoit abondance de nourriture qui lui étoit convenable, et au contraire que nos pre- miers sentiments de haine aient été causés par un aliment nuisible qui venoit au cœur , et que main- tenant les mêmes mouvements accompagnent en- core les mêmes passions, ainsi qu'il a tantôt été dit , il est évident que lorsque nous aimons , tout le plus pur sang de nos veines coule abondamment vers le cœur , ce qui envoie quantité d'esprits ani-

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20 LETTRES.

maux au cerveau, et ainsi nous donne plus de force, plus de, vigueur et plus de courage ; au lieu que si nous avons de la haine , ramertume du fiel et l'aigreur de la rate se mêlant avec notre sang, est cause qu'il ne vient pas tant ni de tels esprits au cerveau , et ainsi qu'on demeure plus foible, plus froid et plus timide. Et l'expérience confirme mon dire ; car les Hercules , les Rolands , et générale- ment ceux qui ont le plus de courage, aiment plus ardemment que les autres ; et au contraire , ceux qui sont foibles et lâches sont les plus en- clins à la haine. La colère peut bien rendre les hommes hardis , mais elle emprunte sa vigueur de l'amour qu'on a pour soi-même, laquelle lui sert toujours de fondement, et non pas de la haine, qui ne fait que l'accompagner. Le désespoir fait faire aussi de grands efforts de courage , et la peur fait exercer de grandes cruautés , mais il y a de la différence entre ces passions et la haine. Il me reste encore à prouver que l'amour qu'on a pour un objet de peu d'importance peut causer plus de mal étant déréglée que ne fait la haine d'un autre de plus de valeur. Et la raison que j'en donne est que le mal qui vient de la haine s'étend seule- ment sur l'objet haï, au lieu que l'amour déré- glée n'épargne rien, sinon son objet, lequel n'a pour l'ordinaire que si peu d'étendue , à compa- raison de toutes les autres choses dont elle est

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LETTRES. 2 1

prête de procurer la perte et la ruine, afin que cela serve de ragoût à l'extravagance de sa fureur. On dira peut-être que la haine est la plus pro- chaine cause des maux qu'on attribue à l'amour , pourceque si nous aimons quelque chose, nous haïssons par même moyen tout ce qui lui est con- traire : mais l'amour est toujours plus coupable que la haine des maux qui se font en cette façon, d'autant qu'elle en est la première cause , et que l'amour d'un seul objet peut ainsi faire naître la haine de beaucoup d'autres. Puis, outre cela, les plus grands maux de l'amour ne sont pas ceux qu'elle commet en cette façon par l'entremise de la haine ; les principaux et les plus dangereux sont ceux qu'elle fait, ou laisse faire, pour le seul plai- sir de l'objet aimé , ou pour le sien propre. Je me souviens d'une saillie de Théophile , qui' peut être mise ici pour exemple ; il fait dire à une personne éperdue d'amour :

Dieux! que le beau Paria eut une belle proie!

Que cet amant fit bien Alors qu'il alluma l'embrasement de Troie ,

Pour amortir le sien !

Ce qui montre que même les plus grands et les plus funestes désastres peuvent être quelquefois , comme j'ai dit, des ragoûts d'une amour mal ré- glée , et servir à la rendre plus agréable , d'autant qu'ils en enrichissent le prix. Je ne sais si mes

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22 LETTRES.

pensées s'accordent en ceci avec les vôtres ; mais je vous assure bien qu'elles s'accordent en ce que, comme vous m'avez promis beaucoup de bienveil- lance, ainsi je suis, avec une très ardente pas- sion , etc.

D'Egmond, le i<r février 1647.

A MADAME *** ».

(Lettre 2a du tome II.)

Madame,

La satisfaction que j'apprends que votre altesse reçoit au lieu elle est fait que je n'ose souhai- ter son retour , bien que j'aie beaucoup de peine à m'en empêcher, principalement à cette heure que je me trouve à La Haye; et pourceque je remar- que par votre lettre du 2 1 février qu'on ne vous doit point attendre ici avant la fin de l'été , je me propose de faire un voyage en France pour mes affaires particulières , avec dessein de revenir vers l'hiver; et je ne partirai point de deux mois?

. « Comme Descartes répond à une lettre du ai février, il n'y a pas de doute que cette lettre ne soit écrite du i5 mars 1647 » car M. Descartes parle du livre de Régius, qui n'a été achevé d'imprimer qu'au i5 sep- tembre 1646.»

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LETTRES. 2J

afin que je puisse auparavant avoir l'honneur de recevoir les commandements de votre altesse , les- quels auront toujours plus de pouvoir sur moi qu'aucune autre chose qui soit au monde. Je loue Dieu de ce que vous avez maintenant une parfaite santé; mais je vous supplie de me pardonner si j'ose contredire à votre opinion touchant ce qui est de ne point user de remèdes, pourceque le mal que vous aviez aux mains est passé; car il est à craindre, aussi bien pour votre altesse que pour madame votre sœur, que les humeurs qui se pur- geoient en cette façon aient été arrêtées par le froid de la saison, et qu'au printemps elles ne ramènent le même mal, ou vous mettent en danger de quel- que autre maladie, si vous n'y remédiez par une bonne diète, n'usant que de viandes et de breuvages qui rafraîchissent le sang et qui purgent sans aucun effort; car pour les drogues, soit des apothicaires, soit des empiriques, je les ai en si mauvaise es- time que je n'oserois jamais conseiller à personne de s'en servir. Je ne sais ce que je puis avoir écrit à votre altesse , touchant le livre de Régius, qui vous donne occasion de vouloir savoir ce que j'y ai ob- servé; peut-être que je n'en ai pas dit mon opi- nion, afin de ne pas prévenir votre jugement en cas que vous eussiez déjà le livre ; mais , puisque j ap- prends que vous ne l'avez point encore, je vous dirai ici ingénument que je n'estime pas qu'il mé-

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34 LETTRES.

rite que votre altesse se donne la peine de le lire. Il ne contient rien touchant la physique, sinon mes assertions mises en mauvais ordre et sans leurs vraies preuves, en sorte qu'elles paroissent para- doxes , et que ce qui est mis au commencement ne peut être prouvé que par ce qui est vers la fin. Il n'y a inséré presque rien du tout qui soit de lui, et peu de choses de ce que je n'ai point fait impri- mer ; mais il n'a pas laissé de manquer à ce qu'il me devoit, en ce que, faisant profession d'amitié avec moi, et sachant hien que je ne désirois point que ce que j'avois écrit touchant la description de l'ani- mal fût divulgué, jusque que je n'avois pas voulu lui montrer, et m'en étois excusé sur ce qu'il ne se pourroit empêcher d'en parler à ses disciples s'il l'avoit vu , il n'a pas laissé de s'en approprier plu- sieurs choses; et, ayant trouvé moyen d'en avoir copie sans mon su, il en a particulièrement trans- crit tout l'endroit je parle du mouvement des muscles, et je considère, par exemple, deux des muscles qui meuvent l'œil , de quoi il a deux ou trois pages qu'il a répétées deux fois de mot à mot en son livre, tant cela lui a plu. Et toutefois il n'a pas entendu ce qu'il écrivoit, car il en a omis le principal , qui est que les esprits animaux qui cou- lent du cerveau dans les muscles ne peuvent re- tourner par les mêmes conduits par ils viennent, sans laquelle observation tout ce qu'il écrit ne vaut

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LETTRES. 25

rien; et pourcequ'il n'avoit pas ma figure, il en a fait une qui montre clairement son ignorance. On m'a dit qu'il a encore à présent un autre livre de médecine sous la presse , je m'attends qu'il aura mis tout le reste de mon écrit, selon qu'il aura pu le digérer. Il en eût sans doute pris beaucoup d'au- tres choses , mais j'ai su qu'il n'en avoit eu une copie que lorsque son livre s achevoit d'imprimer. Mais comme il suit aveuglément ce qu'il croit être de mes opinions en tout ce qui regarde la physique ou la médecine, encore même qu'il ne les entende pas, ainsi il y contredit aveuglément en tout ce qui regarde la métaphysique, de quoi je Tavois prié de n'en rien écrire, pourceque cela ne sert point à son sujet, et que j'étois assuré qu'il ne pouvoit en rien écrire qui ne fût mal. Mais je n'ai rien obtenu de lui , sinon que, n'ayant pas dessein de me satisfaire en cela, il ne s'est plus soucié de me désobliger aussi en autre chose. Je ne laisserai pas de porter demain à mademoiselle la P. S. un exemplaire de son livre, dont le titre est Henrici regii fundamenta physices, avec un autre petit livre de mon bon ami monsieur de Hogelande, qui a fait tout le contraire de Régius, en ce queRégius n'a rien écrit qui ne soit pris de moi, et qui ne soit avec cela contre moi, au lieu que l'autre n'a rien écrit qui soit proprement de moi (car je ne crois pas même qu'il ait jamais bien lu mes écrits); et

26 LETTRES.

toutefois il n'a rien qui ne soit pour moi , en ce qu'il a suivi les mêmes principes. Je prierai ma- dame L. de faire joindre ces deux livres, qui ne sont pas gros, avec les premiers paquets qu'il lui plaira envoyer par Hambourg, à quoi je joindrai la version françoise de mes Méditations, si je les puis avoir avant que de partir d'ici, car il y a déjà assez long-temps qu'on m'a mandé que l'impres- sion en est achevée. Je suis , etc.

A M. DESCARTES.

(Lettre 19 du tome II. Version.)

Monsieur,

Nous n'avons pas plus tôt reçu les lettres que vous avez pris la peine de nous écrire dligmond le quatrième de ce mois, que nous avons donné jour au recteur de l'académie, et aux professeurs en théologie et philosophie, et aussi aux recteurs du collège de théologie, pour comparoître devant nous; et nous leur avons défendu très expressé- ment à tous , et à chacun d'eux en particulier, de faire dorénavant aucune mention de vous, ni de vos opinions, dans leurs leçons, disputes, ou au- tres exercices académiques, et leur avons ordonné

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I

LETTRES. J*7

de s'en taire entièrement ; en quoi ayant satisfait , comme nous pensons, autant que nous avons pu à votre désir, nous ne doutons point que de votre côté vous ne correspondiez au nôtre. C'est pour- quoi nous vous prions aussi de tout notre pouvoir de vous abstenir de parler et d'agiter davantage cette question, que vous dites avoir été impugnée par les professeurs de notre académie, par un ré- gent de notre collège et par nos théologiens , de peur des inconvénients qui en pourroient arriver de part et d'autre, que nous jugeons être de notre devoir et du bien de la république de prévenir. Enfin, nous prions Dieu qu'il veuille vous conduire par son esprit et vous conserver en santé. Donné à Leyde le i3 des calendes de juin 1647.

Par les curateurs de l'académie, et les consuls de la ville de Leyde. Par leur secrétaire, Jean de We- velichoven.

A M. DESCARTES.

(Lettre 20 du tome II. Version.)

Monsieur,

Puisque , dans le même temps que vous avez bien voulu exposer les sujets de vos plaintes

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2b LETTRES.

à MM. les curateurs de l'académie, et à MM. les consuls de la ville de Leyde, vous m'avez aussi fait l'honneur de m écrire, j'ai cru que, pour répondre à votre attente, il étoit de mon devoir d'accompagner leurs lettres publiques des miennes; et je me suis acquitté d'autant plus volontiers de cette partie de mon devoir, que j'ai reconnu que vous aviez quelque confiance en moi et en ma re- commandation; non que pour cela je veuille me vanter que le soin que j'ai apporté en cette affaire vous ait en aucune façon été utile ; car ce n'est qu'à vous seul, et à l'équité de MM. les curateurs et de MM. les consuls, que vous devez attri- buer ce dont votre courtoisie me vouloit aussi être redevable. Mais pourceque je vois par que je puis avoir quelque espérance de pouvoir vous rendre service quand l'occasion s'en présentera , c'est pourquoi je prie Dieu qu'il vous conserve toujours en bonne santé. A La Haye, le 1 3 des ca- lendes de juin 16^7.

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LETTRES. 29

A MESSIEURS LES CURATEURS

DE L'ACADÉMIE ET DE LA VILLE DE LE Y DE»

(Lettre 21 du tome II. Version.)

Messieurs,

Comme je tiens à très grand honneur la faveur que vous m'avez faite d'avoir eu quelque égard à mes lettres, et d'y avoir répondu avec tant d'hon- nêteté ; de même aussi je m'étonne fort de ce que je ne puis comprendre votre pensée , ou plutôt de ce que je n'ai pu exposer la mienne assez claire- ment pour vous donner à entendre ce que je dési- rois de vous : car je vois que vous me priez que je m'abstienne de parler et d'agiter davantage cette question que j'ai dit avoir été impugnée par deux de vos théologiens. Mais permettez -moi de vous dire que je ne sache point avoir jamais dit qu'ils aient impugné aucune de mes opinions, ou, du moins, aucune dont j'aie fait bruit et dont je me sois vanté; mais je me suis plaint de ce que, par une calomnie noire et tout-à-fait inexcusable, ils m'ont attribué à dessein dans leurs thèses des choses que je n'ai jamais écrites ni pensées. Par exemple, j'ai écrit que Dieu est très grand, et

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30 LETTRES.

plus grand sans comparaison que toutes les créa- tures; et votre régent, au contraire, feint que j'aie écrit que l'idée de notre libre arbitre est plus grande que l'idée de Dieu, ou bien que notre libre arbitre est plus grand que Dieu même; et, par cette médisance puérile, il m'attribue plus que le pélagianisme. De plus, j'ai écrit que Dieu n'est point trompeur, et même qu'il répugne entièrement qu'il puisse être trompeur; et votre principal régent de théologie assure que je tiens Dieu pour un impos- teur et pour un trompeur, et ainsi il me fait passer pour un blasphémateur : voilà de quoi je me suis plaint. Ce n'est pas que je ne veuille bien que mes opinions soient examinées par vos professeurs, ou par toute autre sorte de personnes; car au con- traire, lorsque je les ai données au public , j'ai sup- plié toutes les personnes de lettres de se donner la peine de les examiner, afin que, si j etois tombé dans quelque erreur, elles me fissent la faveur de me les montrer; ou, si j'avois rencontré la vérité en quelque chose, qu'elles n'en eussent point de ja- lousie. Or, voyant que vos deux théologiens n'im- pugnoient aucune de mes opinions, mais seulement qu'ils m'en attribuoient quelques unes qui sont fort éloignées de ma pensée, j'ai bien cru qu'il m'étoit permis de leur répondre par un écrit pu- blic, et, par ce moyen, de faire connoître à tout le monde leur malice et leur calomnie. Car je ne

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1 LETTRES. 3l

pense pas qu'ils soient venus à ce point d'orgueil, que de croire qu'il leur soit permis , ou même qu'il leur ait été permis de nous attaquer par des écrits publics , et de nous charger d'injures outrageuses sans qu'à nous autres, chétifs et misérables, il nous soit presque permis d'ouvrir la bouche pour la juste et légitime défense de notre honneur ; cela seroit contre tout droit des gens, et l'on n'a même jamais vu, dans pas un siècle, ni parmi aucune na- tion, du moins qui se vantât d'être libre, qu'il fût permis à des personnes d'en calomnier d'autres publiquement sans qu'il leur fût aussi permis de les accuser publiquement de leurs calomnies. Mais d'autant que j'aurois pu négliger de si lâches et de si ridicules calomniateurs, n'étoit qu'ils sont parmi vous dans des emplois qui leur donnent quelque autorité; et par conséquent, quand j'aurois voulu mépriser leurs propres noms (que je ne rendrai jamais plus célèbres en les attaquant à découvert, de peur que l'amour d'un pareil châtiment n'en portât d'autres à une semblable médisance), il me les eût toujours fallu désigner par ceux qui leur donnent chez vous cette autorité; j'ai cru que cela ne pou voit être honorable à votre académie ; c'est pourquoi j'ai mieux aimé vous donner avis de ce qui se passoit , non que cela me fût avantageux , car je pouvois bien toujours me venger de telles injures par d'autres voies très faciles et très justes;

32 LETTRES. *

mais, pour ne rien faire qui vous pût déplaire, et pour vous témoigner qu'après de si grandes inju- res reçues, je me contenterois d'une médiocre sa- tisfaction, pourvu seulement qu'elle fût telle qu'elle réparât le tort qui a été fait à mon honneur. Mais pardonnez-moi si je dis que je ne puis reconnoître la moindre ombre de satisfaction dans vos lettres; car vous me mandez avoir expressément défendu à tous , et à chacun de vos professeurs en particu- lier, de faire le moins du monde mention de moi ou de mes opinions dans leurs exercices académi- ques. Je ne pense pas avoir rien fait qui mérite cela de vous; et je n'ai jamais cru qu'aucune de mes opinions fût si abominable, et, qui plus est, si infâme ; et je n'ai jamais aussi ouï dire que les autres les aient tenues pour telles qu'il ne fût pas même permis d'en parler. Il n'y a que les person- nes détestables et les scélérats de la terre qu'on tienne pour des infâmes, c'est-à-dire pour des per- sonnes dont il n'est pas même permis.de proférer le nom. Croyez-vous donc que désormais je doive être estimé pour tel parmi tous vos professeurs : cela même ne me peut encore tomber en la pen- sée; mais plutôt je me persuade que je ne com- prends pas bien le sens de vos lettres. De même aussi, lorsque vous demandez que je m'abstienne de parler et d'agiter davantage cette question que vous dites avoir été impugnée par les vôtres, je

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LETTRES. 33

ne puis encore comprendre votre demande. Vou- driez-vous donc que je ne crusse pas que Dieu est plus grand que toutes les créatures ensemble, et qu'il ne peut être trompeur ; car c'a toujours été mon opinion, et je n'en ai jamais parlé autrement; ou bien voudriez-vous que je ne me défendisse point de ces monstres d'opinion qui m'ont été faussement attribués par les vôtres; car, comme j'en ai toujours été très éloigné, on ne sauroit dé- sirer de moi que je m'abstienne d'en parler da- vantage et de les publier. C'est pourquoi je vous conjure autant que je puis que , si je ne conçois pas bien encore le sens de vos paroles, vous ne vous rebutiez point, en me l'expliquant, de soula- ger la tardiveté de mon esprit. Et si , par ci-devant, je ne me suis pas assez expliqué sur ce que je dé- sirois de vous, je vous prie maintenant de le bien comprendre, et de ne pas croire que, pour m'ètre plaint à vous des injures que l'on m'a faites, il soit juste que j'en reçoive encore de plus grandes. Or, ce que je demande de votre justice et de votre clémence est que vos deux théologiens soient obligés de se dédire, et de me décharger des ca- lomnies atroces et tout-à-fait inexcusables que j'ai ici marquées , et qu'ils m'en fassent une satisfac- tion qui soit égale à leur crime et à leur médisance. Et remarquez, je vous prie, qu'il n'est ici nulle- ment question de la doctrine, mais seulement d'un

10. 3

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LETTRES.

fait, qui est de savoir si ce qu'ils feignent que j'ai écrit se trouve ou non dans mes écrits , ce que toute personne qui entend tant soit peu la langue latine peut très aisément reconnoître. Vous saurez aussi que je me soucie fort peu que l'on fasse désormais mention de moi dans votre académie, ou que l'on n'en fasse point; mais, comme je ne m'étudie qu'à avoir des opinions très vraies, et que je compte même entre mes opinions toute sorte de vérités connues, je n'estime pas qu'on les puisse bannir d'aucun lieu, si l'on ne veut en même temps que la vérité en soit bannie; ni aussi qu'on puisse défendre à personne de bien parler de celui dont il a bonne estime, à moins que ceux qui font cette défense le tiennent pour un scélérat et pour un infâme , ou qu'ils le veuillent eux-mêmes charger d'injures et d'ignominie. Enfin, pourceque je sais assurément n'avoir point mérité cela de vous, j'at- tendrai, s'il vous plaît, de votre courtoisie une autre explication de vos lettres, et de la part de mes adversaires une autre satisfaction des injures qu'ils m'ont faites. Et cela étant, je serai toute ma vie, etCt

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L ETTR ES.

35

A M. WEVELICHOVEN.

(Lettre a a du tome II. Version.)

Monsieur,

Je vous suis bien obligé de ce que vous avez eu la bonté de joindre vos lettres à celles de MM. les curateurs ; et l'offre que vous me faites de nou- veau de votre service, si jamais l'occasion se pré- sente que j'en aie besoin, est une faveur qui accroît de beaucoup mes premières obligations; et, pour ne vous rien dissimuler, je vous dirai qu'il s'en présente déjà une vous me pouvez beaucoup servir; car vous verrez par la réponse que j'ai faite à MM. les curateurs que je ne comprends pas bien le sens de leur lettre , à cause que , sachant la bonté, la justice et la prudence qu'ils observent en toutes choses, je ne puis m'imaginer que, pour m'être plaint à eux des injures que j'ai reçues, et dont je pouvois très aisément et avec justice me venger par une autre voie , ils aient eu dessein de m'en faire de plus grandes : c'est pourquoi je les supplie de me vouloir expliquer plus ouver- tement leur pensée; et d'autant que la dextérité que vous apportez dans les affaires, et le crédit

3.

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36 LETTRES.

que vous avez auprès de MM. les consuls , me fait croire que vous aurez la meilleure part à tout ce qu'ils résoudront, je vous aurai aussi le plus d'obligation de tout ce qui sera résolu par eux à mon avantage, et en attribuerai la plus grande par- tie à l'affection que vous avez pour moi. Je suis, etc.

A MONSIEUR *** \

(Lettre 114 du tome II.)

Monsieur,

La générosité, la franchise, l'amour de la vérité et de la justice, que j'ai éprouvées être en vous, et que j'y estime d'autant plus que je vois que ce sont des qualités inconnues à plusieurs autres, sont cause que j'ai derechef recours à vous à l'occasion d'une lettre que j'ai reçue ce matin de MM. les curateurs de l'université de Leyde. Vous en trou- verez ici la copie avec celle de la réponse que j'y ai faite à l'heure même, par vous verrez de quelle façon je suis traité, et comment, après avoir été calomnié par leurs théologiens, et leur en avoir demandé justice, au lieu de me la faire , ils me met-

* « Cette lettre est écrite par Descartes à un de ses intimes amis dont nous ignorons le nom , mais qui était protestant. Elle est datée , comme le» ate et aae, du aa mai, 1647.

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LETTRES. O7

tent au nombre des Érostrates et des plus infâmes qui aient jamais été au monde, en défendant qu'on ne parle de moi ni en bien ni en mal. Je n'avois pas attendu d'eux une telle réponse, et l'affaire est maintenant en tel point qu'il est nécessaire qu'on me fasse raison, ou bien qu'on déclare publique- ment que messieurs vos théologiens ont droit de mentir et de calomnier, sans que les personnes de ma sorte en puissent aucunement avoir justice en ce pays. Et je vous prie de remarquer ces mots en la lettre de MM. les curateurs , ab opinione, quant a professoribus academiœ, et régente collegii theolo- gis impugnatam retulistî; car le mot opinio, mis en telle sorte, semble signifier quelque hérésie; et en parlant en pluriel, de professoribus theologis, bien que je ne me fusse plaint que d'un seul qui soit professeur, ils semblent insinuer que toute la fa- culté théologique de Leyde a souscrit aux calom- nies dont je me suis plaint. Si cela est, et que la chose demeure en ce point, c'est principalement m'avertir que j'ai vos théologiens en corps pour ennemis , et ainsi que je dois dorénavant étudier les controverses et faire trois pas en arrière, afin de me mettre en mesure pour me défendre. C'est à quoi je serois très marri d'être contraint , bien qu'il me seroit peut-être plus avantageux que la complaisance dont j'ai usé jusqu'à présent. Au reste, ce n'est point que je désire qu'on parle de

38 LETTRES.

moi en leur académie ; je voudrois qiiïl n'y eût aucun pédant en toute la terre qui sût mon nom ; et si entre leurs professeurs il se trouve des chats- 1 niants qui n'en puissent supporter la lumière, je veux bien que, pour favoriser leur foiblesse, ils mettent ordre en particulier que ceux qui jugent bien de moi ne le témoignent point en public par des louanges excessives : je n'en ai jamais recher- ché ni désiré de telles; au contraire, je les ai tou- jours évitées ou empêchées autant qu'il a été en mon pouvoir; mais de défendre publiquement qu'on ne parle de moi ni en bien ni en mal , et , qui plus est, de m'écrire qu'on a fait cette défense, et vouloir que je cesse de maintenir les opinions que j'ai, comme si elles avoient été bien et légiti- mement impugnées par leurs professeurs, c'est vouloir que je me rétracte après avoir écrit la vé- rité, au lieu que j 'attend ois qu'on fît rétracter ceux qui ont menti en me calomniant; et, au lieu de me rendre la justice que j'ai demandée, ordonner contre moi tout le pis qui puisse être imaginé. Voilà, monsieur, les sentiments que j'ai touchant la lettre qu'on m'a envoyée, et je les déclare ici en confidence, à cause que je sais que vous m'aimez, et que vous aimez aussi la raison et la justice. J'ajoute que je vous demande conseil et assistance, comme ayant toujours éprouvé votre secours très prompt, très utile et très efficace. Le chemin que j'estime le

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LETTRES. 39

plus court pour sortir que bien que mal de cette affaire , si tant est que MM. les curateurs aient tant soit peu d'envie de ne me pasentièrement désobliger, c'est que, sur ce que je leur mandai que je n'en- tends pas le sens de leur lettre, ils pourroient ré- pondre que leur intention n'est point de condam- ner mes opinions, ni de bannir mon nom de leur académie, mais que, pour maintenir la paix et l'ami- tié entre leurs professeurs, ils ont trouvé bon de leur défendre de disputer dorénavant dans leurs thèses, ou autres exercices, touchant ce qui est ou ce qui n'est pas en mes écrits, afin qu'ils s'occupent seulement à examiner ce qui est ou ce qui n'est pas vrai , plutôt que ce qu'un tel a dit ou n'a pas dit; et que, pour les deux théologiens dont je me suis plaint, ils ont eu tort de m'attribuer des opi- nions directement contraires à celles que j'ai écrites, et qu'ils leur en ont fait une telle réprimande qu'ils jugent que j'en dois être content. C'est, selon mon avis, toute la moindre satisfaction que je doive avoir d'eux pour y pouvoir acquiescer ; et s'ils m'en veulent donner un grain de moins , j'aime mieux n'en recevoir point du tout; car ma cause sera d'autant meilleure que le tort qu'on m'aura fait sera plus grand. Si donc vous approuvez en cela mon opinion, je vous prie de vouloir prendre la peine de communiquer le tout à M. Brasset, auquel je n'aurai loisir d'écrire que trois lignes, et d'agir

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l\0 LETTRES.

avec lui envers MM. les curateurs , ou autres, afin que les choses aillent comme elles doivent. Je n'ajoute point ici de compliments, car je n'en sais point qui ne soient fort au-dessous de ce que je vous dois , et je suis déjà plus que je ne dois expri- mer, etc,

A MADAME ÉLIZABETH,

PRINCESSE PALATINE, etc.

(Lettre 19 du tome h)

Madame,

Encore que je pourrai trouver des occasions qui me convieront à demeurer en France, lorsque j'y serai, il n'y en aura toutefois aucune qui ait la force de m'empècher que je ne revienne avant l'hiver, pourvu que la vie et la santé me demeurent , puis- que la lettre que j'ai eu l'honneur de recevoir de votre altesse me fait espérer que vous retournerez à La Haye vers la fin de 1 été. Mais je puis dire que

* « Cette lettre n'est pas datée, mais comme elle est écrite huit (jours après la lettre anx curateurs de Ley de, datée du 4 mai 1647, cette lettre est datée du 1 a mai 1647. »

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LETTRES. 41

c'est la principale raison qui me fait préférer la de- meure de ce pays à celle des autres; car, pour le repos que j'y étois ci-devant venu chercher, je pré- vois que dorénavant je ne l'y pourrai avoir si en- tier que je désirerois, à cause que, n'ayant pas en- core tiré toute la satisfaction que je devois avoir des injures que j'ai reçues à Utrecht, je vois qu'elles en attirent d'autres, et qu'il y aune troupe de théo- logiens, gens d'école, qui semblent avoir fait une ligue ensemble pour tâcher à m'opprimer par ca- lomnies ; en sorte que , pendant qu'ils machinent tout ce qu'ils peuvent pour tâcher de me nuire, si je ne veillois aussi pour me défendre, il leur seroit aisé de me faire quelques affronts. La preuve de ceci est que, depuis trois ou quatre mois, un cer- tain régent du collège des théologiens de Leyde , nommé Révius, a fait disputer quatre diverses thè- ses contre moi , pour pervertir le sens de mes Mé- ditations, et faire croire que j'y ai mis des choses fort absurdes et contraires à la gloire de Dieu, comme, qu'il faut douter qu'il y ait un Dieu, et même que je veux qu'on nie absolument pour quel- que temps qu'il y en ait un, et choses semblables. Mais pourceque cet homme n'est pas habile, et que même la plupart de ses écoliers se moquoient de ses médisances, les amis que j'ai à Leyde ne dai- gnoient pas seulement m'avertir de ce qu'il faisoit, jusques à ce que d'autres thèses ont aussi été faites

42 LETTRES.

parTrigl. \ leur premier professeur en théologie, il a mis ces mots fff. Sur quoi mes amis ont jugé, même ceux qui sont aussi théologiens, que l'intention de ces gens-là, en m 'accusant d'un si grand crime comme est le blasphème, n'étoit pas moindre que de tâcher à faire condamner mes opi- nions comme très pernicieuses, premièrement par quelque synode ils seroient les plus forts, et en- suite de tâcher aussi à me faire faire des affronts par les magistrats, qui croient en eux; et que, pour obvier à cela, il étoit besoin que je m'opposasse à leurs desseins : ce qui est cause que depuis huit jours j'ai écrit une longue lettre aux curateursr rte l'aca- démie de Leyde, pour demander justice contre les calomnies de ces deux théolog' as. Je ne sais point encore la réponse que j'en aurai ; mais , selon que je connois l'humeur des personnes de ce pays , et combien ils révèrent, non pas la probité et la vertu, mais la barbe, la voix et le sourcil des théologiens, en sorte que ceux qui sont les plus effrontés et qui savent crier le plus haut ont ici le plus de pouvoir (comme ordinairement en tous les états populai- res), encore qu'ils aient le moins de raison, je n'en attends que quelques emplâtres, qui, n'ôtant point la cause du mal, ne serviront qu'à le rendre plus long et plus importun ; au lieu que de mon côté je pense être obligé de faire mon mieux pour tirer

* « Triglandius. »

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Lettres. 43

une entière satisfaction de ces injures, et aussi par même occasion de celles d'Utrecht; et, en cas que je ne puisse obtenir justice (comme je prévois qu'il sera très malaisé que je l'obtienne ) , de me reti- rer tout-à-fait de ces provinces. Mais, pourceque toutes choses se font ici fort lentement, je m'assure qu'il se passera plus d'un an avant que cela arrive. Je ne prendrois pas la liberté d'entretenir votre al- tesse de ces petites choses, si la faveur qu'elle me fait de vouloir lire les livres de M. Hoguelande, et de Régius, à cause de ce qu'ils ont mis qui me re- garde, ne me faisoit croire que vous n'aurez pas désagréable de savoir de moi-même ce qui me tou- che, outre que l'obéissance et le respect que je vous dois m'obligent à vous rendre compte de mes ac- tions. Je loue Dieu de ce que ce docteur, à qui votre altesse a prêté le livre de mes Principes, a été long- temps sans vous retourner voir, puisque c'est une marque qu'il n'y a point du tout de malades à la cour de madame l'électrice; et il semble qu'on a un degré de santé plus parfait quand elle est générale au lieu l'on demeure, que lorsqu'on est envi- ronné de malades. Ce médecin aura eu d'autant plus de loisir de lire le livre qu'il a plu à votre al- tesse de lui prêter, et vous en aura pu mieux dire depuis son jugement. Pendant que j'écris ceci, je reçois des lettres de La Haye et de Leyde, qui m'ap prennent que l'assemblée des curateurs a été dif*

44 LETTRES.

férée, en sorte qu'on ne leur a point encore donné mes lettres; et je vois qu'on fait d une brouillerie une grande affaire. On dit que les théologiens en veulent être juges, c'est-à-dire me mettre ici en une inquisition plus sévère que ne fut jamais celle d'Espagne, et me rendre l'adversaire de leur religion ; sur quoi on voudroit que j'employasse le crédit de M. l'ambassadeur de France , et l'autorité de M. le prince d'Orange , non pas pour obtenir justice, mais pour intercéder et em- pêcher que mes ennemis ne passent outre. Je crois pourtant que je ne suivrai point cet avis, je de- manderai seulement justice, et si je ne la puis obtenir, il me semble que le meilleur sera que je me prépare tout doucement à la retraite; mais, quoi que je pense ou que je fasse, et en quelque lieu du monde que j'aille , il n'y aura ja- mais rien qui me soit plus cher que d'obéir à vos commandements, et de témoigner avec combien de zèle je suis , etc.

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LETTRES. 45

A M. CHANUT.

( Lettre 36 du tome I. )

Monsieur,

Comme je passois par ici pour aller en France, j'ai appris de M. Brasset qu'il m'avoit envoyé de vos lettres à Egmond , et bien que mon voyage soit assez pressé, je me proposois de les attendre; mais ayant été reçues en mon logis trois heures après que j'en étois parti , on me les a incontinent renvoyées. Je les ai lues avec avidité. J'y ai trouvé de grandes preuves de votre amitié et de votre adresse. J'ai eu peur en lisant les premières pages , vous m'apprenez que M. Durier avoit parlé à la reine d'une de mes lettres , et qu'elle demandoit de la voir. Par après je me suis rassuré étant à l'en- droit où vous écrivez qu'elle en a ouï la lecture avec quelque satisfaction; et je doute si j'ai été touché de plus d'admiration de ce qu'elle a si faci- lement entendu des choses que les plus doctes es- timent très obscures , ou de joie, de ce qu'elles ne lui ont pas déplu. Mais mon admiration s'est re- doublée , lorsque j'ai vu la force et le poids des ob- jections que sa majesté a remarquées touchant la

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46 LETTRES.

grandeur que j'ai attribuée à l'univers. Et je sou- haiterois que votre lettre m eût trouvé en mon sé- , jour ordinaire, pourceque, y pouvant mieux re- cueillir mon esprit que dans la chambre d'une hôtellerie, j'aurois peut-être pu me démêler un peu mieux d'une question si difficile, et si judicieuse- ment proposée. Je ne prétends pas toutefois que cela me serve d'excuse; et pourvu qu'il me soit permis de penser que c'est à vous seul que j'écris, afin que la vénération et le respect ne rendent point mon imagination trop confuse, je m'efforcerai ici de mettre tout ce que je puis dire touchant cette matière.

En premier lieu , je me souviens que le cardinal de Cusa et plusieurs autres docteurs ont supposé le monde infini , sans qu'ils aient jamais été repris de l'église pour ce sujet; au contraire, on croit que c'est honorer Dieu que de faire concevoir ses œu- vres fort grands; et mon opinion est moins difficile à recevoir que la leur, pourceque/je nedis pas que le monde soit infini, mais indéfini seulement. En quoi il y a une différence assez remarquable : car pour dire qu'une chose est infinie, on doit avoir quel- que raison qui la fasse connoître telle , ce qu'on ne peut avoir que de Dieu seul ; mais pour dire qu'elle est indéfinie, il suffit de n'avoir point de raison par laquelle on puisse prouver qu'elle ait des bornes. Ainsi il me semble qu'on ne peut prou-

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LETTRES. 47

ver , ni même concevoir qu'il y ait des bornes en la matière dont le monde est composé. Car en exa- minant la nature de4 cette matière, je trouve qu'elle ne consiste en autre chose qu'en ce qu elle a de l'étendue en longueur , largeur et profondeur , de façon que toutce qui a ces trois dimensions est une partie de cette matière, et il ne peut y avoir aucun espace entièrement vide , c'est-à-dire qui ne con- tienne aucune matière, à cause que nous ne sau- rions concevoir un tel espace , que nous ne conce- vions en lui ces trois dimensions, et par conséquent de la matière. Or , en supposant le monde fini , on imagine au-delà de ses bornes quelques espaces qui ont leurs trois dimensions, et ainsi qui ne sont pas purement imaginaires, comme les philosophes les nomment, mais qui contiennent en soi de la ma- tière , laquelle ne pouvant être ailleurs que dans le monde , fait voir que le monde s'étend au-delà des bornes qu'on avoit voulu lui attribuer. N'ayant donc aucune raison pour prouver et même ne pouvant concevoir que le monde ait des bornes, je le nomme indéfini; mais je ne puis nier pour cela qu'il n'en ait peut-être quelques unes qui sont connues de Dieu, bien qu'elles me soient incom- préhensibles : c'est'pourquoi je ne dis pas absolu- ment qu'il est infini.

Lorsque son étendue est considérée en cette sorte, si on la compare avec sa durée, il me sem-

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48 LETTRES.

ble qu'elle donne seulement occasion de penser qu'il n'y a point de temps imaginable avant la créa- tion du monde auquel Dieu n'eût pu le créer, s'il eût voulu ; et qu'on n'a point sujet pour cela de conclure qu'il l'a véritablement créé avant un temps indéfini , à cause que l'existence actuelle ou véritable que le monde a eue depuis cinq ou six mille ans n'est pas nécessairement jointe avec l'existence possible ou imaginaire qu'il a pu avoir auparavant; ainsi que l'existence actuelle des es- paces qu'on conçoit autour d'un globe (c'est-à-dire du monde supposé comme fini ) est jointe avec l'existence actuelle de ce même globe. Outre cela , si de l'étendue indéfinie du monde on pouvoit infé- rer l'éternité de la durée au regard du temps passé , on la pourroit encore mieux inférer de l'éternité de la durée de l'avenir. Car la foi nous enseigne que bien que la terre et les cieux périront , c'est-à- dire changeront de face, toutefois le monde, c'est- à-dire la matière dont ils sont composés, ne périra jamais; comme il paroît de ce qu'elle promet une vie éternelle à nos corps après la résurrection, et par conséquent aussi au monde dans lequel ils se- ront; mais de cette durée infinie que le monde doit avoir à l'avenir, on n'infère point qu'il ait été ci-devant de toute éternité , à cause que tous les moments de sa durée sont indépendants les uns des autres.

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LETTRES. 49

Pour les prérogatives que la religion attribue à l'homme, et qui semblent difficiles à croire, si l'étendue de l'univers est supposée indéfinie , elles méritent quelque explication : car bien que nous puissions dire que toutes les choses créées sont faites pour nous , en tant que nous en pouvons tirer quelque usage, je ne sache point néanmoins que nous soyons obligés de croire que l'homme soit la fin delà création. Mais il dit que omnia propter ip- sum (Deum) fada sunt, que c'est Dieu seul qui est la cause finale, aussi bien que la cause efficiente de l'univers; et pour les créatures, d'autant qu'elles servent réciproquement les unes aux autres, cha- cune se peut attribuer cet avantage, que toutes celles qui lui servent sont faites pour elle. Il est vrai que les six jours de la création sont tellement décrits en la Genèse , qu'il semble que l'homme en soit le principal sujet; mais on peut dire que cette histoire de la Genèse ayant été écrite pour l'homme, ce sont principalement les choses qui le regardent que le Saint-Esprit y a voulu spécifier, et qu'il n'y est parlé d'aucunes,qu'en tant qu'elles se rapportent à l'homme. Et à cause que les prédicateurs ayant soin de nous inciter à l'amour de Dieu, ont coutume de nous représenter les divers usages que nous ti- rons des autres créatures, et disent que Dieu les a faites pour nous, et qu'il ne nous faut point considérer les autres fins pour lesquelles on peut

10. 4

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5o LETTRES.

aussi dire qu'il les a faites, à cause que cela ne sert point à leur sujet, nous sommes fort enclins à croire qu'il ne les a faites que pour nous. Mais les prédicateurs passent plus outre, car ils disent que chaque homme en particulier est redevable à Jésus- Christ de tout le sang qu'il a répandu en la croix, tout de même que s'il n'étoit mort que pour un seul; en quoi ils disent bien la vérité; mais comme cela n'empêche pas qu'il n'ait racheté de ce même sang un très grand nombre d'autres hommes ; ainsi je ne vois point que le mystère de l'incarnation , et les autres avantages que Dieu a faits à l'homme, empêchent qu'il n'en puisse avoir fait une infinité d'autres très grands à une infinité d'autres créa- tures. Et bien que je n'infère point pour cela qu'il y ait des créatures intelligentes dans les étoiles, ou ailleurs, je ne vois pas aussi qu'il y ait aucune rai- son par laquelle on puisse prouver qu'il n'y en a point; mais je laisse toujours indécises les ques- tions qui sont de cette sorte, plutôt que d'en rien nier ou assurer. Il me semble qu'il ne reste plus ici autre difficulté, sinon qu'après avoir cru long- temps que l'homme a de grands avantages par-des- sus les autres créatures, il semble qu'on les perd tous lorsqu'on vient à changer d'opinion. Mais je distingue entre ceux de nos biens qui peuvent devenir moindres, de ce que d'autres en possèdent de semblables, et ceux que cela ne peut rendre

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LETTRES. 5l

moindres. Ainsi un homme qui n'a que mille pis- toles seroit fort riche s'il n'y avoit point d autres personnes au monde qui en eussent tant , et le même seroit fort pauvre s'il n'y avoit personne qui n'en eût beaucoup davantage ; et ainsi toutes les qualités louables donnent d'autant plus de gloire à ceux qui les ont, qu'elles se rencontrent en moins de personnes; c'est pourquoi on a coutume de porter envie à la gloire et aux richesses d'autrui. Mais la vertu, la science, la santé, et généralement tous les autres biens étant considérés en eux-mêmes, sans être rapportés à la gloire, ne sont aucunement moindres en nous de ce qu'ils se trouvent aussi en beaucoup d'autres ; c'est pourquoi nous n'avons aucun sujet d'être fâchés qu'ils soient en plusieurs. Or les biens qui peuvent être en toutes les créa- tures intelligentes d'un monde indéfini sont de ce nombre , ils ne rendent point moindres ceux que nous possédons : au contraire lorsque nous aimons Dieu, et que par lui nous nous joignons de volonté avec toutes les choses qu'il a créées, d'autant que nous les concevons plus grandes, plus nobles, plus parfaites, d'autant nous estimons-nous aussi davan- tage, à cause que nous sommes des parties d'un tout plus accompli; et d'autant avons-nous plus de sujet de louer Dieu , à cause de l'immensité de ses œuvres. Lorsque l'Écriture sainte parle en divers

endroits de la multitude innombrable des anges,

4.

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52 LETTRES.

elle confirme entièrement cette opinion : car nous jugeons que les moindres anges sont incompara- blement plus parfaits que les hommes. Et les as- tronomes, qui en mesurant la grandeur des étoiles les trouvent beaucoup plus grandes que la terre, la confirment aussi : car si de l'étendue indéfinie du monde on infère qu'il doit y avoir des habi- tants ailleurs qu'en la terre , on le peut inférer aussi de l'étendue que tous les astronomes lui at- tribuent, à cause qu'il n'y en a aucun qui ne juge que la terre est plus petite au regard de tout le ciel , que n'est un grain de sable au regard d'une montagne.

Je passe maintenant à votre question, touchant les causes qui nous incitent souvent à aimer une personne plutôt qu'une autre, avant que nous en connoissions le mérite; et j'en remarque deux , qui sont , l'une dans l'esprit , et l'autre dans le corps. Mais pour celle qui n'est que dans l'esprit, elle pré- suppose tant de choses touchant la nature de nos âmes, que je n'oserois entreprendre de les déduire dans une lettre; je parlerai seulement de celle du corps. Elle consiste dans la disposition des parties de notre cerveau , soit que cette disposition ait été mise en lui par les objets des sens, soit par quel- que autre cause : car les objets qui touchent nos sens meuvent par l'entremise des nerfs quelques parties de notre cerveau , et y font comme certains plis,

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Ï.ETTRliS. 53

qui se défont lorsque l'objet cesse d'agir; mais la partie ils ont été faits demeure par après dispo- sée à être pliée derechef en la même façon par un autre objet qui ressemble en quelque chose au pré- cédent, encore qu'il ne lui ressemble pas en tout. Par exemple , lorsque j etois enfant, j'aimois une fille de mon âge, qui étoit un peu louche; au moyen de quoi , l'impression qui se faisoit par la vue en mon cerveau, quand je regardois ses yeux égarés, se joignoit tellement à celle qui s'y faisoit aussi pour émouvoir en moi la passion de l'amour, que long- temps après en voyant des personnes louches, je me sentois plus enclin à les aimer qu'à en aimer d'autres , pour cela seul qu'elles avoient ce défaut; et je ne sa vois pas néanmoins que ce fut pour cela; au contraire , depuis que j'y ai fait réflexion , et que j'ai reconnu que cetoit un défaut, je n'en ai plus été ému. Ainsi lorsque nous sommes portés à aimer quelqu'un sans que nous en sachions la cause, nous pouvons croire que cela vient de ce qu'il y a quelque chose en lui de semblable à ce qui a été dans un autre objet que nous avons aimé aupara- vant, encore que nous ne sachions pas ce que c'est ; et, bien que ce soit plus ordinairement une perfec- tion qu'un défaut qui nous attire ainsi à l'amour , toutefois à cause que ce peut être quelquefois un défaut, comme en l'exemple que j'ai apporté, un homme sage ne se doit pas laisser entièrement al-

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54 LETTRES.

1er à cette passion avant que d'avoir considéré le mérite de la personne pour laquelle nous nous sen- tons émus. Mais à cause que nous ne pouvons pas aimer également tous ceux en qui nous remarquons des mérites égaux , je crois que nous sommes seu- lement obligés de les estimer également; et que le principal bien de la vie étant d'avoir de l'amitié pour quelques uns , nous avons raison de préférer ceux à qui nos inclinations secrètes nous joignent, pourvu que nous remarquions aussi en eux du mérite. Outre que lorsque ces inclinations secrètes ont leur cause en l'esprit, et non dans le corps, je crois qu'elles doivent toujours être suivies ; et la marque principale qui les fait connoître , est que celles qui viennent de l'esprit sont réciproques , ce qui n'arrive pas souvent aux autres. Mais les preu- ves que j'ai de votre affection m'assurent si fort que l'inclination que j'ai pour vous est réciproque, qu'il faudroit que je fusse entièrement ingrat, et que je manquasse à toutes les règles que je crois devoir être observées en l'amitié, si je netois pas avec beaucoup de zèle , etc.

A La Haye, le 6 juin 1647.

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LETTRES

A MADAME ÉLIZ ABETII ,

PRINCESSE PALATINE, etc. ».

(Lettre 20 du tome I. )

Madame,

Passant par La Haye pour aller en France, puis- que je ne puis y avoir l'honneur de recevoir vos commandements , et vous faire la révérence, il me semble que je suis obligé de tracer ces lignes, afin d'assurer votre altesse que mon zèle et ma dévo- tion ne changeront point, encore que je change de terre. J'ai reçu depuis deux jours une lettre de Suède , de monsieur le résident de France qui est , il me propose une question de la part de la reine, à laquelle il m'a fait connoître en lui montrant ma réponse à une autre lettre qu'il m'avoit ci-devant envoyée; et la façon dont il décrit cette reine, avec les discours qu'il rapporte d'elle, me la font telle- ment estimer, qu'il me semble que vous seriez di- gnes de la conversation l'une de l'autre ; et qu'il y

' « Cette lettre es» du 7 juin 1647 1 car clic est écrite lendemain de la 3<ic du touie I , adressée à M. Chanut, et fixement daîéc du 6 juin 16/17. "

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56 LETTRES.

en a si peu au reste du monde qui en soient dignes, qu'il ne seroit pas malaisé à votre altesse de lier une fort étroite amitié avec elle; et qu'outre le con- tentement d'esprit que vous en auriez, cela pour- roit être à désirer pour diverses considérations. J'avois écrit ci-devant à ce mien ami, résident en Suède , en répondant à une lettre il parloit d'elle, que je ne trouvois pas incroyable cequ'ilm'en disoit, à cause que l'honneur que j'avois de connoître votre altesse , m'avoit appris combien les personnes de grande naissance pouvoient surpasser les autres, etc. Mais je ne me souviens pas si c'est en la lettre qu'il lui a fait voir, ou bien en une autre précé- dente ; et pourcequ'il est vraisemblable qu'il lui fera voir dorénavant les lettres qu'il recevra de moi, je tâcherai toujours d'y mettre quelque chose qui lui donne sujet de souhaiter l'amitié de votre al- tesse, si ce n'est que vous me le défendiez. On a fait taire les théologiens qui me vouloient nuire , mais en les flattant, et en se gardant de les offen- ser le plus qu'on a pu , ce qu'on attribue mainte- nant au temps; mais j'ai peur que ce temps durera toujours, et qu'on leur lairra prendre tant de pou- voir, qu'ils seront insupportables. On achève l'im- pression de mes Principes en françois , et pource- que c'est l'Épître qu'on imprimera la dernière , j'en envoie ici la copie à votre altesse , afin que s'il y a quelque chose qui ne lui agrée pas, et qu'elle

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LETTRES. f>7

juge devoir être mis autrement, il lui plaise me faire la faveur d'en avertir celui qui sera toute sa vie, etc.

A MADAME ÉLIZABETH,

PRINCESSE PALATINE, CtC.

(Lettre 21 du tome I.) Madame ,

Mon voyage ne pouvoit être accompagné d'au- cun malheur, puisque j'ai été si heureux en le fai- sant que d'être en la souvenance de votre altesse : la très favorable lettre qui m'en donne des mar- ques est la chose la plus précieuse que je pusse recevoir en ce pays. Elle m auroit entièrement rendu heureux, si elle ne m'a voit appris que la maladie qu'avoit votre altesse auparavant que je partisse de La Haye lui a encore laissé quelques restes d'in- disposition en l'estomac. Les remèdes qu'elle a choi- sis, à savoir la diète et l'exercice, sont à mon avis

» « Il est constant, par la fin de cette lettre, qu'elle est datée de Pari»; et comme il partit de Paris vers le i5 juillet pour la Bretagne et le Poitou, il est clair que cette lettre a été écrite de Paris vers le 10 juillet 1647. "

58 LETTRES.

les meilleurs de tous, après toutefois ceux de lame, qui a sans doute beaucoup de force sur le corps , ainsi que montrent les grands changements que la colère, la crainte et les autres passions excitent en lui. Mais ce n'est pas directement par sa volonté qu'elle conduit les esprits dans les lieux ils peu- vent être utiles ou nuisibles , c'est seulement en voulant ou pensant à quelque autre chose : car la construction de notre corps est telle , que certains mouvements suivent en lui naturellement de cer- taines pensées; comme on voit que la rougeur du visage suit de la honte, les larmes de la com- passion , et les ris de la joie. Et je ne sache point de pensée plus propre pour la conservation de la santé, que celle qui consiste en une forte persua- sion et ferme créance que l'architecture de nos corps est si bonne , que lorsqu'on est une fois sain , on ne peut pas aisément tomber malade , si ce n'est qu'on fasse quelque excès notable , ou bien que l'air ou les autres causes extérieures nous nuisent ; et qu'ayant une maladie, on peut aisément se remettre par la seule force de la nature, prin- cipalement lorsqu'on est encore jeune. Cette per- suasion est sans doute beaucoup plus vraie et plus raisonnable que celle de certaines gens qui , sur le rapport d'un astrologue ou d'un médecin, se font accroire qu'ils doivent mourir en certain temps , et par cela seul deviennent malades, el même en

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LETTRES. 59

meurent assez souvent, ainsi que j'ai vu arriver à diverses personnes. Mais je ne pourrois manquer detre extrêmement triste, si je pensois que l'indis- position de votre altesse durât encore; j'aime mieux espérer qu'elle est toute passée; et toutefois le dé- sir d'en être certain me fait avoir des passions ex- trêmes de retourner en Hollande. Je me propose de partir d'ici dans quatre ou cinq jours pour pas- ser en Poitou et en Bretagne, sont les affaires qui m'ont amené; mais sitôt que je les aurai pu mettre un peu en ordre, je ne souhaite rien tant que de retourner vers les lieux j'ai été si heu- reux que d'avoir l'honneur de parler quelquefois à votre altesse : car bien qu'il y ait ici beaucoup de personnes que j'honore et estime, je n'y ai toute- fois encore rien vu qui me puisse arrêter. Et je suis au-delà de tout ce que je puis dire , etc.

A LA REINE DE SUÈDE.

(Lettre ire du tome III.)

Madame,

J'ai appris de M. Chanut qu'il plait à votre ma- jesté que j'aie l'honneur de lui exposer l'opinion

60 LETTRES.

que j'ai touchant le souverain bien, considéré au sens que les philosophes anciens en ont parlé; et je tiens ce commandement pour une si grande faveur, que le désir que j'ai d'y obéir me dé- tourne de toute autre pensée, et fait que sans excuser mon insuffisance , je mettrai ici en peu de mots tout ce que je pourrai savoir sur cette matière. On peut considérer la bonté de chaque chose en elle-même , sans la rapporter à autrui , auquel sens il est évident que c'est Dieu qui est le souverain bien, pourcequ'ii est incomparable- ment plus parfait que les créatures; mais on peut aussi la rapporter à nous , et en ce sens je ne vois rien que nous devions estimer bien, sinon ce qui nous appartient en quelque façon , et qui est tel que c'est perfection pour nous de l'avoir. Ainsi les philosophes anciens, qui, n'étant point éclai- rés de la lumière de la foi, ne savoicnt rien de la béatitude surnaturelle , ne considéroient que les biens que nous pouvons posséder en cette vie , et c'étoit entre ceux qu'ils cherchoient le- quel étoit le souverain, c'est-à-dire le principal et le plus grand. Mais afin que je le puisse déter- miner, je considère que nous ne devons estimer biens à notre égard que ceux que nous possé- dons, ou bien que nous avons pouvoir d'acqué- rir; et cela posé, il me semble que le souverain bien de tous les hommes ensemble est un amas

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LETTRES. 6l

ou un assemblage de tous les biens , tant de lame que du corps et de la fortune , qui peuvent être en quelques hommes ; mais que celui d'un cha- cun en particulier est tout autre chose, et qu'il ne consiste qu'en une ferme volonté de bien faire , et au contentement qu'elle produit : dont la raison est que je ne remarque aucun autre bien qui me semble si grand , ni qui soit entiè- rement au pouvoir d'un chacun. Car pour les biens du corps et de la fortune , ils ne dépendent point absolument de nous: et ceux de l'âme se rapportent tous à deux chefs, qui sont; l'un de connoître , et l'autre de vouloir ce qui est bon ; mais la connoissance est souvent au-delà de nos forces; c'est pourquoi il ne reste que notre vo- lonté dont nous puissions absolument disposer. Et je ne vois point qu'il soit possible d'en disposer mieux , que si l'on a toujours une ferme et con- stante résolution de faire exactement toutes les choses que Ton jugera être les meilleures , et d'em- ployer toutes les forces de son esprit à les bien connoître ; c'est en cela seul que consistent tou- tes les vertus; c'est cela seul qui, à proprement parler, mérite de la louange et de la gloire; en- fin, c'est de cela seul que résulte toujours le plus grand et le plus solide contentement de la vie : ainsi j'estime que c'est en cela que consiste le sou- verain bien. Et par ce moyen je pense accorder les

6'2 LETTRES.

deux plus contraires et plus célèbres opinions des anciens, à savoir celle de Zénon , qui Ta mis en la vertu ou en l'honneur , et celle dTÈpicure , qui l'a mis au contentement auquel il a donné le nom de volupté. Car comme tous les vices ne viennent que de l'incertitude et de la foiblesse qui suit l'i- gnorance, et qui fait naître les repentirs; ainsi la vertu ne consiste qu'en la résolution et la vigueur avec laquelle on se porte à faire les choses qu'on croit être bonnes, pourvu que cette vigueur ne vienne pas d'opiniâtreté , mais de ce qu'on sait les avoir autant examinées qu'on en a moralement de pouvoir; et bien que ce qu'on fait alors puisse être mauvais, on est assuré néanmoins qu'on fait son devoir; au lieu que si on exécute quelque ac- tion de vertu, et que cependant on pense mal faire, ou bien qu'on néglige de savoir ce qui en est , on n'agit pas en homme vertueux. Pour ce qui est de l'honneur et de la louange, on les attribue souvent aux autres biens de la fortune; mais pourceque je m'assure que votre majesté fait plus d'état de sa vertu que de sa couronne , je ne craindrai point ici de dire qu'il ne me semble pas qu'il y ait rien que cette vertu qu'on ait juste raison de louer. Tous les autres biens méritent seulement d'être estimés, et non point d'être honorés ou loués, *si ce n'est en tant qu'on présuppose qu'ils sont acquis ou obtenus de Dieu , par le bon usage du libre ar-

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LETTRES. G3

bitre ; car l'honneur et la louange est une espèce de récompense , et il n'y a rien que ce qui dépend de la volonté qu'on ait sujet de récompenser ou de punir. Il me reste encore ici à prouver que c'est de ce bon usage du libre arbitre que vient le plus grand et le plus solide contentement de la vie , ce qui me semble n'être pas difficile, pourceque con- sidérant avec soin en quoi consiste la volupté ou le plaisir, et généralement toutes les sortes de con- tentements qu'on peut avoir, je remarque en pre- mier lieu qu'il n'y en a aucun qui ne soit entière- ment en l'âme, bien que plusieurs dépendent du corps ; de même que c'est aussi 1 ame qui voit , bien que ce soit par l'entremise des yeux. Puis je re- marque qu'il n'y a rien qui puisse donner du con- tentement à l'âme, sinon l'opinion qu'elle a dépos- séder quelque bien , et que souvent cette opinion n'en est qu'une représentation fort confuse, et même que son union avec le corps est cause qu'elle se représente ordinairement certains biens incom- parablement plus grands qu'ils ne sont; mais que si elle connoissoit distinctement leur juste valeur, son contentement seroit toujours proportionné à la grandeur du bien dont il procéderoit. Je remar- que aussi que la grandeur d'un bien à notre égard ne doit pas seulement être mesurée par la valeur de la chose en quoi il consiste, mais principale- ment aussi par la façon dont il se rapporte à nous;

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64 .LETTRES.

et qu'outre que le libre arbitre est de soi la chose la plus noble qui puisse être en nous, d autant qu'il nous rend en quelque façon pareils à Dieu , et semble nous exempter de lui être sujets, et que par conséquent son bon usage est le plus grand de tous nos biens , il est aussi celui qui est le plus proprement nôtre, et qui nous importe le plus; d'où il suit que ce n'est que de lui que nos plus grands contentements peuvent procéder ; aussi voit- on , par exemple , que le repos d'esprit et la satis- faction intérieure que sentent en eux-mêmes ceux qui savent qu'ils ne manquent jamais à faire leur mieux , tant pour connoître le bien que pour l'ac- quérir, est un plaisir sans comparaison plus doux , plus durable et plus solide que tous ceux qui vien- nent d'ailleurs. J'omets encore ici beaucoup d'au- tres choses , pourceque me représentant le nombre des affaires qui se rencontrent en la conduite d'un grand royaume , et dont votre majesté prend elle- même les soins, je n'ose lui demander plus longue audience; mais j'envoie à monsieur Chanut quel- ques écrits j'ai mis mes sentiments plus au long touchant la même matière , afin que s'il plaît à votre majesté de les voir, il m'oblige de les lui présenter , et que cela aide à témoigner avec com- bien de zèle et de dévotion je suis , etc.

D'Egraond, ce ao novembre 1G47.

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L KTTRES.

65

A M. CHANUT.

-

(Lettre 2 du tome II.) Monsieur,

*

II est vrai que j'ai coutume de refuser d écrire mes pensées touchant la morale , et cela pour deux raisons : l'une, qu'il n'y a point de matière d'où les malins puissent plus aisément tirer des prétex- tes pour calomnier ; l'autre , que je crois qu'il n'ap- partient qu'aux souverains, ou à ceux qui sont au- torisés par eux , de se mêler de régler les mœurs des autres. Mais ces deux raisons cessent en l'oc- casion que vous m'avez fait l'honneur de me don- ner en m'écrivant , de la part de l'incomparable reine auprès de laquelle vous êtes, qu'il lui plaît que je lui écrive mon opinion touchant le souve- rain bien ; car ce commandement m'autorise assez, et j'espère que ce que j'écris ne sera vu que d'elle et de vous : c'est pourquoi je souhaite avec tant de passion de lui obéir que, tant s'en faut que je me réserve , je voudrois pouvoir entasser en une lettre tout ce que j'ai jamais pensé sur ce sujet. En effet, j'ai voulu 'mettre tant de choses en celle que je me suis hasardé de lui écrire, que j'ai peur de n'y avoir

66 LETTRES.

rien assez expliqué; mais, pour suppléer à ce dé- faut, je vous envoie un recueil de quelques autres lettres, j'ai déduit plus au long les mêmes cho- ses; et j'y ai joint un petit Traité des Passions, qui n'en est pas la moindre partie : car ce sont princi- palement elles qu'il faut tâcher de connoître pour obtenir le souverain bien que j'ai décrit. Si j'avois aussi osé y joindre les réponses que j'ai eu l'hon- neur de recevoir de la princesse à qui ces lettres sont adressées, ce recueil auroit été plus accom- pli ; et j'en eusse encore pu ajouter deux ou trois des miennes , qui ne sont pas intelligibles sans cela : maisj'aurois lui en demander permission , et elle est maintenant bien loin d'ici. Au reste, je ne vous prie point de présenter d'abord ce recueil à la reine, car j'aurois peur de ne pas garder assez le respect et la vénération que je dois à sa majesté, si je lui envoyois des lettres que j'ai faites pour une autre personne , plutôt que de lui écrire à elle- même ce que je pourrai juger lui être agréable; mais si vous trouvez bon de lui en parler, disant que c'est à vous que je les ai envoyées , et qu'après cela elle désire de les voir, je serai libre de ce scru- pule ; et je me suis persuadé qu'il lui sera peut- être plus agréable de voir ce que j'ai ainsi écrit à une autre, que s'il lui avoit été adressé, pource- qu'elle pourra s'assurer davantage que je n'ai rien changé ou déguisé en sa considération. Mais je

i

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LETTRES. 67

vous prie que ces écrits ne tombent point, s'il est possible , en d'autres mains, et de vous assurer que je suis autant que je puis être, etc.

D'Egmont, ce ao novembre 1647.

A MADAME ÉLIZABEÏH,

»

PRINCESSE PALATINE, etC. ».

(Lettre 3i du tome I.)

Madame,

Puisque j'ai déjà pris la liberté d'avertir votre altesse de la correspondance que j'ai commencé d'avoir en Suède, je pense être obligé de continuer, et de lui dire que j'ai reçu depuis peu des lettres de l'ami que j'ai en ce pays-là,par lesquelles il m'ap- prend que la reine ayant été à Upsal, est l'aca- démie du pays, elle avoit voulu entendre une ha- rangue du professeur en l'éloquence qu'il estime pour le plus habile et le plus raisonnable de cette académie, et qu'elle lui avoit donné pour son su- jet à discourir du souverain bien de cette vie : mais

1 Comme la lettre à la reine de Suède est écrite du ao novembre 1647, et que celle-ci est écrite le lendemain ou deux jours après, on peut aisément s'en convaincre par la seule lecture de celle lettre, je la fixe an ao novembre 1647. »

5.

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68 LETTRES,

qu'après avoir ouï cette harangue, elle a\ oit dit que ces gens-là ne faisoient qu'effleurer les ma- tières, et qu'il en faudroit savoir mon opinion ; à quoi il lui avoit répondu qu'il savoit que j'étois fort retenu à écrire de telles matières; mais que, s'il plaisoit à sa majesté qu'il me la demandât de sa part, il ne croyoit pas que je manquasse à tâcher de lui satisfaire ; sur quoi elle lui avoit très expres- sément donné charge de me la demander, et lui avoit fait promettre qu'il m'en écriroit au prochain ordinaire; en sorte qu'il me conseille d'y répon- dre, et d'adresser ma lettre à la reine, à laquelle il la présentera, et dit qu'il est caution quelle sera bien reçue. J'ai cru ne devoir pas négliger cette occasion; et considérant que , lorsqu'il m'a écrit cela , il ne pouvoit encore avoir reçu la lettre je parlois de celles que j'ai eu l'honneur d écrire à votre altesse louchant la même matière , j'ai pensé que le dessein que j'avois en cela étoit failli, et qu'il le falloit prendre d'un autre biais : c'est pourquoi j'ai écrit une lettre à la reine, où, après avoir mis brièvement mon opinion, j'ajoute que j'omets beau- coup de choses, parceque, me représentant le nom- bre des affaires qui se rencontrent en la conduite d'un grand royaume , et dont sa majesté prend elle-même les soins, je n'ose lui demander plus longue audience; mais que j'envoie à M. Chanut quelques écrits j'ai mis mes sentiments plus au

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LETTRES. 6l)

long touchant la même matière, afin que, s'il lui plaît de les voir, il puisse les lui présenter. Ces écrits que j'envoie à M. Chanut sont les lettres que j'ai eu l'honneur d'écrire à votre altesse touchant le livre de Sénèque, De Vita beata , jusques à la moi- tié de la sixième, où, après avoir défini les passions en général , je mets que je trouve de la difficulté à les dénombrer; en suite de quoi je lui envoie aussi le petit Traité des Passions , lequel j'ai eu assez de peine à faire transcrire sur un brouillon fort con- fus que j'en avois gardé ; et je lui mande que je ne le prie point de présenter d'abord ces écrits à la reine, pourceque j'aurois peur de ne pas garder assez le respect que je dois à sa majesté si je lui en- voyois des lettres que j'ai faites pour une autre, plu- tôt que de lui écrire à elle-même ce que je pourrois juger lui être agréable; mais que, s'il trouve bon de lui en parler, disant que c'est à lui que je les ai envoyées, et qu'après cela elle désire de les voir, je serai libre de ce scrupule; et que je me suis per- suadé qu'il lui sera peut-être plus agréable devoir ce qui a été ainsi écrit à une autre que s'il lui étoit adressé, pourcequ'elle pourra s'assurer davantage que je n'ai rien changé ou déguisé en sa considéra-- tion. Je n'ai pas jugé à propos d'y mettre rien de plus de votre altesse, ni même d'en exprimer le nom, lequel toutefois il ne pourra ignorer à cause de mes lettres précédentes; mais considérant que ,

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nonobstant qu'il soit homme très vertueux et grand estimateur des personnes de mérite , en sorte que je ne doute point qu'il n'honore votre altesse au- tant qu'il doit, il ne m'en a toutefois parlé que ra- rement en ses lettres, bien que je lui en aie écrit quelque chose en toutes les miennes , j'ai pensé qu'il faisoit peut-être scrupule d'en parler à la reine, pourcequ'il ne sait pas si cela plairoit ou déplairoit à ceux qui l'ont envoyé. Mais, si j'ai dorénavant occasion de lui écrire à elle-même , je n'aurai pas besoin d'interprète; et le but que j'ai eu cette fois en lui envoyant ces écrits est de tâ- cher à faire quelle s'occupe davantage à ces pen- sées , et que si elles lui plaisent, ainsi qu'on me fait espérer, elle ait occasion d'en conférer avec votre altesse ^de laquelle je serai toute ma vie, etc.

A MONSIEUR * *\

(Lettre 99 du tome I.)

Monsieur,

Sans user aujourd'hui de l'autorité que vous avez sur moi, qui seroit capable (si vous me le comman-

* « Remarques à l'occasion d'an placard imprimé aux Pays-Ras vers la fin de l'année 1647. Ces remarques sont du 20 décembre iô4f. »

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LETTRES. 71

diez) de me faire supprimer des choses que j'aurois estimées les plus justes et les plus raisonnables, je vous prie de ne faire intervenir que votre raison au jugement que je vous demande sur la réponse que j'ai faite à un certain placard qui contient une vingtaine d'assertions touchant Yâme raisonnable. Mon écrit que je vous envoie vous fera connoître les raisons qui m'ont porté à y faire réponse; et, quoique leur auteur ait supprimé son nom, je ne doute point que vous ne le reconnoissiez par le style, ou même que vous ne l'appreniez du bruit commun , ainsi que je l'ai appris et reconnu moi- même; mais, puisqu'il a tâché de se mettre à cou- vert , je ne vous le décèlerai point. Seulement je vous demande un peu de patience pour cette lec- ture , et beaucoup d'attention ; car j'attends votre jugement pour me déterminer si je le dois donner au public, et pour cela je vous l'envoie tel que je rne propose de le faire paroître, si vous ne Tiin- prouvez point.

REMARQUES DE RENÉ DESCARTES

SUR UN CERTAIN PLACARD

IMPRIMÉ AUX PAYS-BAS VERS LA FIN DE l' ANNEE 1647.

Il m'a été mis depuis peu de jours deux livrets entre les mains, dans l'un desquels on s'attaque

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L K TT R ES.

ouvertement et directement à moi, et dans l'autre on ne s'y attaque que couvertement et indirecte- ment. Pour le premier1, je ne m'en tourmente pas beaucoup : au contraire, je rends grâces à son au- teur de ce que, ne l'ayant rempli que d'inutiles ca- villations, et de calomnies si noires quelles ne pourront être crues de personne, il montre par clairement qu'il n'a pu rien trouver en mes écrits qu'il pût justement reprendre; et ainsi il en con- firme mieux la vérité que s'il les avoit publique- ment loués , et cela aux dépens de sa réputa- tion. Pour l'autre , je m'en mets davantage en peine; car, bien qu'il ne contienne rien qui s'a- dresse ouvertement à moi , et qu'il paroisse sans aucun nom, ni de l'auteur ni de l'imprimeur, tou- tefois, pourcequ'il contient des opinions que je juge être très pernicieuses et très fausses, et qu'il a été imprimé en forme de placard, afin qu'il pût être commodément affiché aux portes des temples , et ainsi qu'il fût exposé à la vue de tout le monde ; et aussi pourceque j'ai appris qu'il a déjà été une autre fois imprimé en une autre forme, sous le nom d'un certain personnage qui s'en dit l'auteur que la plupart estiment n'enseigner point d'autres opi- nions que les miennes; je me trouve obligé d'en découvrir les erreurs , de peur qu'elles ne me soient

« Intitulé , Consideratio Reviana , composé par Revins, théologien de Leyde. »

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LETTRES. 70

imputées par ceux qui, n'ayant pas lu mes écrits, pourront par hasard jeter les yeux sur de telles affiches.

Voici maintenant le placard , tel qu'il a paru la dernière fois.

EXPLICATION DE L'ESPRIT HUMAIN, OU DE L'AME RAISONNABLE,

OU XL EST MONTRÉ CE QU'ELLE EST ET CE QUELLE PEUT ETRE.

(Version.)

Art. Ier L'esprit humain est ce par quoi les actions de la pensée sont immédiatement exercées dans l'homme; et il ne consiste précisément que dans ce principe interne, ou dans cette faculté que l'homme a de penser.

II. Pour ce qui est de la nature des choses , rien n'empêche, ce semble , que l'esprit ne puisse être , ou une substance , ou un certain mode de la substance corporelle; ou, si nous vou- lons suivre le sentiment de quelques nouveaux philosophes, qui disent que l'étendue et la pensée sont des attributs qui sont en certaines substances, comme dans leurs propres su- jets , puisque ces attributs ne sont point opposés , mais sim- plement divers , je ne vois pas que rien puisse empêcher que l'esprit, ou la pensée, ne puisse être un attribut qui convienne à un même sujet que l'étendue, quoique la notion de l'un ne soit point comprise dans la notion de l'autre : dont la raison est que tout ce que nous pouvons concevoir peut aussi être ; or est-il que l'on peut concevoir que l'esprit humain soit

1 « Leroi. »

74 LETTRES.

quelqu'une de ces choses, car il n'y a en cela aucune contra- diction , et partant il en peut-être quelqu'une.

III. C'est pourquoi ceux-là se trompent qui soutiennent que nous concevons clairement et distinctement l'esprit hu- main comme une chose qui actuellement et par nécessité est distincte réellement du corps.

IV. Mais maintenant qu'il soit vrai que l'esprit humain soit en effet une substance, ou un être distinct réellement du corps, et qu'il en puisse être actuellement séparé, et subsister de soi-même sans lui , cela nous est révélé en plusieurs lieux de la sainte Écriture ; et ainsi ce qui de sa nature peut être douteux pour quelques uns ( au moins si nous ne nous con- tentons pas d'une légère et morale connoissance des choses , mais si nous en voulons rechercher exactement la vérité ) nous est maintenant devenu certain et indubitable, par la révéla- tion qui nous en a été faite dans les saintes lettres.

V. Et cela ne fait rien de dire que nous pouvons douter de l'existence du corps, mais que nous ne pouvons aucune- ment douter de celle de l'esprit ; car cela prouve seulement que pendant que nous doutons de l'existence du corps, nous ne pouvons pas alors dire que l'esprit en soit un mode.

VI. Quoique l'esprit humain ou l'âme raisonnable soit une substance distincte réellement du corps, néanmoins pendant qu'elle est dans le corps elle est organique en toutes ses ac- tions : c'est pourquoi, selon les diverses dispositions du corps, les pensées de l'âme sont aussi diverses.

VII. Comme elle est d'une nature différente du corps et de ses diverses dispositions, dont elle ne peut tirer son ori- gine, elle est incorruptible.

VIII. Et comme la notion que nous en avons ne nous fait concevoir en elle aucunes parties ni aucune étendue, c'est

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LETTRES. 7D

en vain que Ton demande si elle est tout entière dans le tout , et tout entière dans chaque partie.

IX. Comme les choses qui ne sont qu'imaginaires peuvent aussi bien faire impression sur l'esprit, ou sur l'âme, que celles qui sont vraies , il s'ensuit qu'il est naturellement in- certain si nous apercevons véritablement aucun corps ( au moins si , comme il a déjà été dit , nous ne voulons pas nous contenter d'une légère et morale connoissance de la vérité, mais que nous veuillons connoître les choses avec certitude ). Mais la révélation qui nous a été faite dans les saintes lettres nous a encore relevés de ce doute; car elle nous apprend certainement que Dieu a créé le ciel et la terre , et toutes les choses qui y sont contenues, et qu'il les conserve encore à présent.

X. Le lien qui tient l'âme unie et conjointe au corps n'est autre que la loi de l'immutabilité de la nature, qui est telle , que chaque chose demeure en l'état qu'elle est pendant que rien ne la change.

XI. Comme elle est une substance , et que dans la généra- tion de chaque homme en particulier il s'en produit une nou- velle, ceux-là sans doute ont très bonne raison qui disent que l'âme raisonnable est produite par une immédiate créa- tion de Dieu.

XII. L'esprit n'a pas besoin d'idées, ou de notions, ou d'axiomes qui soient nés ou naturellement imprimés en lui ; mais la seule faculté qu'il a de penser lui suffit pour exercer ses actions.

XIII. Et partant toutes les communes notions qui se trou- vent empreintes en l'esprit tirent toutes leur origine, ou de l'observation des choses , ou de la tradition.

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76 LETTRES.

XIV. Bien plus, l'idée même de Dieu a été mise en l'esprit, ou par la révélation divine, ou par la tradition, ou par l'ob- servation des choses.

XV. La notion que nous avons de Dieu , ou cette idée de Dieu qui est existante en notre esprit , n'est pas un argument assez fort et convaincant pour prouver que Dieu existe , puisqu'il est certain que toutes les choses dont nous avons en nous les idées n'existent pas actuellement, et qu'il est cer- tain aussi que cette idée , étant une conception de notre es- prit, et même une conception imparfaite, n'est pas plus au- dessus de la portée de notre esprit, ou de notre pensée, et n'excède pas davantage la vertu naturelle que nous avons de penser, que l'idée d'aucune autre chose que ce soit.

XVI. La pensée de l'esprit est de deux sortes, à savoir, l'entendement et la volonté.

XVII. L'entendement est la perception et le jugement.

XVIII. La perception est le sentiment , la réminiscence et l'imagination.

XIX. Tout sentiment est une perception de quelque mou- vement corporel , laquelle ne demande point l'entremise d'au- cunes espèces intentionnelles : et le lieu se fait le senti- ment n'est pas l'organe extérieur du sens, mais le cerveau seul.

XX. La volonté est libre , et indifférente à se déterminer aux choses opposées, à l'égard des choses naturelles, comme nous le savons par notre propre expérience.

XXI. C'est elle-même qui se détermine. Et elle ne doit pas être dite aveugle , non plus que l'œil ne doit pas être appelé sourd.

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LETTRES. 77

II n'y en a point qui parviennent plus aisément à une haute réputation de piété que les superstitieux et les hypocrites.

EXAMEN DU SUSDIT PLACARD.

(Version.)

REMARQUES SUR LE TITRE.

Je remarque que par le litre on ne promet pas de simples assertions ou propositions tou- chant l'âme raisonnable, mais qu'on en promet une entière explication; de sorte que nous devons croire que toutes les raisons, ou du moins les prin- cipales de celles que l'auteur a eues, non seulement pour prouver mais même pour expliquer les cho- ses qu'il a proposées, sont contenues dans ce pla- card, et qu'il n'y a pas d'apparence d'en attendre jamais de lui de meilleures. Quant à ce qu'il ap- pelle Vâme raisonnable du nom d'esprit humain, je lui en sais bon gré : car par ce moyen il évite l'équi- voque qui est dans le mot d'âme ; et je puis dire qu'en cela il m'a voulu imiter.

REMARQUES SUR CHAQUE ARTICLE.

Dans le premier article , il semble vouloir défi- nir cette âme raisonnable; mais il le fait fort im- parfaitement, car il en omet le genre, à savoir qu'elle est ou une substance, ou un mode, ou quel- que autre chose; et il en donne seulement la diffé- rence, laquelle il a empruntée de moi : car per-

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78 LETTRES.

sonne que je sache n'a dit avant moi qu'elle ne con- siste précisément que dans ce principe interne, ou dans cette faculté que l'homme a de penser.

Dans le second article, il commence à chercher quel est son genre, et dit en ce lieu-là qu'il sem- ble quil ne répugne point à la nature des choses que l' esprit humain puisse être , ou une substance, ou un certain mode de la substance corporelle.

Laquelle assertion enferme une contradiction qui n'est pas moindre que s'il avoit dit qu'il ne répugne point à la nature des choses qu'une mon- tagne soit sans vallée ou avec une vallée : car il faut bien prendre garde de faire distinction entre ces choses qui de leur nature sont susceptibles de changement, comme, que j'écrive maintenant ou que je n'écrive pas; qu'un tel soit prudent, un au- tre imprudent ; et celles qui ne se changent jamais , comme sont toutes les choses qui appartiennent à l'essence de quelque chose, ainsi que tous les phi- losophes demeurent d'accord. Et de vrai, il n'y a point de doute qu'à l'égard des choses contingen- tes, on peut dire qu'il ne répugne point à la nature des choses qu'elles soient d'une façon ou d'une au- tre : par exemple, il ne répugne point que j'écrive maintenant ou que je n'écrive pas ; mais lorsqu'il s'agit de l'essence d'une chose, il est tout-à-fait ab- surde et même il y a de la contradiction de dire qu'il ne répugne point à la nature des choses

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LETTRES. 79

qu'elle soit d'une autre façon qu'elle n'est en effet ; et il n'est pas plus de la nature d'une montagne de n'être point sans vallée , qu'il est de la nature de l'esprit humain d'être ce qu'il est, à savoir d'être une substance, si en effet il en est une, ou d'être un certain mode de la substance corporelle, s'il est vrai qu'il soit un tel mode. Et c'est ce que notre auteur tâche ici de persuader; et pour le prouver il ajoute ces mots, ou si nous voulons suivre le sen- timent de quelques nouveaux philosophes, etc., par lesquelles paroles il est aisé à connoître que c'est de moi de qui il entend parler; car je suis le pre- mier qui ai considéré la pensée comme le principal attribut de la substance incorporelle , et l'étendue comme le principal attribut de la substance corpo- relle : mais je n'ai pas dit que ces attributs étoient en ces substances comme en des sujets différents d'eux. Et il faut bien prendre garde que par ce mot $ attribut , que je donne à la pensée et à l'é- tendue, nous n'entendons ici rien autre chose que ce que les philosophes appellent communément un mode ou une façon ; car il est bien vrai qu'à parler généralement nous^ pouvons donner le nom d'at- tribut à tout ce qui a été attribué à quelque chose par la nature , et en ce sens le nom d'attribut peut con- venir .également au mode, qui peut être changé, et à l'essence même d'une chose, qui est tout-à-fait immuable. Mais ce n'est pas ainsi universellement

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80 LETTRES.

que je l'ai pris quand j'ai considéré la pensée et l'étendue comme les principaux attributs des sub- stances où elles résident, mais au sens qu'on le prend d'ordinaire, et quand par ce mot d'attribut on entend une chose qui est immuable et insépa- rable de l'essence de son sujet , comme celle qui la constitue , et qui pour cela même est opposée au mode. C'est en ce sens-là qu'on s'en sert quand on dit qu'il y a en Dieu plusieurs attributs, mais non pas plusieurs modes. C'est ainsi que l'un des attributs de chaque substance, quelle qu'elle soit, est qu'elle subsiste par elle-même. De même aussi l'étendue d'un certain corps en particulier peut bien à la vérité admettre en soi une variété de mo- des : car, par exemple , quand ce corps est sphéri- que , il est d'une autre façon que quand il est carré, et ainsi être sphérique et être carré sont deux diverses façons d'étendue ; mais l'étendue même qui est le sujet de ces modes , étant considé- rée en soi, n'est pas un mode de la substance cor- porelle, mais bien un attribut qui en constitue l'es- sence et la nature. Ainsi enfin la pensée peut rece- voir plusieurs divers modes ; car assurer est une autre façon de penser que nier, aimer en est une autre que désirer, et ainsi des autres; mais la pen- sée même, en tant qu'elle est le principe interne d'où procèdent tous ces modes , et dans lequel ils sont comme dans leur sujet, n'est pas conçue

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LETTRES. 8l

comme un mode, mais comme un attribut qui constitue la nature de quelque substance; et la question est maintenant de savoir si cette sub- stance quelle constitue est corporelle ou incor- porelle.

Il ajoute que ces attributs ne sont pas opposés, mais simplement divers ; en quoi il y a encore une contradiction : car lorsqu'il s'agit d'attributs qui constituent l'essence de quelques substances, il ne sauroit y avoir entre eux de plus grande op- position que d'être divers ; et lorsqu'il confesse que l'un est différent de l'autre, c'est de même que s'il disoit que l'un n'est pas l'autre ; or être et n'être pas sont opposés. Il poursuit : puisqu'ils ne sont pas opposés , mais divers , Je ne vois pas que rien puisse empêcher que l'esprit ne puisse être un attribut qui convienne à un même sujet que l'étendue, quoique la notion de l'un ne soit point comprise dans la notion de l'autre. Dans lesquelles paroles il y a un mani- feste paralogisme : car il conclut de toutes sortes d'attributs ce qui ne peut être vrai que des mo- des proprement dits; et néanmoins il ne prouve nulle part que l'esprit , ou ce principe interne par lequel nous pensons, soit un tel mode; mais au contraire je prouverai tout maintenant, par ce qu'il dit lui-même dans le cinquième article, que ce n'en est pas un. Pour ce qui est de ces autres sor- tes d'attributs qui constituent la nature des choses , 10- 0

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82 LETTRES.

on ne peut pas dire que ceux qui sont divers, et qui ne sont en aucune façon compris dans la no- tion l'un de l'autre, conviennent à un seul et même sujet : car c'est de même que si l'on disoit qu'un seul et même sujet a deux natures diverses ; ce qui enferme une manifeste contradiction, au moins lorsqu'il est question, comme ici, d'un sujet simple , et non pas d'un sujet composé. Mais il y a ici trois choses à remarquer , lesquelles si cet écrivain eût bien entendues, jamais il ne seroit tombé en des erreurs si manifestes.

La première est qu'il est de la nature du mode que bien que nous puissions concevoir aisément la substance sans lui , nous ne pouvons pas toutefois réciproquement concevoir claire- ment le mode sans concevoir en même temps la substance dont il dépend et dont il est le mode , comme j'ai expliqué en l'article soixante-unième de la première partie de mes Principes; et en cela tous les philosophes conviennent. Or il est mani- feste que notre auteur n'a pas pris garde à cette règle, par ce qu'il dit en l'article cinquième; car il avoue lui-même en ce lieu-là que nous pouvons douter de l'existence du corps , lors même que nous ne doutons point de l'existence de l'esprit : d'où il suit que l'esprit peut être conçu sans le corps, et partant que ce n'en est pas un mode.

La seconde chose que je désire que Ton remar-

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LETTRES. 83

que ici, est la différence qu'il y a entre les êtres simples et les êtres composés; car cet être-là est composé, dans lequel se rencontrent deux ou plu- sieurs attributs, chacun desquels peut être conçu distinctement sans l'autre ; car de cela même que Pan est ainsi conçu distinctement sans l'autre , on connoît qu'il n'en est pas le mode, mais qu'il est une chose ou l'attribut d'une chose qui peut subsister sans lui. L'être simple au contraire est celui dans lequel on ne remarque point de sem- blables attributs : d'où il paroît que ce sujet -là est simple, dans lequel nous ne remarquons que la seule étendue, et quelques autres modes qui en sont des suites et des dépendances, comme aussi celui dans lequel nous ne reconnoissons que la seule pensée, et dont tous les modes ne sont que des diverses façons de penser ; mais que celui-là est composé , dans lequel nous considérons 1 étendue jointe avec la pensée, c'est à savoir l'homme, qui est composé de corps et d'âme , lequel notre au- teur semble ici avoir pris seulement pour le corps, dont l'esprit est un mode.

Enfin il faut remarquer ici que dans les sujets qui sont composés de plusieurs substances, sou- vent il y en a une qui est la principale, et qui est tellement considérée que tout ce que nous lui ajoutons de la part des autres n'est à son é^ard autre chose qu'un mode , ou une façon de la con-

84 LETTRES.

sidérer. Ainsi un homme habillé peut être consi- déré comme un certain tout composé de cet homme et de ses habits; mais être habillé* au regard de cet homme, est seulement un mode ou une façon d'être sous laquelle nous le consi- dérons, quoique ses habits soient des substances. C'est ainsi que notre auteur a pu dans l'homme, qui est composé de corps et d'âme, considérer le corps comme la principale partie, au respect de laquelle être animé y ou être capable de penser , n'est rien autre chose qu'un mode ; mais il est ridicule d'insérer de que l'âme même, ou ce principe par lequel le corps est dit être capable de penser, n'est pas une substance différente du corps.

Il tâche après cela de confirmer ce qu'il a dit par ce syllogisme : Tout ce que nous pouvons conce- voir peut aussi être. Or est-il que nous pouvons concevoir que l'esprit humain soit9 ou une substance, ou un mode de la substance corporelle; car il n'y a en cela aucune contradiction : donc l'esprit humain peut être l'une ou l'autre de ces deux choses. Sur quoi il faut remarquer que cette règle, à savoir, Que tout ce que nous pouvons concevoir peut aussi être, quoiqu'elle soit de moi, et véritable toutes et quantes fois qu'il s'agit d'une conception claire et distincte, laquelle enferme la possibilité de la chose qui est conçue, à cause que Dieu est capable de faire tout ce que nous sommes capables de con-

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LETTRES. 85

cevoir clairement comme possible ; cette règle , dis-je, ne doit pas être témérairement usurpée , pourcequ'il peut aisément arriver que quelqu'un croira entendre et apercevoir clairement quelque chose, laquelle néanmoins, à cause de quelques préjugés dont il est prévenu et comme aveuglé, il n'entendra et n'apercevra point du tout. Et c'est ce qui est arrivé à cet auteur, lorsqu'il a prétendu qu'il n'y avoit point de contradiction qu'une seule et même chose eût l'une ou l'autre de deux natu- res entièrement diverses , c'est à savoir, qu'elle fût ou une substance ou un mode. A la vérité s'il eût seulement dit qu'il ne voyoit point de raison pour- quoi l'esprit humain dût plutôt être estimé une substance incorporelle qu'un mode de la sub- stance corporelle, son ignorance auroit pu être excusée. Si d'ailleurs il avoit dit qu'il n'est pas possible à la raison humaine de trouver jamais aucune preuve par laquelle on puisse démontrer que l'esprit humain soit l'un plutôt que l'autre, certes son arrogance seroit blâmable , mais du moins il n'y auroit point de contradiction en ses paroles. Mais en disant, comme il fait, qu'il ne répugne point à la nature des choses qu'une même chose soit une substance ou un mode, il dit des choses qui se contredisent , et fait paroître en cela l'absurdité de son esprit.

Dans le troisième article, il expose le jugement

86 LETTRES.

qu'il fait de moi ; car c'est moi qui ai écrit que l'es- prit humain peut être clairement et distinctement conçu comme une substance différente de la sub- stance corporelle : et quoique cet auteur n'al- lègue point d'autres raisons que celles que j'ai fait voir en l'article précédent enfermer tant de con- tradictions , il ne laisse pas de prononcer hardi- ment que je me trompe. Mais je ne veux pas m'ar- rêter à cela, ni m amuser à examiner ces mots d'actuellement ou par nécessité \ lesquels contien- nent quelque ambiguïté, car ils ne sont pas de grande importance.

Je ne veux pas non plus examiner les choses qui, dans i 'article quatrième , concernent la sainte Écriture, de peur qu'il ne semble que je me veuille attribuer le droit de juger de la religion d'autrui. Mais je dirai seulement qu'il y a trois genres de questions qu'il faut ici bien' distinguer. Car, il y a des choses qui ne sont crues que par la foi, comme sont celles qui regardent le mystère de l'incarna- tion, de la trinité, et semblables. Il y en a d'au- tres qui , bien qu'elles appartiennent à la foi , peu- vent néanmoins être recherchées par la raison naturelle, entre lesquelles les théologiens ont cou- tume de mettre l'existence de Dieu et la distinc- tion de 1 ame humaine d'avec le corps ; enfin il y en a d'autres qui n'appartiennent en aucune façon à la foi , mais qui sont seulement soumises à la re-

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LETTRES. 07

cherche du raisonnement humain, comme la qua- drature du cercle , la pierre philosophale , et au- tres semblables. Et comme ceux-là abusent des paroles de la sainte Écriture , qui , par quelque mauvaise explication qu'ils leur donnent, croient en pouvoir déduire ces dernières; de même aussi ceux-là dérogent à son autorité, qui entrepren- nent de démontrer les premières par des argu- ments tirés de la seule philosophie : mais néan- moins tous les théologiens soutiennent que Ton peut entreprendre de montrer que celles-là même ne répugnent point à la lumière de la raison , et c'est en cela qu'ils mettent leurs principales étu- des. Mais pour les secondes, non seulement ils estiment qu'elles ne répugnent point à la lumière naturelle , mais même ils exhortent et encoura- gent les philosophes de faire tous leurs efforts pour tâcher de les démontrer par des moyens humains , c'est-à-dire tirés des seules lumières de la raison. Mais je n'ai encore jamais vu per- sonne qui assurât qu'il ne répugne point à la nature des choses qu'une chose soit autrement que la sainte Écriture nous enseigne qu'elle est, si ce n'est qu'il voulut montrer indirectement qu il ajoute peu de foi à cette Écriture. Car comme nous avons été premièrement hommes, il n'est pas croyable que , faits chrétiens , quelqu'un em- brasse sérieusement et tout de bon des opinions

88 LETTRES.

qu'il juge contraires à la raison qui le fait homme, pour s'attacher à la foi par laquelle il est chrétien. Mais peut-être aussi que notre auteur ne dit pas cela , car il dit seulement que ce qui de sa nature peut être douteux pour quelques uns , nous est main- tenant devenu certain et indubitable par la révéla- tion qui nous en a été faite dans les saintes lettres; dans lesquelles paroles je trouve encore deux contradictions : la première , en ce qu'il suppose que l'essence d'une seule et même chose est dou- teuse de sa nature, et par conséquent sujette au changement; car il répugne que l'essence d'une chose ne demeure pas toujours la même , à cause que si l'on suppose qu'elle devienne autre qu'elle n'étoit, de cela même ce ne sera plus la même chose , mais une autre, qu'il faudra appeler d'un autre nom. La seconde est clans ces mots pour quel- ques uns, d'autant que tous les hommes ayant une même nature, ce qui ne peut être douteux que pour quelques uns n'est pas douteux de sa na- ture.

L'article cinquième doit plutôt être rapporté au second que non pas au quatrième ; car notre au- teur ne parle point en cet article de la révélation divine, mais de la nature de l'esprit, savoir s'il est une substance ou un mode ; et pour montrer que l'on peut soutenir qu'il n'est autre chose qu'un mode, il tache de résoudre une objection qui est

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LETTRES. 89

prise de mes écrits. Car j'ai écrit en quelque en- droit que nous ne pouvions nous-mêmes douter de l'existence de notre esprit, parceque de cela même que nous doutons, il suit nécessairement que notre esprit existe ; mais que dans ce temps- même nous pouvions douter qu'il y eût aucun corps au monde: d'où j'ai inféré et démontré que nous concevions clairement notre esprit comme une chose existante , ou comme une substance , en- core que nous ne conçussions aucun corps comme existant, ou même que nous niassions qu'il y en eût aucun dans le monde ; d'où il suit que la no- tion de l'esprit ne contient rien en soi qui ap- partienne en aucune façon à la notion du corps. Et toutefois notre auteur pense comme dissiper et réduire en fumée tout ce raisonnement, et en faire voir suffisamment la foiblesse , lorsqu'il dit que cet argument prouve seulement que pendant que nous doutons de l'existence du corps, nous ne pouvons pas alors dire que l'esprit en soit un mode > il fait voir qu'il ignore entièrement ce que les philosophes entendent par le nom de mode; car c'est en cela que consiste la nature du mode , de ne pouvoir aucunement être conçu, sans enfermer dans sa notion celle de la chose dont il est le mode, comme j'ai déjà expliqué ci-dessus; cepen- dant il demeure d'accord que l'esprit peut quel- quefois être conçu sans le corps, à savoir, lors-

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qu'on doute de l'existence du corps: d'où il suit que pour lors au moins il ne peut être dit un mode du corps. Or est-il que ce qui est une fois vrai de l'essence ou de la nature d'une chose est toujours vrai; et néanmoins il ne laisse pas d'assu- rer qu'il ne répugne à la nature des choses que l'es- prit soit seulement un mode du corps; mais il est évident que ces deux choses se contrarient.

Je ne comprends point ce qu'il veut dire dans le sixième article par ces paroles : Quoique l'esprit humain ou l'âme raisonnable soit une substance dis- tincte réellement du corps, néanmoins, pendant qu' elle est dans le corps, elle est organique en toutes ses ac- tions. Je me souviens bien d'avoir autrefois ouï dire dans les écoles, que l'âme est l'acte du corps or-, ganique ; mais qu elle-même soit organique , je confesse que je ne l'avois point encore ouï dire jusqu'à présent : c'est pourquoi , comme je n'ai ici rien de certain que je puisse écrire, je supplie notre auteur de me permettre d'exposer ici mes conjectures, que je ne donne pas pour quelque chose de vrai , mais seulement pour telles qu'elles sont.

Il me semble que j'aperçois en ce qu'il dit deux choses qui se contrarient. L'une desquelles est que l'esprit humain est une substance réelle- ment distincte du corps; et j'avoue que notre au- teur le dit ouvertement : mais il dissuade aiftant

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qu'il peut par ses raisons de le croire , et soutient que cela ne peut être prouvé que par le témoignage seul de la sainte Écriture. L'autre est que ce même esprit humain en toutes ses actions est organique , ou ne sert que d'instrument, comme n'agissant point de soi-même, mais dont le corps se sert, comme il fait de la conformation de ses membres, et des autres modes corporels; et ainsi, s'il ne le dit de paroles , il assure néanmoins en effet que l'esprit n'est rien autre chose qu'un mode du corps ; comme aussi ne semble-t-il avoir disposé toutes ses raisons que pour la preuve de cela seul. Or ces deux choses sont si manifestement contraires, à sa- voir, que l'esprit humain soit une substance et un mode , que je ne pense pas que cet auteur veuille que ses lecteurs les croient toutes deux ensemble , mais bien qu'il les a ainsi à dessein entremêlées pour contenter les simples, et satis- faire en quelque façon ses théologiens sur l'auto- rité de l'Ecriture sainte, mais néanmoins pour faire en sorte que les plus clairvoyants puissent reconnoître que ce n'est pas tout de bon qu'il dit que l'esprit ou lâme est distincte du corps, et qu'en effet son opinion est qu'elle n'est rien autre chose qu'un mode.

Dans les septième et huitième articles , il semble continuer à dire les choses autrement qu'il ne les, pense, et se sert encore de cette figure de rhétori^

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que, qu'on nomme ironie, vers la fin du neuvième article; mais au commencement il ajoute la raison de ce qu'il avance : c'est pourquoi il y a lieu de croire qu'en cet endroit-là il parle tout de bon, et qu'il agit de bonne foi. Voici ce qu'il dit : 11 est naturellement incertain si nous apercevons véri- tablement aucun corps; et la raison qu'il en apporte est que les c/ioses qui ne sont qu imaginaires peu- vent aussi bien faire impression sur l'esprit que celles qui sont vraies. Mais cette raison ne peut être bonne, si l'on suppose que nous ne pouvons en aucune façon nous servir de cette faculté que les philosophes appellent d'un nom propre l'en- tendement, mais seulement de celle qu'ils nom- ment le sens commun, dans laquelle les images des choses soit vraies soit imaginaires sont reçues pour toucher l'esprit, et qu'ils disent nous être commune avec les bêtes. Mais certes ceux qui ont de l'enten- dement, et qui ne ressemblent pas tout-à-fait aux chevaux et aux mulets, encore qu'ils ne soient pas seulement touchés par les images que la pré- sence des choses vraies imprime dans le cerveau, mais aussi par celles que d'autres causes y excitent, comme il arrive dans les songes; ceux-là, dis-je, discernent néanmoins très clairement par la lu- mière de la raison les unes d'avec les autres. Et j'ai expliqué si nettement et si exactement dans mes écrits par quel moyen cela se peut infaillible-

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LETTRES. 93

ment reconnoitre , que je m'assure qu'il n'y a per- sonne, qui ait un peu d'entendement, qui après les avoir lus puisse être encore en cela scep- tique.

Dans les dixième et onzième articles, il y a encore lieu de soupçonner qu'il ne parle pas tout de bon : car si l'on croit que lame soit une substance, il est ridicule et impertinent de dire que le lien qui tient l'âme unie et conjointe au corps n'est autre que la loi de l'immutabilité de la nature, qui est telle, que chaque chose demeure en Vètat qu'elle est : car les choses qui sont séparées , aussi bien que celles qui sont conjointes, demeurent dans leur même état, pendant que rien ne le change; mais ce n'est pas de quoi il s'agit en ce lieu-là, mais bien de sa- voir comment et par quel moyen l'esprit est joint avec le corps, et n'en est pas séparé. Mais si l'on suppose que l'âme soit un mode du corps , c'est bien répondre que de dire qu'il ne faut point chercher d'autre lien par quoi elle lui soit con- jointe, sinon qu'elle demeure dans le même état elle est ; d'autant que les modes n'ont point d'autre état ou d'autre manière d'être que celui d'être attachés ou inhérents aux choses dont ils sont les modes.

Dans le douzième article, je trouve qu'il n'est différent de ce que je dis qu'en la manière de s'exprimer : car quand il dit que Yesprit n'a pas

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besoin d'idées, ou de notions, ou d'axiomes qui soient nés y ou naturellement imprimés en lui, et que ce* pendant il lui attribue la faculté de penser, c'est- à-dire une faculté naturelle et née avec lui, il dit en effet la même chose que moi, quoiqu'il me sem- ble ne le pas dire. Car je n'ai jamais écrit ni jugé que l'esprit ait besoin d'idées naturelles qui soient quelque chose de différent de la faculté qu'il a de penser: mais bien est-il vrai que, reconnoissant qu'il y avoit certaines pensées qui ne procédoient ni des objets du dehors, ni de la détermination de ma volonté, mais seulement de la faculté que j'ai de penser, pour établir quelques différence entre les idées ou les notions qui sont les formes de ces pensées, et les distinguer des autres qu'on peut appeler étrangères, ou faites à plaisir, je les ai nommées naturelles; mais je l'ai dit au même sens que nous disons que la générosité, par exemple, est naturelle à certaines familles, ou que certaines maladies, comme la goutte ou la gravelle, sont naturelles à d'autres , non pas que les enfants qui prennent naissance dans ces familles soient tra- vaillés de ces maladies aux ventres de leurs mères, mais pareequ'ils naissent avec la disposition ou la faculté de les contracter.

Mais remarquez, je vous prie, la belle consé- quence que, dans l'article treizième, il tire du pré- cédent. Il avoit dit en cet article que l'esprit n'a

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pas besoin d'idées qui soient naturellement imprimées en lui, mais que la seule faculté quil a de penser lui suffit pour exercer ses actions; c'est pourquoi, con- clut-il dans celui-ci, toutes les communes notions gui se trouvent empreintes en l'esprit tirent toutes leur origine ou de l'observation des choses ou de la tradition : comme si la faculté de penser qu'a l'esprit ne pouvoit d'elle-même rien produire, et qu'elle n'eût jamais aucunes perceptions ou pen- sées que celles qu'elle a reçues de l'observation des choses ou de la tradition , c'est-à-dire des sens. Ce qui est tellement faux, que quiconque a bien com- pris jusqu'où s'étendent nos sens, et ce que ce peut être précisément qui est porté par eux jus» qu'à la faculté que nous avons de penser , doit avouer au contraire qu'aucunes idées des choses ne nous sont représentées par eux telles que nous les formons par la pensée; en sorte qu'il n'y a rien dans nos idées qui ne soit naturel à l'esprit, ou à la l'a- cuité qu'il a de penser ; siseulement on excepte cer- taines circonstances qui n'appartiennent qu'à l'ex- périence. Par exemple, c'est la seule expérience qui fait que nous jugeons que telles ou telles idées, que nous avons maintenant présentes à l'esprit, se rapportent à quelques choses qui sont hors de nous; non pas, à la vérité , que ces choses les aient transmises en notre esprit par les organes des sens telles que nous les sentons, mais à cause qu'elles

90 LETTRES.

ont transmis quelque chose qui a donné occasion à notre esprit , par la faculté naturelle qu'il en a , de les former en ce temps-là plutôt qu'en un autre. Car, comme notre auteur même assure dans l'ar- ticle dix-neuvième , conformément à ce qu'il a ap- pris de mes Principes , rien ne peut venir des ob- jets extérieurs jusqu'à notre âme, par l'entremise des sens, que quelques mouvements corporels; mais ni ces mouvements mêmes , ni les figures qui en proviennent , ne sont point conçus par nous tels qu'ils sont dans les organes des sens, comme j'ai amplement expliqué dans la Dioptrique; d'où il suit que même les idées du mouvement et des figures sont naturellement en nous. Et, à plus forte raison, les idées de la douleur, des couleurs, des sons, et de toutes les choses semblables, nous doi- vent-elles être naturelles, afin que notre esprit, à l'occasion de certains mouvements corporels avec lesquels elles n'ont aucune ressemblance, se les puisse représenter. Mais que peut-on feindre de plus absurde que de dire que toutes les notions communes qui sont en notre esprit procèdent de ces mouvements, et quelles ne peuvent être sans eux. Je voudrois bien que notre auteur m'apprît quel est le mouvement corporel qui peut former en notre esprit quelque notion commune; par exemple , celle-ci , Que les choses qui conviennent à une troisième conviennent entre elles , ou telle autre

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LETTRES. 97

qu'il lui plaira; car tous ces mouvements sont par- ticuliers , et ces notions sont universelles , qui n'ont aucune affinité ni rapport avec le mouvement.

Néanmoins, dans V article quatorzième y appuyé sur ce beau fondement, il continue d'assurer que l'idée même de Dieu qui est en nous ne vient pas de la faculté que nous avons de penser, comme une chose qui lui soit naturelle , mais qu'elle vient delà révélation divine y ou de la tradition, ou de l'observation des choses. Et, pour mieux reconnoître l'erreur de cette assertion , il fout considérer qu'on peut dire en deux façons qu'une chose vient d'une autre; à savoir, ou parceque cette autre en est la cause prochaine et principale, sans laquelle elle ne peut être, ou parcequ'elle en est la cause éloignée et accidentelle seulement, qui donne occasion à la principale de produire son effet en un temps plu- tôt qu'en un autre. C'est ainsi que tous les ouvriers sont les causes principales et prochaines de leurs ouvrages , et que ceux qui leur ordonnent de les faire, ou qui leur promettent quelque récompense s'ils les font, en sont les causes accidentelles et éloignées, à cause que peut-être ils ne les feroient point si on ne leur commandoit. Or, il n'y a point de doute que la tradition, ou l'observation de3 cho- ses, ne soit souvent la cause éloignée qui fait que nous venons à penser à l'idée que nous pouvons avoir de Dieu, et à la rendre présente à notre es-

io. 7

<j8 LETTRES.

prit ; mais que c'en soit la cause prochaine, et effec- trice de cette idée, cela ne se peut dire que par ce- lui qui croit que nous ne concevons jamais rien autre chose de Dieu, sinon quel est ce nom-là, Dieu, ou quelle est la figure corporelle sous la- quelle il nous est ordinairement représenté par les peintres. Car, de vrai, si l'observation s'en fait par la vue, elle ne peut d'elle-même représenter autre chose à l'esprit que des peintures, et même des peintures dont toute la vérité ne consiste que dans celle * de certains mouvements corporels, comme notre auteur même l'enseigne ; si elle se fait par l'ouïe, elle ne peut représenter que des sons et des paroles; que, si c'est par les autres sens qu'elle se fasse, une telle observation ne sauroit rien conte- nir qui puisse être rapporté à Dieu. Et certes , c'est une chose si véritable que la vue ne représente de soi rien autre chose à l'esprit que des peintures, ni l'ouïe que des sons et des paroles, que personne ne le révoque en doute; si bien que tout ce que nous concevons de plus que ces paroles et ces pein- tures, comme les choses signifiées par ces signes, doit nécessairement nous être représenté par des idées, qui ne viennent point d'ailleurs que de la faculté que nous avons de penser, et qui par con- séquent sont naturellement en elle, c'est-à-dire sont

V

Les éditions : variété. , » Les éditions : celles.

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LETTRES. 99

toujours en nous en puissance ; car être naturelle- ment dans une faculté ne veut pas dire y être en acte, mais en puissance seulement, vu que le nom même de faculté ne veut dire autre chose que puis- sance. Or personne, s'il ne veut passer ouverte- ment pour un athée, et même pour un homme qui a perdu le sens , ne peut assurer que nous ne sau- rions rien connoître de Dieu que le nom ou la figure corporelle dont les peintres ou les sculpteurs se servent pour nous le représenter.

Après que notre auteur a exposé l'opinion qu'il a touchant la manière dont nous pouvons con- noître Dieu, il réfute, dans l'article quinzième, tous les arguments par lesquels j'ai démontré son exis- tence; où je ne puis que je n'admire la grande confiance ou présomption de cet homme de croire qu'il puisse, avec tant de facilité et en si peu de paroles, renverser tout ce que j'ai composé après une longue et sérieuse méditation , et que je n'ai pu expliquer que dans un livre entier. Toutes les rai- sons que j'ai apportées pour cette preuve se rap- portent à deux. La première est que nous avons une connoissance de Dieu ou une idée qui est telle, que, si nous faisons bien réflexion sur ce qu'elle contient, si nous l'examinons avec soin, en la manière que j'ai montré qu'il failoit faire, la seule considération que nous en ferons nous fera connoître qu'il ne se peut pas faire que Dieu

7-

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ÎOO LETTRES.

n'existe, d'autant que sa notion ou son idée ne contient pas seulement une existence possible ou contingente , ainsi que celles de toutes les autres choses, niais bien une existence absolument né- cessaire et actuelle. Cependant l'auteur de ce pla- card, pour réfuter cette preuve, que plusieurs grands personnages, éminents par-dessus les au- tres en esprit et en science, après l'avoir diligem- ment examinée, tiennent aussi bien que moi pour une certaine et très évidente démonstration, em- ploie ce peu de paroles : La notion que nom avons de Dieu, ou cette idée de Dieu qui est existante en notre esprit, n'est pas un argument assez fort et con- vaincant pour prouver que Dieu existe, puisqu'il est certain que toutes les choses dont nous avons en nous les idées n'existent pas actuellement. Par il faut voir, à la vérité, qu'il a lu mes écrits; mais, par même moyen, il témoigne qu'il n'a pu en au- cune façon les entendre, ou du moins qu'il ne l'a pas voulu; car la force de mon argument n'est pas prise de la nature de cette idée , considérée en gé- néral , mais d'une propriété particulière qui lui convient , laquelle est très évidente en l'idée que nous avons de Dieu , et qui ne se peut rencontrer dans l'idée de quelque autre chose que ce soit; c'est à savoir, de la nécessité de l'existence qui est requise pour le comble et l'accomplissement des perfections sans lequel nous ne saurions concevoir

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LETTRES. 101

Dieu. L'autre argument par lequel j'ai démontré qu'il y a un Dieu, est pris de ce que j'ai évidem- ment prouvé que nous n'aurions point eu la fa- culté de connoître et de concevoir toutes ces per- fections que nous reconnoissons en Dieu, s'il n'é- toit vrai que Dieu existe , et que nous avons été créés par lui. Mais notre auteur pense l'avoir abon- damment réfuté en disant, que l'idée que nous avons de Dieu n'est pas plus au-dessus de la portée de notre esprit ou de notre pensée, et n'excède pas davantage la vertu naturelle que nous avons de penser, que l'idée d'aucune autre chose que ce soit. Toutefois, si par il entend seulement que l'idée que nous avons de Dieu , sans le secours surnaturel de la grâce , ne nous est pas moins naturelle que le sont toutes les autres idées que nous avons des autres choses, il est de mon avis, mais on ne peut de rien conclure contre moi : que s'il estime que cette idée de Dieu ne contient pas plus de perfection objective que toutes les autres idées prises ensemble, il erre manifestement ; or , c'est de ce seul excès de perfection , dont Vidée que nous avons de Dieu surpasse toutes les autres, que j'ai tiré mon argu- ment.

Dans les six autres articles il ne dit rien qui mé- rite d'être remarqué, sinon que, voulant distinguer les propriétés de l'âme les unes d'avec les autres, il en parle en termes fort confus et fui t impropres.

102 LETTRES.

Il est vrai que j'ai dit en quelque endroit qu'elles

se rapportent toutes à deux principales, à savoir à la perception de l'entendement et à la détermina- tion de la volonté; mais notre auteur les appelle d'un nom fort impropre l'entendement et la vo- lonté, après quoi il divise ce qu'il a appelé enten- dement en perception et jugement; en quoi il s'é- loigne de mon opinion : car pour moi, voyant qu'outre la perception, qui est absolument requise avant que nous puissions juger, il est encore be- soin d'une affirmation ou d'une négation pour éta- blir la forme d'un jugement ; et prenant garde que souvent il nous est libre d'arrêter et de suspendre notre consentement, encore que nous ayons la perception de la chose dont nous devons juger, j'ai rapporté cet acte de notre jugement, qui ne consiste que dans le consentement que nous don- nons, c'est-à-dire dans l'affirmation ou dans la négation de ce dont nous jugeons, à la détermina- tion de la volonté, plutôt qu'à la perception de l'entendement. Après cela, faisant le dénombre- ment des espèces de perception, il ne compte que le sentiment s la réminiscence, et l'imagination : d'où l'on peut inférer qu'il n'admet aucune in- tellection pure, c'est-à-dire aucune intellection qui soit indépendante de toute image corporelle ; et partant on peut penser qu'il est de cette opinion, qu'on ne peut avoir aucune connoissance de Dieu

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LETTRES. 103

ni de l'âme humaine, ni d'aucune autre chose incorporelle; de quoi je ne puis m'imaginer d'au- tre cause , sinon que les pensées qu'il a de ces cho- ses sont si confuses, qu'il n'en conçoit aucune qui soit pure et entièrement détachée de toute image corporelle.

Enfin , après tous ces articles, il a ajouté ces pa- roles, qu'il a tirées d'un de mes écrits 1 : // n'y en a point qui parviennent plus aisément à une haute réputation de piété que les superstitieux et les hypo- crites; par lesquelles je ne puis deviner ce qu'il a voulu dire, si ce n'est peut-être qu'il a imité les hypocrites, en ce que souvent il a dit les choses autrement qu'il ne les pensoit; mais je ne pense pas qu'il puisse jamais parvenir par ce moyen à une grande réputation de piété.

*

Au reste , je suis ici contraint de confesser que j'ai beaucoup de confusion d'avoir autrefois loué cet auteur comme un homme d'un esprit fort vif et pénétrant , et d'avoir écrit en quel- que endroit que je ne pensois pas qu'il ensei- gnât aucunes opinions que je ne voulusse bien reconnoître pour miennes. Il est vrai que pour lors je n'avois encore vu de lui aucun écrit il n'eût été un fidèle copiste , si ce n'est peut- être en un seul mot qu'il s'étoit hasardé de dire

1 « Épître dédicatoire à la princesse ÉHzabcth , en tête des Principes. «» * « Lettre à G. Voëtins. »

104 LETTRES.

de lui - même , mais qui lui avoit si mal suc- cédé, et dont il avoit été si sévèrement repris par ses collègues, que cela me faisoit croire qu'il n'en- treprendroit plus rien de semblable; et pourceque je voyois qu'en tout le reste il embrassoit avec grande affection des opinions que j'estimois être très véritables, j'attribuois cela à la force et à la vivacité de son esprit. Mais maintenant plusieurs expériences m'obligent de croire que c'est plutôt l'amour de la nouveauté que œlle de la vérité qui l'emporte. Et d'autant qu'il trouve trop vieux et trop hors d'usage tout ce qu'il a appris d'autrui , et que rien ne lui paroît assez nouveau que ce qu'il tire de sa propre cervelle, et aussi qu'il est si peu heureux en ses inventions, que je n'ai jamais remarqué aucun mot en ses écrits ( si ce n'est qu'il l'eût tiré de ceux des autres) que je ne jugeasse contenir quelque erreur ; je me sens obligé d'aver- tir ici tous ceux qui le tiennent pour un grand dé- fenseur de mes opinions qu'il n'y en a presque aucune, non seulement en ce qui concerne les choses métaphysiques, il ne feint point de me contredire ouvertement, mais aussi en celles qui concernent les choses physiques, qu'il ne propose mal, et dont il ne corrompe le sens. De sorte que je suis plus indigné de voir qu'un tel docteur s'in- gère d'enseigner mes opinions, et prenne à tâche d'interpréter mes écrits et d'y faire des cojnmen-

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LETTRES. 105

taires, que d'en voir quelques autres qui les com- battent avec aigreur et animosité.

Car je n'en ai encore vu pas un qui ne m ait attribué des opinions tout-à-fait différentes des miennes, et même si absurdes et si impertinentes, que je n'appréhende pas qu'on puisse jamais per- suader à des personnes tant soit peu raisonnables que je sois l'auteur de telles opinions. C'est ainsi qu'à ce moment même que j'écris, on me vient d'apporter deux libelles tout nouvellement compo- sés par un écrivain de cette farine , dans le premier desquels il est dit qu'il y a certains novateurs gui tâchent doter toute la créance que l'on peut avoir aux sens, et qui soutiennent qu'un philosophe peut nier qu'il y ait un Dieu, et douter de son existence, après avoir admis d'ailleurs que l'idée, l'espèce et la connoissance actuelle de Dieu est naturellement empreinte en notre esprit. Et dans l'autre il est dit que ces novateurs prononcent hardiment que Dieu ne doit pas être dit seulement négativement , mais même positivement la cause efficiente de soi-même. Voilà tout ce dont il s'agit dans l'un et dans l'autre de ces libelles, qui ne contiennent rien de plus, sinon un ramas d'arguments pour prouver , premiè- rement, que les enfants dans le ventre de leurs mères n'ont aucune connoissance actuelle de Dieu, et par- tant , que nous n'avons aucune idée ou espèce ac- tuelle de Dieu naturellement empreinte en notre es-

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prit; secondement, qu'il ne faut pas nier qu'il y ait un Dieu, et que ceux-là qui le nient doivent être tenus pour des athées, et sont punissables par les lois; enfin, que Dieu n'est pas la cause efficiente de soi- même. Tontes lesquelles choses je pourrois à la vé- rité dissimuler, comme n'étant point écrites contre moi , à cause que mon nom ne se trouve point dans ces écrits, et qu'il n'y a pas une opinion de celles qui y sont impugnées que je ne tienne pour très fausse et tout-à-fait absurde : mais néanmoins, pourcequ elles ressemblent fort à quelques unes qui m'ont déjà été plusieurs fois faussement im- putées par des gens de cette robe, et qu'on n'en connoît point d'autres à qui on les puisse attribuer; et aussi pourceque tout le monde sait que c'est contre moi que ces libelles ont été faits, je pren- drai ici occasion d'avertir leur auteur , première- ment, que lorsque j'ai dit que l'idée de Dieu est naturellement en nous , je n'ai jamais entendu autre chose que ce que lui-même, dans la sixième section de son second livre, dit en termes exprès être véritable, c'est à savoir, que la nature a mis en nous une faculté par laquelle nous pouvons con- nollre Dieu ; mais que je n'ai jamais écrit ni pensé que telles idées fussent actuelles oif qu'elles fussent des espèces distinctes de la faculté même que nous avons de penser. Et même je dirai plus, qu'il n'y a personne qui soit si éloigné que moi de tout ce

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LETTRES. IO7

fatras d'entités scolastiques ; en sorte que je n'ai pu m'empêcher de rire quand j'ai vu ce grand nom- bre de raisons que cet homme, sans doute peu méchant, a ramassées avec grand soin et travail, pour montrer que les enfants n'ont point la con- noissance actuelle de Dieu tandis quils sont au ven* tre de leur mère, comme si par il avoit trouvé un beau moyen de me combattre. Secondement , que je n'ai aussi jamais enseigné qu'il falloit nier qu'il y eût un Dieu, ou que Dieu pouvoit nous tromper; ou qu'il falloit révoquer toutes cho- ses en doute ; ou que l'on ne deooit donner aucune créance aux sens; ou que le sommeil ne se pouvoit distinguer de la veille > et autres choses semblables qui m'ont quelquefois été objectées par des calomniateurs ignorants ; mais que j'ai re- jeté toutes ces choses en paroles très expresses, et que je les ai même réfutées par des arguments très forts, et j'ose même dire plus forts qu'aucun autre ait fait avant moi : et afin de le pouvoir faire plus commodément et plus efficacement , j'ai pro- posé toutes ces choses comme douteuses au com- mencement de mes Méditations; mais je ne suis pas le premier qui les ai inventées; il y a long- temps qu'on a les oreilles battues de semblables doutes proposés par les sceptiques. Mais qu'ya-t-il de plus inique que d'attribuer à un auteur des opinions qu'il ne propose que pour les réfuter?

lo8 LETTRES.

Qu'y a-t-il de plus impertinent que de feindre qu'on les propose, et qu'elles ne sont pas encore réfutées, et partant que celui qui rapporte les ar- guments dont se servent les athées est lui-même un athée pour un temps ? Qu'y a-t-il de plus puéril que de dire que s'il vient à mourir avant que d'a- voir écrit ou inventé la démonstration qu'il espère , il meurt comme un athée ; et qu'il a enseigné par avance une pernicieuse doctrine, contre la maxime communément reçue, qui dit qu'il n'est pas permis de faire du mal pour en tirer du bien, et choses semblables? Quelqu'un dira peut-être que je n'ai pas rapporté ces fausses opinions comme venant d'autrui, mais comme miennes; mais qu'importe cela? puisque dans le même livre je les ai rapportées, je les ai aussi toutes réfutées; et même qu'on peut voir aisément par le titre du livre que j'étois fort éloigné de les croire, puis- que j'y promettois des démonstrations touchant l'existence de Dieu. Et peut-on s'imaginer qu'il y en ait de si sots, ou de si simples, que de se per- suader que celui qui compose un livre qui porte ce titre ignore , quand il trace les premières pa- ges, ce qu'il a entrepris de démontrer dans les sui- vantes? De plus, la façon d'écrire que je metois proposée, qui étoit en forme de méditations, et que j'avois choisie comme fort propre pour ex- pliquer plus clairement les raisons que j'avois à

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LETTRES. 109

déduire, mobligeoit de ne pas proposer ces ob- jections autrement que comme miennes. Que si cette raison ne satisfait pas ceux qui se mêlent de censurer mes écrits , je voudrois bien savoir ce qu'ils disent des Écritures saintes, avec lesquelles nuls autres écrits qui viennent de la main des hommes ne doivent être comparés, lorsqu'ils y voient certaines choses qui ne se peuvent bien entendre, si Ton ne suppose qu'elles sont rappor- tées comme étant dites par des impies, ou du moins par d'autres que par le saint Esprit ou les prophètes; telles que sont ces paroles de l'Ecclé- siastique, chapitre second : Ne vaut-il pas mieux boire et manger et faire goûter à son âme des fruits de son travail? et cela vient de la main de Dieu. Qui est-ce qui en pourra dévorer autant, ou qui pourra se gorger de plaisirs autant que moi? Et au cha- pitre suivant: J'ai souhaité en mon cœur, pensant aux enfants des hommes, que Dieu les éprouvât, et fît connoitre qu'ils sont semblables aux bêtes. C'est pourquoi, l'homme et les chevaux périssent de même façon, leur condition est pareille; comme l'homme meurt, ceux-ci meurent; ils ont tous une pareille res- piration, et l'homme n'a rien de plus que le che- val, etc. Pensent-ils que le saint Esprit nous en- seigne en ce lieu-là qu'il faut faire bonne chère, qu'il n'y a qu'à se donner du bon temps, et que nos âmes ne sont pas plus immortelles que celles

IIO LETTRES.

des chevaux? Je ne pense pas qu'ils soient enragés et perdus à ce point; mais aussi ne doivent-ils pas me calomnier, si je n'ai pas gardé en écrivant des précautions qui n'ont jamais été observées par au- cun autre qui ait écrit, non pas même par le Saint- Esprit.

Et en troisième lieu, je donne avis à l'auteur de ces libelles que je n'ai jamais écrit que Dieu ne doit pas être dit seulement négativement, mais même positivement la cause efficiente de soi-même, ainsi qu'il assure fort inconsidérément en la page 8 de son dernier livre. Qu'il cherche dans mes écrits , qu'il les lise , qu'il les parcoure d'un bout à l'au-

I

trouvera tout le contraire. Et il n'y a pas un de ceux qui ont lu mes écrits, ou qui me connois- sent tant soit peu, ou du moins qui ne me tien- nent pas tout-à-fait pour un fat ou pour un in- sensé, qui ne sache que je suis fort éloigné d'avoir des opinions si monstrueuses. Et c'est ce qui fait que j'admire grandement quel peut être le dessein de ces calomniateurs; car s'ils prétendent de per- suader aux hommes que j'ai écrit des choses tou- tes contraires à celles qui se trouvent dans mes écrits, ils devroient auparavant prendre le soin de supprimer tous ceux que j'ai publiés, et même d'ef- facer de la mémoire de ceux qui les ont lus tout ce qu'ils en ont retenu; car tandis qu'ils ne le font

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LETTRES. ill

point, ils se nuisent plus qu'à moi. J'admire aussi qu'ils s'élèvent si fort , et avec tant de chaleur et d'animosité, contre une personne qui ne les a ja- mais ni attaqués, ni nui en aucune chose, mais qui pourroit peut-être bien leur nuire s'ils m'avoient irrité; et que cependant ils ne disent mot à plu- sieurs autres qui ont réfuté leur doctrine par des livres entiers , et qui se sont moqués d'eux , comme de gens simples et extravagants. Je ne veux pourtant rien ajouter ici qui puisse davantage les détourner du dessein qu'ils peuvent avoir de m'at- taquer par leurs libelles; c'est avec plaisir que je vois qu'ils m'estiment assez pour m'attaquer de la sorte ; mais cependant je souhaite qu'ils revien- nent en leur bon sens.

Ceci a été écrit à Egraont, en Hollande, sur la fin du mois de dé- cembre en l'année 1647.

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1 12

LETTRES.

A MONSIEUR ***

(Lettre 112 du tome III.) Monsieur,

Il semble, je crois, au pèreMersenne que je sois encore soldat, et que je suive l'armée , puisqu'il m'adresse les lettres qu'il vous écrit. Celle que vous trouverez avec celle-ci a été huit jours à ve- nir de Leyde ici, et si vous êtes parti de La Haye, ainsi que la gazette me fait croire, je ne sais quand elle vous pourra atteindre. Le principal est qu'il n'y a rien dedans d'importance; car, m'ayant été envoyée ouverte , j'ai eu le privilège de la lire; et pourcequ'il y philosophe principalement de la propriété de l'aimant, je joindrai ici mon avis au sien , afin que ma lettre ne soit pas entièrement vide. Je crois vous avoir déjà dit que j'explique toutes les propriétés de l'aimant par le moyen d'une certaine matière fort subtile, et imperceptible, qui sortant continuellement de la terre , non seule- ment par le pôle, mais aussi par tous les autres

t « M. Huygens de Zuitlichem. » Cette lettre n'est datée ni dans l'im- primé ni dans l'exemplaire de la bibliothèque de l'Institut. Je la mets ici très arbitrairement avec la 1 18e.

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LETTRES. 1 1 5

endroits de l'hémisphère boréal, passe de vers l'hémisphère austral par tous les endroits du- quel elle entre derechef dans la terre; et d'une au- tre pareille matière, qui sort de la terre, par l'hé- misphère austral , et y rentre par le boréal ; à cause que les parties de ces deux matières sont de telle figure, que les pores de la terre, ou de l'aimant, ou du fer touché de l'aimant, par peuvent passer celles qui viennent d'un hémisphère, ne peuvent donner passage à celles qui viennent de l'autre hé- misphère, comme je pense démontrer dans ma phy- sique, où j'explique l'origine de ces deux matières subtiles, et les figures de leurs parties, qui sont lon- gues et entortillées en forme de vis, les boréales au contraire des australes. Or ce qui cause la déclinai- son des aiguilles qui sont parallèles à l'horizon; est que la matière subtile qui les fait mouvoir, sortant des parties de la terre assez éloignées de , vient quelquefois plus abondamment des lieux un peu éloignés de pôles, que des pôles mêmes laquelle cause cesse en partie lorsque les aiguilles sont per- pendiculaires sur l'horizon; car alors elles sont principalement dressées par la matière subtile qui sort de l'endroit de la terre elles sont; mais à cause que l'autre matière subtile, qui vient du pôle opposé, aide aussi à les dresser, je crois bien qu'elles doivent moins décliner que les autres;

Figure i. " Figure a.

m. 1

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1 l4 LETTRES.

mais non pas quelles ne déclinent point du tout, et si l'expérience exacte s'en peut faire , je serai bien aise de la savoir. Pour la raison qui fait que ces aiguilles perpendiculaires se tournent toujours vers le même côté, je l'explique quasi comme le père Mersenne; car je crois qu elle vient de ce que le fer a quelque latitude, et que la matière subtile qui passe par dedans ne monte pas tout droit de bas en haut, mais prend son cours en déclinant du pôle boréal vers l'austral en cet hémisphère; comme si l'aiguille est ACBD, 1 la ma- tière subtile qui sort de la terre se forme des pores dans cette aiguille qui sont penchés de B vers A; et l'acier est de telle nature que ses pores peuvent ainsi être disposés à recevoir cette matière subtile, par l'attouchement d'une pierre d'aimant, et qu'ils retiennent après cette disposition. Mon papier finit, et je crains de vous ennuyer. Je suis, etc.

1 Figure 3.

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LETTRES

»i5

AU R. P. MERSENNE.

(Lettre 118 du tome II. )

Mon révérend pere,

Je n'ai lu que les quinze premières pages de IV- crit que vous avez voulu que je visse , pourceque c'est seulement jusque que vous m'avez dit que j'y étois réfuté; mais je vous avoue que je les ai admirées, en ce que je n'y ai trouvé aucune chose qui ne fut fausse, excepté celles qui se trou- vent en mes écrits, et que l'auteur montre en avoir tirées, d'autant qu'il se sert de mes propres paroles pour les exprimer , et s'il en change quel- ques unes, comme lorsqu'il nomme l'impression ce que je nomme la vitesse , et la direction ce que je nomme la détermination à se mouvoir vers un cer- tain côté y cela ne sert qu a l'embrouiller. L'une des principales fautes est à la fin de la seconde page , ayant mis pour maxime une conclusion qui est de moi , à savoir , que dans le cercle GBFI , le mobile qui vient de G vers B tend vers C, il le prouve ridiculement , en disant que la nature ne

Figure 4.

8.

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1

ll6 LETTRES.

souffre rien d'indéterminé, et qu'il n'y a point d'autre ligne que BC qui soit ici déterminée : car qui empêche de dire que le mobile ira de B vers H plutôt que vers C, vu que BH est aussi bien déterminé que BC, et qu'on sait que le mobile tend à s'éloigner en ligne droite du centre A.

Dans la page neuvième il y a une distinction ab- surde entre deux sortes d'impressions; l'une par laquelle les corps sont chassés , et l'autre par la- quelle ils sont attirés; car il n'y a aucune attrac- tion telle qu'il l'imagine. Et si ce qu'il nomme l'im- pression est la vitesse du mouvement dans le corps qui se meut, ainsi qu'on le doit prendre pour donner quelque sens à tout ce qu'il dit, il est certain qu'il n'y en a que d'une sorte ou espèce, et qu'elle est tout de même dans l'aimant ou dans le fer que dans les autres corps.

Mais la principale de ses fautes est dans la page dixième, il prend pour principe une chose qui est apertement fausse , à savoir , que si A vers D par une ligne perpendiculaire rencontre l'ob- stacleBC , il sera réfléchi en telle sorte, que s'il ne communique rien de son impression à l'obstacle , il reviendra précisément en A , etc ; car bien que les corps pesants retournent à peu près en cette sorte lorsque leur seule pesanteur les porte directement vers le centre de la terre , c'est une chose absurde d'en faire un principe, pourceque ce n'est pas

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LETTRES. 117

l'impression qu'ils ont étant au point D' qui les fait ainsi retourner, mais l'action de leur pesan- teur qui continue en eux pendant qu'ils remon- tent; et le même n'arrive point quand la ligne BC n'est pas parallèle à l'horizon, ni quand le mobile est poussé d'A vers D par une autre force que sa seule pesanteur. Et son absurdité paroît encore mieux dans les trois pages suivantes, où, par le moyen de ce faux principe, il prétend dé- montrer la quantité des réflexions et des réfrac- tions d'une façon que l'expérience contredit évi- demment. Car, par son prétendu raisonnement, en supposant que la balle qui vient d'À vers B ren- contre la superficie CBE qui lui ôte la moitié de son impression ou de sa vitesse, il dit que si on fait BE égal à CB, et qu'on prenne El égal à la moitié de AC% la réfraction fera aller cette balle de B vers I. En sorte que , de quelque gran- deur que soit l'angle d'incidence ABH, AC, qui est la tangente de son complément, sera toujours double de El, qui est la tangente du complément de l'angle rompu GBI, d'où il suit que les pro- portions qui seront entre les sinus de ces deux angles ABH et GBI doivent être différentes, se- lon que l'angle d'incidence ABH est supposé plus grand ou plus petit, et qu'il ne peut être supposé

1 Figure 5.

» Figure 6. n

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Il8 LETTRES.

si grand, que le mobile ne passe au-dessous de la superficie CBE. Au lieu que l'expérience montre évidemment que cet angle ABH peut être si grand, que le mobile ne passera point au-dessous de cette superficie CBE, mais se réfléchira de l'autre côté; et que lorsque le mobile passe au-des- sous de cette superficie, il y a toujours même pro-» portion entre les sinus de l'angle d'incidence et de l'angle rompu, encore que la grandeur de cet an- gle d'incidence , ABH, se change.

Ensuite de ces beaux raisonnements, cet auteur dit, dans la page I 3, que j'ai manqué, en ce que, pour démontrer la réflexion, je ne me suis pas servi d'un raisonnement semblable au sien ; comme si c'étoit une faute de n'avoir pas imité les fautes d'un autre. Et il montre n'avoir point de logique naturelle ; car, encore qu'il n'eût pas failli , il infèreroit mal de dire que j'ai failli, pour- ceque je ne me suis pas servi de son raisonne- ment, à cause qu'on peut souvent prouver une même chose en plusieurs façons. En second lieu , il dit que, dans ma Dioptrique, page 20, discours premier , je confonds la détermination du mouve- ment avec la vitesse , ce qui est très faux. Car six lignes auparavant je parle de la vitesse qui se rap- porte à tout le mouvement, et je ne parle que de la détermination de gauche à droite , qui distin- gue deux parties en ce mouvement. En troisième

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LETTRES. H 9

lieu , il prétend , dans la page ! 4 ? reprendre ce que j'ai écrit de la réflexion qui se fait sur la su- perficie de l'eau, en disant que je me sers d'un rai- sonnement qui est différent de certaines conjectu- res impertinentes qu'il met là. Et dans la page i5, il met seulement ces mots : Enfin, Af. Descartes , pages 2Ï\ et 25 , etc. , oîi par son etc. il semble vou- loir faire entendre qu'il a encore beaucoup d'autres choses à reprendre en mes écrits ; en quoi je ne sais si je dois plus admirer, ou son ingratitude, d'avoir tâché de me reprendre, bien qu'il n'y ait rien de passable dans tout son écrit qu'il n'ait eu de moi ; ou sa stupidité, d'avoir commis de si lourdes fau- tes contre le raisonnement et le sens commun ; ou, enfin, son arrogance ridicule, de prétendre qu'un autre a failli pour cela seul qu'il n'a pas suivi ses imaginations, comme si rien ne pouvoit être bien s'il n'est conforme à ses fantaisies : mais ce que j'admire le plus, c'est que, par telles impertinences et vanteries, il est parvenu à quelque réputation, et qu'il se trouve des hommes qui lui donnent de l'esprit pour apprendre de lui des choses fausses.

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ANNÉE l648. A MADAME LA PRINCESSE PALATINE.

(Lettre 2 5 du tome I.)

Madame,

J'ai reçu les lettres de votre altesse, du a3 dé- cembre, presque aussitôt que les précédentes, et j'avoue que je suis en peine touchant ce que je

» « La a5e lettre du Ier vol., page 78, est de M. Descartes à la prin- cesse Élizabeth Palatine, elle est sûrement de Tannée 1648, puisque M. Descartes , page 79 de cette lettre , dit à la princesse qu'il n'attend de

long-temps des lettres de la reine de Suède, parceque la lettre qu'il lui avoit écrit le 20 novembre 1647 étoit demeurée plus d'un mois à Amsterdam. En second lieu , page 79 de cette lettre, il envoie à la prin- cesse un livret qui n'a été écrit que sur la fin de 1647 * Gand. et im- primé en 1648 , au commencement. Enfin il répond à des lettres de la princesse du a3 décembre, qu'il n'a pu recevoir qu'à la mi -janvier de 1648; mais ce qui me persuade que cette lettre n'a été écrite que vers le Ier février, est que M. Descartes , page- 79 de cette lettre, dit â la prin- cesse qu'il a reçu depuis sa lettre envoyée de Suède des lettres de ce pays-là qui marquent que la sienne est attendue ; et la lettre dont il parle a été écrite par M. Chanut le 18 janvier 1648, donc celle-ci n'a pu être écrite avant le Ier février 1648. »»

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LETTRES. 131

dois répondre à ces précédentes, à cause que votre altesse y témoigne vouloir que j'écrive le traité de 1 érudition, dont j'ai eu autrefois l'honneur de lui parler ; et il n'y a rien que je souhaite avec plus de zèle que d'obéir à vos commandements, mais je dirai ici les raisons qui sont cause que j'avois laissé le dessein de ce traité, et si elles ne satisfont pas votre altesse, je ne manquerai pas de le reprendre. La première est que je n'y saurais mettre toutes les vérités qui y devroient être sans animer trop contre moi les gens de l'école, et que je ne me trouve point en telle condition que je puisse en- tièrement mépriser leur haine. La seconde est que j'ai déjà touché quelque chose de ce que j'a- vois envie d'y mettre, dans une préface qui est au- devant de la traduction françoise de mes Princi- pes, laquelle je pense que votre altesse a mainte- nant reçue. La troisième est que j'ai maintenant un autre écrit entre les mains , que j'espère pou- voir être plus agréable à votre altesse , c'est la des- cription des fonctions de l'animal et de l'homme; car ce que j'en avois brouillé il y a douze ou treize ans, qui a été vu par votre altesse, étant venu entre les mains de plusieurs qui l'ont mal transcrit, j'ai cru être obligé de le mettre plus au net , c'est- à-dire de le refaire, et même je me suis aventuré ( mais depuis huit ou dix jours seulement ) d'y vouloir expliquer la façon dont se forme l'animal

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122 LETTRES.

dès le commencement de son origine; je dis l'ani- mal en général, car pour l'homme en particulier je ne l'oserois entreprendre, faute d'avoir assez d'expériences pour cet effet : au reste je considère ce qui me reste de cet hiver comme le temps le plus tranquille que j'aurai peut-être de ma vie , ce qui est cause que j'aime mieux l'employer à cette étude qu'à une autre qui ne requiert pas tant d'attention. La raison qui me fait craindre d'avoir ci-après moins de loisir , est que je suis obligé de retourner en France l'été prochain , et" d'y passer l'hiver qui vient; mes affaires domestiques et plu» sieurs raisons m'y contraignent. On m'y a fait aussi l'honneur de m'y offrir pension de la part du roi, sans que je l'aie demandée, ce qui ne sera point capable de m'attacher ; mais il peut arriver en un an beaucoup de choses: il ne sauroit toutefois rien arriver qui puisse m'empêcher de préférer le bon* heur de vivre au lieu seroit votre altesse, si l'occasion s'en présentoit, à celui d'être en ma pro- pre patrie, ou en quelque autre lieu que ce puisse être. Je n'attends encore de long-temps réponse à la lettre touchant le souverain bien , pourcequ'elle a demeuré près d'un mois à Amsterdam , par la faute de celui à qui je l'avois envoyée pour l'adres- ser, mais sitôt que j'en aurai quelques nouvelles, je ne manquerai pas de le faire savoir à votre altesse : elle ne contenoit aucune chose de nouveau

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LETTRES. 123

qui méritât de vous être envoyée. J'ai reçu depuis quelques lettres de ce pays-là, par lesquelles on me mande que les miennes sont attendues, et selon qu'on m'écrit de cette princesse, elle doit être extrêmement portée à la vertu , et capable de bien juger des choses; on me mande qu'on lui présen- tera la version de mes Principes, et qu'on m'assure qu'elle en lira la première partie avec satisfaction , et qu'elle seroit bien capable du reste, si les affaires ne lui en ôtoient le loisir. J'envoie avec cette lettre un livret de peu d'importance, et je ne l'enferme pas en même paquet, à cause qu'il ne vaut pas le port; ce sont les insultes de M. Regius qui m'ont contraint de l'écrire, et il a été plus tôt imprimé que je ne l'ai su : même on y a joint des vers et une préface que je désapprouve, quoique les vers soient de M. H.1, mais qui n'a osé y mettre son nom , comme aussi ne le devoit-il pas. Je suis, etc.

A M. CHANUT.

( Lettre 37 du tome I.)

Monsieur,

Il faut que je vous dise que je suis marri du trop favorable accueil que vous avez procuré aux

1 « Heydenu* ou Heiusius. »

124 LKTTRES.

écrits que je vous avois envoyés pour la reine de Suède; car j'ai peur que sa majesté, n'y trouvant rien en les lisant qui corresponde à l'espérance que vous lui en avez fait avoir , en ait d'autant moins bonne opinion qu elle l'aura eue meilleure auparavant. J'ai encore un autre déplaisir, qui est que, puisque mon paquet a été retenu trois se- maines à Amsterdam ( ce que j'ai su être arrivé pourcequ'on pensoit le devoir envoyer par mer, et qu'on en attendoit l'occasion ), je regrette de n'a- voir pas employé ce temps-là pour tâcher d'écrire quelque chose qui fût moins indigne d'un si bon accueil: car, encore que j'aie tâché de faire mon mieux , toutefois les secondes pensées ont coutu- me d'être plus nettes que les premières, et je ma- tois hâté en faisant cette dépèche, pour témoigner au moins par ma promptitude combien j'étois dé- sireux d'obéir à un commandement que je ché- rissois comme le plus grand honneur que je puisse recevoir. Voilà, monsieur, tous les sujets de tris- tesse que je puisse imaginer, afin de modérer l'extrême joie que j'ai d'apprendre que cette grande reine veuille lire et considérer à loisir les écrits que j'ai envoyés, car j'ose me promettre que si elle goûte les pensées qu'ils contiennent, elles ne seront pas infructueuses, et pourcequ'elle est l'une des plus importantes personnes de la terre , que cela même peut n'être pas inutile au public. Il me

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LETTRES. 125

semble avoir trouvé par expérience que la consi- dération de ces pensées fortifie l'esprit en l'exer- cice de la vertu , et qu'elle sert plus à nous rendre heureux qu'aucune autre chose qui soit au monde. Mais il n'est pas possible que je les aie assez bien exprimées pour faire qu'elles paroissent aux autres comme à moi , et j'ai un désir extrême d'apprendre quel jugement en fera sa majesté, mais particuliè- rement aussi quel sera le vôtre. La parole a beau- coup plus de force pour persuader que l'écriture, et je ne doute point que vous ne lui en fassiez aisément avoir les mêmes sentiments que vous au- rez, au moins s'ils sont à mon avantage, car l'af- fection dont vous me donnez tous les jours des preuves m'assure que vous ne lui en voudriez pas faire avoir d'autres. Je serai bien aise de voir la harangue de M. Freinshemius, à cause de la matière dont il traite, et je ne manquerai pas de la deman- der à M. Brasset lorsqu'il l'aura reçue. Au reste, je me propose d'aller à Paris au commencement du mois prochain. Je pourrois dire que pour mon intérêt je ne souhaite pas d'avoir sitôt l'honneur de vous y voir , à cause des faveurs que vous me procurez au lieu vous êtes, mais je n'ai jamais aucun égard à moi lorsqu'il peut y aller du con- tentement de mes amis , et j'avoue que je ne sou- haiterois pas un emploi pénible qui m'otât le loisir de cultiver mon esprit, encore que cela fut récom-

126 LETTRES.

pensé par beaucoup d'honneur et de profit. Je dirai seulement qu'il ne me semble pas que le vô- tre soit du nombre de ceux qui ôtent le loisir de cultiver son esprit, au contraire, je crois qu'il vous en donne les occasions , en ce que vous êtes auprès dune reine qui en a beaucoup, et qu'il ne faut pas avoir manque d'adresse pour satisfaire entièrement à ses maîtres , agréer à ceux vers les- quels on est envoyé, et ne jouer cependant aucun autre personnage que celui d'un homme d'hon- neur, ainsi que je m'assure que vous faites. On peut toujours tirer beaucoup de satisfaction de ce qu'on occupe son esprit en des choses difficiles, lorsqu'on y réussit , encore qu'on ne l'occupe pas aux mêmes choses qu'on auroit peut-être choisies si on en avoit eu la liberté. Le vôtre étant propre à tout, je ne doute point que vous ne tiriez beau- coup de satisfaction d'un emploi dont vous vous acquittez si bien. Si pourtant vous approchiez du temps de votre retraite , et que vous revinssiez bientôt à Paris, je serois ravi d'avoir l'honneur de vous y voir. Que si vous faites encore quelque sé- jour au lieu vous êtes, je me consolerai sur ce que j'espère que vous continuerez à me procurer la bienveillance de cette grande reine, pour les vertus de laquelle vous m'avez fait avoir beaucoup de vénération et de zèle. Je suis , etc.

D^Egmond, le ai février 1C48.

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LETTRES. . 127

A MONSIEUR *** '.

(Lettre 124 du tome III.)

Monsieur,

Encore que j'aie un extrême ressentiment des bienfaits que j'ai reçus de votre faveur, tant lorsque j'étoi& à Paris que depuis encore, ainsi que j'ai su de M. de Martigny, qui m'a mandé que sans vous il n'eût pu rien faire en l'expédition du bre- vet de pension qu'il m'a envoyé, je ne vous en ferai pas néanmoins ici de grands remerciements ; il n'appartient qu'à ceux qui ont envie d'être ingrats de se servir de cette monnoie , afin de payer avec des paroles les véritables bienfaits qu'ils ont reçus. Mais je vous supplie très humblement de trouver bon que je vous dise que je ne puis douter que vous n'ayez dorénavant beaucoup de bonne volonté pour moi, non point pour aucun mérite que je

1 «« Cette lettre n'est pas datée , mais comme, dans la a5e letlre manuscrite de M. Descartes à Picot , du 4 avril 1648 , il dit qu'il se dispose à partir de Hollande dans trois semaines , ce ne ponvoit être que le brevet de pension qu'il avoit reçu de Paris qui en fut cause; ainsi il l'avoit reçu : il n'y a pas d'apparence qu'il fut long-temps à remercier cet ami. Ainsi je juge que cette lettre a été écrite le 1" avril 1648. *

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\2& LETTRES.

prétende avoir, mais pourceque vous m'avez déjà fait plus de bien que la plupart de tous les parents ou amis que j'aie jamais eus, en sorte que vous pouvez à bon droit me considérer comme lune de vos créatures ; et en examinant toutes les causes de l'amitié, je n'en trouve point d'autre qui soit si puissante ni si pressante que celle-là. Ce que je prends la liberté d'écrire, afin que, lorsque vous saurez que je fais cette réflexion , vous ne puissiez aussi douter que je n'aie un zèle très particulier pour votre service. A quoi j'ajouterai seulement encore un mot, qui est que la philosophie cfue je cultive n'est pas si barbare ni si farouche qu'elle rejette l'usage des passions; au contraire, c'est en lui seul que je mets toute la douceur et la félicité de cette vie; et bien qu'il y ait plusieurs de ces passions dont les excès soient vicieux, il y en a toutefois quelques autres que j'estime d'autant meilleures qu'elles sont plus excessives ; et je mets la reconnoissance entre celles-ci , aussi bien qu'en- tre les vertus; c'est pourquoi je ne croirois pas pouvoir être ni vertueux ni heureux , si je n'avois un désir très passionné de vous témoigner par effet dans toutes les occasions que je n'en manque point. Et puisque vous ne m'en offrez point pré- sentement d'autre que celle de satisfaire à vos deux demandes, je ferai mon possible pour m'en bien acquitter, quoique l'une de vos questions soit

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LETTRES. 129

d'une matière qui est fort éloignée de mes spécu- lations ordinaires.

Premièrement donc je vous dirai que je tiens qu'il y a une certaine quantité de mouvement dans toute la matière créée qui n'augmente ni ne dimi- nue jamais; et ainsi que, lorsqu'un corps en fait mouvoir un autre, il perd autant de mouvement qu'il lui en donne j-comrae lorsqu'une pierre tombe de haut contre terre, si elle ne retourne point et qu'elle s'arrête, je conçois que cela vient de ce qu'elle ébranle cette terre, et ainsi lui transfère son mouvement ; mais si ce qu'elle meut de terre con- tient mille fois plus de* matière qu'elle, en lui transférant son mouvement elle ne lui donne que la millième partie de sa vitesse. Et pourceque si deux corps inégaux reçoivent autant de mouvement l'un que l'autre, cette pareille quantité de mouve- ment ne donne pas tant de vitesse au plus grand qu'au plus petit, on peut dire en ce sens que plus un corps contient de matière plus il a d'inertie naturelle ; à quoi l'on peut ajouter qu'un corps qui est grand peut mieux transférer son mouvement aux autres corps qu'un petit, et qu'il peut moins être par eux; de façon qu'il n'y a qu'une sorte d'inertie qui dépend de la quantité de la matière, et une autre qui dépend de l'étendue de ses super- ficies.

Pour votre autre question, vous avez, ce me 10. 9

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l30 LETTRES.

semble, fort bien répondu vous-même sur la qua- lité de la conuoissance de Dieu en la béatitude, la distinguant de celle que nous en avons maintenant, en ce quelle sera intuitive ; et si ce terme ne vous satisfait pas, et que vous croyiez que cette connois- sance de Dieu intuitive soit pareille , ou seulement différente de la nôtre , dans le plus et le moins des choses connues, et non en la façon de connoître, c'est en cela qu'à mon avis vous vous détournez du droit chemin. La connoissance intuitive est une illustration de l'esprit par laquelle il voit en la lu- mière de Dieu les choses qu'il lui plaît lui découvrir par une impression directe de la clarté divine sur notre entendement , qui en cela n'est point consi- déré comme agent , mais seulement comme recevant les rayons de la divinité. Or, toutes les connois- sances que nous pouvons avoir de Dieu sans mira- cle eu cette vie descendent du raisonnement et du progrès de notre discours, qui les déduit des princi- . pes de la foi , qui est obscure; ou viennent des idées et des notions naturelles qui sont en nous , qui , pour claires qu'elles soient, ne sont que grossières et confuses sur un si haut sujet : de sorte que ce que nous avons ou acquérons de connoissance par le chemin que tient notre raison, a premièrement les ténèbres des principes dont il est tiré, et de plus l'incertitude que nous éprouvons en tous nos rai- sonnements.

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LETTRES. 1 3 1

Comparez maintenant ces deux connoissances , et voyez «'il y a quelque chose de pareil en cette perception trouble et douteuse, qui nous coûte beaucoup de travail, et dont encore ne jouissons- nous que par moments , après que nous l'avons acquise à une lumière pure, constante, claire, cer- taine , sans peine et toujours mésente.

Or que notre esprit, lorsqu'il sera détaché du corps ou que ce corps glorifié ne lui fera plus d'empêchement, ne puisse recevoir de telles illus- trations et connoissances directes , en pouvez-vous douter, puisque dans ce corps même les sens lui en donnent des choses corporelles et sensibles, et que notre âme en a déjà quelques unes de la béné- ficence de son Créateur, sans lesquelles il ne seroit pas capable de raisonner? J'avoue qu'elles sont un peu obscurcies par le mélange du corps ; mais en- core nous donnent-elles une connoissance première, gratuite, certaine, et que nous recevons de l'esprit avec plus de confiance que nous n'en donnons au rapport de nos yeux. Ne m'a vouerez- vous pas que vous êtes moins assuré de la présence des objets que vous voyez , que de la vérité de cette proposi- tion, Jepense donc^je suisPOr cette connoissance n'est point un ouvrage de votre raisonnement, ni une instruction que vos maîtres vous aient donnée; votre esprit la voit, la sent et la manie; et quoi- que votre imagination, qui se mêle importunément

l32 LETTRES.

dans vos pensées, en diminue la clarté la voulant revêtir de ses figures , elle vous est pourtant une preuve de la capacité de nos âmes à recevoir de Dieu une connoissance intuitive. Il me semble voir que vous avez pris occasion de douter, sur l'opinion que vous avez que la connoissance intuitive de Dieu est celle* |^>n connoît Dieu par lui-même; et sur ce fondement, vous avez bâti ce raisonne- ment: Je connois que Dieu est un, parceque je connois qu'il est un être nécessaire ; or cette forme de connoître ne se sert que de Dieu même; donc je connois que Dieu est un par lui-même, et par conséquent je connois intuitivement que Dieu est un. Je ne pense pas qu'il soit besoin d'un grand examen pour détruire ce discours. Vous voyez bien que connoître Dieu par soi-même , c'est-à-dire par une illustration immédiate de la divinité sur notre esprit, comme on l'entend par la connoissance intuitive, est bien autre chose que se servir de Dieu même pour en faire une induction d'un attribut à l'autre , ou , pour parler plus convenablement , se servir de la connoissance naturelle (et par consé- quent un peu obscure, du moins si vous la compa- rez à l'autre) d'un attribut de Dieu, pour en former un argument qui conclura un autre attribut de Dieu. Confessez donc qu'en cette vie vous ne voyez pas en Dieu et par sa lumière qu'il est un; mais vous le concluez d'une proposition que vous avez

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LETTRES. l33

faite de lui, et vous la tirez par la force de l'argu- mentation, qui est une machine souvent défec- tueuse. Vous voyez ce que vous pouvez sur moi , puisque vous me faites passer les bornes de phi- losopher que je me suis prescrites, pour vous témoigner par combien je suis , etc.

A M. CH A.NUT ■.

(Lettre 4o du tome I.)

Monsieur,

Vous mesurez merveilleusement bien les temps, car justement j'ai trouvé à La Haye, lorsque j etois en chemin pour venir ici, la lettre que vous vou- liez que je pusse recevoir avant mon partement de Hollande; elle vint seulement en cela trop tard , que m étant proposé de partir le jour même qu'on me la rendit , je fus contraint de différer ma réponse jusqu'à mon arrivée en cette ville. J'ai eu cependant tout le loisir de repasser par mon ima- gination la belle description que vous faites de cette chasse, l'on porte des livres, et vous

1 « On voit qu'elle est écrite de Paris, dans son voyage de 1648 ; ainsi je la date de mai 1648. »

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1 34 LETTRES.

me donnez l'espérance que mon écrit aura cette prérogative au-dessus de beaucoup d'autres , d'être revu par la reine de Suède. La grande estime que je fais de l'esprit de cette incomparable princesse me donne sujet d'appréhender que cet écrit ne lui puisse plaire , puisqu'ayant déjà pris la peine de le voir , ainsi que v^pus me mandez qu'elle a fait , elle n'a pas voulu néanmoins vous en dire encore son sentiment; mais je me console sur ce que vous ajoutez qu'elle s'est proposé de le revoir : car elle ne daigneroit pas s'arrêter à cela , si elle n'a- voit rien trouvé qu'elle approuvât. Et je me flatte de cette opinion , que c'est plutôt l'ordre , l'agen- cement et les ornements de l'élocution qui y man- quent, que non pas la vérité des pensées; ce qui me fait espérer plus d'approbation de la seconde lecture que de la première. Vous direz peut-être que je me donne en ceci trop de vanité ; mais je vous prie d'en attribuer la faute à l'air de Paris plutôt qu'à mon inclination : car je crois vous avoir déjà dit autrefois que cet air me dispose à concevoir des chimères, au lieu de pensées de philosophe. Je vois tant d'autres personnes qui se trompent en leurs opinions et en leurs calculs, qu'il me semble que c'est une maladie universelle. L'innocence du désert d'où je viens me plaisoit beaucoup davantage, et je ne crois pas que je puisse m'empêcher d'y retourner dans peu de

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LETTRES. 1 35

temps; mais en quelque lieu du monde que je sois, je vous prie de croire que vous y aurez, etc.

A MADAME ÉLIZARETH,

PRINCESSE PALATINE, etc. •. (Lettre l\\ du tome I.)

Madame,

Encore que je sache bien que le lieu et la con- dition où je suis ne me sauroient donner aucune occasion dette utile au service de votre altesse, je ne satisferois pas à mon devoir ni à mon zèle, si , après être arrivé en une nouvelle demeure, je manquois à vous renouveler les offres de ma très hiimble obéissance. Je me suis rencontré ici en une conjoncture d'affaires que toute la prudence humaine n'eût su prévoir. Le parlement joint avec les autres cours souveraines s'assemblent mainte- nant tous les jours, pour délibérer touchant quel- ques ordres qu'ils prétendent devoir être mis au maniement des finances, et cela se fait à présent avec la permission de la reine, en sorte qu'il y a de

» De quelques jours après sou arrivée à Paris , r\ comme il y arriva à la fui de mai , je crois celle -ci du H juin 104 S.

1 36 LETTRES.

l'apparence que 1 affaire tirera de longue ; mais il est malaisé de juger ce qui en réussira. On dit qu'ils se proposent de trouver de l'argent suffisam- . ment pour continuer la guerre, et entretenir de grandes armées, sans pour cela fouler le peuple: s'ils prennent ce biais, je me persuade que ce sera le moyen de venir enfin à une paix générale. Mais en attendant que cela soit , j'eusse bien fait de me tenir au pays la paix est déjà; et si ces orages ne se dissipent bientôt, je me propose de retourner vers Egmond dans six semaines ou deux mois , et de m'y arrêter jusqu'à ce que le ciel de France soit plus serein. Cependant, me tenant comme je fais un pied en un pa^s, et l'autre en un autre, je trouve ma condition très heureuse, en ce qu'elle est libre ; et je crois que ceux qui sont en grande fortune diffèrent davantage des autres, en ce que les déplaisirs qui leur arrivent leur sont plus sensibles, que non pas en ce qu'ils jouissent de plus de plaisirs, à cause que tous les contentements qu'ils peuvent avoir, leur étant or- dinaires , ne les touchent pas tant que les afflic- tions, qui ne leur viennent que lorsqu'ils s'y at- tendent le moins, et qu'ils n'y sont aucunement préparés ; ce qui doit servir de consolation à ceux que la fortune a accoutumés à ses disgrâces. Je voudrois qu'elle fût aussi obéissante à tous vos désirs, que je serai toute ma vie, etc.

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LETTRES.

•37

A M. DESCARTES

(Lettre 3 du tome II. Version.)

Monsieur,

Je ne m'adresse point à vous dans le dessein de troubler par de nouvelles disputes un loisir qui vous est si cher, et que vous employez si utile- ment ; mais puisque vous avez eu la bonté de nous avertir, en plusieurs endroits des doctes écrits que vous avez mis au jour, que si Ton y trouvoit quelque chose d'obscur, ou qui ne sem- blât pas tout-à-fait hors de doute , vous tâcheriez de l'éclaircir par votre réponse, j'ai cru que vous ne trouveriez pas mauvais si je me servois aujour- d'hui de l'offre que vous me faites , et si , après avoir lu avec admiration et approuvé presque entière- ment tout ce que vous avez écrit touchant la pre- mière philosophie, josois vous prier de me vou- loir délivrer de deux ou trois scrupules qui me restent. Je vous les proposerai le plus brièvement

« « Cette lettre est de M. Arnauld à M. Descartes; elle lui fut envoyée par M. de Beaupuisde Port-Royal-des-Champs , datée du i5 juillet 1648. Je sais tout cela par une lettre du Père Quesnel. »

1 38 LETTRES.

qu'il me sera possible, afin de ne vous pas arrêter davantage.

DB L'ESPRIT HUMAIR.

Ce que vous avez écrit de la distinction qui est entre l'âme et le corps me semble très clair, très évident, et tout divin, et comme il n'y a rien de plus ancien que la vérité , j'ai eu une singulière satisfaction de voir que presque les mêmes cho- ses avoient été autrefois agitées fort clairement et fort agréablement par saint Augustin , dans tout le livre x de la Trinité, mais principalement au cha- pitre x.

Je trouve seulement de la difficulté , en ce que , dans vos réponses aux cinquièmes objections, page 549 de l'édition françoise, vous dites que lame pense toujours, à cause qu'elle est une substance qui pense; et que ce qui fait que nous ne nous ressouvenons pas des pensées qu'elle a eues lorsque nous étions dans le ventre de nos mères, ou pen- dant une léthargie, vient de ce que pendant que l'âme est unie au corps, pour se ressouvenir de nos pensées, il est nécessaire qu'il en demeure quelques vestiges imprimés dans le cerveau , vers lesquels l'âme se tournant et s'y appliquant, elle se ressouvient , et qu'on ne doit pas trouver étrange si le cerveau d'un enfant ou d'un lé- thargique n'est pas propre à recevoir ces imprcs sions.

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LETTRES. 1JQ

Mais il faut, à mon avis, nécessairement admet- tre en notre esprit deux sortes de mémoires, l'une purement spirituelle , et l'autre qui se fasse par l'entremise d'un organe corporel: de même que l'on admet ordinairement deux manières ou deux facultés de penser ( ainsi que vous expliquez et prouvez vous-même admirablement ), l'une qui conçoit purement et sans l'aide d'aucune faculté corporelle , et l'autre qui s'applique aux images qui sont dépeintes dans le cerveau. De sorte qu'il faut confesser que pour ce qui est de ces derniè- res opérations de l'esprit , c'est à savoir des ima- ginations , il est impossible que nous nous en res- souvenions, s'il n'en demeure quelques vestiges imprimés dans le cerveau.

Mais il me semble que l'on doit dire tout le con- traire à l'égard des conceptions pures, c'est à sa- voir que pour s'en ressouvenir il n'est nullement besoin qu'il y en ait aucuns vestiges dans le cer- veau ; et même tandis qu'elles demeurent de pures conceptions il n'est pas possible que cela soit, puisqu'elles n'ont aucun commerce ni correspon- dance avec le cerveau , ni avec aucune autre chose corporelle.

Et véritablement qui croiroit que l'esprit peut concevoir sans l'aide du cerveau, et qu'il ne peut se ressouvenir de sa conception sans l'aide du cer- veau? Et même si cela étoit, l'esprit ne pourroit

l4o LETTRES.

en aucune façon raisonner des choses spirituelles et incorporelles, telle qu'est Dieu, et lui-même, vu que tout raisonnement est composé d'une suite de plusieurs conceptions dont nous ne pour- rions comprendre la liaison, si nous ne nous res- souvenions des premières lorsque nous formons les secondes. Mais quant aux premières, il n'en demeure aucun vestige dans le cerveau, puisque nous supposons qu'elles ont été de pures concep- tions. L'esprit donc peut se ressouvenir de ses pensées , sans qu'il en soit resté aucuns vestiges dans le cerveau. Il faut donc chercher une autre raison pourquoi , s'il est vrai que l'âme pense tou- jours, personne néanmoins jusques ici ne s'est ressouvenu des pensées qu'il a eues tandis qu'il étoit au ventre de sa mère; vu principalement que ces pensées ont être très claires et très distinctes, si, comme vous dites en plusieurs endroits , et même à mon avis avec raison, il est véritable qu'il n'y a rien qui offusque davantage les lumières de notre âme que les préjugés des sens, desquels pour lors personne n'est prévenu.

Et même il ne me semble pas nécessaire que l'âme pense toujours , encore qu'elle soit une sub- stance qui pense ; car il suffit qu'elle ait toujours en soi la faculté de penser, comme la substance corporelle est toujours divisible , encore qu'en ef- fet elle ne soit pas divisée.

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LETTRES

>4«

DE DIEU.

Les raisons dont vous vous servez pour prou- ver l'existence de Dieu ne me semblent pas seule- ment ingénieuses, comme tout le monde l'avoue, mais aussi de vraies et de solides démonstrations, particulièrement les deux premières. Dans la troi- sième , il y a quelque chose que j'aurois bien voulu que vous eussiez expliqué plus exactement.

1 . Toute la force de cette démonstration con- siste principalement en ce que , comme le temps présent ne dépend point de celui qui le précède immédiatement , il ne faut pas une moindre puis- sance pour conserver une chose que pour la créer la première fois. Mais on peut demander ici de quel temps vous entendez parler ; car si c'est de la durée de l'esprit même, que vous appelez du nom de temps , les philosophes et les théologiens disent ordinairement que la durée d'une chose perma- nente , et surtout d'une chose spirituelle , telle qu'est l'esprit ou l'âme de l'homme , n'est pas suc- cessive , mais permanente et toute à la fois ( ce qui est très vrai de la durée de Dieu ) , et partant qu'on n'y doit point chercher des parties qui s'en- tre-suivent les unes les autres sans être dépen- dantes ; ce qu'ils accordent seulement se pouvoir dire de la durée du mouvement , qui seule est pro- prement ce qu'on appelle temps. Que si vous répon-

1 42 LETTRES.

dez que vous entendez aussi proprement parler du temps , qui est la durée du mouvement , à savoir du soleil et des autres astres , il sembleque cela n'appar- tient en aucune façon à la conservation de notre es- prit, puisque , bien que Ton supposât qu'il n'y eût aucun corps en la nature (ainsi que vous supposez en la troisième méditation ) par le mouvement du- quel le temps se pût mesurer , tout ce que vous dites de la nécessaire conservation de notre esprit ne laisseront pas de se soutenir et avoir de la force.

C'est pourquoi , afin que cette démonstration ait autant de force que les autres, il seroit besoin que vous prissiez la peine d'expliquer ce qui suit :

1. Ce que c'est que la durée, et en quoi elle diffère de la chose qui dure.

2. Si la durée d'une chose permanente et spiri- tuelle est successive ou permanente.

3. Ce que c'est proprement que le temps , et en quoi il diffère de la succession d'une chose perma- nente ; et si l'un et l'autre est une chose successive.

i. D'où le temps emprunte sa brièveté ou sa longueur, et d'où le mouvement emprunte sa tar- diveté ou sa vitesse.

Par après , au sujet même de la durée , vous établissez pour axiome que ce qui peut faire ce qui est plus grand ou plus difficile, peut faire aussi ce qui est moindre. Toutefois cela ne semble pas universellement vrai , ainsi que le requiert la na-

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LETTRES. l43

ture d'un axiome. Car, par exemple , je puis bien entendre et concevoir, mais je ne puis néanmoins faire mouvoir la terre de sa place, quoique pourtant le premier soit beaucoup plus grand que le dernier.

Enfin, il semble que ce ne soit pas une chose plus grande de me conserver moi-même que de me donner les perfections que j'aperçois qui me man- quent , puisque je sens que la toute-puissance et la science de toutes choses me manquent, les- quelles toutefois je ne pourrois me donner sans me faire Dieu ; ce qui seroit beaucoup plus grand que de me conserver moi-même.

QU'UNE CHOSE ÉTENDUE N'EST PAS RÉELLEMENT DISTINCTE DE SON EXTENSION LOCALE.

Vous soutenez qu'une chose étendue ne peut en aucune façon être distinguée de son extension locale ; vous m'obligerez donc fort de me dire si vous n'avez point inventé quelque raison par la- quelle vous accordiez cette doctrine avec la foi catholique , qui nous oblige de croire que le corps de Jésus-Christ est présent au Saint-Sacrement de l'autel sans extension locale , ainsi que vous avez très bien montré comment l'indistinction des ac- cidents d'avec la substance peut s'accorder avec le même mystère ; autrement vous voyez bien à quel danger vous exposez la chose du monde la plus sacrée.

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,44

LETTRES

DU VIDE.

Vous assurez que non seulement il n'y a point de vide en la nature, mais même qu'il n'y en peut avoir : ce qui semble déroger à la toute-puissance de Dieu. Quoi donc , Dieu ne peut-il pas réduire au néant le vin qui est contenu dans un tonneau, et n'y produire aucun autre corps en sa place, ou ne pas souffrir qu'il y entre aucun autre, quoique ce dernier ne soit pas nécessaire , puisque le vin étant une fois anéanti , aucun autre corps ne pourroit rentrer en sa place qu'il ne laissât une autre place vide en la nature? D'où il suit , ou que Dieu conserve nécessairement tous les corps , ou que s'il peut en réduire un au néant , il peut aussi y avoir du vide.

Mais, dites-vous, s'ilyavoit du vide, ce vide auroit toutes les propriétés du corps , comme sont la longueur , la largeur , la profondeur , Ja divisi- bilité , et ainsi du reste , et par conséquent ce se- roit un vrai corps.

Je réponds que ce vide qui est un néant n'a aucune propriété, mais seulement la concavité du tonneau, dont les parties sont éloignées de tant de pieds lune de l'autre ; et certes le corps contenu entre les côtés de ce tonneau ne contribue rien à cela ; ce qui fait que ce n'est pas merveille si ce corps étant ôté les mêmes propriétés conviennent

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LETTRES. l45

encore à cette concavité. Car puisque le tonneau et le vin , ou quelque autre corps que ce puisse être qui soit contenu entre les côtés du tonneau , sont deux substances tout-à-fait diverses, chacune des- quelles peut être conçue sans l'autre comme une chose complète; je vous demande si, lorsque je considère le tonneau séparément, je ne puis pas mesurer sa concavité , voir combien il y a de pieds depuis un fond jusqu'à l'autre , et quel est le dia- mètre de sa concavité cylindrique , et ainsi du reste. Aussi je prétends seulement que ces propriétés demeurent, le corps qui étoit contenu dedans étant anéanti , et non pas celles qui appartenoient par- ticulièrement à ce corps; comme par exemple, que ses parties pouvoient être séparées les unes des autres et être agitées en diverses façons.

Quoi qu'il en soit, j'aimeroi* mieux avouer mon ignorance que de me persuader que Dieu conserve nécessairement tous les corps , ou du moins qu'il n'en peut anéantir aucun, qu'en même temps il n'en crée un autre.

Voilà , monsieur , ce que j'ai jugé avoir besoin d'une explication plus exacte en ce que vous avez écrit. Que si les prières d'un homme inconnu n'ont pas assez de force pour obtenir cela de vous, j'es- père que le grand amour que j'ai pour la vérité , qui seule m'a donné la hardiesse de vous écrire, et

qui vous fait aimer de tous ceux qui la chérissent,

10

1^6 LETTRE S.

vous portera à m'accorder l'effet de ma prière, et à satisfaire à tous mes doutes , et même à ma cu- riosité. Je suis , etc.

0

RÉPONSE DE M. DESCARTES V

(Lettre 4 du tome II. Version.)

*

*

Monsieur,

Encore que Fauteur des objections qui me furent hier envoyées n'ait point voulu être connu ni de nom ni de visage, toutefois il n'a pu si bien se ca- cher qu'il ne se soit fait connoître par la partie qui est en lui la meilleure, à savoir par l'esprit ; et poureeque je reconnois qu'il est fort subtil et fort savant, je n'aurai point de honte d'être vaincu et enseigné par un homme de sa sorte : mais pour ce- qu'il dit lui-même , qu'il ne s'est point adressé à moi à dessein de contester, mais seulement par un pur désir de découvrir la vérité, je lui répondrai ici en peu de mots, afin de réserver quelque, chose pour son entretien. Car je crois qu'on peut agir plus sûrement par lettres avec ceux qui aiment la dispute; mais pour ceux qui ne cherchent que

« « Datée du iG juillet 1647. »

1

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LETTRES. 1 47

la vérité, l'entrevue et la vive voix est bien com- mode.

Je confesse avec vous qu'il y a en nous deux sortes de mémoires; mais je me persuade que l'âme d'un enfant n'a jamais eu de conceptions pures , mais seulement des sensations confuses; et encore que ces sensations confuses laissent quelques ves- tiges dans le cerveau, qui y demeurent durant tout le reste de la vie, ces vestiges néanmoins ne suffisent pas pour nous faire connoître que les sen- sations qui nous arrivent étant adultes sont sem- blables à celles que nous avons eues dans le ventre de nos mères, ni par conséquent pour nous en faire ressouvenir, à cause que cela dépend de quel- que réflexion de l'entendement, ou de la mémoire intellectuelle, dont on n'a pas l'usage quand on est au ventre de sa mère. Mais il me semble qu'il est nécessaire que l'âme pense toujours actuelle- ment, pourcequela pensée constitue son essence, ainsi que l'extension constitue l'essence du corps ; et la pensée n'est pas conçue comme un attribut qui pem,t être joint ou séparé de la chose qui pense, ainsi que l'on conçoit dans le corps la di- vision des. parties , ou Je mouvement.

Ce, que vous proposez ensuite touchant ladurée et le temps est fondé sur l'opinion de l'école, de laquelle je suis fort éloigné; à savoir que la durée du. mouvement est d'une autre nature que

10.

l4$ LETTRES.

la durée des choses qui ne sont point mues, ainsi que j'ai expliqué en l'article 57 de la première par- tie des Principes ; et quoiqu'il n'y eût point du tout de corps au monde, toutefois on ne pourroit pas dire que la durée de l'esprit humain fût tout à la fois tout entière, ainsi qu'on le peut dire de la durée de Dieu , pourceque nous connoissons mani- festement de la succession dans nos pensées, ce que Ton ne peut admettre dans les pensées de Dieu : et i on conçoit clairement qu'il se peut faire que j'existe au moment auquel je pense à une cer- taine chose, et toutefois que je cesse d'exister au moment qui le suit immédiatement, auquel je pourrai penser à quelque autre chose, s'il arrive que j'existe.

Cet axiome, à savoir, que ce qui peut faire le plus peut aussi faire le moins, me semble clair de soi-même, lorsqu'il s'agit des causes premières et non limitées ; mais lorsqu'il s'agit d'une cause dé- terminée à quelque effet, l'on dit ordinairement que c'est quelque chose de plus, pour une telle cause, de produire un autre effet que de pro- duire celui auquel elle est déterminée par sa na- ture, auquel sens c'est une chose plus grande à un homme de mouvoir la terre de sa place que d'en- tendre et de concevoir. C'est aussi une chose plus grande de se conserver que de se donner quel- ques unes des perfections que nous apercevons

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LETTRES. 1 49

qui nous manquent ; et cela suffit pour la force de mon argument, encore que peut-être ce soit une chose moindre que de se donner la toute- puissance et toutes les autres perfections divines.

Puisque le concile de Trente n'a pas voulu expli- quer de quelle façon le corps de Jésus-Christ est en l'Eucharistie , et qu'il a dit qu'il y est d'une façon d'exister qu'à peine pouvons-nous exprimer par des paroles, je craindrois d'être accusé de témé- rité si j'osois déterminer quelque chose là-dessus , et j'aimerois mieux en dire mes conjectures de vive voix que par écrit.

Enfin pour ce qui est du vide , je n'ai presque rien à dire qui ne se trouve déjà quelque part dans mes Principes de philosophie; car ce que vous nommez ici la concavité du tonneau, à mon juge- ment, est un corps qui a trois dimensions, et que vous rapportez faussement aux côtés du tonneau comme si ce n'étoit rien qui fût différent d'eux.

Mais toutes ces choses se peuvent plus facile- ment discuter dans une entrevue, à laquelle je m'offre très volontiers , n'ayant que de l'amour et du respect pour tous ceux que je vois disposés à suivre et embrasser la vérité. Je suis, etc.

i5o

LETTRES.

RÉPLIQUE A LA PRÉCÉDENTE \

(Lettre 5 dn tome II. Version.)

Monsieur,

Je ne doute point que l'entretien ne fût beau- coup plus commode et plus facile que les écrits, pour éclaircir les questions dont nous traitons; mais puisque cela ne se peut, et qu'étant absent du lieu vous êtes, il ne m est pas permis jouir d'un entretien tant désiré , et offert de si bonne grâce, je ne m'envierai point à moi-même le seul moyen qui me reste pour tirer de vous les instruc- tions qui me sont nécessaires pour l'intelligence de vos écrits ; car votre réponse , quoique très courte, m'ayantdéjà beaucoup aidé à comprendre des cho- ses très difficiles, j'ai conçu une grande espérance de pouvoir venir à bout de tout le reste , si je pou- vois une fois nouer avec vous un entretien, tel qu'on le peut avec des personnes éloignées, duquel ayant banni toute contestation ( que je sais vous

1 «« Cette lettre est de M. Arnauld , comme je le sais par une lettre du père Quesnel. Elle n'est pas datée; mais la réponse de M. Descartes étant datée du 29 juillet, je peux bien fixer celle-ci au 25 juillet 1648. »

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LKTTRES. 1 5 1

être en horreur, et à laquelle je ne suis nullement porté) nous pussions par ce moyen, d'un commun accord et avec une franchise vraiment philoso- phique, ou plutôt chrétienne, travailler ensemhle à la recherche de la vérité.

Je ne n'insiste point à ce que vous répondez à l'objection que je vous ai faite , touchant les pen- sées d'un enfant qui est au ventre de sa mère; mais afin que cela se conçoive mieux, il me semble qu'il seroit à propos que vous prissiez la peine d'expli- quer plus amplement ce qui suit.

i . Pourquoi l'âme d'un enfant n'a point de con- ceptions pures , mais seulement des sensations con- fuses. Je dirai pourtant ce qui me vient mainte- nant en la pensée. Pendant que l'âme est unie au corps , il semble qu'elle ne puisse en aucune façon détourner sa pensée des impressions que les sens font sur elle (ce qui toutefois est nécessaire pour une conception pure), au moins lorsqu'elle est tou- chée avec beaucoup de force par leurs objets, soit extérieurs, soit intérieurs : d'où vient que dans une douleur piquante, ou dans un plaisir corporel très véhément, elle ne peut penser à autre chose qu'à sa douleur ou à son plaisir; et par il me semble qu'on peut expliquer pourquoi les frénéti- ques ont l'esprit troublé; c'est à savoir, à cause que les esprits animaux qui sont dans le cerveau étant violemment agités , l'âme alors est si fort oc-

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1ÏJ2 LETTRES*

cupée des imaginations qu'elle en reçoit , qu'elle ne peut porter ailleurs sa pensée , ni penser à autre chose qu'à cela. Je voudrois que vous prissiez la peine d'expliquer plus clairement (si cela ne vous incommode point) quelle est cette conjecture, et, si elle est vraie, comment elle peut s'appliquer aux enfants et aux léthargiques.

2. Toutefois, encore qu'il n'y ait aucunes con- ceptions pures dans un enfant, mais seulement des sensations confuses, pourquoi donc ne peut-il s'en ressouvenir, puisque vous demeurez d'accord aujourd'hui qu'il en demeure des impressions dans le cerveau (ce que néanmoins vous sembliez avoir nié en votre Métaphysique, page 549)? C'est, dites- vous, parceque le ressouvenir dépend de quelque réflexion de l'entendement ou de la mémoire intel- lectuelle, dont on n'a aucun usage quand on est au ventre de sa mère ; mais pour ce qui est de Ja réflexion, il semble que l'entendement, ou la mé- moire intellectuelle, de sa nature, soit réflexive. Il reste donc à expliquer quelle est cette réflexion en laquelle vous dites que consiste la mémoire intellectuelle, et comment ou en quoi elle diffère de la simple réflexion qui est naturelle à toute sorte de pensée, et d'où vient qu'on n'en peut avoir au- cun usage quand on est au ventre de sa mère.

3. J'approuve fort ce que vous dites , que l'es- prit pense toujours; et par le doute que je vous

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LETTRES. 1 53

avois proposé touchant la durée de l'esprit est tout-à-fait ôté. Il me reste néanmoins encore quel- que difficulté touchant cela.

1. Comment se peut-il faire que la pensée con- stitue l'essence de l'esprit, puisque l'esprit est une substance, et que la pensée semble n'en être qu'un mode? 2. Puisque nos pensées sont sou ventes fois différentes les unes des autres , il sembleroit que l'essence de notre esprit dût aussi souventes fois être différente. 5. Puisqu'on ne sauroit nier que je ne sois moi-même l'auteur de la pensée que j'ai maintenant , s'il est vrai que l'essence de l'esprit consiste dans la pensée , il semble que je puisse en quelque façon être considéré comme l'auteur de son essence, et partant que je puisse aussi me conserver moi-même. Je vois bien néanmoins ce que l'on peut ici répondre; c'est à savoir que Dieu est cause que nous pensons , mais que nous-mê- mes, aidés par le concours de Dieu , sommes cause de ce que nous avons telles ou telles pensées. Mais il est très difficile de comprendre comment la pensée en général peut être séparée de telle et de telle pensée en particulier, si ce n'est que cette abstraction se fasse par le moyen de l'entendement. C'est pourquoi si l'esprit est lui-même la cause de ce qu'il a telles ou telles pensées, il semble aussi pouvoir lui-même être la cause de ce qu'il pense simplement, et par conséquent de ce qu'il est. De

1 54 LETTRES.

plus , une chose singulière et dont l'essence est déterminée, doit être singulière et déterminée; et partant, si l'essence de l'esprit étoit la pensée, ce ne pourroit être la pensée en général , mais bien telle ou telle pensée en particulier, qui devroit constituer son essence , ce qui toutefois ne se peut dire. Et il n'en est pas de même du corps; car encore que le corps semble prendre une grande variété d'extensions , toutefois il retient toujours sa même quantité; et toute la variété qui lui ar- rive consiste en cela seul , que s'il perd quelque chose de sa longueur, il augmente en largeur ou en profondeur: si ce n'est peut-être qu'on veuille dire que la pensée de notre esprit est toujours la même, qui regarde tantôt un objet tantôt un autre , ce que je doute fort pouvoir être dit avec vérité.

4- Puisque la pensée est telle de sa nature , que nous en avons toujours connoissance, si nous pensons toujours, nous devons toujours avoir connoissance de nos pensées; ce qui semble con- traire à l'expérience , comme nous l'expérimentons tous les jours dans le sommeil. Or de naît une autre difficulté que j'avois dessein, il y a long- temps , de vous proposer, mais elle ne me vint pas en l'esprit lorsque je vous écrivis la première fois. Vous dites que notre esprit a la force de conduire les esprits animaux dans les nerfs, et parce moyen

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LETTRES. 1 55

de mouvoir les membres; et ailleurs vous dites qu'il n'y a rien en notre esprit dont nous n'ayons une connoissance, ou actuelle, ou en puissance, c'est-à-dire que nous ne connoissions actuellement ou que nous ne puissions actuellement connoître. Or est-il néanmoins que l'esprit humain semble n'avoir pas connoissance de cette vertu qui conduit les esprits animaux dans les nerfs , puisqu'il y en a même plusieurs qui ignorent s'ils ont des nerfs, si ce n'est peut-être de nom , et beaucoup plus s'ils ont des esprits animaux , et quels ils sont. En un mot, autant que j'ai pu conjecturer de vos Princi- pes , cela seul se fait par notre esprit, lequel de sa nature est une chose qui pense, qui se fait par nous lorsque nous y pensons, et que nous nous en apercevons; mais de quelque façon que les esprits animaux soient conduits dans les nerfs, cela se fait sans que nous y pensions , et que nous nous en apercevions; et partant, cela se fait en nous sans que notre esprit y contribue : à quoi l'on peut en- core ajouter qu'il est très difficile de comprendre comment une chose incorporelle en peut faire mouvoir une corporelle.

Pour ce qui est de la durée, j'ai vu le lieu que vous m'aviez marqué, et il m'a grandement plu, quoique je ne comprenne pas bien encore ce que, dans la durée successive d'une chose qui ne se meut point, il faut prendre pour le devant et pour

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là(3 LETTRES.

l'après, qui sont des différences qui se doivent ren^ contrer dans toute succession.

Pour ce qui est du vide, j'avoue que je ne puis encore m accoutumer à penser qu'il y a une telle connexion entre les choses corporelles, que Dieu n'ait pu créer un monde, s'il ne le créoit infini, et qu'il ne puisse encore maintenant anéantir aucun corps, que par cela même il ne soit obligé d'en créer un autre de pareille grandeur; ou même que sans aucune nouvelle création il ne s'ensuive que l'espace que ce corps anéanti occupoit est vérita- blement et réellement un corps.

Vous m'obligerez beaucoup de me communiquer quelque chose touchant la façon dont Jésus-Christ est en l'Eucharistie. Adieu.

RÉPONSE DE M. DESCARTES.

(Lettre 6 du tome II. Version.)

Ayant reçu ces jours passés des objections comme de la part d'une personne qui demeuroit en cette ville, j'y ai répondu fort brièvement, pourceque je croyois que si j'oubliois quelque chose, l'entretien le pourroit facilement réparer; mais aujourd'hui que je sais qu'il est absent, puis- qu'il prend la peine de me récrire, je ne serai pas

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LETTRES. 1 57

paresseux à lui répondre : et puisqu'il ne veut pas dire son nom, de peur de faillir dans l'inscription, je m'abstiendrai de tout prélude.

1 . Il me semble qufil est très vrai de dire que pendant que l'âme est unie au corps, l'âme ne peut en aucune façon détourner sa pensée des impres- sions que les sens font sur elle, lorsqu'elle est tou- chée avec beaucoup de force par leurs objets, soit extérieurs, soit intérieurs!/ J'ajoute aussi qu'elle ne s'en peut dégager, lorsqu'elle est jointe à un cer- veau trop humide, ou trop mou , tel qu'il est dans les enfants ; ou à un cerveau dont le tempérament est autrement mal affecté, tel qu'il est dans les lé- thargiques, dans les apoplectiques et clans les frénétiques ; ou même tel qu'il a coutume d'être en nous, lorsque nous sommes ensevelis dans un profond sommeil : car toutes les fois que nous songeons à quelque chose dont nous nous res- souvenons par après , nous ne faisons que som- meiller.

2. Il ne suffit pas pour nous ressouvenir de quelque chose que cette chose se soit autrefois présentée à notre esprit , et qu'elle ait laissé quel- ques vestiges dans le cerveau, à l'occasion desquels la même chose se présente derechef à notre pensée ; mais de plus , il est requis que nous reconnoissions , lorsqu'elle se présente pour la seconde fois, que cela se fait à cause que nous l'avons auparavant

1 58 LETTRES.

aperçue; ainsi, souvent il se présente à l'esprit des poètes certains vers qu'ils ne se souviennent point avoir jamais lus en d'autres auteurs, lesquels néan- moins ne se présenteroient pas à leur esprit s'ils ne les avoicnt lus quelque part.

D'où il paroît manifestement que, pour se ressou- venir, toutes sortes de vestiges que les pensées précédentes ont laissés dans le cerveau ne sont pas propres, mais seulement ceux qui sont tels qu'ils peuvent donner à connoître à l'esprit qu'ils n'ont pas toujours été en nous, mais ont été autrefois nouvellement imprimés. Or, afin que l'esprit puisse reconnoître cela, j'estime que lorsqu'ils ont été imprimés la première fois, il a se, servir d'une conception pure, afin d'apercevoir par ce moyen que la chose qui lui vcnoit alors en l'es» pritétoit nouvelle, c'est-à-dire qu'elle. ne lui avoit pas auparavant passé par l'esprit; car il ne peut y avoir aucun vestige corporel de cette nouveauté : ainsi donc, si j'ai écrit en quelque endroit que les pensées qu'ont les enfants ne laissent d'elles aucuns vestiges dans le cerveau, j'ai entendu parler de ces vestiges qui sont nécessaires pour le souvenir, c'estr à-dire de ceux que par une conception pure nous apercevons être ^nouveaux, lorsqu'ils s'impriment; en rnéme façon que nous disons qu'il n'y a aucuns vestiges d'hommes<lans une plaine sablonneuse , nous ne remarquons point la figure d'aucun pied

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LETTRES. l59

d'homme qui y soit empreinte, encore que peut- être il s'y rencontre plusieurs inégalités faites par les pieds de quelques hommes, lesquelles par con- séquent peuvent en un autre sens être appelées des vestiges d'hommes. Enfin, comme nous mettons distinction entre la vision directe et la réfléchie, en ce que cejle-là dépend de la première rencontre des rayons, et l'autre de la seconde; ainsi j'appelle les premières et simples pensées des enfants qui leur arrivent, par exemple, lorsqu'ils sentent de la douleur de ce que quelque vent enfermé dans leurs entrailles les fait étendre, ou du plaisir de ce que le sang dont ils sont nourris est doux et propre à leur entretien ; je les appelle, dis-je, des pensées directes et non pas réfléchies: mais lorsqu'un jeune homme sent quelque chose de nouveau, et qu'en même temps il aperçoit qu'il n'a point encore senti auparavant la même chose, j'appelle cette seconde perception une réflexion, et je ne la rapj porte qu'à l'entendement seul, encore qu'elle soit tellement conjointe avec la sensation, qu'elles se fassent ensemble, et qu'elles ne semblent pas être distinguées l'une de l'autre. h ■«

3. J'ai tâché d'ôter l'ambiguïté qui est en ce mot de pensée dans l'article 63 et 64 de la pre- mière partie des Principes ; car comme l'extension» qui constitue la nature du corps diffère beaucoup des diverses figures ou mauières d'extension qu'elle

l6V* LETTRES.

prend; ainsi la pensée, ou la nature qui pense, dans laquelle je crois que consiste l'essence de l'esprit humain, est bien différente d'un tel ou tel acte de penser en particulier. Et l'esprit peut bien lui-même être la cause de ce qu'il exerce tels ou tels actes de penser, mais non pas de ce qu'il est une chose qui pense. Tout de même qu'il dépend de la flamme comme d'une cause efficiente, de ce quelle s'étend d'un côté ou d'un autre, mais non pas de ce qu'elle est une chose étendue. Par la pensée donc, je n'entends point quelque chose d'universel qui comprenne toutes les manières de penser , mais bien une nature particulière qui re- çoit en soi tous ces modes, ainsi que l'extension est aussi une nature qui reçoit en soi toutes sortes de figures.

[\. C'est autre chose d'avoir connoissance de nos pensées au moment même que nous pensons, et autre chose de s'en ressouvenir par après. Ainsi nous ne pensons rien dans nos songes, qu'à l'in- stant même que nous pensons nous n'ayons con- noissance de notre pensée, encore que le plus souvent nous l'oublions aussitôt. Et il est vrai que nous n'avons pas connoissance de quelle façon notre âme envoie les esprits animaux dans les nerfs ; car cette façon ne dépend pas de l'âme seule, mais de l'union qui est entre l'âme et le corps; néan - moins nous avons connoissance de toute cette ao

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LETTRES. l6l

tion, par laquelle l'âme meut les nerfs, en tant qu'une telle action est dans l'âme, puisque ce n'est rien autre chose en elle que l'inclination de sa vo- lonté à un tel ou tel mouvement. Et cette inclina- tion de la volonté est suivie du cours des esprits dans les nerfs, et de tout ce qui est requis pour ce mouvement, ce qui arrive à cause de la convenable disposition du corps, dont l'âme peut bien n'avoir point de connoissance , comme aussi à cause de l'union de l'âme avec le corps, de laquelle sans doute notre âme a connoissance; car autrement jamais elle n'inclineroit sa volonté à vouloir mou- voir les membres.

Maintenant que l'esprit, qui est incorporel, puisse faire mouvoir le corps, il n'y a ni raisonnement ni comparaison tirée des autres choses qui nous le puisse apprendre ; mais néanmoins nous n'en pouvons douter, puisque des expériences trop cer- taines et trop évidentes nous le font connoître tous les jours manifestement. Et il faut bien pren- dre garde que cela est l'une des choses qui sont connues par elles-mêmes, et que nous obscurcis- sons toutes les fois que nous les voulons expliquer par d'autres. Toutefois, pour ne rien oublier de ce que je puis pour votre satisfaction, je me servirai ici d'une comparaison. La plupart des philosophes qui croient que la pesanteur d'une pierre est une qualité réelle, distincte de la pierre, croient en-

10. Il

IÔ2 LETTRES.

tendre assez bien de quelle façon cette qualité peut mouvoir une pierre vers le centre de la terre , pourcequ'ils croient en avoir une expérience ma- nifeste : pour moi qui me persuade qu'il n'y a point de telle qualité dans la nature, et par conséquent qu'il ne peut pas y avoir d'elle aucune vraie idée dans l'entendement humain , j'estime qu'ils se ser- vant de l'idée qu'ils ont en eux - mêmes de la sub- stance incorporelle pour se représenter cette pe- santeur ; en sorte qu'il ne nous est pas plus difficile de concevoir comment 1 ame meut le corps , qu'à eux de concevoir comment une telle qualité fait aller la pierre en bas. Et il n'importe pas qu'ils disent que cette pesanteur n'est pas une substance; car en effet ils la conçoivent comme une substance, puisqu'ils croient qu'elle est réelle, et que par quelque puissance , à savoir par la puissance di- vine 3 elle peut exister sans la pierre. Il n'importe pas aussi qu'ils disent qu'elle est corporelle : car si par corporel nous entendons ce qui appartient au corps, encore qu'il soit d'une autre nature, L'âme peut aussi être dite corporelle, en tant qu'elle est propre à s'unir au corps ; mais si par corporel nous entendons ce qui participe de la nature du corps , cette pesanteur n'est pas plus corporelle que notre âme même.

5. Je ne conçois pas autrement la durée succes- sive des choses qui sont mues, ou même celle de

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LETTItES. 1 65

leur mouvement, que je fais la durée des choses non mues; car le devant et laprès de toutes les durées , quelles qu'elles soient , me paroît par le devant et par Faprès de la durée successive que je découvre en ma pensée , avec laquelle les autres choses sont coexistantes.

6. La difficulté qu'il y a à connoître l'impossi-l bilité du vide semble venir principalement de ce que nous ne considérons pas assez que le néant ne peut avoir aucunes propriétés : car, autrement, voyant que dans cet espace même que nous appe- lons vide il y a une véritable extension , et par conséquent toutes les propriétés qui sont requises à la nature du corps , nous ne dirions pas qu'il est tout-à-fait vide, c'est-à-dire qu'il est un pur néant. De plus , cette difficulté vient aussi de ce que nous avons recours à la puissance divine ; et comme nous savons qu'elle est infinie , nous ne prenons pas garde que nous lui attribuons un effet qui en- ferme une contradiction en sa conception , c'est-à- dire qui ne peut être par nous conçu.

Pour moi , il me semble qu'on ne doit jamais dire d'aucune chose qu'elle est impossible à Dieu; car tout ce qui est vrai et bon étant dépendant de sa toute-puissance, je n'ose pas même dire que Dieu ne peut faire une montagne sans vallée , ou qu'un et deux ne fassent pas trois ; mais je dis seulement qu'il m'a donné un esprit de telle nature , que je

l64 LETTRES.

ne sau rois concevoir une montagne sans vallée, ou que l'agrégé d'un et de deux ne fasse pas trois, etc. Et je dis seulement que telles choses impliquent contradiction en ma conception. Tout de même aussi il me semble qu'il implique contradiction en ma conception de dire qu'un espace soit tout-à- fait vide , ou que le néant soit étendu , ou que l'univers soit terminé; pourcequ'on ne sauroit feindre ou imaginer aucunes bornes au monde, au- delà desquelles je ne conçoive de l'étendue; et je ne puis aussi concevoir un muid tellement vide , qu'il n'y ait aucune extension en sa cavité , et dans lequel par conséquent il n'y ait point de corps ; car ou il y a de l'extension , aussi nécessaire- ment il y a un corps , etc.

A MADAME ÉLIZABETH,

PRINCESSE PALATINE, etc.

(Lettre 26 du tome LJ

Madame,

J'ai eu enfin le bonheur de recevoir les trois lettres que votre altesse m'a fait l'honneur de m'é-

« « La a6e lettre du Ier volume est de M. Desearfcs à madame Élizabeth , princesse Palatine ; elle n'est point datée, mais deux raisons me persuadent

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LETTRES. l65

crire,et elles n'ont point passé en de mauvaises mains; mais la première, du 3o juin , ayant été por- tée à Paris pendant que j'étois déjà en chemin pour revenir en ce pays, ceux qui l'ont reçue- pour moi ont attendu des nouvelles de mon arrivée avant que de me l'envoyer, et ainsi je ne l'ai pu avoir qu'aujourd'hui, que j'ai aussi reçu la dernière du 25 août, par laquelle j'apprends un procédé inju- rieux que j'admire, et je veux croire avec votre altesse qu'il ne vient pas de la personne à qui on l'attribue. Quoi qu'il en soit, je n'estime pas qu'on doive être fâché de ne point faire un voyage , comme votre altesse remarque fort bien , les incom- modités étaient infaillibles, et les avantages fort incertains. Pour moi, grâce à Dieu, j'ai achevé celui qu'on m'avoit obligé de faire en France, et je ne suis pas marri d'y être allé, mais je suis encore plus aise d'en être revenu. Je n'y ai vu personne

qu'elle a été écrite le ier d'octobre 1648 : premièrement parceque dans la 27e lettre à Picot , datée da 6 septembre , M. Descartes dit à cet ami qu'il a appris de M. d'Hogheland qu'il lui avoit envoyé à Paris des lettres de Berlin, qui sont celles auxquelles il répond dans cette lettre, et qu'il le prie de les renvoyer incessamment $ or, pour écrire à Paris et renvoyer ces

*

lettres, il a bien fallu trois semaines , c'est pourquoi j'ai passable raison de fiier cette lettre au Ier octobre. Secondement, parceque, page 81 de cette lettre , M. Descartes dit qu'il y a cinq mois qu'il n'a reçu de nouvelles de Suède; or, la dernière qu'il avoit reçue à Egmond était datée, du 4 avril 1648, et il l'avoit reçue sur la fin de ce mois d'avril, si l'on ajoute cinq mois nous venons en octobre, et je fixe donc bien cette lettre au I oç> tobre 1648. La princesse Élizabeth était pour lors à Berlin.

1 66 LETTRES.

dont il m'ait semblé que la condition fût digne d'en- vie , et ceux qui y paroissent avec le plus d'éclat m'ont semblé être les plus dignes de pitié. Je n'y pouvois aller en un temps plus avantageux pour me faire bien reconnoître la félicité de la vie tran- quille et retirée , et la richesse des plus médiocres fortunes. Si votre altesse compare sa condition avec celle des reines et des autres princesses de l'Eu- rope , elle y trouvera la même différence qu'entre ceux qui sont dans le port, ils se reposent, et ceux qui sont en pleine mer, agités par les vents d'une tempête; et bien qu'on ait été jeté dans le port par un naufrage, pourvu qu'on n'y manque pas des choses nécessaires à la vie , on ne doit pas y être moins content que si on y étoit arrivé d'autre façon. Les fâcheuses rencontres qui arrivent aux personnes qui sont dans l'action , et dont la félicité dépend toute d'autrui, pénètrent jusqu'au fond de leur cœur, au lieu que cette vapeur venimeuse qui est descendue des arbres sous lesquels se pro- menoit paisiblement votre altesse n'aura touché , comme j'espère, que l'extérieur de la peau, laquelle si on eût lavée sur l'heure avec un peu d'eau-de- vie , je crois qu'on en auroit ôté tout le mal. Je n'ai reçu aucunes lettres depuis cinq mois de l'ami dont j'avois écrit ci-devant à votre altesse, et pource- qu'en sa dernière il me mandoit fort ponctuelle- ment les raisons qui avoient empêché la personne

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LETTRES. 167

à laquelle il avoit donné mes lettres de me faire réponse , je juge que son silence ne vient que de ce qu'il attend encore cette réponse, ou bien peut- être qu'il a quelque honte de n'en avoir point à m'envoyer , ainsi qu'il s'étoit imaginé. Je me retiens aussi de lui écrire le premier, afin de ne lui sem- bler point reprocher cela par mes lettres; et je ne làissois pas de savoir souvent de ses nouvelles lorsque j'étois à Paris, par le moyen de ses pro- ches , qui en recevoient tous les huit jours ; mais lorsqu'ils lui auront mandé que je suis ici, je ne doute point qu'il ne m'y écrive, et qu'il ne me fasse entendre ce qu'il saura du procédé qui touche votre altesse, pourcequ'il sait que j'y prends beau- coup d'intérêt. Mais ceux qui n'ont point eu l'hon- neur de vous voir, et qui n'ont point une connois- sance très particulière dejvos vertus, ne sauroient pas concevoir qu'on puisse être aussi parfaitement que je suis, etc.

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l68 LETTRES.

A MONSIEUR

(Lettre 83 du tome IL)

Le 18 décembre 164*,

MONSIEUR,

Je ne vous saurois commodément envoyer la proposition que vous me demandez, parcequ'il ne m'en souvient presque plus, et que je suis occupé à d'autres pensées ; c'est pourquoi je vous supplie de m'en dispenser, et je vous l'enverrois très volontiers, si vous ne la demandiez que pour vous seul ; mais parceque vous la voudriez faire impri- merie vous dirai ici franchement que je suis trop mal satisfait de certains géomètres, pour leur vou- loir plus rien apprendre. Tout le meilleur qu'ils savent vient presque de moi, et néanmoins ils veu- lent persuader aux ignorants qu'il n'y a personne qui les égale. Je vous prie, si vous écrivez à M. de Carcavi, de le remercier de ma part du souvenir qu'il a de moi, et de l'offre qu'il me fait de m'en- voyer le livre d'Italie qui traite du vide ; je ne vou- drois pas lui en donner la peine, mais si nous en avions le titre , peut-être que nous le trouverions

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LETTRES. 169

chez les libraires d'ici ; et s'il lui plaît de le faire voir à M. l'abbé Picot, je pourrai apprendre de lui ce qu'il contient.

VOICI MAINTENANT LE BILLET DE M. DE FERMAT.

(Version.)

« Vouloir délivrer entièrement l'algèbre des asy- métries , c'est un ouvrage difficile, et sur lequel les analystes ne se sont pas encore assez exercés.

Qu'on propose, par exemple, plus de quatre termes asymètres qu'il faut faire évanouir suivant les règles de l'art , quel analyste se retirera de cet embarras? Il travaillera beaucoup, il se cassera la tête; après une infinité d'opérations, il se trouvera aussi avancé que s'il n'avoit rien fait. L'analyse restera donc en chemin, accablée de tous côtés par les asymétries, et ne pourra plus faire un seul pas. C'est à nos habiles à la tirer de cet embarras, et à lui ouvrir une route pour arriver à son but.

Soit, par exemple, la racine (b in a, a quar.)\ la racine (z quar.-fd in a, \ a quar. \ la racine (m m a) -{-la racine (d quar. -a quar. )- la racine (r in a\a quar.) qu'on suppose égaux û, a\ b.

«Que l'analyste se tire de cette asymétrie selon les règles de l'article, ou qu'il avoue l'inefficacité de ses règles. 11 me semble que les illustres en cette science ne sauroient prendre un plus digne et plus nécessaire emploi que celui d'aplanir ces

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I70 LETTRES.

difficultés; pour les y exciter, vous leur pourriez dire par avance que j'ai fait quelques progrès en cette matière, et qu'il y a beaucoup à découvrir et à inventer; vous pourrez même en écrire en Italie et en Hollande, afin que la prophétie du chancelier d'Angleterre s'accomplisse : Plusieurs passeront, et la science augmentera. »

Pour le billet de M. de Fermât, puisqu'il est en latin, il faut que j'y réponde aussi en latin, et en- suite de ces mots , L'analyse restera donc en che- min, etc. , je réponds :

Notre analyste ne s'arrête pas en si beau chemin , et voici une méthode pour y parvenir. Otant tous les signes de la symétrie , il faut joindre ensemble tous les termes donnés (qui de cette manière sont devenus commensurables), et ensuite les multi- plier carrément. Il faut les multiplier ainsi trois fois si l'on adonné cinq termes asymètres, quatre fois si l'on en a donné six, cinq fois si l'on en a donné sept, et ainsi à l'infini.

Ensuite des termes produits par la dernière mul- tiplication, ou de leurs multiples joints ensemble par la seule addition ou soustraction , résulte une équation qui n'est embarrassée d'aucun terme asy- mètre, et qui est égale à la première.

Ainsi dans l'exemple donné il y a six termes asy- mètres que j'écris ainsi : ba-aafzzf da f aa f ma f ddd-aa \ ra \ aa f bb \ %ba f aa.

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LKTTRES. I7I

Ces termes multipliés une seule fois carrément produisent seulement vingt-un termes; car il faut observer qu'on doit conserver à part toutes les parties du produit de chaque terme (quand il y en a plusieurs), et ne les point confondre avec d'au- tres termes , quoique entièrement semblables , avant la fin de l'opération. Ces vingt-un termes mul- tipliés carrément en produisent beaucoup davan- tage ; mais parceque ces multiplications se peuvent faire par un simple calcul de plume, et qu'un ha- bile analyste corrige aisément les fautes qui se pourroient glisser dans le calcul d'un arithméti- cien, la longueur de l'opération ne doit pas être mise au nombre des difficultés; j'ai encore une méthode plus courte, mais qui ne seroit pas si fort à la portée d'un simple arithméticien.

Mais je demande ici à M. de Fermât, et à M. de Roberval (et principalement à ce dernier ; car, puis- qu'il occupe la chaire de Ramus, il doit répondre à cette question, ou avouer qu'il ne mérite pas ce poste), comment on trouvera dans le produit de la dernière multiplication quels sont les termes qu'il faut ajouter et quels sont ceux qu'il faut soustraire pour avoir l'équation demandée. Que M. de Roberval n'aille pas dire, selon sa coutume, qu'il lui faudroit beaucoup de temps pour satis- faire à cette question , et qu'il a d'autres affaires; car j'assure ici, et même, s'il est besoin , je le dé-

I72 LETTRES.

montrerai, qu'un savant analyste peut trouver en très peu de temps ce que je demande, et je puis protester que je n'ai pas employé plus d'un demi- quart d'heure à chercher cette méthode, à la trou- ver, et à me convaincre qu'elle s'étend à toutes les espèces d'asymétrie.

PROPOSITION DÉMONTRÉE PAR M. DES CARTES.

Une section conique quelconque étant donnée, et un point situé hors de son plan à volonté, trou- ver un cercle qui soit la base du cône que décrit une ligne droite menée du point donné comme sommet autour de la section conique donnée; car on ne peut douter qu'une surface ainsi décrite ne soit conique, et il est très aisé de le démontrer quand on a trouvé le cercle qui fait sa base.

SOLUTION.

Je divise cette proposition en trois cas. Le pre- mier est lorsque la section donnée est une ellipse, et que le point donné tombe perpendiculairement sur son centre. Le second cas est lorsque la per- pendiculaire tirée du point donné tombe quelque autre part sur l'axe de l'ellipse donnée, ou bien en quelque endroit de l'axe d'une hyperbole ou d'une parabole donnée. Le troisième cas enfin est lors- que cette perpendiculaire tombe hors de l'axe.

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LETTRES. 175

PREMIER CAS.

Étant donné l'ellipse BOLf, et le point À étant élevé perpendiculairement sur le centre D de la hauteur de la ligne AD , je tire au point A, sommet du cône, et des points B et L, extré- mités du petit diamètre de l'ellipse donnée, les lignes AB et AL. Je cherche ensuite une ligne P qui soit à AB comme DO est à DO -j- DB , une autre ligne Q qui soit à la même AB comme DO est à DO-DB, et une autre ligne R qui soit moyenne proportionnelle entre P et Q. Enfin du centre A je décris un cercle dont le rayon I soit égal à la ligne R; ce cercle coupe le diamètre BL prolongé en R, de façon que, joignant la ligne AR, si du point B on lui tire la parallèle BC , BC sera le diamètre du cercle demandé, comme il est aisé de le démontrer par l'analyse. On peut éten- dre cette solution aux deux cas suivants; car il y sera plus facile de trouver une ellipse sur le cen- tre de laquelle tombe une perpendiculaire tirée du sommet du cône, que de trouver le cercle qui est

base de ce cone.

•» » *

SECOND CAS.

Étant donnée l'ellipse BFC *, et le point A étant élevé perpendiculairement sur E, point de Taxe BC de la hauteur de la ligne AE , je tire

1 Figure 7. Figure 8.

1-4 LETTRES.

les lignes BA et CA, et prenant sur la plus longue CA sa partie AL qui soit égale à la plus courte BA, j'ai la ligne BL pour un des diamè- tres de l'ellipse sur le centre D, de laquelle le point A tombe perpendiculairement; et une autre ligne menée par le point D perpendiculaire à AD, et parallèle au plan de la section BFC terminée des deux côtés dans la superficie conique, est un autre diamètre de la même ellipse conjugué avec la pre- mière. Or quand les diamètres conjugués d'une ellipse sont donnés, l'ellipse elle-même est donnée; et étant donnée une ellipse sur le centre de laquelle le sommet du cône tombe perpendiculairement, on trouve de la manière expliquée ci-dessus un cercle qui soit la base de ce cône.

De même étant donnée la parabole BF1, et le point A étant élevé perpendiculairement sur le point E de Taxe BC de la hauteur de la ligne A£, je tire la ligne AB, et la ligne AL égale à AB et parallèle à BC, et BL est un des diamètres de l'ellipse sur le centre D de laquelle le point A tombe perpendiculairement. On trouvera par la méthode ci-dessus son autre diamètre conjugué.

De même étant donnée l'hyperbole BF", et son opposée dont le sommet est C étant aussi le point A élevé perpendiculairement sur le point E de l'axe BC de la hauteur de la ligne AE , je

i Figure 9. * Figure 10.

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LETTRES. 1^5

tire les lignes BA et CA, et prenant sur la plus longue CA prolongée au-delà du point A une por- tion AL égale à la plus courte BA , j'ai la ligne BLpour un des diamètres de l'ellipse, etc., comme ci-dessus.

1

De même étant donnée l'hyperbole BF et son opposée, dont C est le sommet, et étant donné le point A élevé perpendiculairement sur le point E de l'axe second HE de la hauteur de la ligne AE , je prends sur Taxe HE la ligne HG égale à HA, et tirant les lignes ÊG et CG prolongées en L, de sorte que GL égale BG, BL est un des diamètres conjugués de l'ellipse demandée sur le centre D de laquelle le point; A tombe perpendiculairement et une autre ligne menée parie centre D perpendicu- laire à CD ou AD (car les lettres A et G ne repré- sentent qu'un seul et même point qu'on doit s'ima- giner être élevé en l'air au-dessus du plan BCE ) et parallèle au plan de la section BFC , laquelle est terminée des deux cotés dans la superficie coni- que, est l'autre diamètre conjugué, comme on a dit ci-dessus \

Tout cela me paroît si clair qu'il n'a pas besoin de démonstration. ;

*

TROISIÈME CAS.

Etant donnée la parabole BGR*, dont G est

le sommet, et GY partie de l'axe égal à la moitié

* .

. . . . ' « -

1 Figure 1 r. * Figure 1*.

X'jG LETTBES.

du côté droit, étant aussi donné le point A hors le plan de la section, d'où tombe hors de l'axe la perpendiculaire AE sur le point E du plan de la section.

Sont aussi données les lignes AG que j'appelle a, la perpendiculaire EF qui tombe du point E sur l'axe que j'appelle r, par lesquelles je prétends trouver le point B auquel la parabole est touchée par l'ellipse sur le centre de laquelle tombe une perpendiculaire menée du point A ; c'est-à-dire je cherche la ligne BN perpendiculaire à l'axe GY, laquelle j'appelle x, et je découvre par l'analyse

+ aa —rXX

a,-3 1| * fcrx-ibrr,

-r-XX u

#

laquelle équation me donne facilement le point B suivant ma géométrie , car si a et c sont égaux , il faut prendre seulement sur l'axe YR une ligne qui soit égale à la moitié de FY donnée, et la perpen- diculaire RS qui soit la moitié de FE donnée, et le cercle décrit du centre S par le sommet de la section G coupera la parabole au point B de- mandé; mais si a et c ne sont pas égaux, cette construction sera un peu plus longue, mais non plus difficile. Or, le point B étant trouvé, je tire la droite AB, et AL également à AB et parallèle à l'axe GY, et BL est un des diamètres de l'ellipse demandée et une ligne menée par le centre de cette

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I

LETTRES. I77

ellipse D , perpendiculaire à AD parallèle au plan de la section, et terminée des deux côtés dans la superficie conique , est l'autre diamètre conjugué.

Or, voici la construction de l'analyse pour trou- ver le point B par les données et supposées AG, EF, FY, YG, GN et NB; on cherche AB, et aussi BP qui touche la parabole en B, et faisant BH égale à AB et parallèle à l'axe GY, on trouve AH , par AQ , QB , et BH , et aussi HK paral- lèle à la tangente BP; on trouve aussi KM per- pendiculaire du point A sur Faxe GY , et aussi MG, et MY, et par les données ou supposées AG, EF, FY, MY, et KM, on trouve AK dont le carré doit être égal au carré du KH, plus le carré de AH; pareeque comme l'angle ABD est droit, l'angle AHK l'est aussi, et l'équation qu'on trouve par ce moyen est,

a5 il cc_ t <*x ï brr.

On se servira de la même analyse pour l'hyper- bole et pour l'ellipse; et quoiqu'elle soit peut- être un peu plus longue et plus embarrassante, on pourra cependant et même il faudra nécessaire- ment réduire le tout à une équation qui n'aura pas plus de quatre dimensions , et en suivant ma Géo- métrie on pourra en faire la construction sur la

10. la

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1?8 LETTRES.

section conique donnée, avec le seul secours de la règle et du compas.

LETTRE DE M. MORUS

A M. DESCARTES. (Lettre 66 du tome I. Version.)

Monsieur,

Il n'y a que vous seul qui puissiez juger du plaisir que j'ai eu en lisant vos ouvrages. Je puis bien vous assurer que j'ai ressenti la même joie à comprendre et à adopter vos théorèmes, je trouve une beauté merveilleuse, que vous en avez eu tous- même à les inventer , et que ces savantes produc- tions de votre esprit me sont aussi chères que si c'étoient les miennes propres. Je vous dirai même que je m'imagine en être en quelque façon l'auteur: car toutes vos pensées se trouvent tellement con- formes à mon entendement , que je ne crois pas que mon esprit puisse jamais rencontrer rien qui lui convienne mieux, et qui lui soit plus naturel, étant persuadé qu'elles sont de la même substance et d'une union essentielle et nécessaire; et que tout esprit qui ne pense pas comme vous ne peut ne

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LETTRES. l^C)

pas s'écarter de la droite raison ; et pour vous dire naturellement ma pensée , tout ce qu'il y a jamais eu de grands philosophes , et d'intimes confidents des secrets de la nature, n'étoient que des nains et des pygmées auprès de vous. Dès la première lec- ture que je fis de vos ouvrages , je conjecturai que votre illustre disciple, la princesse Élizabeth, pour être entrée parfaitement dans l'intelligence de votre philosophie, étoit infiniment plus sage et plus phi- losophe que tous les sages et les philosophes de l'Europe. Je reconnus que je ne m'étois pas trompé , lorsque j'eus une plus parfaite connoissance de vos écrits. Enfin , la lumière cartésienne s'est montrée de toutes parts à mon esprit. Le raisonnement y est partout si libre, si naturel , si net , si uniforme et si bien suivi, qu'il a percé et dissipé avec un succès merveilleux les ténèbres répandues sur les abîmes de la nature, et a porté une clarté merveil- leuse sur vos écrits ; de sorte qu'il ne reste que peu ou point d'endroits ténébreux que ce flambeau lu- mineux n'éclaire, ou qu'il ne soit en état d'éclairer, avec très peu de travail de ma part ; car tout ce que vous avez écrit dans votre livre des Principes, et dans vos autres ouvrages , est d'une si grande justesse, d'une beauté si bien proportionnée, et d une conformité si parfaite avec la nature , qu'il n'est pas possible de procurer un spectacle plus agréable à l'esprit et à la raison humaine.

l80 LETTRES.

On voit dans votre Méthode une espèce de jeu d'esprit, mais qui dans le fond est une modestie ingénieuse, qui nous représente comme dans un fidèle tableau le caractère le plus doux et l'esprit le plus aimable du monde , et en même temps le génie le plus noble et le plus élevé qu'on sauroit s'imaginer ou souhaiter. Je ne dis point ceci dans la vue d'augmenter votre gloire, ou celle de la répu- blique des lettres; mais premièrement, parceque je ne puis me refuser de rendre hautement ce témoi- gnage pour le plaisir et le fruit que j'ai trouvé dans la lecture de vos ouvrages; en second lieu, pour vous faire connoître qu'il y a des Anglois qui savent es- timer tout leur prix votre personne et vos produc- tions, et qui sont remplis d'admiration pour vos divines qualités; qu'il n'y a même personne au monde qui ait pour vous un amour plus sincère et plus effectif, et qui embrasse de meilleur cœur les sentiments de votre excellente philosophie. Cependant, pour ne vous rien dissimuler, Monsieur, bien que je sois éperdument amoureux de votre système, et de tout le corps de votre philosophie, je vous avouerai qu'il vous est échappé quelque chose dans la seconde partie de vos Principes, ou que mon esprit n'a pas assez de lumières pour pé- nétrer, ou trop de répugnance pour admettre; mais ces difficultés ne portent point coup au fond de votre philosophie; car quand ce qui m'embar-

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LETTRES. l8l

rasse seroit ou faux, ou incertain , cela ne feroit rien à l'essence ou au fond de cette science, qui à cela près subsisteroit toujours très bien.

Je vais donc vous proposer en deux mots mes doutes si vous le trouvez bon.

1 . Vous définissez la matière ou le corps d'une manière trop générale , car il semble que non seu- lement Dieu, mais les anges mêmes, et toute chose qui existe par soi-même, est une chose étendue; en sorte que l étendue paroît être enfermée dans les mêmes bornes que l'essence absolue des choses , qui peut néanmoins être diversifiée selon la variété des essences mêmes. Or la raison qui méfait croire que Dieu est étendu à sa manière, c'est qu'il est présent partout, et qu'il remplit intimement tout l'univers et chacune de ses parties; car comment communiqueroit-il le mouvement à la matière, comme il a fait autrefois, et qu'il le fait actuelle- ment selon vous, s'il ne touchoit pour ainsi dire précisément la matière, ou du moins s'il ne l'avoit autrefois touchée? ce qu'il n'aurait certainement jamais fait s'il ne se fût trouvé présent partout, et s'il n'avoit rempli chaque lieu et chaque contrée. Dieu est donc étendu et répandu à sa manière ; par conséquent Dieu est une chose étendue.

Il ne s'ensuit pourtant pas de qu'il soit ce corps ou cette matière que votre esprit, comme un habile ouvrier , a su si bien figurer eu globules

l82 LETTRES,

et eu parties cannelées; c'est pourquoi la substance étendue est quelque chose de plus général que le corps. Cette preuve louche , ou plutôt cette espèce de sophisme dont vous vous servez pour confirmer votre définition , me donne encore du courage pour vous combattre sur cet article. Le corps, dites- vous, peut être sans mollesse, sans dureté, sans poids, sans légèreté, etc., et la matière subsister en son entier sans ces qualités , et les autres que les sens aperçoivent en elles; c'est comme si vous disiez qu'une livre de cire pourroit être ce qu'elle est, quoiqu'elle ne fût ni ronde, ni cubique, ni pyramidale, et demeurer livre de cire, sans avoir aucune figure, ce qui ne se peut pas; car bien qu'une telle ou telle figure ne soit pas tellement adhérente à la cire, qu'elle ne puisse s'en dépouil- ler, cependant il est d'une nécessité indispensable que la cire ait une figure. Ainsi , quoique la ma- tière ne soit nécessairement ni molle, ni dure, ni chaude, ni froide, il est cependant absolument nécessaire qu'elle soit sensible, ou si vous voulez tactile , comme l'a très bien défini Lucrèce.

Toucher, être touché n'appartient qu'au seul corps.

Cette notion doit être d'autant moins éloignée de votre manière de penser, que votre philosophie, d'accord avec celle des anciens , dont parle Théo- phraste, place tout sentiment dans le toucher: ce

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que je crois la chose du monde la plus véritable. Que si vous ne voulez pas définir le corps par le rapport qull a à nos sentiments , je veux bien que le toucher soit pris d'une manière plus générale et plus diffuse , et qu'il signifie le contact mutuel et ce pouvoir de toucher; soit que ces corps soient animés ou inanimés , et que ce soit la position im- médiate de deux superficies ou de plusieurs corps.

Ce qui nous découvre une autre propriété de la matière ou du corps , que vous pourrez appeler impénétrabilité, laquelle consiste à ne pouvoir pénétrer les autres corps , ni à en être pénétré : de cette différence manifeste entre la nature cor- porelle et la nature divine. Celle-ci peut pénétrer les corps , et l'autre ne se peut pénétrer soi-même; d'où je vois que Virgile a mieux rencontré en phi- losophie avec ses platoniciens , que Descartes lui- même, lorsque ce poète fait dire à Anchise selon leurs principes :

Par le vaste univers cette âme répandue De ces immenses corps anime l'étendue.

Je passe sous silence plusieurs autres qualités plus remarquables de l'étendue divine, qu'il n'est pas besoin d'expliquer ici. En voilà assez pour dé- montrer qu'il auroit mieux valu définir le corps une substance tactile, ou , comme j ai dit ci-dessus, une substance impénétrable, qu'une chose éten-

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1 84 LETTRES.

due; carie toucher ou l'impénétrabilité convien- nent totalement au corps; au lieu que votre défi nition pèche contre les règles , et ne convient point au seul défini.

a. Quand vous insinuez que Dieu même ne sau- roit faire qu'il y ait véritablement du vide dans la nature , et que si par exemple on ôtoit d'un vase tout l'air qu'il contient, ou tout autre corps , ses côtés se joindroient nécessairement; ce sentiment me paroît non seulement faux, mais contraire à ce que vous avez dit auparavant ; car si c'est Dieu qui imprime le mouvement à la matière , comme vous l'avez avancé, ne peut-il pas imprimer un mouvement contraire , qui empêche que les côtés du vase ne s'approchent ; mais il y a de la contra- diction , dites-vous, qu'il y ait une distance entre les côtés du vase , et qu'il n'y ait rien cependant au milieu. La savante antiquité, Épicure , Démo- crite, Lucrèce, et les autres philosophes ne le croyoient pas.

Mais laissons cette preuve, qui n'est pas assez considérable pour nous arrêter. Je soutiens que l'extension divine remplit cet espace , et que votre principe , qu'il n'y a que la matière qui soit éten- due, est un faux principe; qu'à la vérité ces cotés ne s'approcheroient pas l'un de l'autre par une né- cessité absolue, mais par une nécessité naturelle, et que Dieu seul peut empêcher cette réunion: car

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LETTHE3. 1 85

comme les parties du premier et du second élé- ment sont agitées par un mouvement violent et rapide , il est nécessaire quelles se jettent avec impétuosité dans l'endroit qui cède , et qu'elles entraînent même avec elles les parties voisines. Il est donc fâcheux pour vous que vous appuyiez sur un fondement si peu solide votre beau théorème de la manière dont se font la raréfaction et la con- densation , lequel je crois très vrai d'ailleurs.

5. Je ne comprends pas la subtilité du raison- nement dont vous vous servez pour prouver qu'il n'y a point d'atomes , ou de parties de matière in- divisibles de leur nature ; car quoique Dieu ait fait , dites-vous , ces parties telles que nulle créa- ture ne sauroit les diviser, il n'a pu s'oter ce pou- voir à lui-même sans diminuer sa puissance ; or on pourroit prouver par la même raison que Dieu ne fit pas lever hier le soleil , puisque sa puissance ne sauroit faire que le soleil d'hier ne soit pas le- vé , et que le plus vil insecte ne peut pas même mourir ,

é

S'il est vrai qu'étant déjà mort , On ne paisse subir ce sort.

Comme le dit élégamment Ovide de soi-même ; ou que Dieu n'a pas créé la matière , puisqu'elle est divisible en des parties qui peuvent toujours se diviser, division qui épuiseroit enfin la pui&-

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1 86 LETTRES.

sance divine ; car il resteroit toujours une partie non divisée, quoique divisible : ainsi la puissance divine seroit sans effet, et Dieu ne pourroit exer- cer tout son pouvoir et parvenir à sa fin.

4- Je ne comprends pas mieux cette étendue in- définie du monde; car ou elle est infinie en elle- même , ou par rapport à nous. Si vous l'entendez dans le premier sens , pourquoi vous envelopper dans des mots obscurs et affectés. Si elle n'est in- finie que par rapport à nous , cette étendue est réellement finie ; car notre esprit n'est ni la me- sure, ni la règle des choses et de la vérité ; ainsi , comme il y a une autre étendue absolument in- finie qui appartient à l'essence divine, la matière de vos tourbillons s'éloignera de leurs centres , et toute la machine du monde se perdra en atomes et en petites parties qui se dissiperont çà et dans cette vaste immensité de Dieu.

Au reste, j'admire ici votre retenue, et votre crainte , de prendre tant de précautions pour ne pas admettre une matière infinie , tandis que vous reconnoissez des parties actuellement infinies et divisées, dans l'art. 34 et 55 , p. 98 et 99 , et quand vous ne l'avoueriez pas , on pourroit vous con- traindre de le faire en cette manière. La quantité étant divisible à l'infini , elle doit avoir des parties actuellement infinies; car comme il est absolument impossible de séparer réellement avec un couteau ,

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ou tout autre instrument que vous voudrez , un corps en parties sensibles et palpables , et qui ne soient point actuellement telles , de même il est contre toute raison de diviser par la pensée une quantité en des parties qui n'existent point réelle- ment et actuellement dans le tout.

A quoi on peut ajouter qu'en supposant le monde réellement et simplement infini , il sera aussi aisé d'expliquer et de prouver par cette hypothèse la raréfaction et la condensation des corps dont vous parlez aux art. 6 et 7, p. 70, qu'en établissant votre principe , que le seul corps est étendu , et que le rien ne peut avoir de l'étendue ; car ce que vous y établissez par une suite nécessaire de raisonne- ments, se fera de même par la nécessité des opéra- tions physiques et métaphysiques.

Car tout étant rempli à l'infini de matière ou de corps , la loi de la pénétration empêchera , ou qu'il ne se rencontre un espace entièrement vide de corps dans la raréfaction , ou que dans la con- densation les parties ne puissent s'unir sans chasser les petits corps qui étoient auparavant entre elles,

Ce que j'ai dit jusqu'ici paroît extrêmement clair à mon esprit , et même beaucoup plus certain que votre sentiment. Au reste, de toutes vos opinions sur lesquelles je pense différemment de vous, je ne sens pas une plus grande révolte dans mon es- prit, soit mollesse ou douceur de tempérament,

1$6 LETTRES.

que sur le sentiment meurtrier et barbare que vous avancez dans votre Méthode, et par lequel vous arrachez la vie et le sentiment à tous les animaux; ou plutôt vous soutenez qu'ils n'en ont jamais joui ; car vous ne sauriez souffrir qu'ils aient jamais vé- cu. Ici les lumières pénétrantes de votre esprit ne me causent pas tant d'admiration que d'épouvante: alarmé du destin des animaux, je considère moins en vous cette subtilité ingénieuse, que ce fer cruel et tranchant dont vous paroissez armé pour ôter comme d'un seul coup la vie et le sentiment à tout ce qui est presque animé dans la nature, et pour les métamorphoser en marbres et en machines. Mais voyons , je vous prie , le motif qui vous porte à prononcer un édit si sévère sur toutes les bètes. Elles ne sauroient parler, ni plaider leur cause devant leur juge , quoiqu'elles aient ( ce qui ag- grave leur crime) tous les organes nécessaires pour user de la parole, comme on le remarque aux pies et aux perroquets; vous prenez de un sujet de les priver du sentiment et de la vie.

Mais , de bonne foi , est-il possible que les perro- quets ou les pies pussent imiter nos sons, s'ils n'en- tendoient et s'ils n'apercevoient par leurs orga- nes ce que nous disons ; mais ils ne comprennent pas , dites-vous , ce que signifient les paroles qu'ils prononcent par imitation : mais pourquoi ne vou- lez-vous pas qu'ils prononcent ce qu'ils désirent,

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LETTRES. 189

savoir leur nourriture qu'ils viennent à bout d'ob- tenir de leur maître par ce moyen. Donc ils croient demander comme par charité leur nourriture, puis qua force de parler ils obtiennent si souvent ce qu'ils désiroient; et sans cela les oiseaux qui peu- vent chanter apporteroient-ils tant d'attention à écouter ce qu'on leur dit, s'ils n'avoient ni senti- ment ni réflexion ? D'où pourroit venir sans cela cette finesse et cette sagacité des renards et des chiens? D'où vient que les menaces et les paroles répriment les bêtes quand elles donnent des mar- ques de leur férocité? Pourquoi, lorsqu'un chien pressé par la faim a volé quelque chose, s'enfuit- il, et se cache-t-il comme sachant qu'il a mal fait, et marchant avec crainte et défiance, ne flatte personne en passant, mais se détournant de leur chemin, cherche la tète baissée un lieu écarté, usant d'une sage précaution , pour n'être pas puni de son crime? Comment expliquer tout cela sans un sen- timent intérieur? Le nombre infini de petits contes qu'on fait pour prouver qu'il y a de la raison dans les animaux ne doivent-ils pas du moins prouver qu'il y a en eux du sentiment et de la mémoire? On n'auroit jamais fait de rapporter ici tout ce qu'on dit là-dessus; mais je sais bien qu'il y a tels faits qui dénotent en eux une force et une subtilité d'esprit qui est au-dessus de la matière , et qu'on ne sauroit éluder. Je vois bien que le motif qui

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vous a porté à regarder les brutes comme des machines, est l'immortalité de l'âme, que vous avez voulu établir. Ayant donc supposé que le corps étoit incapable de penser, vous avez conclu que partout se trouvoit la pensée, devoit être une substance réellement distincte du corps, et par conséquent immortelle; d'où il s'ensuit que si les bêtes pensoient , elles auroient des âmes qui seroient des substances immortelles.

Mais dites-moi, je vous prie , monsieur, puisque votre démonstration vous conduit nécessairement, ou à priver les bètes de tout sentiment , ou à leur donner l'immortalité , pourquoi aimez-vous mieux en faire des machines inanimées , que des corps remués par des âmes immortelles ; d'autant plus que le premier sentiment est absolument contraire aux phénomènes de la nature, et entièrement inouï jusqu'ici , au lieu que l'autre a été suivi par les plus savants philosophes de l'antiquité, Pytha- gore, Platon et tant d'autres; d'ailleurs, il n'y a rien qui puisse confirmer davantage tous les pla- toniciens dans leur sentiment sur l'immortalité de l'âme des bêtes , que de voir un aussi grand génie que le vôtre réduit à n'en faire que des ma- chines insensibles, de peur de les rendre immor- telles.

Voilà, monsieur, les seuls endroits de votre phi- losophie sur lesquels je n'ai pas cru devoir être

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LETTRES. 191

de votre sentiment ; tout le reste est tellement de mon goût, et me plaît si fort , que j'en fais mes dé- lices; et ces sentiments se rapportent si intime- ment aux miens , et me sont si propres, que je me sens la force et le courage , non seulement de les expliquer facilement à ceux qui auroient de la peine à les entendre, mais encore de les défendre hardiment contre ceux qui seroient les plus aguer- ris à la dispute sur ces matières, et qui oseroient les attaquer.

Je n'ai plus qu'une prière à vous faire, monsieur, c'est de prendre en bonne part ce que j'ai pris la liberté de vous proposer, et de ne pas croire que je l'aie entrepris ou par légèreté ou par vaine gloire, et pour ambitionner la connoissance et l'amitié des hommes illustres, puisque, s'il dépendoit de moi, je tâcherois de ne pas me faire connoître , regar- dant le nom et la réputation comme sujet à l'orage , et ennemi du loisir d'un particulier.

Au reste, quelque penchant que je sente en moi pour votre personne, je ne vous eusse jamais dé- couvert mes pensées , si je n'y avois été poussé par d'autres ; je me serois contenté d'aimer votre per- sonne et vos ouvrages en secret , et de vous hono- rer dans le silence.

Je n'ose pas même vous demander avec empres- sement une réponse, parceque je vous crois occu- pé à des méditations très profondes, et à des ex-

192 LETTRES.

périènces aussi utiles que difficiles. Je vous permets donc d'user de votre droit, afin de ne point pécher contre le public. Que si vous voulez pourtant hono- rer mes petites questions d'une réponse telle que vous le jugerez à propos, vous vous acquerrez une éternelle reconnoissance sur le plus humble et le plus obéissant de vos serviteurs.

A Cambridge, du Collège de Christ, le 11 décembre 1648.

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ANNÉE l649.

RÉPONSE DE M. DESCARTES

A M. MORUS. (Lettre 67 du tome I. Version.)

Monsieur,

Les louanges dont vous me comblez sont plutôt des marques de votre bonté qu'un effet de mon mérite, qui ne sauroit jamais les égaler.

Cette bienveillance que vous m'accordez, et que je dois à la lecture que vous avez faite de mes écrits, me découvre si à plein la candeur et la gé- nérosité de votre âme , qu'elle vous a gagné toute mon amitié, quoique je n aie pas l'honneur de vous connoître d'ailleurs; c'est pourquoi je me ferai un véritable plaisir de répondre à vos questions. Votre première difficulté est sur la définition du corps, que j'appelle une substance étendue, et que vous aimeriez mieux nommer une substance sensible,

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194 LETTRES. j

tactile, ou impénétrable; mais prenez garde, s'il vous plaît, qu'en disant une substance sensible, vous ne la définissez que par le rapport qu'elle a à nos sens, ce qui n'en explique qu'une propriété, au lieu de comprendre l'essence entière des corps, qui , pouvant exister quand il n'y auroit point d'hommes , ne dépend pas par conséquent de nos sens. Je ne vois donc pas pourquoi vous dites qu'il est absolument nécessaire que toute matière soit sensible; au contraire, il n'y en a point qui ne soit entièrement insensible, si elle est divisée en parties beaucoup plus petites que celles de nos nerfs, et si elles ont d'ailleurs chacune en particu- lier un mouvement assez rapide.

A l'égard de ma preuve, que vous appelez louche et presque sophistique, je ne l'ai employée que pour réfuter la proposition de ceux qui croient avec vous que tout corps est sensible, ce que je fais, à mon avis, d'une manière claire et démonstra- tive ; car un corps peut conserver toute sa nature corporelle , bien que les sens n'y aperçoivent ni mollesse, ni dureté , ni froideur, ni chaleur, ni en- fin aucune autre qualité sensible.

A l'égard de l'erreur que vous semblez vouloir m'attribuer par la comparaison que vous faites de a cire, qui peut bien à la vérité n'être ni carrée ni ronde, mais qui ne peut pas absolument n'a- voir point de figure, faites, s'il vous plaît, attention

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lettres. \g\y

au principe que j'ai établi, que toutes les qualités sensibles du corps consistent dans le seul mou- vement , ou le seul repos de ces petites parties ; ainsi , pour tomber dans Terreur dont vous parlez , j'aurois soutenir que le corps peut exister sans que ses petites parties se meuvent ou soient en repos: c'est ce qui ne m'est jamais venu dans l'esprit; donc on ne définit pas bien le corps une i substance sensible.

Voyons présentement si on ne pourroit pas mieux le définir une substance impénétrable ou tactile dans le sens que vous l'expliquez. Mais en- core un coup, ce pouvoir d'être touché, ou cette impénétrabilité dans le corps, est seulement comme la faculté de rire dans l'homme, le proprium quarto modo des règles communes de la logique : mais ce n'est pas sa différence véritable et essentielle, qui, selon moi, consiste dans l'étendue; et par consé- quent comme on ne définit point l'homme un ani- mal risible, mais raisonnable, on ne doit pas aussi définir le corps par son impénétrabilité, mais par 1 étendue, d'autant plus que la faculté de toucher et l'impénétrabilité ont relation à des parties, et présupposent dans notre esprit l'idée d'un corps divisé ou terminé , au lieu que nous pouvons fort bien concevoir un corps continu d'une grandeur indéterminée ou indéfinie, dans lequel on ne con- sidère que l'étendue. Mais Dieu, dites-vous, un

I96 LETTRES.

ange, et tout ce qui subsiste par soi-même est éten- du, ainsi votre définition est plus étendue que le défini. Je n'ai pas coutume de disputer sur les mots; c'est pourquoi si l'on veut que Dieu soit en un sens étendu, parcequ'il est partout, je le veux bien: mais je nie qu'en Dieu, dans les anges, dans notre âme, enfin en toute autre substance qui n est pas t corps, il y ait une vraie étendue, et telle que tout le monde la conçoit; car par un être étendu on entend communément quelque chose qui tombe sous l'imagination ; que ce soit un être de raison ou un être réel, cela n'importe. Dans cet être on peut distinguer par l'imagination plusieurs parties d'une grandeur déterminée et figurée, dont l'une n'est point l'autre; en sorte que l'imagination peut en transférer l'une en la place de l'autre, sans qu'on en puisse pourtant imaginer deux à la fois dans le même lieu. On n'en sauroit dire autant de Dieu ni de notre âme, car ni l'un ni l'autre n'est du res- sort de l'imagination, mais simplement de l'intel- lection,et on ne sauroit les séparer par parties, surtout en parties qui aient des grandeurs et des figures déterminées. Enfin nous comprenons aisé- ment que l'âme, Dieu, et plusieurs anges ensem- ble, peuvent être en même temps dans le même lieu; d'où l'on conclut visiblement que nulles sub- stances incorporelles ne sauroient être proprement étendues, et qu'on ne peut les concevoir que comme

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LETTRES. 197

une certaine vertu ou force, qui, bien qu'appliquée à des choses étendues, ne sont pas pour cela éten- dues, comme le feu est dans le fer rouge, sans qu'on puisse dire pour cela que le feu est fer. Si quelques uns confondent l'idée de la substance avec la chose étendue, cela vient du préjugé ils sont que tout ce qui existe ou est intelligible, est en même temps imaginable. En effet, rien ne tombe sous l'imagination qui ne soit en quelque manière étendu; et comme on/ peut dire que la santé ne convient qu'à l'homme seul, quoiqu'on puisse dire par analogie que la médecine, l'air tempéré, et plu- sieurs autres choses sont saines; ainsi, je dis qu'il n'y a d'étendue que dans les choses qui tombent sous l'imagination, comme ayant des parties distinctes les unes des autres, et qui sont d'une grandeur et d'une figure déterminées, quoiqu'on nomme aussi d?autres choses étendues , mais seulement par ana- logie.

A l'égard de votre seconde difficulté , si nous examinons ce que c'est que cet être étendu que j'ai écrit, nous trouverons que ce n'est autre chose que l'espace que le vulgaire croit être quelquefois plein, quelquefois vide, quelquefois réel , d'autres fois imaginaire; car dans un espace, quelque vide qu'on se l'imagine, on se figure aisément différen- tes parties de grandeur et de figure déterminées, et on les peut transférer par un effet de la même

198 LETTRES.

imagination les unes dans le lieu des autres t mais on n'en sauroit concevoir en aucune manière deux se pénétrer mutuellement ensemble dans le même lieu , parcequ'il répugne au bon sens que cela arrive, et qu'aucune partie de l'espace ne soit ôtée. Or, . comme je faisois attention que des propriétés si réelles ne pouvoient se trouver que dans un corps réel , j'ai osé assurer qu'il n'y avoit aucun espace absolument vide, et que tout être étendu étoit véri- tablement corps ; en quoi je n'ai pas fait difficulté d'être d'un sentiment contraire à celui de ces grands hommes dont vous parlez : je veux dire Épicure , Démocrite et Lucrèce; car j'ai vu que, bien loin de s'attacher à une raison solide , ils se sont laissés en- traîner aux préjugés communs de l'enfance; car bien que nos sens ne nous représentent pas tou- jours les corps qui sont hors de nous tels qu'ils sont absolument selon le rapport qu'ils ont avec nous, et qu'ils peuvent nous être utiles ou nui- sibles (comme j'ai dit dans l'art. 5 de la seconde partie, pag. 67), nous avons cependant porté ce jugement dans notre enfance, qu'il n'y a dans le monde que ce que les sens nous représentent; qu'ainsi il n'y avoit point de corps qui ne fût sen- sible , et que tout lieu nous ne sentons rien étoit vide. Puisque Épicure, Démocrite et Lucrèce ont donné dans ce préjugé comme les autres, je ne dois rien à leur autorité. fu ; i-rv.lr.w.: .;>

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LETTRES. 199

Mais je suis surpris qu'avec toute votre péné- tration, et voyant d'ailleurs que vous ne sauriez nier que tout espace ne soit rempli de quelque substance, puisqu'il a réellement toutes les pro- priétés de l'étendue , vous aimiez mieux dire que l'étendue divine remplit l'espace il n'y a nul corps , que d'avouer qu'il ne peut y avoir ab- solument d'espace sans corps; car, comme j'ai dit ci-dessus, cette prétendue extension de Dieu ne sauroit être en aucune manière le sujet des pro- priétés véritables que nous apercevons distinc- tement en tout espace ; car enfin Dieu ne peut tomber sous l'imagination , on ne peut distinguer en lui des parties qui soient figurées et qu'on puisse mesurer. Vous n'avez point de peine , dites-vous, à croire qu'il n'y a pas naturellement de vide; mais vous voudriez sauver la puissance divine, qui en ôtant tout ce qui est dans un vase, peut, selon vous, empêcher que ses côtés ne se réunissent.

Je sais que mon intelligence est finie, et que le pouvoir de Dieu est infini , ainsi je n'y prétends pas mettre de bornes ; mais je me contente d'exa- miner ce que je puis concevoir ou non , et je me garde bien de porter aucun jugement contraire à ma perception : c'est pourquoi j'assure hardiment que Dieu peut faire tout ce que je conçois possi- ble, sans avoir la témérité de dire qu'il ne peut

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200 LETTRES.

pas faire ce qui répugne à ma manière de conce- voir: je dis seulement, cela implique contradic- tion. Ainsi, voyant qu'il répugne à ma manière de concevoir qu'on ôte tout corps d'un vase , et qu'il y reste cependant une étendue que je ne conçois pas autrement que je concevois aupa- ravant le corps qui y étoit contenu, je dis qu'il implique contradiction qu'une telle étendue y reste après que le corps en a été ôté , et que par conséquent les côtés d'un vase doivent se rappro- cher , ce qui s'accorde avec mes autres opinions ; car je dis ailleurs que tout mouvement est en quelque façon circulaire; d'où il s'ensuit qu'on ne comprend pas bien distinctement que Dieu ôte toute la matière d'un vase, sans qu'un autre corps ou du moins les côtés du vase prennent sa place par un mouvement circulaire.

3. C'est dans le même sens que je dis aussi qu'il y a de la contradiction à dire qu'il y ait des ato- mes que l'on conçoive étendus , et en même temps indivisibles , parceque , bien que Dieu ait pu les former tels qu'aucune créature ne peut les diviser certainement , nous ne pouvons com- prendre qu'il ait pu se priver de la faculté de les diviser lui-même. Pour votre comparaison, que ce qui est fait ne sauroit ne pas l'être , elle n'est point du tout juste. Nous ne prenons pas pour marque d'impuissance quand quelqu'un ne peut

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pas faire ce que nous ne comprenons pas être possible , mais seulement lorsqu'il ne peut pas faire quelque chose que nous concevons claire- ment être possible. Or nous concevons que la division d'un atome est une chose possible , puis- que nous le concevons étendu ; ainsi , si nous jugeons que Dieu ne peut pas faire ce que nous concevons pourtant être possible, nous ne con- cevons pas de la même manière qu'il puisse se faire que ce qui a été fait ne le soit pas ; au con- traire, nous concevons bien clairement que cela est impossible, et qu'ainsi il n'y a aucun défaut de puissance en Dieu de ce qu'il ne le fait pas. A l'é- gard de la divisibilité de la matière, ce n'est pas la même chose; car bien que je ne puisse pas compter toutes les parties en quoi elle est divisible, et que par conséquent je dise que leur nombre est indéfini, cependant je ne saurois assurer que Dieu ne puisse jamais terminer cette division, parceque je sais que Dieu peut faire plus que je ne saurois comprendre , et j'ai même avoué dans l'article 34 , page 98 , que cette division indéfinie de certaines parties de la matière devoit arriver.

4. Ne regardez point comme une modestie af- fectée, mais comme une sage précaution, à mon avis, lorsque je dis qu'il y a certaines choses plutôt indéfinies qu'infinies; car il n'y a que Dieu seul que je conçoive positivement infini. Pour le reste,

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comme l'étendue du monde, Je nombre des par- ties divisibles de la matière, et autres semblables, j avoue ingénument que je ne sais point si elles sont absolument infinies ou non : ce queje sais , c'est que je n'y connois aucune fin , et à cet égard je les appelle indéfinies.

Et bien que notre esprit ne soit ni la règle des choses ni celle de la vérité , du moins doit - il l'être de ce que nous affirmons ou nions : en effet, rien de plus absurde et de plus inconsidéré que de vouloir porter un jugement sur des choses auxquelles, de notre propre aveu, nos perceptions ne sauroient atteindre.

Or je suis surpris que non seulement vous sembliez vouloir le faire, puisque vous dites, si l'étendue est seulement infinie par rapport à nous, elle sera véritablement finie , etc. , mais que vous imaginiez encore une étendue divine qui aille au- delà de celle des corps; car c'est supposer que Dieu a des parties séparées les unes des autres qu'il est divisible , et que toute l'essence des corps lui convient entièrement.

Mais pour lever tous vos doutes , lorsque je dis que 1 étendue de la matière est infinie, je crois que cela suffit pour empêcher qu'on ne s'imagine un lieu au-delà d'elle , les petites parties de mes tourbillons puissent s'échapper ; car quelque part l'on conçoive ce lieu -là, il y a selon moi

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LETTRES. ^05

quelque matière, parcequen disant qu'elle est étendue d'une manière indéfinie , je dis qu'elle s étend au-delà de tout ce que nous pouvons concevoir.

Cependant je crois qu'il y a une grande diffé- rence entre l'amplitude ou la grandeur de cette étendue corporelle et celle de Dieu que je ne nomme point étendue , parcequa proprement parler il n'y en a point en lui, mais seulement immensité de substance ou d'essence , c'est pour- quoi j'appelle celle-ci simplement infinie:, et l'autre indéfinie.

Au reste je n'admets point ce que vous m'ac- cordez honnêtement, que mes autres opinions peuvent subsister indépendamment de l'étendue de la matière; car^ selon moi, c'est un des prin- cipaux fondements de ma Physique, et j'ajoute que rien ne me sauroit satisfaire dans cette science, que ce qui comprend cette nécessité logique ou contradictoire, comme vous l'appelez, c'est-à-dire nécessité nous conduit notre raisonnement, pourvu que vous en exceptiez ce que l'on ne peut connoître que par la seule expérience, comme qu'il n'y a qu'un soleil, qu'une lune autour de cette terre, etc.

Et comme vous n'êtes pas éloigné de mes senti- ments pour reste , j'espère que vous admettrez facilement ceux-ci, si vous considérez que c'est un

2<>4 LETTRES.

préjugé de ne pas regarder comme vraie substance corporelle tout être étendu qui n'a rien qui frappe les sens , et de lui donner seulement le nom de vide; enfin qu'il n'y a aucun corps qui ne soit sensible, et qu'il n'y a aucune substance qui ne tombe sous l'imagination, et qui par conséquent ne soit étendue.

Mais le plus grand de tous les préjugés que nous ayons retenu de notre enfance, est celui de croire que les bétes pensent. La source de notre erreur vient d'avoir vu que plusieurs membres des bêtes n'é- toient pas bien différents des nôtres pour la figure et les mouvements , et d'avoir cru que notre âme étoit le principe de tous les mouvements qui sont en nous, qu'elle donnoit le mouvement au corps, et qu'elle étoit la cause de nos pensées. Cela sup- posé , nous n'avons point fait de difficulté de croire qu'il y eût dans les bêtes quelque âme semblable à la nôtre ; mais ayant pris garde, après y avoir bien pensé, qu'il faut distinguer deux différents princi- pes de nos mouvements, l'un tout-à-fait mécanique et corporel , qui ne dépend que de la seule force des esprits animaux et de la configuration des par- ties, et que l'on pourroit appeler âme corporelle, et l'autre incorporel, c'est-à-dire l'esprit ou l'âme, que vous définissez une substance qui pense, j'ai cherché avec grand soin si les mouvements des ani- maux provenoient de ces deux principes ou d'ua

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LKTTRES. 205

seul. Or, ayant connu clairement qu'ils pouvoient venir d'un seul , c'est-à-dire du corporel et du mé- canique, j'ai tenu pour démontré que nous ne pou- vions prouver en aucune manière qu'il y eût dans les animaux une âme qui pensât. Je ne m'arrête point à ces tours et finesses des chiens et des re- nards, ni à toutes les choses que les bêtes font, ou par crainte, ou pour attraper à manger, ou enfin pour le plaisir: je m'engage à expliquer tout cela très facilement par la seule conformation des membres des animaux. Cependant, quoique je regarde comme une chose démontrée qu'on ne sauroit prouver qu'il y ait des pensées dans les bê- tes, je ne crois pas qu'on puisse démontrer que le contraire ne soit pas, parceque l'esprit humain ne peut pénétrer dans le cœur pour savoir ce qui s'y passe : mais en examinant ce qu'il y a de plus pro- bable là dessus, je ne vois aucune raison qui prouve que les bêtes pensent, si ce n'est qu'ayant des yeux, des oreilles, une langue, et les autres organes des sens tels que nous, il est vraisemblable qu'elles ont du sentiment comme nous, et que comme la pensée est enfermée dans le sentiment que nous avons, il faut attribuer au leur une pareille pensée. Or, comme cette raison est à la portée de tout le monde, elle a prévenu tous les esprits de l'enfance. Mais il y en a d'autres plus fortes, et en plus grand nombre, pour le sentiment contraire, qui ne se

206 LETTRES.

présentent pas si facilement à l'esprit de tout le monde; comme, par exemple, qu'il est plus proba- ble de faire mouvoir comme des machines les vers de terre, les moucherons , les chenilles, et le reste des animaux, que de leur donner une âme im- mortelle.

Parcequ'il est certain que dans le corps des animaux , ainsi que dans les nôtres , il y a des os , des nerfs, des muscles, du sang, des esprits animaux , et autres organes disposés de telle sorte qu'ils peu- vent produire par eux-mêmes, sans le secours d'aucune pensée, tous les mouvements que nous observons dans les animaux, ce qui paroît dans les mouvements convulsifs, lorsque, malgré l'âme même, la machine du corps se meut souvent avec plus de violence et en plus de différentes manières qu'il n'a coutume de le faire avec le secours de la volonté : d'ailleurs, parcequ'il est conforme à la raison que l'art imitant la nature , et les hommes pouvant construire divers automates, il se trouve du mouvement sans aucune pensée, la na- ture puisse de son côté produire ces automates, et bien plus excellents , comme les bnltes, que ceux qui viennent demain d'homme, surtout ne voyant aucune raison pour laquelle la pensée doive se trouver partout nous voyons une conformation de membres telle que celle des animaux, et qu'il est plus surprenant qu'il y ait une âme dans chaque

LETTRES. tiO'J

corps humain, que de n'en point trouver dans les bêtes.

Mais la principale raison, selon moi, qui peut nous persuader que les bêtes sont privées de rai- son , est que , bien que parmi celles d une même espèce les unes soient plus parfaites que les au- tres, comme dans les hommes, ce qui se remar- que particulièrement dans les chevaux et dans les chiens, dont les uns ont plus de disposition que les autres à retenir ce qu'on leur apprend, et bien qu'elles nous fassent toutes connoître clairement leurs mouvements naturels décolère, de crainte, de faim, et d'autres semblables, ou par la voix, ou par d'autres mouvements du corps, on n'a point cependant encore observé qu'aucun animal fût parvenu à ce degré de perfection d'user d'un vé- ritable langage, c'est-à-dire qui nous marquât par la voix, ou par d'autres signes, quelque chose qui pût se rapporter plutôt à la seule pensée qu'à un mouvement naturel ; car la parole est l'unique si- gne et la seule marque assurée de la pensée cachée et renfermée dans le corps; or tous les hommes les plus stupides et les plus insensés, ceux mêmes qui sont privés des organes de la langue et de la parole, se servent de signes, au lieu que les bêtes ne font rien de semblable, ce que l'on peut prendre pour la véritable différence entre l'homme et la bête.

Je passe, pour abréger, les autres raisons qui ôtent

U08 LETTRES.

la pensée aux bètes. Il faut pourtant remarquer que je parle de la pensée , non de la vie, ou du sen- timent; car je n'ôte la vie à aucun animal, ne la faisant consister que dans la seule chaleur du cœur. Je ne leur refuse pas même le sentiment autant qu'il dépend des organes du corps. Ainsi mon opi- nion n'est pas si cruelle aux animaux qu'elle est favorable aux hommes , je dis à ceux qui ne sont point attachés aux rêveries de Pythagore, puis- qu'elle les garantit du soupçon même de crime quand ils mangent ou tuent les animaux.

Je me suis peut-être plus étendu qu'il ne falloit, et que la vivacité de mon esprit ne le demandoit ; mais j'ai voulu vous montrer par que, de toutes les objections qu'on m'a faites jusques ici, il n'y en a aucunes qui m'aient été aussi agréables que les vôtres , et que vos manières honnêtes et votre can- deur vous ont entièrement gagné celui qui a un attachement inviolable pour tous les amateurs de la véritable philosophie. Je suis, etc.

A Egmont, près d'Aman, le 5 février 1649.

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LETTRES. 20§

RÉPLIQUE DE M. MORUS

A M. DESCARTES.

( Lettre 68 du tome I. Version. )

Monsieur,

Je ne diminue rien dans mon esprit de la haute idée que je me suis formée de votre mérite; et mon jugement est si constant là-dessus, que je penserai toujours ce que je vous en ai écrit dans ma pré- cédente : ce qui augmente même beaucoup l'es- time que j'ai conçue de vous, ce sont ces manières honnêtes et cette bonté qui se réunissent si heu- reusement à une grandeur étonnante de génie et à une divine pénétration desprit. Comme je n'en ai jamais douté auparavant, j'en ai aujourd'hui une preuve convaincante dans vos savantes lettres. Au reste, afin que vous n'ayez pas lieu de vous repen- tir d'une faveur si considérable, et que vous ne la regardiez pas comme placée sur la téte d'un es- clave, et de peur que le zèle et l'amour que j'ai pour vous ne deviennent une chose vile, comme provenant d'un esprit bas et rampant, je vais vous

dire, avec toute la confiance qui convient à un •o. ,4

JIO LETTRES.

homme libre , de quelle sorte vos réponses mont satisfait: mais pour ne pas vous multiplier la peine, et à moi aussi, je retrancherai toutes les liaisons du discours, et tout ce qui pourroit le rendre trop long, et je me contenterai de renfer- mer tout mon sujet en des courtes instances, ou du moins en des petites notes sur chacune de vos réponses.

INSTANCE A LA REPONSE SUR LA PREMIERE DIFFICULTÉ.

1. « Vous ne la définissez que par le rapport » qu'elle a avec nos sens , etc. »

On pourroit répliquer, comme la racine et l'es- sence des choses sont cachées et ensevelies dans des ténèbres éternelles, il faut de nécessité définir chaque chose par le rapport quelle peut avoir à d'autres. Ce rapport se peut appeler propriété dans les substances, puisqu'il n'est pas lui-même substance , quoique je reconnoisse d'ailleurs qu'il y a des propriétés que l'on conçoit les unes avant les autres; jai voulu dire seulement qu'il valoit mieux définir une chose par une propriété qui la comprît entièrement , que par ce qu'on ap- pelle la forme, qui est plus étendue que le défini. De plus, quand vous définissez ie corps une chose étendue, je remarque que cette même étendue consiste dans un rapport des parties les unes aux autres , en tant que les unes ont été produites des

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LETTRES. 5 1 1

autres; rapport qui ne convient pas absolument à la chose.

2, «Quand il n'y auroit point d'hommes, n

Quand tous les hommes fermeroient les yeux, le soleil n'en perdroit pas pour cela la faculté d'ê- tre vu aussitôt qu'il plairoit aux hommes de les ouvrir ; comme une cognée ne perdroit pas la fa- culté de couper du bois, ou autre chose semblable, lorsqu'on l'y appliqueroit.

3. « Si elle est divisée en parties beaucoup plus «petites que celles de nos nerfs. »

Je crois cependant que Dieu est un assez excel- lent ouvrier pour proportionner des nerfs à ces petites parties de matière , et que dans une telle proportion la matière deviendroit sensible: or ces petites parties peuvent cesser de se mouvoir et se réunir, et de cette manière devenir derechef sensibles à nos nerfs; ce qui ne sauroit convenir en aucune façon à la substance incorporelle.

4- « Bien que les sens n'y aperçoivent ni mol- » lesse , etc. *

Il est certain, ou que le corps sera dur ou mou, etc., à nos nerfs, tels qu'ils sont aujourd'hui, ou du moins à ceux que Dieu pourroit lui propor- tionner, comme nous avons dit ci-dessus; ce qui

suffit , quand même Dieu n'en feroit jamais de pa-

«4.

2 12 LETTRES.

reils ; comme les parties qui sont au centre de la terre sont visibles par elles-mêmes, quoiqu'elles ne doivent jamais paroi tre à la lumière de soleil, et que jamais personne n y descende avec un flambeau.

5. « Est seulement comme la faculté de rire dans » l'homme , le proprium quarto modo de logique. »

Si la raison convenoit aussi aux autres animaux, il seroit mieux de définir l'homme un animal risi- ble qu'un animal raisonnable ; mais personne n'a encore démontré que la faculté d'être touché, ou l'impénétrabilité, soient des propriétés qui convien- nent à la substance étendue, quoique tous les phi- losophes avouent avec raison qu'elles sont les pro- priétés du corps. Je puis bien à la vérité concevoir une substance étendue , qui ne soit en aucune fa- çon tactile ou impénétrable; donc la faculté d'être touché, ou l'impénétrabilité, ne suivent pas im- médiatement la substance étendue en tant qu'elle est étendue.

6. «Mais je nie qu'en Dieu il y ait une véritable » étendue , etc. »

Par véritable étendue, vous entendez celle qui est accompagnée de la faculté d'être touché et de l'impénétrabilité. Je conviens avec vous qu'elle ne se trouve pas en Dieu , dans un ange , et dans l'âme , qui sont dépouillés de matière; mais je soutiens qu'il se trouve dans les anges et dans les âmes une

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LETTRES. 2l3

étendue aussi véritable , quoique moins connue du vulgaire de 1 école; que cette étendue a ses termes comme sa figure sujette à varier suivant la volonté de l'ange ou de l'âme , et que nos âmes et les anges peuvent se resserrer ou s'étendre en conservant toujours néanmoins leur même substance.

7. « Que toute idée de pure intellection vient des images sensibles , etc. »

Je me sens quelque penchant pour cet axiome d'Aristote, il n'y a rien dans l'intellect qui n'ait passé par les sens; mais là-dessus que chacun con- sulte les forces de son esprit.

PREMIÈRE INSTANCE SUR LA REPONSE A LA SECONDE DIFFICULTÉ.

1. «En sorte que l'imagination peut en trans- férer l'une à la place de l'autre. »

C'est ce que mon imagination ne peut faire ni concevoir dans un tel transport, que les parties de l'espace vide n'absorbent les autres, qu'elles ne tombent les unes dans les autres , et qu'elles ne se pénètrent mutuellement.

2. «En quoi je n'ai pas fait difficulté de m'é- «loigner du sentiment de ces grands hommes, » Èpicure , Démocrite , etc. »

Je ne doute point que vous n'ayez toutes les rai- sons du monde de le faire ; car je vous regarde bien au-dessus, non seulement de tous ces philoso-

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!2l4 LETTRES.

phes, mais encore de tous ceux qui ont expliqué les secrets de la nature.

3. « On ne sauroit nier que tout espace ne soit » rempli de quelque substance. »

Je l'ai accordé pour le bien de la paix , mais je n'en ai pas une idée bien claire ; car si Dieu anéan- tissoit l'univers, et qu'il en créât un autre de rien long-temps après , cet inter-monde ou cette priva- tion du monde auroit sa durée, dont la mesure seroit un certain nombre de jours, d'années, ou de siècles. Il y a donc la durée d'une chose qui n'existe point, laquelle durée est une espèce d'extension; et par conséquent l'étendue du néant , c'est-à-dire du vide, peut être mesurée par aunes ou par lieues, comme la durée de ce qui n'existe point peut être mesurée dans son inexistence par heures, par jours et par mois. Mais je vous passe , sans y être néanmoins forcé, qu'en tout espace il y a quelque substance; je ne la ferai pas néanmoins corporelle, puisque l'extension ou la présence divine peut être le sujet de ce qui peut être me- suré : je dirai, par exemple, que la présence ou l'extension divine occupe une ou deux lieues dans un tel ou tel vide , sans qu'il s'ensuive que Dieu soit corporel , comme nous avons dit ci-dessus dans l'instance cinquième. Mais nous traiterons ailleurs Gette question.

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4. « Je dis qu'il implique contradiction qu'une » telle étendue , etc. »

Je demanderois ici volontiers s'il est nécessaire, ou qu'il y ait une étendue telle que vous la con- cevez dans le corps , ou qu'il n'y en ait aucune. En second lieu , puisque vous convenez qu'il y a d'autres choses que le corps qui sont étendues à leur manière , cette étendue d'analogie ou de rap- port, comme vous l'appelez, ne peut-elle pas tenir la place de l'étendue corporelle, sans que cela implique contradiction , surtout cette extension d'analogie ayant tant de rapport à la véritable étendue , qu'elle est capable d être mesurée , et qu'elle remplit un certain nombre de pieds ou d?aunes ?

5. « Que tout mouvement est en quelque façon «circulaire. »

J'avoue que c'est une conséquence nécessaire de nécessité physique, en supposant seulement que tout est rempli de corps , et qu'aucune étendue n'excède l'étendue entière du monde, et je n'en doute point ; mais je vous avoue que je n'ai pu encore comprendre comme il faut cette contradic- tion insurmontable dont vous parlez.

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2l6

LETTRES

A LA RÉPONSE SUR LA TROISIEME DIFFICULTÉ.

t Que l'on conçoit étendues et en même temps » indivisibles. »

Après l'explication que vous venez de donner , il n y a plus de différents entre nous.

PREMIÈRE INSTANCE SUR LA RÉPONSE A LA QUATRIEME DIFFICULTÉ.

i. « J'avoue que je ne sais point si elles sont » absolument infinies ou non. »

Vous ne pouvez pourtant pas ignorer qu'elles sont absolument ou infinies ou véritablement fi- nies, quoiqu'il ne vous soit pas si facile de déter- miner si c'est l'un ou l'autre : toutefois ce pour- roi t être pour vous un signe assez certain de l'in- finité du monde , que vos tourbillons qui ne se rompent point , et auxquels il ne se fait pas la moindre fente. Pour moi en mon particulier , je déclare librement que , bien que je puisse sou- scrire hardiment à cet axiome , le monde est fini, ou non fini , ou , ce qui est ici la même chose, le monde est infini, mon esprit ne sauroit pourtant com- prendre comme il faut l'infinité de quelque chose que ce soit; mais il arrive ici à mon imagination ce que Jules Scaliger dit quelque part de la dila- tation et de la contraction des anges, qu'ils ne peuvent s'étendre à l'infini , ni se réduire à un point imperceptible ; cependant quand on recon-

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LETTRES. 21 7

noît Dieu positivement infini, c est-à-dire existant partout, comme vous faites avec raison, je ne vois pas qu'on puisse hésiter raisonnablement d'admettre sur-le-champ qu'il n'est oisif nulle part, mais qu'il a produit partout de la matière avec la même puissance et la même facilité qu'il a créé celle dans laquelle nous vivons , ou bien celle jusqu'où nos yeux et notre esprit peuvent s'éten- dre; mais je m'aperçois que je m'étends plus loin que je ne m'étois proposé : j'arrête cette ardeur de mon esprit , de peur de vous déplaire.

2. Lorsque vous dites , « si elle est seulement in- » finie par rapport à nous, elle sera réellement » finie, »

Cela est vrai , et j'ajoute de plus que c'est une conséquence très claire et très certaine , parceque la particule seulement exclut entièrement toute infinité de la chose, qui est dite infinie seulement par rapport à nous, et par conséquent ce sera une extension réellement finie , et que mon esprit com- prend parfaitement, puisque je suis évidemment certain que le monde est ou fini ou infini, comme je l'ai dit ci-dessus.

3. « Car c'est supposer que Dieu a des parties séparées les unes des autres, qu'il est divisible; » et c'est lui attribuer l'essence des corps. »

Non, ce n'est pas lui en attribuer; car je nie que

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2l8 LETTRES.

l'étendue convienne au corps en tant que corps, niais seulement en tant qu'être, ou du moins en tant que substance ; outre cela , puisque Dieu, au- tant que notre esprit peut le comprendre , est tout entier partout , et que son essence entière se trouve présente dans tous les lieux ou dans tous les espaces , et dans chaque point de ces espaces , il ne s'ensuit point qu'il auroit des parties séparées les unes des autres , ou , ce qui en est une conséquence, qu'il seroit divisible, quoiqu'il oc- cupe entièrement et précisément tous les lieux , sans laisser aucun intervalle vide , ce qui fait que je reconnois la présence de Dieu , ou la grandeur divine, comme vous l'appelez, capables d'être me- surées, sans que Dieu soit pour cela en aucune façon divisible. Que Dieu occupe et remplisse chaque point du monde, c'est ce que tous les phi- losophes et les ignorants avouent également et dont j'ai une idée claire et distincte , et que mon esprit embrasse sans peine : son essence divine est la même au dedans et au dehors du monde; en sorte que si nous supposons le monde enfermé ou terminé par le ciel visible des étoiles , le centre de l'essence divine et sa présence totale se réité- rera hors du ciel étoilé, de la même manière que nous la concevons clairement au dedans. Or cette réitération du centre divin qui occupe le monde , continuée plus loin , doit développer avec soi hors

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LKTTRES. 2 1C)

du ciel visible des espaces infinis , et si elte n'est accompagnée de votre matière indéfinie, adieu vos tourbillons; mais afin que ceci se fasse mieux admettre à l'esprit, essayons ce raisonnement sur la durée successive de Dieu.

Dieu est éternel, c'est-à-dire la vie divine em- brasse les révolutions de tous les siècles, et l'ordre des choses passées , futures et présentes ; cependant cette vie éternelle est présente à tous les instants du temps et les suit pas à pas, en sorte qu'on peut dire avec justice et vérité que Dieu jouit de son éternité depuis tant de jours, de mois et d'heures. Par exemple, si nous supposons que le monde a été créé depuis cent ans, cette éternité de Dieu entière, et qui embrasse tout, n'aura- 1- elle pas duré jusqu'à ce jour par des heures , des jours , des mois et des années , c'est-à-dire cent ans qui se seront succédé jusqu'à ce jour : or Dieu n'est point autre depuis la création du monde qu'il a été auparavant.

Il est donc manifeste qu'outre l'éternité infinie, la succession de durée convient encore à Dieu. Cela supposé, pourquoi ferons-nous difficulté de lui attribuer une extension qui remplisse des es- paces infinis , aussi bien qu'une succession infinie de durée.

Bien plus, toutes les fois que je reprends de plus haut et plus originairement ces choses, je suis

220 LETTRES.

dans ce sentiment , que Tune et l'autre extension , tant de l'espace que du temps, conviennent égale- ment aux non êtres et aux êtres ; et je me doute qu'on peut également se former un préjugé , que toutes les choses étendues sont corporelles , sur ce que tout ce que nous manions et ce que nous sentons , qui est solide et corporel , est étendu , que cet autre préjugé, qu'il y a des choses non corporelles étendues.

Et ce qui me fait conjecturer que l'étendue tombe aussi sur le non-être , c'est qu'être étendu ne dénote autre chose que des parties qui existent hors d'autres parties ; or la partie et le tout , le sujet et l'adjoint, la cause et l'effet, les contraires et les relatifs 9 les contradictoires et les privatifs, et autres semblables , ne sont que termes de logique, et nous les appliquons également aux non-êtres comme aux autres; d'où il ne suit pas que tout ce que nous concevons avoir des parties existantes les unes hors des autres doive être conçu comme un être réel.

Mais combien de fois l'esprit humain lutte ici avec son ombre, semblable à ces petits chiens qui courent après leur queue: car notre esprit se forge de tels combats ou de tels jeux , lorsque considé- rant les raisons et les modes de logique sur le pied des choses extérieures , il ne fait pas réflexion que ce sont seulement des manières de penser; mais

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LETTRES. 221

croyant que c'est quelque chose de distinct dans les choses mêmes , il se joue jusqu'à se fatiguer en tâchant d'attraper , pour ainsi dire , sa propre queue , et se trouve comme pris dans des filets. Mais j'ai discouru ici imprudemment plus que je ne voulois; je passe à ce qui reste.

4- « Car quelque part l'on conçoive ce lieu- » , il y a , selon moi , quelque matière. »

Vous êtes ici un homme de grande précaution , et d'une retenue bien fine ; mais avec tous ces rai- sonnements vous admettez le monde infini avec Aristote. Si ce philosophe a donné une bonne dé- finition de l'infini , qu'il appelle dans son troi- sième livre de physique ce dont quelque partie est toujours par-delà , nous voilà parfaitement d'accord.

5. « Cependant je crois qu'il y a une grande » différence entre l'immensité ou la grandeur de cette étendue corporelle , etc. »

J'admets aussi une différence infinie entre la grandeur ou l'immensité divine et la corporelle : en ce que celle-là ne peut tomber sous les sens, à la différence de celle-ci ; 2* en ce que celle-là est incréée et indépendante , et celle-ci dépendante et créée; la première, pénétrable et pénétrant tout ; la seconde, solide et impénétrable; enfin , en ce que celle-là naît de la reproduction continuelle de l'essence divine en tous lieux , et celle-ci de l'ap-

f

222 LETTRES.

plication extérieure et immédiate des parties les unes aux autres; de sorte qu a moins d'être stupide et souverainement bête, on ne sauroit seulement soupçonner :

Que ces raisonnements nous conduisent au crime , Eu nous insinuant quelque horrible maxime.

Comme dit Lucrèce , surtout puisqu'il y a des théologiens, et des plus scrupuleux, qui recon- noissent que si Dieu eût voulu , il auroit pu créer le monde dès l'éternité; et cependant il paroit aussi absurde de donner au monde une durée in- finie qu'une étendue infinie.

6. « Car, selon moi, c'est un des principaux » fondements de ma physique. »

Je n'ai pas de peine à comprendre que ce ne soit le fondement de votre physique, de dire que la matière est au moins indéfiniment étendue , qu'il n'y a point de vide dans la nature. Je ne doute point même que ce principe ne soit vrai; mais je ne sais pas trop bien si vous avez trouvé la vraie manière de le montrer , puisque le principe de votre dé- monstration est que tout ce qui est étendu est réel et corporel : ce dont je ne suis pas encore pleine- ment convaincu , pour les raisons que j'ai dites ci- dessus ; au contraire , pour vous avouer ingénu- ment ce qui me vient présentement dans la pen-

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LETTRES. 223

sée , si ni l'espace privé de tout corp3 , tel qu'est celui de votre démonstration , ni Dieu ne sont point du tout étendus , votre philosophie n'aura pas besoin de cette matière indéfinie, il vous suf- fira d'avoir un nombre certain et défini de stades, car les côtés de ce monde fini ne trouveront point de lieu se retirer , et les tourbillons qui seront au milieu ne pourront s'entrouvrir, pour donner une étendue à l'espace du milieu , et afin que le non-étre ait de nouvelles dimensions. Mais mon ardeur naturelle me jette d'un autre côté, c'est-à- dire dans la croyance que cette fécondité divine , qui n'est jamais oisive, en quelque endroit que ce soit , a créé de la matière en tous lieux sans laisser le moindre petit espace vide en admettant ce sys- tème ; je ne trouve point que votre philosophie se soutienne moins bien faute d'admettre ce que vous lui donnez pour fondement , et je vois clairement que la vérité de votre physique ne se découvre pas si ouvertement et si manifestement par tel et tel article, qu'elle brille par cette tissure universelle, et ce fil continu qui lie toutes ses parties , comme vous faites très bien remarquer à l'article 125 de la quatrième partie , p. 4^5. De sorte que si quel- qu'un envisageoit la face entière de votre philoso- phie , il verroit qu'elle est si régulière et si pro- portionnée en elle-même et aux phénomènes de la nature, qu'il pourroit s'imaginer voir comme dans

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22/j. LETTRES.

une glace polie, la nature, cette habile ouvrière, parée de tous ses ornements.

PREMIÈRE INSTANCE A LA REPONSE SUR LA DERNIERE DIFFICULTE»

« Mais le plus grand de tous les préjugés que

nous ayons retenus de notre enfance, etc. »

J éprouve en moi la force de ce préjugé au-delà de tout ce que je puis vous dire , et je me sens tellement pris et arrêté dans ses filets , qu'il m'est impossible de m'en débarrasser jamais.

2 « Je m'engage à expliquer tout cela très faci- » lement par la seule conformation des membres

des animaux.

Si vous nous tenez parole là-dessus , vous allez nous procurer une joie bien ravissante; j'ai même une si haute idée de vous , que je crois que vous ferez là-dessus tout ce que l'esprit humain est ca- pable de faire; ce sera dans la cinquième ou sixième partie de votre Physique, qu'on dit être presque achevée, et que j'attends avec grande impatience. Je vous prie même instamment qu'elles voient le jour le plus tôt qu'il se pourra, ou, pour mieux dire, afin que par leur moyen vous nous fassiez voir la nature dans ses plus brillantes clartés.

Mais pour revenir à notre sujet, si vous tenez, dis -je, parole -dessus, j'avoue que vous aurez démontré que personne ne peut prouver qu'il y ait

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LETTRES. 225

um âme dans les bêtes : mais , en attendant , il faut convenir que vous ne l'avez pas encore démontré , comme vous le dites vous - même , et même que vous ne le pouvez faire en aucune manière.

3. «Si ce n'est qu'ayant des yeux, des oreil- » les , etc. »

La plus grande preuve, selon moi, est qu'elles évitent avec tant de soin ce qui leur est contraire, et qu'elles songent à leur conservation, comme je pourrois vous le montrer, si j'avois le temps, par de petites histoires aussi véritables que merveil- leuses ; mais je crois que vous en avez lu quantité de pareilles, et les miennes ne sont dans aucun livre.

4. « Qu'il est plus probable de faire mouvoir

comme des machines les vers de terre, les mou-

cherons , les chenilles. »

A moins que nous ne nous imaginions peut-être ces sortes d'âmes comme une espèce de sable et de poussière de la vie du monde, selon que Ficin les appelle; et que ces escadrons presque infinis d'âmes sortants tous les jours de cette pépinière, retom- bent incessamment, par un mouvement impétueux et dirigé par le destin , dans cette matière qui est préparée pour de semblables générations; mais j avoue qu'il est plus facile d'avancer ces chosçs que de les démontrer.

10. i5

2$(> LETTRES.

5. 4 Qui nous marquât, par la voix ou par «d'autres signes, quelque chose, etc. »

ïst-ce que les chiens ne nous font point certains signes avec leur queue, comme nous faisons avec la, tète? Est-ce que, par leurs petits aboiements, ils ne nous demandent point comme par charité leur nourriture à table? Bien plus, ils poussent quel- quefois avec leur patte le bras de leur maître avec une retenue admirable, pour le faire souvenir par ce signe flatteur qu'il les a oubliés.

6. « Or, tous les hommes les plus stupides et » les insensés , etc. , au lieu que les brutes ne font » rien de semblable , etc. »

Vous pourriez dire la même chose des enfants , du moins durant l'espace de plusieurs mois; quoi- qu'ils pleurent, qu'ils rient et se mettent en co- lère, etc., vous êtes pourtant persuadé qu'ils ont une âme et une âme qui pense. Voilà, monsieur, quelles sont les instances que j'ai pris la liberté de faire à vos excellentes réponses ; je ne sais si elles vous seront aussi agréables que mes dernières ob- jections. La bonté que vous avez marquée pour les premières, et la longue habitude que j'ai contractée avec vos écrits, m'ont rendu plus hardi ; mais je crains d'avoir été trop long, et de vous avoir été à charge.

Car j'ai presque oublié mon dessein principal ,

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LETTRES. 227

de ne pas multiplier à l'infini les objections et les réponses; mais ayant trouvé l'occasion favorable d'avoir votre décision sur les matières qui se sont présentées , et surtout de vous avoir vous-même pour interprète des difficultés que je pourrois ren- contrer dans la lecture de vos ouvrages, je me suis flatté, monsieur, que vous m'accorderiez cette fa- veur. Le plaisir que vous m'avez fait de me dévoiler les secrets de votre art m'engage à vous deman- der la même grâce pour quelques objections que je vais vous faire. Je demande donc, s'il auroit pu arriver, ou par les décrets divins, ou par quel- que autre manière, que le monde fut fini, c'est-à- dire borné par un nombre déterminé de millions de lieues; car il me semble que ce n'est pas un foible argument que le monde puisse être fini , en ce que presque tout le monde croit qu'il est im- possible qu'il soit infini. Je suppose que quel- qu'un fut assis aux extrémités de ce monde, et je demande s'il pourroit enfoncer son épée jus- quesà la garde au travers les bornes du monde, en sorte que toute la lame de l'épée fût hors des confins du monde; d'un côté la chose pa- roît facile à faire, puisqu'il n'y auroit rien hors du monde qui résistât, et de l'autre la chose paroît impossible, parcequ'il n'y auroit rien d'é- tendu hors du monde, qui pût recevoir la lame de I epee.

i5.

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I

U2& LETTRES.

A l'art. 29 de la seconde partie, p. 91, si le corps AB, transporté du voisinage du corps CD, je demande comment il est certain que le transport soit réciproque; car supposons que le corps CD est une tour, et AB un vent d'occident qui passe par le côté de la tour : or, la tour CD est en re- pos , ou du moins ne s'éloigne point devant AR ; si elle s'en éloigne, ou, comme vous dites, si elle est transportée par le mouvement , elle est donc mue vers l'occident ; mais elle n'est point transpor- tée vers l'occident, puisque la terre et les vents sont portés vers l'orient. Elle paroît donc en repos par rapport au vent, puisqu'elle ne reçoit aucun mouvement de lui ; cependant vous dites que le transport de cette tour et du vent (lequel transport est un mouvement) est réciproque; ainsi la tour seroit en mouvement et en repos par rapport à ce même vent. Ce qui n'est pas bien loin de la con- tradiction. Lorsque celui qui en se promenant s'éloigne de moi , qui suis assis, de l'espace de mille pas par exemple, et s'est échauffé et fatigué, et que je ne le suis pas, c'est un signe qu'il s'est mû, et que je me suis tenu en repos pendant ce temps- là. Dans le mouvement de cet homme qui marche, je ne remarque qu'un rapport que ma pensée y fait des différentes distances nous nous trou- vons, et aucun mouvement réel et physique.

A l'art. 149 de la troisième partie, p. 5oo.

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LETTRES. 22Q

Et ainsi elle fera que la terre tournera sur son. axe, etc. Comment fera la lune, afin que la terre achève dans un jour son tour sur son propre cen- tre, puisqu'elle-même emploie trente jours pour achever le sien ? Ce qui est dit à l'article 1 5 1 , p. 3o 1 , ne touche point, selon moi, cette question.

A l'égard de ces petites parties tournées, que vous appelez cannelées, comment ont-elles pu être ainsi tournées ? Ne devoient-elles pas plutôt être brisées et rompues en une infinité de petites par- ties réduites en atomes? Quelle lenteur et quelle consistance pourrons-nous imaginer dans cette première matière , dont toutes les parties sont ho- mogènes , et entièrement semblables en elles- mêmes ; d'où vient que ces petites parties étoient d'ailleurs molles, et comment se sont-elles dans la suite endurcies ?

A l'art. 189 de la quatrième partie, p. 5o3 , notre âme est étroitement jointe et unie au cerceau ; vous me ferez bien plaisir de m'apprendre ce que vous pensez de l'union de l'âme avec le corps; si elle est unie à tout le corps, ou seulement au cer- veau, ou si elle est seulement renfermée dans la glande pinéale, comme dans une espèce de petite prison; car je regarde cette glande, selon vos prin- cipes, comme le siège du sens commun , et comme la forteresse de l'âme. Je doute pourtant si l'âme n'occupe pas tout le corps. Outre cela, je \om

aÔO LETTRES.

prie, comment se peut-il faire que l'âme n'ayant ni parties crochues ni branchues, puisse s'unir si étroitement au corps? Je vous demande encore, n'y a-t-il pas des effets dans la nature, dont on ne sauroit rendre aucune raison mécanique? Ce sen- timent naturel que nous avons de notre propre existence, d'où naît-il? Et cet empire que notre âme a sur les esprits animaux , d'où vient-il aussi ? Comment s'y prend-elle pour les faire couler dans toutes les parties du corps? Comment les esprits de ces sorciers, qu'on nomme familiers, savent-ils si bien disposer la matière et la combiner, pour se rendre visibles et palpables à ces détestables vieilles ? c'est une vérité que j'ai apprise, non seulement de plusieurs de ces vieilles sorcières, mais encore de plusieurs jeunes, qui me l'ont avoué sans aucune contrainte.

Or, n'éprouvons-nous pas nous-mêmes en quel- que façon la même chose dans nos âmes, lorsque nous pouvons, à notre gré pousser ou arrêter nos esprits animaux; les envoyer ou les rappeler, comme il nous plaît? Je demande donc s'il seroit indigne d'un philosophe de reconnoître dans la nature une substance incorporelle , qui peut ce- pendant imprimer dans quelque corps toutes les propriétés du corps, ou du moins la plupart, tels que sont le mouvement , la figure , la situation des parties, etc., comme les corps peuvent le faire les

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LETTRES. 2J1

uns à l'égard des autres; mais de plus, comme il est presque certain que cette substance remue et arrête les corps , ne pourroit-elle pas y ajouter aussi ce qui est une suite du mouvement, comme diviser, unir, dissiper, lier, figurer des petites par- ties, disposer les figures, faire circuler celles qui sont ainsi disposées , ou les mouvoir en quelque sens que ce soit, arrêter leur mouvement circu- laire, et autres choses semblables qui produisent nécessairement la lumière, les couleurs, et les au- tres objets sensibles selon vos principes.

Outre cela, comme rien de corporel ni d'incor- porel ne peut agir sur une autre chose que par l'application de son essence, ce même philosophe ne pourroit-il pas en conclure nécessairement que, soit que ce soit un bon ou mauvais ange, notre esprit ou Dieu qui agisse sur la matière de la ma- nière que nous l'avons dit, il faut que l'essence de cette chose, quelle qu'elle soit, se promène pour ainsi dire sur ces parties de matière sur lesquelles elle agit , ou sur quelques autres qui agissent sur elles, en leur transmettant leur mouvement; bien plus, quelle se trouve quelquefois présente à toute cette matière, qu'elle dirige et modifie , comme cela est constant des anges bons et mau- vais qui se sont montrés à nos yeux ; car autre- ment, comment auroient-ils pu resserrer la matière, et la contenir sous une telle ou telle figure?

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232 LETTRES.

Enfin la substance incorporelle ayant une vertu si merveilleuse que par sa simple application sans liens, sans crochets, sans coins et autres instru- ments , elle embrasse et resserre la matière , la dé- veloppe, la divise, la rejette et en même temps la retienne; ne paroît-il pas vraisemblable quelle puisse rentrer en elle-même, puisqu'il n'y a point d'impénétrabilité qui sy oppose, et se répandre derechef, et autres semblables? Je vous prie, monsieur, si vos occupations vous le permettent, de me faire la grâce de m 'expliquer ces choses , sachant que vous avez pénétré tous les mystères de la nature, tant les extérieurs que les intérieurs, et que vous pouvez m'en donner facilement la so- lution.

7. Sur les globules du second élément , ou la matière éthérée, je demande, Si Dieu eût créé la matière de toute éternité, ces globules n'auroient- ils pas été diminués et brisés depuis plusieurs an- nées, et réduits en parties subtiles à l'indéfini , à force de se rencontrer et de se heurter, pour prendre la force du premier élément ; en sorte que l'univers entier auroit été réduit en une flamme universelle depuis plusieurs siècles?

8. Pour ce qui regarde vos petites parties d'«au , longues, polies et flexibles, ont-elles des pores? Cela ne me paroît pas probable, puisqu'elles sont des corps simples, et les premières parties qui ne

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LETTRES. 235

sont composées d'aucunes autres , mais des frag- ments de la première matière qui s'est brisée, et par conséquent entièrement homogène; ce qui me fait douter qu'elles se puissent plier sans pénétra- tion de leurs dimensions : car supposons quelles se courbent en forme d'anneau, la superficie con- cave sera moindre que la convexe , etc. Vous en- tendez parfaitement cela, je ne m'y arrête pas da- vantage.

Et quand même vous vous efforceriez de prouver qu'elles ont des pores, ce que je ne crois pas que vous fassiez jamais, vous noteriez pas pour cela la difficulté, car ce seroient alors nouvelles difficultés sur les bords et les côtés de ces pores , car il y aura toujours alors quelque chose qui n'aura point de pores, et qui ne laissera pas de se plier.

Cette difficulté tombe non seulement sur ces parties oblongues, mais encore sur les rameuses et branchues, et presque sur toutes les autres qui doivent se plier sans casser.

Neuvième et dernière difficulté. Je demande si la matière, soit que nous la supposions éternelle, ou créée d'hier, laissée à elle-même, et ne recevant aucune impulsion étrangère, seroit en mouvement ou en repos ; ensuite si le repos est un mode pri- vatif ou positif du corps, et, dans Tune ou l'autre supposition, comment on pourroit le prouver; enfin, si une chose, quelle quelle soit, peut avoir

2,34 LETTRES.

quelque propriété naturelle par elle-même dont elle puisse être privée , ou qu'elle puisse recevoir ? D'ailleurs jusques ici mon esprit s'est comme joué sur presque tous les principes de votre excellente philosophie, ou plutôt il s'est donné là- dessus une véritable occupation. Je descendrai au par- ticulier si vous avez la bonté de m'y inviter , ou du moins de me le permettre. J'espère que vous me ferez la grâce de m'excuser, si, s'agissant des premiers principes , j'ai examiné les choses un peu scrupuleusement, et si, en sondant le gué, et ne marchant qu'avec réserve, j'ai avancé lentement, et pour ainsi dire à pas de tortue; car je vois que tel est le caractère de l'esprit humain , qui voit mieux dans les conséquences que dans les pre- miers principes de la nature, et que notre condi- tion n'est pas bien différente de celle d'Archimède, qui demandoit qu'on lui donnât un point fixe , et qu'il ébranleroit la terre. Il nous est plus difficile de trouver un endroit placer le pied , que d'a- vancer quand nous l'avons trouvé.

Pour ce qui regarde ces magnifiques bâtiments que vous avez élevés sur vos principes généraux , quoiqu'ils nous parussent d'abord si hauts et si éloignés de la portée de notre vue, que tout y sembloit enveloppé de ténèbres et de nuées, le jour a cependant diminué ces difficultés, et ces obscurités se sont peu à peu évanouies, en sorte

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LETTRES. 255

qu'il en reste très peu en comparaison de ce qui se montroit d'abord.

J'ai cru devoir vous faire cet aveu, afin que vous ne crussiez pas que je voulusse vous multiplier éternellement les difficultés , que vous me fissiez plus volontiers réponse, et que vous reçussiez ces nouvelles difficultés avec la même bonté que vous avez reçu les premières. Si vous me faites cet hon- neur, monsieur, vous trouverez en moi le plus zélé admirateur de votre philosophie, et le plus fidèle et le plus dévoué de vos serviteurs, etc.

A Cambridge, du collège de Christ, ce 5 mars 1649.

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RÉPONSE DE M. DESCARTES

A M. MORUS.

( Lettre 69 du tome I. Version. )

Monsieur ,

Je viens de recevoir avec grand plaisir votre lettre en date du 5 mars , mais dans un temps je me trouve si fort occupé , que je me vois dans la nécessité , ou de vous écrire à la hâte, ou de dif- férer à un long temps d'ici ma réponse. Dans

236 LETTRES.

cette alternative je choisis le premier parti, aimant mieux paroître moins habile et plus officieux.

AUX PREMIÈRES INSTANCES.

Il y a des propriétés que l'on conçoit les unes avant les autres, etc. La sensibilité ne me paroît être clans la chose sensible qu'une dénomination ex- trinsèque, et n'est point une qualité qui convienne à toute la substance corporelle ; car si elle se rap- porte à nos sens, elle ne convient point aux par- ties les plus déliées de la matière ; que si elle avoit quelque rapport à ces nerfs imaginaires que vous supposez que Dieu pourroit façonner , elle pour- roit peut-être convenir aux anges et aux âmes ; car je ne conçois pas plus facilement des nerfs ca- pables de sentiment, et si subtils qu'ils puissent être mus par les plus petites parties de la matière, que quelque autre faculté par le moyen de laquelle notre âme puisse sentir ou percevoir immédiate- ment les autres âmes t mais bien que dans l'exten- sion nous comprenions facilement les parties au respect les unes des autres, il me paroît pourtant que je conçois très bien l'étendue , sans penser au rapport que ces parties ont les unes à 1 égard des autres ; ce que vous devez admettre plus volon - tiers que moi , parceque vous concevez l'étendue comme convenant à Dieu , sans admettre en lui aucunes parties.

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LETTRES. 2,>7

Personne n'a encore démontré que la faculté d'être touché, ou l'impénétrabilité, soient des propriétés qui conviennent à la substance étendue. Si vous concevez letendue par le rapport des parties les unes au- près des autres, il ne paroît pas que vous puissiez dire que chacune de ses parties ne touche pas les voisines, et cette faculté d'être touché est une vé- ritable propriété qui est intime au sujet , et non celle que les sens nous font appeler le toucher.

On ne peut pas aussi comprendre qu'une partie d'une chose étendue pénètre une autre partie qui lui soit égale , sans comprendre en même temps que l'étendue qui est au milieu de ces deux par- ties est ôtée ou anéantie ; or une chose réduite au néant n'en sauroit pénétrer une autre : ainsi on peut démontrer , selon moi , que l'impénétrabilité appartient à l'essence de l'étendue, et non à l'es- sence d'aucuue autre chose.

Je soutiens quil y a une autre étendue aussi vé- ritable. Enfin nous sommes d'accord sur le fond, et il ne s'agit plus entre nous que d'une question de nom , savoir , s'il faut donner le nom de véri- table étendue à cette dernière. Pour moi, je ne con- çois aucune étendue de substance , ni en Dieu, ni dans les anges, ni dans notre âme; mais seule- ment une étendue de puissance, ou une extension en puissance ; en sorte qu'un ange peut propor- tionner ce pouvoir d extension , tantôt à une plus

20S LETTRES.

grande ou moindre partie de la substance corpo- relle ; car s'il n'y avoit aucun corps , je ne . com- prendrois aussi aucun espace à qui Dieu ou l'ange correspondissent par 1 étendue. Quant à ce qu'on attribue à la substance l'étendue qui n'appartient qu'à la puissance, c'est un effet du même préjugé qui nous fait supposer toute substance en Dieu même, comme tombant sous l'imagination.

AUX SECONDES INSTANCES.

Que des parties de l'espace vide en absorbent d'autres, etc. Je le répète , si elles sont absorbées ; donc le milieu de l'espace est ôté et cesse d'être. Or ce qui cesse d'être ne pénètre point une autre chose, donc il faut admettre l'impénétrabilité en tout espace.

Cet intermonde ou cette absence du monde aurai i sa durée, etc. Je crois qu'il implique contradiction de concevoir une durée entre k destruction du premier monde et la création du nouveau ; car si nous rapportons cette durée ou quelque chose de semblable à la succession des pensées divines , ce sera une erreur de l'intellect, non une véritable perception de quelque chose. J'ai déjà répondu à la suite, en observant que l'étendue qu'on attribue aux choses incorporelles convient seulement à la puissance et non à la substance, laquelle puis- sance étant seulement un mode clans la chose à

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LETTRES. !i^9

laquelle elle est appliquée, en ôtant cette chose étendue à laquelle elle correspondent , on ne sau- roit comprendre qu'elle soit étendue.

AUX PÉNULTIÈMES INSTANCES.

Que Dieu est positivement et réellement infini , c'est-à-dire existant partout, etc. Je n'admets pas ce partout, car il paroît ici que vous ne faites consister l'infinité en Dieu qu'en ce qu'il existe partout , ce que je ne vous passe point ; croyant au contraire que Dieu est partout à raison de sa puissance, et qu'à raison de son essence il n'a ab- solument aucune relation au lieu . or comme on ne distingue point en Dieu le pouvoir et l'essence, je crois qu'il est mieux de raisonner en pareille matière sur notre âme ou les anges, comme choses plus proportionnées à notre manière de penser. Les difficultés suivantes me paroissent naître du préjugé qui nous a fait croire que toutes sub- stances, celles-là mêmes que nous reconnoissons incorporelles, sont véritablement étendues, et de la mauvaise manière de philosopher sur les êtres de raison, en attribuant les propriétés de l'être ou de la chose au non-ètre ; mais n'oublions jamais que le non-ètre, ou ce qui n'existe pas, n'a aucun véri- table attribut, et qu'on ne sauroit concevoir en lui eu aucune façon la partie, le tout, le sujet , l'ad- joint, etc., et c'est bien conclure, lorsque vous dites

a/jO LKTTRES.

que l'esprit se joue aveeses propres ombres, lors- qu'il considère les êtres de raison.

Un nombre certain et fini de stades suffira , etc. Mais il répugne à mes idées d'assigner des bornes au monde , et ma perception est la seule règle de ce que je dois affirmer ou nier. C'est pour cela que je dis que le monde est indéterminé ou indé- fini, pareeque je n'y connois aucunes bornes , mais je n oserois dire qu'il est infini , pareeque je conçois que Dieu est plus grand que le monde, non à raison de son étendue que je ne conçois point en Dieu , comme j'ai dit plusieurs fois, mais à raison de sa perfection.

AUX DERNIKBES INSTANCES.

Si vous le faites , etc. Je ne sais point certaine- ment si le reste de ma Philosophie verra le jour, pareequ'il faudroit pour cela faire plusieurs expé- riences , lesquelles je ne sais si j'aurai jamais la commodité de faire ; mais j'espère donner cet été un petit Traité des passions , dans lequel on verra clairement comment tous les mouvements de nos membres qui accompagnent nos passions ou af- fections sont produits, selon moi, non par notre âme , mais par le seul mécanisme de notre corps. Quant aux signes que font les chiens avec leurs queues , ce sont les seuls mouvements qui accom- pagnent les affections, et je crois qu'il faut les

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LETTRES. 24l

distinguer soigneusement de la parole, qui seule est un signe certain de la pensée qui est cachée dans le corps : vous pourriez dire la même chose des enfants , etc.

11 y a une grande différence entre les enfants et les brutes ; cependant je ne croirois pas que les enfants eussent une âme , si je ne voyois qu'ils sont de la même nature que les adultes. Pour les brutes, elles ne parviennent jamais à un âge Ton puisse remarquer en elles le moindre signe de pensée.

AUX QUESTIONS.

A la première. Il répugne à ma pensée , ou , ce qui est le même, il implique contradiction que le monde soit fini ou terminé, pareeque je ne puis ne pas concevoir un espace au-delà des bor- nes du monde , quelque part je les assigne ; or un tel espacé est selon moi un vrai corps. Je ne m'embarrasse point que les autres l'appellent imaginaire, et que par conséquent ils croient le monde fini , car je sais de quel préjugé naît cette erreur.

A la seconde. En imaginant une épée qui passe au-delà des bornes du monde, vous prouvez que vous ne concevez pas le monde comme fini ; car vous concevez comme partie réelle du monde tout lieu que l'épée touche , bien que vous donniez le nom de vide à la chose que vous concevez. 10.

LETTRES.

A la troisième. Je ne saurois mieux expliquer la force réciproque dans la séparation mutuelle de deux corps au respect l'un de l'autre , qu'en supposant un petit bateau dont le fond touche le sable , le long des bords d'un fleuve , et deux hommes, l'un desquels se tenant sur le rivage, pousse avec ses mains le petit bateau pour l'écar- ter de la terre, et un autre homme se tenant sur le même bateau qui pousse le rivage avec ses mains, pour écarter aussi le bateau de la terre si les forces de ces deux hommes sont égales , l'effort de celui qui est à terre et qui par consé- quent est joint à la terre, ne sert pas moins au mouvement du bateau , que l'effort de l'autre qui est transporté avec le bateau ; d'où il est clair que l'action qui fait reculer le bateau de la terre n'est pas moindre sur la terre même que dans le bateau , et cet homme qui s'éloigne de vous pendant que vous êtes assis ne fait pas une difficulté; car lors- que je parle ici du transport , j'entends seulement celui qui se fait par la séparation de deux corps qui se touchent immédiatement.

A la quatrième. Le mouvement de la lune dé- termine la matière céleste, et par conséquent la terre qui fait un tout avec elle, en sorte qu'elle est emportée plutôt d'un côté que d'un autre ; c'est -à- dire, comme on voit dans la figure, plutôt de la partie A vers B que vers D, sans lui communiquer

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LETTRES.

pour cela la vitesse du mouvement ; et comme cette vitesse dépend de la matière céleste, et qu'elle se meut à peu près aussi vite contre la terre que vers la lune , la terre devroit avoir un mouvement deux fois plus rapide que celui qu elle a pour faire soixante fois son tour dans le même temps que la lune ne feroit qu'une fois le sien , plus grand soixante fois que celui de la terre, si la grandeur ne s'y opposoit, comme je l'ai dit à l'article 1 5 1 de la treizième partie, pag. 3oi.

A la cinquième. Je ne suppose point . d'autre lien et d'autre ténacité dans les plus petites par- ties de la matière , que celle que je conçois dans les parties grandes et sensibles qui dépendent du mouvement et du repos des parties; mais il faut observer que les parties cannelées sont formées d'une matière très subtile, et divisée en petites parties innombrables ou indéfinies qui se joignent ensemble pour les composer, en sorte que je con- çois un plus grand nombre de petites parties dans chaque partie cannelée, que l'on n'en conçoit com- munément dans les plus grands corps.

A la sixième. J'ai tâché d'expliquer dans le traité des passions la plupart des choses que vous demandez ici. J'ajoute seulement que je n'ai rien trouvé jusqu'ici sur la nature des choses maté- rielles dont je ne puisse donner très facilement

une raison mécanique, et comme il ne messied

16.

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244 LETTRES.

pas à un philosophe de croire que Dieu peut mouvoir le corps , quoiqu'il ne pense pas que Dieu soit corporel , il ne lui messied pas aussi de croire quelque chose de semblable des substances incorporelles : et bien que je croie qu'aucune ma- nière d'agir ne convient dans le même sens à Dieu et aux créatures , j'avoue cependant que je ne trouve en moi-même aucune idée qui me repré- sente une manière différente dont Dieu ou un ange peuvent mouvoir la matière de celle qui me représente la matière dont je suis convaincu en moi-même , que je puis mouvoir mon corps par ma pensée; et véritablement ma pensée ne peut pas tantôt s'étendre , tantôt se rassembler par rap- port au lieu à raison de sa substance, mais seule- ment à raison de sa puissance, qu'elle peut appli- quer à des corps plus grands ou plus petits.

A la septième. Si le monde avoit été de toute éternité, certainement cette terre ne seroit pas depuis l'éternité; mais il s'en seroit produit d'au- tres en différents endroits , et toute la matière n'auroit pas été réduite au premier élément; car comme quelques unes de ses parties se brisent en certains endroits , d'autres s'unissent ensemble en d'autres lieux sans qu'il y ait plus de mouvement ou d'agitation en un temps qu'en un autre dans tout l'univers.

A la huitième. Par la manière dont j'ai décrit la

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LETTRES. 2/|5

production de la terre, c'est-à-dire des parties de la matière du premier élément qui se réunissent les uns aux autres, il s'ensuit évidemment que les parties d'eau et toutes les autres qui sont dans la terre ont des pores; car, comme ce premier élé- ment n'est composé que des parties indéfiniment divisées, il s'ensuit de qu'il faut concevoir des pores jusques à la dernière division possible dans tous les corps qui en sont composés.

À la neuvième. Par ce que j'ai dit ci-dessus de deux hommes , dont l'un est avec le bateau et l'autre demeure immobile sur le rivage, j'ai fait assez voir que je ne crois pas qu'il y ait rien de plus positif dans le mouvement de l'un que dans le repos de l'autre.

Je ne comprends pas bien ce que veulent dire ces derniers mots : An ulla res affectionem habere potest naturaliter et à se qut penitus potest destitui, vel quant aliunde potest adsciscere.

Au reste, monsieur, je vous prie d'être très persuadé que je recevrai toujours avec beaucoup de plaisir toutes les questions et les objections que vous me ferez sur mes ouvrages, et que je tâcherai d'y répoudre le mieux qu'il rne sera possi- ble. Je suis avec un parfait attachement, etc.

A Egtuond, le i5 avril 164^.

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2^6 LETTRES.

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LETTRE DE M. MORUS -

A M. DESCARTES. (Lettre 70 du tome I, Version.)

Monsieur,

J'eus toutes les peines du monde, quand j'eus reçu votre dernière lettre , de m'empècher de vous récrire sur-le-champ , bien que c'eût été à moi une incivilité de le faire , ayant compris par les termes de votre lettre que vous seriez occupé durant plu- sieurs semaines. De plus je me trouvai dans un tel embarras depuis la mort de mon père , que , malgré tout mon empressement , je n'aurois pu trouver un moment commode pour cela. Aujourd'hui que j'ai assez de loisir , je reviens à vous , et à votre phi- losophie, et je vous rends mille grâces de la bonté que vous avez eue de m'accorder plein pouvoir de faire sur vos écrits toutes les questions et toutes les objections qu'il me plairoit.

Mais pour ne pas abuser de votre honnêteté par des altercations éternelles (car jusques ici nous n'avons touché que cette partie de la philosophie qui est toute dans les combats des mots, et dans

« « 1649 , a3 juillet. •»

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LETTRES.

des subtilités épineuses, nous étant toujours tenus sur les frontières de la physique , de la métaphysi- que et de la logique), je me hâte présentement d'arriver à des questions qui demandent un juge- ment plus solide et plus ferme. Je remarquerai seulement en passant, sur la réponse que vous avez faite à mes premières instances, pour ce qui re- garde les anges et les âmes séparées du corps , si elles connoissent immédiatement et par elles-mê- mes quelle est leur essence. Cette connoissance ne peut être appelée proprement un sentiment, si nous les supposons absolument incorporels. J'aime- rois donc mieux dire avec les platoniciens, les an- ciens Pères, et presque tous les philosophes, que les âmes humaines , tous les génies tant bons que mau- vais, sont corporels, et que par conséquent ils ont un sentiment réel , c'est-à-dire qui leur vient du corps dont ils sont revêtus; et en effet, comme je ne me promets rien que de grand de votre esprit, vous me feriez un sensible plaisir si vous vouliez me communiquer en peu de mots ce que vous pensez là-dessus; cette pénétration et cette force d'esprit que je reconnois en vous me sont un gage assuré que vos conjectures sur ce sujet ne peuvent être que très ingénieuses : car, quant à l'ostentation de certains philosophes qui nient hardiment l'exis- tence de toute substance séparée du corps, comme celle des démons, des anges, et des âmes après la

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248 LETTRES.

mort , et qui semblent s'applaudir là-dessus comme d'une heureuse découverte et d'un effort de l'esprit humain qui les rend plus habiles que tous les autres hommes, je ne fais aucun cas de ce sentiment, car j'ai remarqué plusieurs fois que ces sortes de gens étoient pour la plupart des âmes de sang et de boue, de noirs et d'affreux mélancoliques livrés aux sens et à la volupté, et enfin des athées véritables; car ce que la religion leur apprend de la nécessité d'un Dieu, n'opère en eux que comme une vaine super- stition; pour moi je veux bien faire cette profession publique de foi, que toute religion à part, je re- connois volontiers qu'il y a des génies et un Dieu tel , que les plus honnêtes gens et les plus sensés désireroient qu'il fut, si par impossible il n'y en a voit point ; ce qui m'a toujours fait regarder l'a- théisme comme le comble de la méchanceté la plus débordée , et de la stupidité la plus brutale, et la gloire que les athées retirent de leur impiété, assez semblable à la fausse joie d'un peuple insensé qui se féliciîeroit et se sauroit bon gré du meurtre d'un roi très sage et très humain : mais je reviens de l'écart que mon zèle m'a fait faire.

2. A l'égard de votre démonstration , à la faveur de laquelle vous concluez que toute substance étendue est capable d'être touchée, et qu'elle est impénétrable, il me semble qu'on peut dire con- tre , que , dans la substance étendue , les par*

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LETTRES.

ties peuvent être les unes hors des autres, sans une mutuelle résistance; ce qui détruit cette faculté d'être touchée : d'ailleurs que l'étendue avec la substance se replie sur le reste de l'étendue et de la substance , et qu'elle ne périt pas davantage que cette partie de la substance qui retourne dans l'autre , et de tombe son impénétrabilité. Je vous proteste que je conçois clairement et distinctement toutes ces choses. Quant à ce que quelque chose de réel peut être renfermé sans aucune diminution de sa part dans des bornes plus ou moins étroites, cela se prouve par le mouvement même selon vos Principes; car, selon vous, le même mouvement spécifique occupe aussi tantôt un plus grand, tantôt un moindre sujet. Pour moi je conçois avec la même facilité et la même clarté qu'il peut y avoir une substance qui se dilate ou se resserre sans au- cune diminution, soit que cela arrive par soi-même ou d'autre part. Enfin, je suis , je vous assure, sur- pris que vous ne puissiez pas comprendre que l'âme humaine ou l'ange soient presque étendue de cette manière, comme si cela impliquent con- tradiction. Je croirois plutôt qu'il y auroit con- tradiction que la puissance de l'âme rut étendue, lorsque l'âme elle-même ne le seroit en aucune façon; car la puissance de l'âme étant un mode intrinsèque de l'âme, elle n'est pas hors de l'âme même, comme cela est clair. Il faut dire la même

250 LETTRES.

chose de Dieu, ce qui fait que je suis dans un pa- reil étonnement de ce que dans votre réponse à nies pénultièmes instances vous avouez qu'il est partout à raison de sa puissance, et non à raison de son essence , comme si la puissance divine , qui est un mode de Dieu, étoit située hors de Dieu, puisque chaque mode réel est toujours intimement uni à la chose dont il est mode; d'où il s'ensuit nécessairement que Dieu est partout, si sa puis- sance est partout.

Et je ne saurois soupçonner que par puissance divine vous vouliez entendre un effet transmis à la matière. Si vous entendiez même cela, la chose, selon moi , reviendroit au même , car cet effet n'est transmis que par la puissance divine, qui touche la matière qui reçoit son impression, c'est-à-dire qui est unie à elle par quelque mode réel , et par conséquent cette puissance est étendue, sans être pour cela séparée de l'essence divine ; car il semble , comme j'ai dit, qu'il y a une contradiction ma- nifeste, mais je ne veux pas m'arrêter sur cela da- vantage.

Je me hâte de passer aux questions, après vous avoir dit la peine que je sens de ne plus espérer d'avoir la suite de votre Philosophie : ce qui me soutient, c'est l'espérance certaine de ce traité si désiré que nous verrons mettre au jour cet été; je souhaite qu'il vienne bientôt et heureusement.

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LETTRES* 25l

AUX RÉPONSES SUR LES QUESTIONS.

A la première et à la seconde, vous répondez toujours constamment et conformément à vos Prin- cipes, ce que j'attends et j'approuve de chacun , si un meilleur sentiment ne l'emporte. A la troisième voici le gain que j'ai fait avec votre petit bateau: 1 . Que par rapport au mouvement il y a une résis- tance mutuelle entre les deux corps qu'on dit être mus. 2. Que le repos est une action, je veux dire un effort pour résister. 3. Que deux corps qui se meuvent sont immédiatement séparés. 4- Que cette séparation immédiate est ce mouvement, ou ce transport précis; mais lorsque deux corps se sépa- rent l'un de l'autre , si vous n'ajoutez à l'idée de ce transport ou de ce mouvement une force dans l'un et dans l'autre qui les sépare et qui les divise, ce mouvement sera seulement un rapport extrinsèque ou quelque chose même de moins; car être séparé signifie ou que la surface des corps qui se tou- choient mutuellement auparavant est à présent éloignée l'une de l'autre (or, la distance des corps est seulement un rapport extrinsèque), ou signifie ne pas toucher ce qui étoit touché auparavant; ce qui est seulement une privation ou une négation. Je ne comprends pas bien votre pensée là-dessus.

Pour moi, si je voulois m'en croire, je dirois que le mouvement est cette force ou cette action

fl5a LETTRES.

par laquelle les corps que vous dites se mouvoir se détachent mutuellement l'un de l'autre , et que leur séparation immédiate est l'effet dudit mouve- ment, quoique cette séparation soit seulement ou un rapport ou une privation ; mais vous avez rai- sonné autrement dans l'explication de la définition du mouvement à l'article 25 de la seconde partie, p. 88, où, pour vous dire le vrai, je n'entends pas bien votre pensée. Vous avez répondu d'une ma- nière claire et précise aux autres questions que je vous ai proposées : mais pour avoir une plus par- faite intelligence de celles que j'ai faites en assez grand nombre à la sixième, j'attends avec empres- sement votre livre des passions.

Au reste, sur mes dernières paroles, Si quelque chose 9 etc. , il m'étoit venu dans l'esprit une vaine subtilité qui m'est échappée, et que je ne me sou- cie pas de rappeler. Je demande seulement dere- chef si la matière abandonnée à elle-même , c'est-à- dire ne recevant aucune impulsion d'ailleurs, seroit en mouvement ou en repos. Si elle se meut naturellement d'elle même, la matière étant homo- gène, et par conséquent le mouvement étant par- tout égal, il s'ensuit que la matière seroit divisée en des parties si infiniment petites qu'on ne sau- roit rien ôter absolument d'aucune petite parcelle, car tout ce que l'on conçoit pouvoir être ôté est déjà fait à cause de la force intime du mouvement

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LETTRES. 2clO

qui pénètre toute la matière, ou, si vous voulez, qui lui est naturel , et les parties ne s'attacheroient pas davantage les unes aux autres, et les unes ne prendroient pas un cours différent des autres, puisqu'elles sont entièrement semblables, selon toutes les manières qu'on peut imaginer; car on ne sauroit s'imaginer dans une figure aucune âpreté ou aucun angle qui n'ait été brisé, jus- qu'au dernier point le mouvement peut aller, et il ne faut admettre aucune inégalité de mou- vement dans aucune petite parcelle, puisque la matière est supposée parfaitement homogène. Si la matière se mouvoit donc naturellement, il n'y auroit ni soleil, ni ciel, ni terre, ni tourbillons, ni rien d'hétérogène ou de sensible, et qui pût tomber sous l'imagination dans la nature: ainsi vous verriez périr cet art merveilleux par lequel vous voulez que se puissent former les cieux, la terre, et toutes les autres choses sensibles.

Que si vous dites que la matière est de soi- même en repos, à moins qu'elle ne reçoive le mouvement d'ailleurs, et que ce repos est quel- que chose de positif, il s'ensuivroit que la matière souffriroit une violence éternelle , et qu'un de ses modes naturels seroit détruit pour toujours et cè- deroit à son contraire, ce qui paroît un peu dif- ficile à admettre. Je ne sais même s'il seroit plus sûr de dire que le repos est la privation ou la né-

2L)/f LETTRES.

gation du mouvement; car on anéantiroit par toute cette force de résister que vous reconnoissez dans la matière en repos, bien que cela produise encore quelque embarras dans mon esprit; car en disant que le repos est une action de la matière, il faut nécessairement reconnoître que le mouvement n'est que cette même force ; en effet , la matière n'a point d'autre action que le mouvement actuel , ou bien un effort pour le mouvement. J'ai donc là-dessus de furieux scrupules , que vous me ferez plaisir de m'ôter le plus tôt que vous pourrez. Bien plus, j'examine si rigoureusement ces principes, qu'il me vient une nouvelle difficulté sur la nature du mouvement; car si le mouvement est un mode du corps, comme la figure, l'arrangement, les par- ties, etc., comment se pourra-t-ii faire qu'il passe plutôt d'un corps dans un autre, que les autres modes corporels ? Et en général je ne saurois con- cevoir comment il se peut faire que quelque chose qui ne peut pas être hors du sujet , tels que sont tous les modes, passe pourtant dans un autre sujet. Je demanderai ensuite si lorsqu'un corps heurte un moindre corps qui est en repos, et qu'il l'emporte avec soi, le repos du corps qui étoit en repos ne passe pas indifféremment dans celui qui étoit en mouvement , comme le mouve- ment est passé dans celui qui étoit en repos; car il semble que le repos est quelque chose d'oisif, et

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LETTRES. 255

de si paresseux qu'il plaint le chemin qu'il auroit à faire; cependant comme il n'est pas moins réel que le mouvement, la raison veut qu'il passe à l'autre corps; enfin je suis dans un vrai étonne- ment lorsque je considère qu'une chose aussi légère et aussi vile que le mouvement, qui peut être séparée du sujet et passer dans un autre corps, qui d'ailleurs est d'une nature si foible et si pas- sagère qu'il périroit entièrement s'il n'étoit sou- tenu par son sujet, soit pourtant capable de lui donner un si grand branle, et le pousser avec au- tant de force de côté et d'autre.

J'avoue que je me sens plus porté à croire qu'il n'y a point de communication de mouvement: mais que par la seule impulsion d'un corps, un autre corps sort, pour ainsi dire, de son état d'in- dolence pour entrer en mouvement, comme l'âme a une telle pensée par telle et telle occasion , et que le corps ne reçoit pas tant le mouvement qu'il s'y détermine, étant averti par un autre; et, comme j'ai dit ci-dessus , le mouvement est par rapport au corps ce que la pensée est par rap- port à l'âme : ni l'un ni l'autre n'est reçu dans son sujet, mais ils naissent du sujet dans lequel ils se trouvent; et véritablement tout ce qu'on appelle corps n'a qu'une vie, pour ainsi dire, pleine de stupidité et d'ivresse, et je ne le regarde que comme la dernière et la plus infime ombre de l'es-

256 LETTRES.

sence divine, qui est la véritable vie et la vie très parfaite: enfin il est comme une idole qui n'a ni sentiment, ni réflexion. Au reste ce passage des mouvements d'un sujet à un autre , soit du plus grand au moindre , ou réciproquement , comme j'ai dit ci-dessus , représente tout-à-fait bien la nature de mes esprits étendus qui peuvent se ramasser, et puis s'étendre, pénétrer facilement la matière sans la remplir, l'agiter en tous sens, et la mouvoir, et le tout sans aucunes machines, et sans liens ni crochets ; mais je me suis arrêté ici plus long-temps que je ne pensois. Je me hâte d'arriver à mon but , je veux dire à ces nouvelles questions que j'ai à vous proposer sur chaque article des principes de votre Philosophie, dont je ne comprends pas encore assez bien la force.

Sur l'article 8 de la première partie des Principes,

page 5, ligne 16.

Nous connaissons manifestement, etc. Nous ne voyons pas manifestement que l'étendue , la figure et le mouvement local appartiennent à notre na- ture, mais nous ne voyons pas aussi le contraire. Plût à Dieu que vous pussiez me donner ici une bonne démonstration qu'un corps ne sauroit pen- ser.

Sur l'art. 37, ibùL, page 25, ligne 27.

N'est-ce pas une plus grande perfection que

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LETTRES.

l'homme puisse seulement vouloir ce qui lui seroit le plus avantageux, que de pouvoir aussi le con- traire, puisqu'il vaut mieux toujours être heureux, que cl être quelquefois ou même toujours comblé de louanges.

Sur l'art. 54 ibid., pag. 3g, lig. 12.

Je répète ici derechef qu'il faut nous démontrer que rien d'étendu ne pense , ou , ce qui paroîtra plus facile, qu'aucun corps ne peut penser: c'est un sujet digne de votre esprit.

Sur l'art. 60, ibid., pag. 44 et suiv.

Quoique l'âme puisse se considérer elle-même comme une chose qui pense, en excluant toute extension corporelle de cette pensée, on ne peut conclure de là, sinon que l'âme peut être corpo- relle, ou incorporelle, mais non pas que de fait elle soit incorporelle; il faut donc vous prier derechef de démontrer, par quelques opérations de 1 ame qui ne puissent convenir à la matière corporelle, que notre âme est incorporelle.

Sur l'article a5 de la seconde partie des Principes,

page 88, ligne 3o.

Et non pas la force ou l'action qui transporte, afin de montrer que le mouvement est toujours dans le mobile y etc. Est-ce que la force elle-même et Faction du mouvement ne sont pas dans la chose mue?

10* 17

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LETTRES.

Sur l'art. 26, pag. 89, lig. 11.

Y a-t-il donc dans les choses qui sont en repos une certaine force continuelle qui fait qu'elles se tiennent dans la même situation, ou une action de s'arrêter et de se fortifier contre toutes les forces qui pourroient séparer leurs parties et les disjoindre ou entraîner, et emporter tout le corps autre part; en sorte qu'on peut très bien définir le repos une certaine force, ou une action interne du corps qui lie étroitement les parties du corps entre elles et les comprime, et qui par les ga- rantit de la division ou de la séparation, par l'im- pulsion d'un corps étranger ? car il s'ensuivroit de naturellement, ce que je croirois volontiers, que la matière est une espèce de vie obscure, que je regarde comme la dernière ombre de la divinité, et qui ne consiste pas dans la seule extension des parties, mais dans quelque action qu'elle a toujours, c'est-à-dire , ou dans le repos , ou dans le mouve- ment, auxquels vous accordez vous-même le nom d'action.

, -,

Sur l'art. 3o, ibid., pag. 9a, lig. a3.

Cet article paroît contenir une démonstration très évidente, que le transport, ou le mouvement local, n'est réciproque en aucune manière, à moins qu'on ne veuille faire seulement attention au rap- port extrinsèque des corps voisins.

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LETTRES. 25<) Sur l'art. 36, ibid., pag. 100, lig. 3.

Je demandes! l'âme humaine, quand elle remue violemment ses esprits par une longue et pénible attention, ce qui ne manque pas même d échauf- fer le corps, n'augmente point le mouvement de l'univers ?

Sur l'art. 55, ibid.y pag. 119, lig. 29.

Un cube parfaitement dur et plan étant sur une table parfaitement dure et parfaitement plane, dans le même instant qu'on arrête son mouvement, se réunit-il aussi fermement avec la table que les parties du cube ou de la table le sont entre elles, ou reste-t-il toujours divisé de la table, ou du moins pour un temps, après le repos? Car il n'y a aucune compression du cube vers la table, puisque nous imaginons ce mouvement comme fait dans le vide sur la table située hors des murs du monde s'il étoit possible, et par conséquent dans un en- droit où il n'y a pas lieu à la pesanteur ou à la lé- gèreté , et que nous supposons que le mouvement est arrêté du côté auquel tend le cube : il paroît donc par la loi de la nature que le cube et la table étant divisés et n'y ayant aucune action réelle qui les unisse, il paroît, dis-je, qu'ils demeureront touiours actuellement divisés.

Sur les art. f;6 et 57, ibid. , pag. 120 et suiv. Je ne vois point la nécessité de tout jeu des

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2Ô0 LETTRES.

parties autour du corps B, et pourquoi vous faites décrire de si grands cercles aux petites parties de l'eau. Il suffiroit d'observer que toutes ces petites parcelles sont égales entre elles, soit par le mouve- ment que leur donne la matière subtile , soit par rapport à leur masse. Car il suivra de que le corps B étant frappé de tous côtés par les petites parties les plus voisines, par des lignes circulaires ou autres, il se tiendra nécessairement en repos, n'é- tant pas plutôt poussé d'un côté que d'un autre.

Sur l'art. 57, ibid., pag. 124, lig. 22.

Et ne continuent plus de se mouvoir selon des lignes si droites y etc. Quoi! parcequ'au para van t elles décrivoient une ligne presque ovale, et qu'elles suivent présentement une ligne qui approche davantage de la circulaire? Je ne comprends pas bien cela.

Sur l'art. 60, ibid. , pag. 128, lig. 17.

Mais seulement quelles emploient l'agitation qu'elles ont de reste à se mouvoir en plusieurs autres façons. La vitesse du mouvement et sa détermina- tion peuvent-elles donc souffrir un divorce? car c'est la même chose que si on supposoit un voya- geur courant qui dirigeât sa course vers Londres, et que cependant la vitesse de sa course fut portée vers Cantorbéry ou vers Oxford; subtilité qu'au- cune de ces universités ne comprendra jamais, à

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LETTRES. 26l

moins que vous ne compreniez peut-être par le mot de se mouvoir un effort de mouvement pour tendre quelque part.

Sur l'article 16 de la troisième partie des Principes,

page i43.

Est-ce que dans le système de Ptolomée on ne s'apercevroit pas des changements de lumière qu'on remarque dans Vénus? un peu moins sen- sibles à la vérité que ceux qu'on aperçoit dans la lune.

Sur l'art. 35, îbid,, pag. i58.

D'où vient que toutes les planètes , et même les taches du soleil, ne sont pas emportées dans un même plan, je veux dire dans ce plan de l'éclip- tique, ou du moins dans des plans parallèles à l'écliptique? D'où vient pareillement que la lune n'est pas emportée ou dans le plan de l'équaleur, ou dans un plan parallèle à l'équateur , puisque tous ces corps ne sont point dirigés par aucune action intérieure, mais qu'ils sont tous entraînés par une force étrangère ?

Sur les art. 36 et 37, ibid., pag. 160 et 161.

Je voudrois aussi que vous m'expliquassiez la raison des aphélies, et les périhélies des planètes, et la cause pourquoi ces points changent de lieu, surtout puisqu'elles sont dans le même tourbillon ? Pourquoi on ne trouvera pas dans le même lieu

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2Ô2 LETTRES.

les aphélies et les périhélies de toutes les grandes planètes? Comment l'avance des équinoxes naît de vos principes? car vous pourrez expliquer ici les causes véritables et naturelles de ces phénomènes, tandis que les autres ne donnent que des hypo- thèses feintes.

Sur l'art. 55, ibid.9 pag. 181.

Tous les corps qui se meuvent en rond. Mais com- ment ces espaces immenses de matière ont-ils d'a- bord commencé à tourner en rond et à former des tourbillons?

Sur l'art. 57, ibid., pag. 181.

Mais seulement à celte partie dont l'effet est empê- ché par la fronde. Il paroît plus difficile à concevoir que la pierre A soit empêchée de se mouvoir vers D , puisqu'en effet elle n'y est jamais portée, et qu'elle ne continueroit pas son chemin vers D, si l'empêchement étoit ôté, car elle continueroit son chemin vers C.

Sur l'art. 59, ibid., pag. i83.

Vous dites ici qu'une nouvelle force de mouve- ment est acquise , et que cependant l'effort est re- nouvelé : je ne sais si cela quadre bien ; car si une nouvelle force est acquise et surajoutée , ce n'est pas un renouvellement de mouvement, mais une augmentation. Que si la boule A en se mouvant augmente son mouvement, étant dans le même

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LETTRES. 263

point du bâton , pourquoi le mouvement en se mouvant toujours ne s'enflamme et ne s'augmente- t-il pas? Or, de cette manière tout seroit allé depuis long-temps en flamme.

Sur l'art. 62, ibid.9 pag. 6a.

Puisque la pression et l'effort des globules, en quoi consiste l'action de la lumière, se fait selon toute l'étendue du tourbillon , de façon que la base du triangle BFD peut être dix ou cent fois plus grande que DB, et que les extrémités de cette grande base BD fassent un effort oblique sur les globules pour les pousser vers l'œil du spectateur, qui sera au sommet du triangle en F, je vous de- mande pourquoi la lumière du soleil ne paroît pas plus grande que si elle ne venoit que du petit cer- cle DCB.

Sur l'art. 7a, ibid., pag. 199.

Je n'entends point du tout la manière ou l'art de tourner la matière du premier élément en for- mes spirales, ou en limaçon, surtout dans les lieux un peu éloignés de l'axe , à moins que cela ne se fasse, non tant parceque les globules sont tournés autour des parties du premier élément, que par- ceque le premier élément, peut-être déjà déterminé par les globules à tourner autour d'eux, se glissant ensuite dans ces petits espaces triangulaires, prenne de lui-même cette figure spirale. Je vous supplie

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2Ô4 LETTRES.

d'expliquer ici plus pleinement votre pensée. Mais il naît de un autre doute. Comment ces petites parties spirales sont-elles composées de particules très déliées et très rapidement agitées ? comment ces parties très petites s'assemblent-elles en une forme ou en une masse plus considérable , surtout cette contorsion et cette obliquité du mouvement ser- vant à former ces petites parties cannelées?

Sur l'art. 82, ibid., pag. au.

Celles qui sont plus hautes et celles qui sont plus basses. Cette course rapide des globules d'en haut me paroît une espèce de prodige, surtout si on la compare avec celles de ceux qui sont au milieu , et qu'on fasse réflexion qu'elle excède de beaucoup les causes que vous apportez dans l'article suivant. Si vous pouvez trouver quelque autre chose qui rende cette doctrine plus recevable, vous me ferez certainement un grand plaisir de me l'apprendre.

Sur l'art. 84, ibid., pag. 214. Pourquoi les queues des comètes , etc. Dans l'im- patience où je suis d'avoir vos explications sur tou- tes ces matières, je me saisis de la première oc- casion que je trouve pour vous pousser à le faire : je vous prie de vouloir bien m'expliquer pareille- ment cette matière en deux mots.

Sur l'art. 108, ibid., pag. 239. Ou bien sont chassées vers les parties du ciel qui sont

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LETTRES. 265

proches de l'écliptique GH. D'où vient qu'elles n'y sont presque pas toutes chassées, plutôt que de composer ce que vous appelez un tourbillon , en passant d'un pôle à un autre?

Sur l'art. 121, ibid., pag. 260.

Et cette détermination peut être continuellement changée par diverses causes. Par quelles?

s

Sur l'art. 129, ibid., pag. 260.

Et même nous ne pouvons l'y apercevoir que quand, etc. Pourquoi le flux de cette matière étant si transparent empêche-t-il la comète d'être aper- çue? car la matière de notre tourbillon ne cache pas à nos yeux la planète de Jupiter; et pourquoi est-il nécessaire que la planète n'en sorte qu'enve- loppée de la matière du tourbillon qu'elle vient de quitter ?

Sur l'art. i3o, ibid., pag. 272.

La force des rayons est véritablement diminuée. Pourquoi pas entièrement perdue, si le tourbillon ÀEIO presse avec plus de force ou également les tourbillons voisins qu'il n'en est pressé ?

Sur l'art. iflg, ibid., pag. 3oo.

Elle a venir bientôt vers A, etc. Pourquoi n'a- vance-t-elle pas jusqu'à F, et ne heurte-t-elle pas même la terre ?

Parcequ'en cette façon le cours quelle a pris a été

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266 LETTRES.

moins éloigné de la ligne droite. Je ne vois pas bien que la ligne NA continuée avec AB forme plutôt une ligne droite que la même NA continuée avec AD; mais puisque la lune s'éloigne du centre S selon le cours des globules de la matière éthérée , elle doit plus naturellement selon moi s'élever vers B que de descendre vers D.

Sur l'article 11 de la quatrième partie des Principes,

page 3a6.

Et que la terre n'a pas de soi-même la force qui fait qu elle tourne en vingt-quatre heures sur son es- sieu, etc. Je ne vois pas qu'il soit nécessaire de savoir d'où vient ce mouvement circulaire, pourvu qu'il soit dans la terre; et je ne comprends pas pourquoi ces mouvements circulaires et si prompts de la terre ne repousseroient pas vers les cieux toute la matière qui l'environne, quand même son mouvement ne lui seroit pas propre; mais qu'il lui viendroit de la matière céleste interne, si l'agita- tion de la substance éthérée qui l'entoure, et à qui vous accordez un mouvement plus rapide, ne l'em- pêchoit de le faire : et il me semble qu'il ne faut pas considérer la terre comme un corps en repos par rapport à l'effort continuel de ses parties pour s'éloigner du centre. Cela paroît nécessaire en tout corps circulairement; mais la terre peut être dite en repos en tant qu'elle est emportée avec la substance éthérée qui l'entoure, et que leurs su-

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LETTRES. 267

icies ne sont point séparées. Je dis ceci pour savoir de vous si la raison pour laquelle les parties de la terre ne sont point élancées de tous côtés ne doit point être attribuée à la seule vitesse du mouvement des parties de la matière éthérée.

Sur l'art. a5, ibid., pag. 329.

Elles ont quelque légèreté à came du mouvement de leurs parties. Que pensez-vous donc du fer qui est froid, et de celui qui est chaud, lequel pèse davantage? Outre cela, comment une certaine quan- tité d'eau est-elle plus légère à cause du mouvement des parties , puisque le mouvement de ces parties est enfin déterminé en bas par les globules? car on doit juger que la pesanteur d'un corps est d'autant plus grande que sa chute est plus rapide ; et ainsi l'eau seroit plus pesante que l'or.

Sur l'art. 27, ibid., pag. 33a.

A moins peut-être que quelque cause extérieure* etc. Quelles sont ces causes? Faites-moi la grâce de me le dire en deux mots.

Sur l'art. i33, lig. la, ibid., pag. 443.

Pensons qu'il y a en la moyenne région plusieurs pores ou petits conduits parallèles à son essieu. Le mot de parallélisme me fait souvenir ici de quel- ques difficultés presque insurmontables. 1 . Pour- quoi vos tourbillons ne sont-ils pas en forme de colonne ou de cylindre plutôt que d'ellipse, puis*

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268 LETTRES.

que chaque point de Taxe est comme un antre duquel la matière céleste se retire, et, autant qu'il me le semble, avec un mouvement entièrement égal : d'ailleurs (puisqu'il faut partout que les glo- bules s'écartent de l'axe avec une force égale) pour- quoi le premier élément n'est-il pas également étendu tout le long de l'axe en forme de cylindre, plutôt que d'être repoussé presque vers le milieu de l'axe, et d'y être ramassé en forme de globe ; car ce qui entre du premier élément par les deux pôles du tourbillon n'empêche point que tout l'axe ne doive paroître lumineux; en effet, comme les glo- bules s'éloignent avec une force égale de tous les points de l'axe, les courants de la matière très sub- tile, qui entre avec impétuosité, trouveront beau- coup plus de facilité à se glisser les uns sur les au- tres pour arriver aux pôles opposés , qu'à se former et à se creuser en quelque endroit de l'axe un es- pace plus grand que le tournoiement actuel et uni- forme du tourbillon ne pourroit leur permettre et leur céder.

2. Enfin , comme les globules célestes sont em- portées autour de l'axe du tourbillon d'une ma- nère parallèle à l'axe et à eux-mêmes , et ne per- dent point le parallélisme lorsqu'ils changent en quelque façon de lieu entre eux , il paroît impossible qu'il se fasse absolument aucune contorsion des parties cannelées, si ces parties cannelés ne tour-

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LETTRES. 269

nent autour de leurs propres axes dans ces espaces triangulaires ; or je ne vois pas que cela se puisse faire commodément , comme j'ai dit ci-dessus.

Sur l'art. 187, ibid., pag. A99.

On ne remarque aucuns effets de sympathie ou d'antipathie si merveilleux, etc. Plût à Dieu que vous expliquassiez ici , si cela se pouvoit faire en peu de mots, par quelle raison mécanique il arrive que si, de deux cordes de divers instruments qui sont ou à l'unisson , ou à cet intervalle que les musi- ciens appellent tempéré, Ton en touche une l'autre trémousse dans un autre instrument tan- dis que celles qui sont plus proches et même qui sont tendues dans le même instrument la corde a été ébranlée ne se remuent point du tout. Aucune sympathie ne me paroît plus difficile à expliquer mécaniquement que cet accord des cordes , ce qui

est une expérience vulgaire et très commune.

Sur l'art. 188, ibid., pag. 5o2.

L'autre touchant celle de l'homme , etc. Continuez, monsieur, à éclaircir et à achever cette matière. Je suis très persuadé qu'on n'a jamais rien mis au jour qui soit plus agréable et plus utile à tous les savants. Vous ne devez pas vous excuser sur le dé- faut d'expériences; car pour ce qui regarde votre corps , j'ai appris par des auteurs dignes de foi que vous avez examiné avec une exactitude in-

2")Q LETTRÉS.

finie tout ce qui regarde Panatomie du corps hu- main. Pour ce qui regarde lame, vous en avez reçu une en partage dont les opérations sont si lumineuses, et dont la vivacité et l'égalité sont telles, que par le seul secours de cette force et vi- gueur céleste , comme par un feu chimique , elle se changera en toutes les formes , et tiendra lieu d'une infinité d'expériences.

Sur l'art. ip5, ibid., pag. 5io.

Comme j'ai déjà expliqué dans les Météores. Vous avez certainement donné une très belle raison des couleurs dans les météores. Il reste pourtant là-des- sus une méchante difficulté qui embarrasse beau- coup mon imagination; car, disant que la variété des couleurs naît de la proportion qu'a le mouvement circulaire des globules au mouvement rectilinaire, il arrivera nécessairement que quelquefois dans les mêmesglobules le mouvement circulaire surpassera en même temps le rectilinaire , et le rectilinaire le circulaire. Par exemple , dans deux murailles op- posées, dont l'une est teinte en rouge et l'autre eu bleu , les globules qui sont entre seront mus plus vite en cercle qu'en ligne droite à cause de la mu- raille rouge , et plutôt en ligne droite qu'en cercle à cause de la muraille bleue, et tout cela en même temps , ce qui ne sauroit arriver. Ou bien de cette autre manière : dans la même muraille dont , si

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LETTRES. 271

vous voulez, la partie droite est rouge, celle du milieu noire , et la gauche bleue ; comme il se fait toujours un croisement par rapport à l'œil , tous les globules , à cause du concours des rayons f prendront la proportion du mouvement de chaque globule en particulier, c'est-à-dire du circulaire au droit , en sorte qu'il est nécessaire que toutes les couleurs se mêlent au fond de l'œil , et qu'elles s'y confondent ; et je ne saurois inventer aucune ma- nière de lever cette difficulté , à moins qu'il ne faille peut-être supposer que le mouvement cir- culaire n'est pas un mouvement plein , mais une tendance au mouvement circulaire , comme il ar- rive en effet dans le mouvement droit des mêmes globules. J'aurois bien pu de moi-même donner une solution telle quelle à presque toutes les dif- ficultés que je vous ai proposées; mais votre bonté m'ayant permis de vous les exposer, et y ayant été invité par-dessus cela par cette dextérité admirable que vous avez à résoudre ces difficultés , et que j'ai reconnue dans vos dernières lettres (car, bien que je voie que vous avez été fort court dans vos ré- ponses, à cause du peu de temps que vous aviez , cependant vous me satisfaites si pleinement, et vous me fortifiez aussi bien dans mes pensées que si j'étois animé par votre présence , et que vous-même montrassiez les choses au doigt; ajou- tez à cela que vos explications auront plus de poids

LETTRES.

auprès de moi , et auprès des autres dans le be- soin ) ; j'ai donc cru qu'il étoit de mon intérêt de vous proposer toutes ces difficultés : après votre décision, j'aurai, si je ne me trompe, une connois- sance parfaite de tous les principes de votre phi- losophie. Vous ne sauriez croire combien j'estime ce bonheur; et lorsque vous m'aurez servi de sphinx sur ces questions , ce qui me sera d'autant plus agréable que vous le ferez plus prompte- ment , à cause de la passion extrême qui me porte à vos ouvrages , vous recevrez sur la dioptrique les autres difficultés qui vous seront proposées par le plus affectionné de votre philosophie. Je suis , etc.

LETTRE DE M. MORUS

A M. DESCARTES. (Lettre 71 du tome I. Version.)

Monsieur,

Je ressens une douleur bien vive de ce qu'on vous a enlevé si subitement de notre voisinage, et qu'on vous a emmené en un pays si éloigné : mais

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LETTRES. 27.I

pour ne vous rien déguiser, j'ai de quoi adoucir ce déplaisir et cette tristesse, et de quoi me con- soler moi-même; en effet, ce n'est pas un petit avantage pour vous que les nations les plus recu- lées aient rendu un tel honneur à votre mérite , et que 1 éclat de votre réputation ait pénétré avec tant de force jusqu'aux sombres climats et aux brouillards épais du septentrion; et ce qui est le plus important , que ce n'ait pas été sans fruit , puisque l'amour des belles - lettres et de ceux qui les cultivent a fait une si forte impression sur le cœur généreux de la sérénissime reine de Suède , cette illustre héroïne, que, non contente de vos écrits et de votre réputation, elle n'a cessé de vous engager par ses lettres d aller la voir , jusqu'à ce qu'elle ait été au comble de ses vœux : empresse- ment qui ne manquera pas de tourner, comme je le crois, à l'avantage et à l'ornement de son royaume. Ces considérations m'ont fait supporter, je vous l'avoue, avec moins d'impatience votre départ, et en même temps la perte de cette lettre si désirée que j'attendois , comme vous l'aviez promis, avant votre départ. Bien loin de renoncer à l'espérance que j'avois conçue de la recevoir, j'ai au contraire une ferme espérance que non seulement vous ho- norerez d'une de vos réponses celle que je vous ai écrite auparavant , mais encore les présentes dès

que vous les aurez reçues. Plein de cette confiance, 10. 18

LETTRES.

je passe à votre Dioptrique, pour venir ensuite aux Météores, s'il y a quelque difficulté qui m'y arrête, afin que je puisse décharger une fois pour toutes mon esprit de tout ce que j'avois résolu de vous proposer pour mon avantage. J espère par qu'a- près avoir fait de ma part tout ce qui étoit en moi, je me procurerai une plus grande tranquillité, et que je serai délivré de bien des doutes.

Sur la Dioptrique, discours 2, page 20, ligne 24 , figure 7 , planche 1 .

A cause que cette toile ne lui est aucunement op- posée en ce sens-là. Il me paroît que la toile CE s'op- pose en quelque façon à la balle B, même par rapport à la détermination qui la fait tendre vers la main droite; ce que je prouve ainsi :

GH est opposé à plein à la balle B, et l'em- pêche entièrement de s'avancer tant du côté HE que du côté IE, c'est-à-dire vers le bas; car? comme CE ne diffère de GH, qui est opposé à plein au mouvement vers HE , que de la quan- tité de l'angle HBE, ou GBC, il est manifeste que CE, dans la position qu'on lui donne, s'op- posera toujours avec une certaine force au mou- vement de la balle vers HE ; nous en serons con- vaincus davantage si nous supposons que CE est une superficie d'argile fort molle , et qu'une balle, si vous voulez de cuivre , est poussée d'A vers B :

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f

LETTRES. 275

elle s'enfoncera un peu dans l'argile , mais elle perdra tout d'un coup tout son mouvement, tant vers HE que vers CE , ce qui n'arriveroit point si la balle étoit poussée selon la ligne CBE; elle s'a- vanceroit vers HE sans aucun embarras, surtout si nous imaginons que cette balle n'a aucune pesan- teur: donc la superficie CE s'oppose à la balle qui vient de A vers B par rapport à la détermination qui la porte vers HE, ce qu'il falloit démontrer.

Ibid. , page 1 1 , lig. 1 .

Car puisqu'elle perd la moitié de sa vitesse. Je veux bien qu'elle perde quelque degré de vitesse, mais je ne puis comprendre, ce que vous suppo- sez dans cet article et dans le suivant, que ce de- gré de vitesse n'est perdu que par rapport à CE et non par rapport à FE; car, comme cette balle n'a qu'un mouvement réel, quoique nous puissions l'imaginer composé de plusieurs détermi- nations différentes, si ce mouvement est diminué, quelque part que la balle s'avance , son mouve- ment sera plus lent après cette diminution. Ainsi ce qui porte la balle en I , et non point en D, n'est pas son plus ou moins de vitesse , mais la résis- tance qui est plus forte dans le grand angle CBD, et plus petite dans l'angle EBD, parceque la pointe de l'angle aigu EBD, jointe à la fluidité du liquide , doit moins résister à la balle que la pointe émous-

iS.

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LETTRES.

sée de l'angle CBD ; sans cela, s'il falloit avoir re- cours au plus ou moins de vitesse, la balle qui est poussée de A vers B seroit portée vers D : vous n'avez qu'à considérer pour cela votre figure de la Dioptrique s'il est besoin.

Sur le Discours 2 de la Dioptrique, page 22, lig. 24.

Mais si elle est poussée suivant une ligne , comme AB , qui soit si fort inclinée sur la superficie de Veau , ou de la toile CBE, que la ligne FE étant tirée , etc. Il faut avouer qu'il y a beaucoup de sub- tilité dans votre manière de montrer le chemin que doit tenir cette balle ; mais il me paroît que vous n'arrivez point au but. La véritable et unique cause que vous auriez rapporter est la grandeur de l'angle CBD, la petitesse de l'angle EBD, et la grosseur de la balle, qui, pour se réfléchir en l'air vers L,doit d'autant moins faire baisser la ligne AB vers CE que sa grosseur est plus grande ; car une grosse balle a plus de peine à ouvrir et écarter la pointe d'un angle aigu qu'à la froisser en se réfléchissant.

Ibid. page 23, lig. i3.

Qui augmente la force de son mouvement. L'aug- mentation du mouvement ne sert à rien pour détourner la balle , s'il ne se rencontre quelque corps qui , par sa position , en change la détermi- nation ; ce qui arrive ainsi , selon que je me 11-

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LETTRES. 277

magine, surtout dans un lieu que vous dites ad- mettre plus facilement les rayons de la lumière , tel qu'est le cristal , le verre , etc. Comme dans ces matières la pointe de l'angle EBD est si dure et si inflexible quelle ne peut céder , le rayon qui tombe sur le sommet incliné de cet angle, dont la matière est si serrée, se détourne de la ligne droite, et est chassé dedans en s'a p prochant de la per- pendiculaire; ainsi ces deux réfractions me pa- roissent une véritable réflexion commencée; or, comme dans une véritable et libre réflexion il n'arrive de changement que dans la détermina-* tion, et non dans la quantité du mouvement, il paroît qu'il ne faut pas avoir recours ici au plus ou au moins de vitesse pour diminuer ou chan- ger la détermination : donc la seule détermination diminuée ou augmentée suffit pour les deux réfrac- tions ; car quand la balle B est arrivée à la super- ficie CE , elle ne se détourne point de son chemin parcequ'elle a plus ou moins de vitesse , mais parcequ'elle tombe sur un corps qui change la détermination , car autrement, s'il n'y a qu'une vi- tesse plus ou moins grande, la balle, après avoir passé de A en B , iroit en D.

C'est pourquoi dans la première réfraction, la balle s'éloigne de la perpendiculaire, sa déter- mination vers le bas est diminuée, et si elle perd du mouvement , c'est par accident , à cause de la

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278 LETTRES.

mollesse du milieu qui résiste ; dans la seconde , la balle s'approche de la perpendiculaire, sa détermination vers le bas est augmentée; si elle acquiert de la vitesse, c'est par accident, à cause qu'elle pénètre un nouveau milieu qui lui donne un passage plus libre. La cause et le changement de la détermination sont donc nécessaires pour les deux réfractions, comme pour la réflexion, et le plus ou moins de vitesse ne sont qu'accessoires, et même entièrement inutiles pour ces effets ; même il est difficile d'imaginer la cause qui donne à la balle un nouveau degré de vitesse , quand elle passe dans un milieu plus aisé; car tout ce que ce milieu peut faire , c'est de laisser à la balle toute la célérité qu'elle avoit eue, ne recevant par la communication aucune partie de son mouvement, mais il ne peut lui rien donner de nouveau ; et il me paroît qu'il seroit aussi absurde de dire que la balle, quand elle entre dans un milieu plus aisé, acquiert de nouveaux degrés de vitesse, soit par pure libéralité, soit, si vous l'aimez mieux , par restitution de ceux qu'elle avoit perdus , que d'ac- corder qu'il y a un instant de repos dans le point de la réflexion, ce que vous avez eu raison de re- jeter dans l'art. 2 de ce discours.

Discours G de la Dioptrique, page 61, lig. 6, fig. 19, pl. 14.

Mais seulement de la situation des petites parties

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LETTRES. 279

du cerveau d'où les nerfs prennent leur origine. Ces petites parties sont-elles visibles dans quelques parties du cerveau, ou les supposez-vous seule- ment par une simple conjecture? Pour moi, il me paroît qu'on peut s'en passer , mais que les mêmes organes qui transmettent le mouvement font con- noître nécessairement à l'âme d'où vient cette transmission, s'il ne se trouve en chemin aucun empêchement.

Ibid., page 64 , lig. 19. Un raisonnement tout semblable à celui que font les arpenteurs , lorsque par le moyen de deux diffé* rentes stations ils mesurent des distances inaccessi- bles. Cette comparaison me paroît obscure, pour ne pas dire un peu forcée ; je n'y vois rien de com- mun que ces deux stations : caries géomètres, ou, si vous l'aimez mieux, les géodètes, prennent leurs stations sur une ligne droite tirée depuis quelque arbre ou quelque tour, et l'œil prend les siennes en changeant de place sur une ligne à peu près parallèle à l'objet. Il me paroît que c'est tout ce qu'on peut déduire de cette comparaison.

Ibid., page 66, lig. 6.

Leur grandeur s'estime par la connoissance ou l'opinion qu'on a de leur distance. Il seroit très difficile de donner une raison exacte de la grandeur apparente des corps ; mais je crois que le jugement

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9.80 LETTRES.

que nous en portons dépend principalement de la grandeur ou de la petitesse de l'angle les rayons se croisent : plus cet angle est grand , plus l'objet paroîtra grand ; plus il est petit , plus l'objet paroîtra petit : de plus , ce qui mérite attention , si vous approchez de votre œil quelque objet, par exemple votre pouce, à la distance d'une ligne , l'angle les rayons se croisent sera quatre ou cinq fois plus grand que si votre pouce étoit distant de l'œil de dix lignes. Si vous l'éloignez encore de quelques dizaines de lignes , l'angle di- minuera, mais en moindre proportion, jusqu'à ce qu'il devienne si petit, qu'on puisse le confondre avec une seule ligne droite: c'est pourquoi per- sonne ne doit être surpris si son pouce lui paroît beaucoup plus grand quand il n'est éloigné de son œil que d'une ligne, que quand il est éloigné de dix ; et si après cela il paroit toujours à peu près de la même grandeur, quoiqu'il 1 éloigne de trente, quarante lignes, et même davantage, cepen- dant il peut si fort l'éloigner qu'il ne paroîtra plus, car l'ouverture de l'angle peut être plus petite que le diamètre d'un des filaments du nerf optique. Mais je ne comprends pas ce que peut produire en cela l'opinion de la distance comparée à la grandeur de l'image de l'objet, comment l'œil ou l'âme peuvent faire cette comparaison; mais il m'est aussi aisé d'expliquer que de concevoir conv

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LETTRES. 28l

ment , par le moyen de l'angle les rayons se croisent, nous jugeons de la grandeur des corps. Soient H, I et R, L, le fond de deux yeux, d'un grand et d'un plus petit, CD le plus grand objet, mais plus éloigné; EF le plus petit objet, mais plus voisin; EGF, ou RGL, l'angle les rayons se croisent : d'abord j'établis qu'il y a un effort ou une transmission de mouvement de O en L, et de D en R, et que ma réflexion, se prome- nant sur la ligne droite RGFD, parvient à D , ex- trémité de l'objet CD, dans la place il est véri- tablement; tandis que, par une autre ligne droite LGEC, elle parvient à l'autre extrémité G, dans l'endroit elle est véritablement: autant en est- il de toutes les parties de l'objet CD. Je dis donc que c'est par cette course de ma réflexion que je découvre la grandeur de l'objet qui est devant mes yeux, et que la mesure de son diamètre apparent est l'angle Egf. Je dis pareillement que si l'on conserve les mêmes lignes droites que parcourt ma réflexion, et la même ouverture de l'angle à l'égard de l'œil HI, l'objet DC doit lui paroître aussi grand qu'à l'œil RI : d'où je conclus ensuite que la grandeur apparente de l'objet dépend non de la grandeur de l'image , mais de la grandeur de l'angle les rayons se croisent. Enfin, de même que la grandeur apparente de l'objet ne vient pas de la grandeur de l'image peinte au fond de l'œil,

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282 T.ETTR ES.

puisque le petit objet Ef peint, soit dans l'œil Hi, soit dans l'œil Kl, une image d'égale grandeur à celle du grand objet Cd , ainsi elle ne vient pas de la grandeur de l'angle formé par la rencontre des rayons, autrement l'objet Ef paroîtroit aussi grand que Cd, cet angle étant le même pour les deux; mais en retirant le petit objet Ef, Cd pa- roîtra beaucoup plus grand que ne paroîtroit EEf , quoiqu'on les vît tous deux sous un même angle, d'où l'on conclura avec raison que la grandeur apparente d'un objet vient en partie de la gran- deur réelle de l'objet. Il n'est pas non plus sur- prenant que ma réflexion, qui se promène sur ces lignes formées par l'effort ou par la transmission du mouvement, pénètre et s'arrête le mouve- ment a commencé , c'est-à-dire en c et en d, et qu'ils paroissent plus distants que E et f , puisqu'en effet ils sont plus éloignés que Ef , et qu'on ne les voit point sous un angle plus petit, et qu'enfin tout l'objet Cd paroisse simplement plus grand que tout l'objet Ef.

Jbid. , page 68, lig. 18.

De plus , a cause que nous sommes accoutumés de juger, etc. Que pensez vous donc de l'aveugle-né que Jésus-Christ guérit? Si on lui eût présenté un miroir plan avant qu'une mauvaise habitude eût dépravé son jugement, auroit-il vu son visage en-

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LETTRES. 283

deçà du miroir, et non au-delà ou derrière? Ce petit jeu de l'image derrière le miroir, dont j'avoue que je ne connois pas jusques ici le manège, a donné de terribles entraves à mon imagination ; car je ne me contente point de cette mauvaise habitude de jnger. Vous me feriez grand plaisir de faire agir pour cela la bonne mécanique, et de m'en faire part quand vous l'aurez découverte.

Jbid., page 70, lig. a 8.

*

// suit de que leur diamètre , etc. Qui empêche que le diamètre du soleil ou de la lune ne nous paroisse d'un ou de deux pieds au plus, à cause de l'angle formé par la rencontre des rayons, et ne di- minue d'une manière propre à nous faire paroître à cette distance des corps de la grandeur réelle du soleil ou de la lune , sans une image d'un ou deux pieds ?

Jbid. y page 71, lig. 11.

Car ordinairement ces astres semblent plus petits lorsqu'ils sont fort hauts vers le midi, etc. Donc le soleil et la lune paroissent plus grands près de l'horizon qu'ils ne devroient, eu égard à leur distance ; et moi je dis qu'une grandeur apparente, soumise à des lois constantes, doit plutôt être ap- pelée véritable et non trompeuse, que celle qui dé- pend de quelques circonstances étrangères et va-

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384 LETTRES.

Sur le Discours 7 de la Dioptrique, page g3, lig. 23.

Si ce n'est peut-être de fort peu en la renver- sant, etc. Quel est cet art de renverser? et pour- quoi n'en dites-vous rien ?

Sur le Discours 8 de la Dioptrique, page 220, lig. 6.

Ou parallèles de divers côtés. Je ne comprends point ces rayons parallèles de plusieurs divers côtés, car je ne vois rien d'approchant dans votre figure 120 de la Dioptrique, c'est pourquoi je vous prie de vous expliquer plus nettement. Si je n'ai pas l'esprit bouché , ce que vous avez mis à la fin de cet article n'est guère plus clair : vous parlez des rayons qui se croisent en tra- versant les deux verres convexes DBQ , et dbq ; dans votre édition françoise vous renvoyez en marge à la page 108, c'est-à-dire à la figure qui est à la page 112 de la nouvelle édition. Pour moi , je ne vois pas que les rayons se croisent dans ces verres , mais seulement au- delà en I, qui est leur foyer commun; il paroît que tous ces rayons gardent un grand parallé- lisme, jusqu'à ce qu'ils soient parvenus à la su- perficie convexe des deux verres BD, bd; c'est qu'ils se courbent pour se croiser en I, et non ailleurs; au lieu que vous dites que ces rayons se croisent deux fois dans ces deux verres : pre- mièrement, dans la superficie DBQ ; secondement,

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LETTRES. 285

dans la superficie dbq. Quelle superficie enten- dez-vous, la plane ou la convexe? Est-ce la même dans tous les deux verres? Vous ajoutez : du moins les rayons qui viennent de différentes parties. Qu'est- ce que venir de différentes parties? Entendez- vous parties opposées, car les parallèles qui par- tent du même objet peuvent être dits venus de différentes parties? Tirez-moi de ces ténèbres.

Sur le Discours 9 de la Dioptrique , page 1 36 , fig. 9.

Pourceque d'autant que ces lunettes font que les objets paroissent plus grands , d'autant en peu- vent-elles faire moins voir à chaque fois. Puisque ces lunettes plus parfaites ont une plus grande ouverture du côté du verre extérieur, qui par con- séquent reçoit de l'objet plus de rayons parallèles que les imparfaites qui ont cette ouverture grande , et la convexité de ce verre renvoyant tous ces rayons au fond de l'œil, d'où vient qu'il ne se peint pas dans cet œil un plus grand nombre d'objets , comme il s'y peint de plus grandes images ?

Sur le Discours 10 de la Dioptrique, page 149, Iig. 11.

Sera une hyperbole toute semblable , et égale à la précédente. Vous supposezdoncque toutes les hyper- boles dont les foyers sont également distants des

sommets, quoique les unes ayant été décrites par le moyen du cône , et les autres avec la corde et la

règle , ont néanmoins les mêmes propriétés , et

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286 LETTRES.

même vous supposez cette égalité de distance des sommets. Quoique je n'aperçoive en tout cela au- cune fausseté, vous auriez cependant le démon- trer, puisque c'est le fondement de la machine que vous allez expliquer : si vous voulez en prendre la peine vous me ferez plaisir , pourvu que cela soit aisé à comprendre, sinon j'aime mieux en croire un aussi grand homme que vous, que de donner la torture à mon esprit pour en venir à bout.

lbid.y page i57, lig. i3.

Car il doit avoir un tranchant et une pointe. Passe qu'il y ait un tranchant : mais comment aura-tii une pointe, surtout puisque le tranchant de cet outil doit être fabriqué droit , et non concave , car de cette façon il seroit sphérique ? Si ce tranchant peut faire quelque chose vers l'extrémité de la roue , il ne servira à rien vers le milieu ; car il sera trop grand pour pouvoir y entrer, c'est pourquoi la pointe de cet outil ne touchera point la matière voisine du centre de la roue.

Jbîd., page i58, lig. 8.

Doit être si petite , que lorsque son centre est vis- à-vis de la ligne 55 de la machine quon emploie à la tailler, la circonférence ne passe pas au-dessus de la ligne 12 de la même machine. N'est-ce point à cause que pour lors la superficie concave du verre deviendroit sphérique et non hyperbolique.

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LETTRES. 287 Ibid., page 16a, lig. 26.

Pour obliger quelques uns des plus curieux et des plus industrieux de notre siècle à en entreprendre l'exécution. Je voudrois savoir si quelque ouvrier industrieux, a essayé d'exécuter ce projet ingénieux , et quel en a été le succès. Quant à ce qu'on dit ici , que quelques uns l'ont tenté inutilement , je n'en crois rien , ou ces ouvriers n'étoient que de simples artisans. Voici quelques difficultés que j'ai aussi trouvées dans vos Météores , mais elles sont en petit nombre et peu considérables.

Discours premier des Météores, page 167, lig. 27.

Et contre la terre que vers les nuées. Ce que vous dites des rayons du soleil , tant droits que réfléchis; mais je ne vois pas comment les rayons droits peu- vent augmenter , si ce n'est qu'étant réfléchis ils sont renvoyés une seconde fois vers la terre: pour lors ce ne sont pas seulement des rayons droits, mais des rayons droits joints avec des réfléchis. J'ai encore une bien plus grande peine par rap- port à la réflexion que vous donnez à ces rayons. La philosophie ordinaire nous en rend une raison très simple : le rayon solaire se remplit comme un fil, d'où résulte nécessairement l'augmentation de la chaleur , ce qui ne peut avoir lieu dans vos Principes; selon vous, ce n'est plus un fil qui se plie en double, mais une balle qui réfléchit. Mais

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288 LETTRES.

comment prouverez-vous l'augmentation de la cha- leur portée au double quand la balle descend de A en B? Elle décrit une ligne par son mouvement , et cette ligne n'est plus quand la balle se dispose à remonter de B en D ; nous n'avons donc qu'une ligne de mouvement qui ne peut doubler la cha- leur : au contraire la chaleur diminuera dans l'air voisin de la terre , puisque le globule ou la balle communique quelque chose de son mouvement aux particules terrestres qui l'environnent ; c'est pourquoi le mouvement sera plus lent en BD qu'en AB; il faut donc que vous expliquiez pourquoi l'air s'échauffe plus contre la terre que vers les nues, et s'il ne peut faire que, quoique le mou- vement soit plus lent contre la terre que vers les plus hautes régions de l'air, on y sent cependant une plus grande chaleur , à cause de l'inégalité de ce mouvement.

Discours 7 des Météores , page 268 , lig. 1 .

Mais aussi les plus basses demeurant fort rares. Si les nues inférieures sont si rares ou si peu compactes , comment peuvent-elles recevoir les plus hautes qui tombent sur elles , et les arrêter ? Il paroît au contraire qu'elles sont si minces , qu'elles devroient être entraînées à terre avec les dernières, si celles-là avoient déjà pris ce che- min-là.

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LETTRES. 289 Ibid. , page 268 , lig. 9.

A cause de la résonnance de l'air, etc. C'est l'o- pinion de Paracelse, que le bruit affreux du ton- nerre vient des voûtes du ciel ; c'est ainsi qu'on entend un grand bruit lorsque quelqu'un décharge une arme à feu dans une salle voûtée; mais pour vous qui ne reconnoissez ni voûte ni plafond au- dessus de l'air , vous devez trouver plus vraisem- blable que plus le coup est éloigné de la terre , plus il doit être foible , le bruit étant d'autant moins sensible qu'on est éloigné des corps qui l'ont produit.

Discours 9 des Météores, page 3oi, lig. 3o.

Car il ne se réfléchit de sa superficie que peu de rayons. Voulez-vous donc que le petit nombre de rayons produise le bleu? Vous ne serez pas d'accord avec ce que vous avez dit d'abord : vous avez dit plus hau t que les couleurs sont produites par la différente proportion qui se trouve entre leur mouvement en ligne droite, et le tournoiement sur leur propre cen- tre, et particulièrement quelebleuparoît quand les globules tournoient moins vite sur leur centre, eu égard à leur mouvement en ligne droite. Présente- ment vous avez recours au petit nombre des rayons; jevoudrois donc savoir si vous pensez qu'il n'y a au- tre cause des couleurs que celle que vous avez si

ingénieusement expliquée ci- dessus , ou si vous 10. 19

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29O LETTRES.

croyez qu elles peuvent être encore produites d'au- tre façon sans aucun égard au tournoiement et au mouvement direct des globules , surtout puisque vous avancez que l'eau de la mer paroît bleue à cause du peu de rayons qui sont réfléchis ; et certes il n'est pas aisé de dire pourquoi la mer ne paroît pas blanche ou rouge , lorsque les globules viennent à frapper sa superficie, puisque ces glo- bules y trouvent quelquefois plus de résistance que dans l'air chargé de vapeurs , qui vous paroît blanc pour lors.

Voilà, monsieur, tout ce que j'avois à vous pro- poser sur vos écrits de physique, et qui m'a paru ou difficile à comprendre ou dont la vérité souf- friroit quelques difficultés; sur quoi vous aurez sujet d'être surpris du caractère et du tour de mon esprit, qui, entrant assez à fond dans tout le reste de vos écrits, se trouvent cependant bien des choses plus difficiles que celles qui l'arrêtent en plusieurs endroits, n'a pas la même pénétration pour ce dont je vous demande l'explication, ou que je vous prie de fortifier par de nouvelles preuves. Quelques efforts que j'aie faits pour cor- riger cette disposition de mon esprit , que j'ai re- marquée dès mon enfance, je veux dire de sur- monter souvent très heureusement les choses les plus difficiles , et d'être arrêté par les plus petites, je n'ai pourtant jamais pu en venir à bout. J'espère

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LETTRES. 291

que votre bonté excusera ce qu'il ne m'est pas pos- sible de corriger, et qu'elle n'imputera ni à une ignorance affectée ni à une sotte démangeaison de disputer tant de difficultés que j'ai entassées les unes sur les autres ; car je ne l'ai pas fait par un désir effréné de disputer, mais par un zèle re- ligieux pour tout ce qui vient de vous.

Cest moins dans le désir d'obtenir la victoire , Qne par le zèle ardent d'acqnérir votre gloire.

Comme le dit élégamment le poète, et comme je le répète dans la dernière sincérité.

Au reste, monsieur, je vous prie de prendre en bonne part tout ce que je vous ai écrit, et d'y faire réponse à votre loisir : si vous me faites cette grâce, vous aurez la consolation d'avoir rendu très savant celui qui a été jusques ici le plus fidèle par- tisan de votre philosophie. Je suis , etc.

A Cambridge, do collège de Christ, le ai octobre 1649.

(Lettre 72 du tomel.)

Ce qui suit a été trouvé parmi les papiers de M. Descartes , comme un projet ou commencement de la réponse .qu'il préparoit aux deux précédentes lettres de M. Morus.

J'étois sur mon départ pour le voyage de Suède, lorsque je reçus votre lettre datée du 25 juillet, etc.

'9-

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2()2 LETTRES.

- Si le sentiment dans les anges est proprement un sentiment, et s'ils sont corporels ou non? Je ré" ponds que lame humaine séparée du corps n'a point proprement de sentiment; qu'à l'égard des anges, nous n'avons aucune raison naturelle qui nous fasse connoître s'ils sont créés comme les âmes séparées des corps, ou comme les mêmes âmes qui sont unies aux corps, et que je ne détermine jamais rien sur les choses dont je n'ai aucune raison certaine pour donner lieu à des conjectures. J'ap- prouve ce que vous dites, que nous ne devons point nous former d'autre idée de Dieu que celle que tous les gens de bien souhaiteroient s'il n'y avoit point de Dieu.

Votre instance sur l'accélération du mouvement' pour prouver que la même substance peut occuper tantôt un plus grand, tantôt un moindre lieu, est ingénieuse; cependant la disparité est grande, parce- que le mouvement n'est pas une substance, mais un mode , et un mode tel en effet que nous concevons intimement comment il peut être diminué ou aug- menté dans le même lieu; car tous les êtres ont certaines notions propres par lesquelles seules il en faut porter jugement, et non par comparaison des êtres les uns aux autres : c'est ainsi que les qualités de la figure ne conviennent pas au mou- vement , et que les qualités de l'une et de l'autre ne conviennent point à l'étendue. Quand on aura

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LETTRES. 303

une fois bien compris que le néant n'a aucune propriété, et que par conséquent ce qu'oivappelle communément espace vide n'est pas un rien , mais un vrai corps dépouillé de tous ses accidents, je veux dire de ceux qui peuvent se trouver et ne se pas trouver sans la corruption du sujet, et qu'on aura remarqué comment chaque partie ou de cet espace ou de ce corps est différente de toutes les autres, et impénétrable, on verra facilement que la même divisibilité, la même faculté d'être touché et la même impénétrabilité ne peuvent convenir à aucune autre chose. J'ai dit que Dieu est étendu en puissance , parceque cette puissance se fait voir ou se peut faire voir dans la chose étendue; et il est certain que l'essence de Dieu doit être présente partout, afin que sa puissance s'y puisse mettre au jour; mais je dis qu'elle n'y est pas à la manière des choses étendues, c'est-à-dire de la manière que j'ai décrit ci-dessus la chose étendue. Il me paroît que parmi les marchandises que vous dites avoir gagnées sur mon petit bateau , il y en a deux qui sont de contrebande: la première, que le repos soit une action ou une espèce de résistance; car bien que la chose qui est en repos ait cette résis- tance, de cela même qu'elle est en repos, ce n'est pas à dire pour cela que cette résistance soit en repos. La seconde est que mouvoir deux corps, c'est les séparer immédiatement; car souvent entre

294 LETTRES.

les choses qui sont ainsi séparées, l'une est dite être mue, et l'autre être en repos , comme j'ai ex- pliqué dans les art. a5 et 3o de la seconde partie des Principes.

Ce transport que j'appelle mouvement n'est point une chose de moindre entité que la figure, c'est-à-dire elle est un mode dans le corps, et la force mouvante peut venir de Dieu qui conserve autant de transport dans la matière qu'il y en a rais au premier mouvement de la création, ou bien delà substance créée, comme de votre âme, ou de quelque autre chose que ce soit, à qui il a donné la force de mouvoir le corps ; et cette force dans la substance créée est son mode, mais elle n'est pas un mode en Dieu; ce qui étant un peu au-dessus de la portée du commun des esprits, je n'ai pas voulu traiter cette question dans mes écrits, pour ne pas sembler favoriser le sentiment de ceux qui considèrent Dieu comme l'âme du monde unie à la matière. Je considère la matière laissée à elle-même, et ne recevant aucune impul- sion d'ailleurs, comme parfaitement en repos; et elle est poussée par Dieu qui conserve en elle au- tant de mouvement ou de transport qu'il y en a mis dès le commencement; et ce transport ne cause pas plus de violence à la matière que le repos ; car le nom de violence ne se rapporte qu'à notre volonté, qui souffre, dit-on, violence, lorsque

I

LETTRES. 205

quelque chose se fait qui y répugne : or dans la nature il n'y a rien de violent, mais il est aussi naturel aux corps de se pousser mutuellement, ou de se briser quand cela arrive, que de se tenir en repos. Mais ce qui a été la cause, à ce que je crois, de la difficulté que vous avez proposée, est que vous concevez une certaine force dans le corps qui est en repos, par laquelle il résiste au mouvement, comme si cette force étoit quelque chose de po- sitif, c'est-à-dire une certaine action distincte du repos même, quoique ce ne soit qu'une entité modale.

Vous remarquez fort bien que le mouvement, en tant qu'il est mode du corps , ne peut passer d'un corps dans un autre, et je ne l'ai pas dit aussi. Bien plus, je crois que le mouvement, en tant qu'il est un tel mode , reçoit des changements continuels ; car autre chose est le mode dans le premier point du corps A , qui est séparé du pre- mier point du corps B, et autre celui qui est séparé du deuxième et du troisième, etc.

Or lorsque j'ai dit qu'il restoit toujours autant de mouvement dans la matière, j'ai entendu cela de la force qui pousse ses parties, laquelle force s'applique tantôt à une partie de la matière , tantôt s'applique aux autres , selon les lois proposées dans l'art, /p , pag. 1 1 o , et dans les suivantes de la seconde partie. Il ne faut donc pas s'embarras-

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LETTRES.

ser du transport du repos d'un sujet à un autre , puisque le mouvement même, en tant qu'il est un mode opposé au repos, ne passe point ainsi. A l'é- gard de ce que vous ajoutez que le corps vous semble jouir d'une vie, maisstupide et pleine d'ivresse, etc., je regarde cela comme de fort belles paroles ; mais permettez- moi une fois pour toutes, avec cette liberté dont vous m'avez permis d'user à votre égard , que rien ne nous éloigne plus du chemin de la vérité que d'établir certaines choses, comme véritables , qu'aucune raison positive , mais notre volonté seule, nous persuade, c'est-à-dire lorsque nous avons inventé ou imaginé quelque chose , et qu'après cela nos fictions nous plaisent , comme vous faites à l'égard de ces anges corporels , de cette ombre de l'essence divine, et autres choses semblables que personne ne doit admettre, par- ceque c'est le vrai moyen de se fermer tout che^ min à la vérité.

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LETTRES.

t

A MADAME LA PKINCESSE PALATINE '.

(Lettre a; du tome LJ Madame,

Entre plusieurs fâcheuses nouvelles que j'ai re- çues de divers endroits en même temps, celle qui ma le plus vivement touché a été la maladie de votre altesse , et bien que j'en aie aussi appris la guérison , il ne laisse pas d'en rester encore des marques de tristesse en mon esprit qui n'en pour- ront être sitôt effacées. L'inclination à faire des vers, que votre altesse avoit pendant son mal, me fait souvenir de Socrate , que Platon dit avoir eu une pareille envie pendant qu'il étoit en prison. Et je crois que cette humeur de faire des vers vient d'une forte agitation des esprits animaux , qui pourroient entièrement troubler l'imagination de

1 « La 27e lettre du Ier volume , page 8a , est de M. Descartes à la prin. cesse Palatine. Elle n'est point datée, mais comme M. Descartesdit, page 83 de cette lettre , que pendant qu'il écrit ces lignes il reçoit des lettres de Suède de la reine et de M. Cbanut , et que les lettres par lesquelles il répond à ces deux lettres sont datées du 26 février 1649 , il y a de l'appa- rence qu'il n'y avoit que peu de jours qu'il les avoit reçues; ainsi je fixe cette lettre au 20 février 1649. "

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298 LETTRES.

ceux qui n'ont pas le cerveau bien rassis , mais qui ne fait qu échauffer un peu les plus fermes et les disposer à la poésie ; et je prends cet emportement pour une marque d'un esprit plus fort et plus relevé que le commun. Si je ne reconnoissois le vôtre pour tel , je craindrois que vous ne fussiez extraordinairement affligée d'apprendre la funeste conclusion des tragédies d'Angleterre ; mais je me promets que votre altesse étant accoutumée aux disgrâces de la fortune, et s'étant vue soi-même depuis peu en grand péril de sa vie, ne sera pas si surprise ni si troublée d'apprendre la mort d'un de ses proches, que si elle n'avoit point reçu aupa- ravant d'autres afflictions. Et bien que cette mort si violente semble avoir quelque chose de plus affreux que celle qu'on attend en son lit , toute- fois, à le bien prendre, elle est plus glorieuse, plus heureuse et plus douce , en sorte que ce qui afflige particulièrement en ceci le commun des hommes doit servir de consolation à votre altesse ; car c'est beaucoup de gloire de mourir en une occasion qui fait qu'on est universellement plaint , loué et regretté de tous ceux qui ont quelque sentiment humain. Et il est certain que sans cette épreuve la clémence et les autres vertus du roi dernier mort n'auroient jamais été tant remarquées ni tant estimées qu'elles sont et seront à l'avenir par tous ceux qui liront son histoire. Je m'assure

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LETTRES. 2p9

aussi que sa conscience lui a plus donné de satis- faction pendant les derniers moments de sa vie , que l'indignation , qui est la seule passion triste qu'on dit avoir remarquée en lui , ne lui a causé de fâcherie. Et pour ce qui est de la douleur , je ne la mets nullement en compte; car elle est si courte, que si les meurtriers pouvoient employer la fièvre ou quelque autre des maladies dont la nature a coutume de se servir pour ôter les hom- mes du monde, on auroit sujet de les estimer plus cruels qu'ils ne sont lorsqu'ils les tuent d'un coup de hache. Mais je n'ose m'arrèter long-temps sur un sujet si funeste, j'ajoute seulement qu'il vaut beaucoup mieux être entièrement délivré d'une fausse espérance que d'y être inutilement entre- tenu. Pendant que j'écris ces lignes, je reçois des lettres d'un lieu d'où je n'en avois point eu depuis sept ou huit mois; et une entre autres (pie la per- sonne à qui j'avois envoyé le traité des Passions , il y a un an, a écrite de sa main pour m'en remer- cier. Puisqu'elle se souvient après tant de temps d'un homme si peu considérable comme je suis , il est à croire qu'elle n'oubliera pas de répondre aux lettres de votre altesse, bien qu'elle ait tardé quatre mois à le faire. On me mande qu'elle a donné charge à quelqu'un des siens d'étudier le livre de mes Principes , afin de lui en faciliter la lecture ; je ne crois pas néanmoins qu'elle trouve

300 LETTRES.

assez de loisir pour s'y appliquer, bien qu'elle semble en avoir la volonté. Elle me remercie en termes exprès du traité des Passions; mais elle ne fait aucune mention des lettres auxquelles il étoit joint,et l'on ne me mande rien du tout de ce pays- qui touche votre altesse : de quoi je ne puis de- viner autre chose, sinon que les conditions de la paix d'Allemagne n'étant pas si avantageuses à votre maison qu'elles auroient pu être, ceux qui ont contribué à cela sont en doute si vous ne leur en voulez point de mal , et se retiennent pour ce sujet de vous témoigner de l'amitié. J'ai toujours été en peine, depuis la conclusion de cette paix, de n'ap- prendre point que monsieur l'électeur votre frère l'eût acceptée , et j'aurois pris la liberté d'en écrire plus tôt mon sentiment à votre altesse , si j'avois pu m'imaginer qu'il mît cela en délibération ; mais pourceque je ne sais point les raisons particu- lières qui le peuvent mouvoir, ce seroit témérité à moi d'en faire aucun jugement Je puis seule- ment dire en général que lorsqu'il est question de la restitution d'un état occupé ou disputé par d'autres qui ont les forces en main , il me semble que ceux qui n'ont que l'équité et le droit des gens qui plaide pour eux ne doivent jamais faire leur compte d'obtenir toutes leurs prétentions, et qu'ils ont bien plus de sujet de savoir gré à ceux qui leur en font rendre quelque partie , tant petite

LETTRES. 301

qu'elle soit , que de vouloir du mal à ceux qui leur retiennent le reste ; et encore qu'on ne puisse trouver mauvais qu'ils disputent leur droit le plus qu'ils peuvent, pendant que ceux qui ont la force en délibèrent, je crois que lorsque les conclusions sont arrêtées, la prudence les oblige à témoigner qu'ils en sont contents, encore qu'ils ne le fussent pas , et à remercier, non seulement ceux qui leur font rendre quelque cbose , mais aussi ceux qui ne leur ôtent pas tout, afin d'acquérir par ce moyen l'amitié des uns et des autres, ou du moins d'éviter leur baine; car cela peut beaucoup servir par après pour se maintenir. Outre qu'il reste encore un long chemin pour venir des promesses jusqu'à l'effet , et que si ceux qui ont la force s'accordent seuls , il leur est aisé de trouver des raisons pour partager entre eux ce que peut-être ils n'avoient voulu rendre à un tiers que par jalousie les uns des autres, et pour empêcher que celui qui s'en- richiroit de ses dépouilles ne fût trop puissant , la moindre partie du Palatinat vaut mieux que tout l'empire des Tartares ou des Moscovites , et après deux ou trois années de paix , le séjour en sera aussi agréable que celui d'aucun autre endroit de la terre. Pour moi, qui ne suis attaché à la demeure d'aucun lieu, je ne ferois aucune difficulté de changer ces provinces ou même la France pour ce pays-là , si j'y pouvois trouver un repos aussi

502 LETTRES.

assuré , encore qu'aucune autre raison que la beauté du pays ne m'y fit aller ; mais il n'y a point de séjour au monde si rude ni si incom- mode auquel je ne m'estimasse heureux de passer le reste de mes jours si votre altesse y étoit, et que je fusse capable de lui rendre quelque service, pourceque je suis entièrement et sans aucune réserve, etc.

A MADAME ÉLIZABETH,

PRINCESSE PALATINE, etC.

(Lettre 28 du tome I. ) Madame,

J'ai été extrêmement surpris d'apprendre par les lettres de M. de P. que votre altesse a été long-

» « La 28e lettre du ter volume est de M. Descartes à madame Élizabeth, princesse Palatine ; elle n'est point datée , mais comme M. Descartes té- moigne, page 86 de cette lettre, que les indispositions dont elle est atta- quée viennent des sujets de fâcherie qu'elle a sans cesse , et que M. Des- cartes parle sans cesse des grands sujets de tristesse qu'elle a, cela fait juger que cette lettre est écrite depuis les sanglantes tragédies d'Angleterre et la conclusion de la paix de Munster, arrivée le 24 d'octobre 1648. Ainsi je crois cette lettre écrite en mars 1649 , je la fixe donc au i5 mars 1649. Je devine un peu, mais rien ne fixe la date de cette lettre. »

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LETTRES. 3o3

temps malade, et je veux mal à ma solitude, pource- qu'elle est cause que je ne l'ai point su plus tôt. Il est vrai que, bien que je sois tellement retiré du monde que je n'apprenne rien du tout de ce qui s'y passe, toutefois le zèle que j'ai pour le service de votre altesse ne m'eût pas permis d'être si long- temps sans savoir l'état de sa santé, quand j'aurois aller à La Haye tout exprès pour m'en enquérir, sinon que M. de P. 1 m'ayant écrit fort à la hâte, il y a environ deux mois, m'avoit promis de m'é- crire derechef par le prochain ordinaire, et pour- cequ'il ne manque jamais de me mander comment se porte votre altesse, pendant que je n'ai point reçu de ses lettres, j'ai supposé que vous étiez tou- jours en même état; mais j'ai appris par ses dernières que votre altesse a eu trois ou quatre semaines du- rant une fièvre lente, accompagnée d'une toux sèche, et qu'après en avoir été délivrée pour cinq ou six jours, le mal est retourné, et que toutefois au temps qu'il m'a envoyé sa lettre (laquelle a été près de quinze jours par les chemins), votre al- tesse commençoit derechef à se porter mieux. En quoi je remarque les signes d'un mal si considé- rable , et néanmoins auquel il me semble que votre altesse peut si certainement remédier, que je ne puis m'abstenir de lui en écrire mon sentiment. Car bien que je ne sois pas médecin, l'honneur

« PoUet. »

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3o4 LETTRES.

que votre altesse me fît leté passé de vouloir savoir mon opinion touchant une autre indisposition qu'elle avoit pour lors me fait espérer que ma li- berté ne lui sera pas désagréable. La cause la plus ordinaire de la fièvre lente est la tristesse; et l'opi- niâtreté de la fortune à persécuter votre maison vous donne continuellement des sujets de fâcherie, qui sont si publics et si éclatants, qu'il n'est pas besoin d'user beaucoup de conjectures, ni être fort dans les affaires, pour juger que c'est en cela que con- siste la principale cause de votre indisposition; et il est à craindre que vous n'en puissiez être du tout délivrée, si ce n'est que par la force de votre vertu vous rendiez votre âme contente , malgré les dis- grâces de la fortune. Je sais bien que ce seroit être imprudent de vouloir persuader la joie à une personne à qui la fortune envoie tous les jours de nouveaux sujets de déplaisir, et je ne suis point de ces philosophes cruels qui veulent que leur sage soit insensible; je sais aussi que votre altesse n'est point tant touchée de ce qui la regarde en son particulier, que de ce qui regarde les intérêts de sa maison et des personnes qu'elle affectionne; ce que j'estime comme une vertu la plus aimable de toutes. Mais il me semble que la différence qui est entre les plus grandes âmes et celles qui sont basses et vulgaires consiste principalement en ce que les âmes vulgaires se laissent aller à leurs pas-

LETTRES. 3o5

sions, et ne sont heureuses ou malheureuses que selon que les choses qui leur surviennent sont agréables ou déplaisantes ; au lieu que les autres ont des raisonnements si forts et si puissants, que bien qu'elles aient aussi des passions, et même souvent de plus violentes que celles du commun, leur raison demeure néanmoins toujours la maî- tresse, et fait que les afflictions même leur servent et contribuent à la parfaite félicité dont elles jouis- sent dès cette vie. Car d'une part se considérant comme immortelles et capables de recevoir de très grands contentements , puis d'autre part con- sidérant qu'elles sont jointes à des corps mortels et fragiles, qui sont sujets à beaucoup d'infirmités, et qui ne peuvent manquer de périr dans peu d'années, elles font bien tout ce qui est en leur pouvoir pour se rendre la fortune favorable en cette vie, mais néanmoins elles l'estiment si peu au regard de l'éternité, quelles n'en considèrent quasi les événements que comme nous faisons ceux des comédies. Et comme les histoires tristes et lamentables que nous voyons représenter sur un théâtre nous donnent souvent autant de ré- création que les gaies, bien qu'elles tirent des larmes de nos yeux : ainsi ces plus grandes âmes dont je parle ont de la satisfaction en elles- mêmes de toutes les choses qui leur arrivent, même des plus fâcheuses et insupportables. Ainsi

ÎO. 30

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5û6 LETTRES.

ressentant de la douleur en leurs corps, elles s'exer- cent à la supporter patiemment, et cette épreuve qu'elles font de leur force leur est agréable ; ainsi voyant leurs amis en quelque grande affliction, elles compatissent à leur mal, et font tout leur pos- sible pour les en délivrer, et ne craignent pas même de s'exposer à la mort pour ce sujet, s'il en est besoin : mais cependant le témoignage que leur donne leur conscience, de ce qu'elles s'acquittent en cela de leur devoir et font une action louable et vertueuse, les rend plus heureuses que toute la tristesse que leur donne la compassion ne les afflige. Et enfin comme les plus grandes prospérités de la fortune ne les enivrent jamais et ne les rendent point plus insolentes , aussi les plus grandes ad- versités ne les peuvent abattre ni rendre si tris- tes que le corps auquel elles sont jointes en de- vienne malade. Je craindrois que ce style ne fût ridicule, si je m'en servois en écrivant à quel- que autre; mais pourceque je considère votre altesse comme ayant l'âme la plus noble et la plus relevée que je connoisse, je crois qu'elle doit aussi être la plus heureuse, et qu'elle le sera véri- tablement, pourvu qu'il lui plaise jeter les yeux sur ce qui est au-dessous d'elle, et comparer la valeur des biens qu'elle possède, et qui ne lui sauroient jamais être ôtés, avec ceux dont la fortune l'a dépouillée, et les disgrâces dont elle la persécute

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LETTRES. OO7

en la personne de ses proches ; car alors elle verra le grand sujet qu'elle a d'être contente de ses pro- pres biens. Le zèle extrême que j'ai pour elle est cause que je me suis laissé emporter à ce discours, que je la supplie très humblement d'excuser, comme venant d'une personne qui est, etc.

A M. Cn AN UT '.

( Lettre 38 du tome I. )

Monsieur,

Vous avez grande raison de penser que j'ai beau- coup plus de sujet d'admirer qu'une reine perpé- tuellement agissante dans les affaires se soit sou- venue, après plusieurs mois, d'une lettre que j avois eu l'honneur de lui écrire, et qu'elle ait pris la peine d'y répondre, que non pas qu'elle n'y ait point répondu plus tôt. J'ai été surpris de voir qu'elle écrit si nettement et si facilement en françois ; toute notre nation lui en est très obligée , et il me semble que cette princesse est bien plus créée à l'image de

» « La lettre de la reine de Suède à M. Descartes est perdue; elle éioit du mois de décembre 1648. Voyez la lettre manuscrite de Chanut à Des- cartes , du 1 2 de décembre. »

20.

5o8 LETTRES.

Dieu que le reste des hommes, d'autant quelle peut étendre ses soins à plus grand nombre de di- verses occupations en même temps : car il n'y a au monde que Dieu seul dont l'esprit ne se lasse point, et qui n'est pas moins exact à savoir le nom- bre de nos cheveux, et à pourvoir jusquesaux plus petits vermisseaux, qu'à mouvoir les cieux et les astres. Mais encore que j'aie reçu comme une fa- veur nullement méritée la lettre que cette incom- parable princesse a daigné m'écrire, et que j'ad- mire qu elle en ait pris la peine , je n'admire pas en même façon qu'elle veuille prendre celle de lire le livre de mes Principes, à cause que je me per- suade qu'il contient plusieurs vérités qu'on trou- veroit difficilement ailleurs. On peut dire que ce ne sont que des vérités de peu d'importance, touchant des matières de physique, qui semblent n'avoir rien de commun avec ce que doit savoir une reine: mais d'autant que l'esprit de celle-ci est capable de tout , et que ces vérités de physique font partie des fon- dements de la plus haute et plus parfaite morale , j'ose espérer qu'elle aura de la satisfaction de les . connoître. Je serois ravi d'apprendre qu'elle vous eût choisi avec M. Freinshemius pour la soulager en cette étude; et je vous aurois très grande obli- gation si vous preniez la peine de m'avertir des lieux je ne me suis pas assez expliqué. Je serois toujours soigneux de vous répondre dès le jour

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LETTRES. 009

même que j'aurois reçu de vos lettres; mais cela ne serviroit que pour ma propre instruction , car il y a si loin d'ici à Stockholm, et les lettres passent par tant de mains avant que d'y arriver, que vous auriez bien plus tôt résolu de vous-même les difficultés que vous rencontreriez, que vous n'en pourriez avoir d'ici la solution. Je remar- querai seulement en cet endroit deux ou trois choses que l'expérience m'a enseignées touchant ce livre. La première est , qu'encore que sa pre- mière partie ne soit qu'un abrégé de ce que j'ai écrit en mes Méditations, il n'est pas besoin toute- fois pour l'entendre de s'arrêter à lire ces Médita- tions, à cause que plusieurs les trouvent beau- coup plus difficiles, et j'aurois peur que sa majesté ne s'en ennuyât. La seconde est qu'il n'est pas be- soin non plus de s'arrêter à examiner les règles du mouvement, qui sont en l'article 46 de la seconde partie, et aux suivants, à cause qu'elles ne sont pas nécessaires pour l'intelligence du reste. La der- nière est qu'il est besoin de se souvenir, en lisant ce livre, que bien que je ne considère rien dans les corps que les grandeurs, les figures et les mouve- ments de leurs parties, je prétends néanmoins y expliquer la nature de la lumière, de la chaleur, et de toutes les autres qualités sensibles; d'autant que je présuppose que ces qualités sont seulement dans nos sens, ainsi que le chatouillement et la douleur,

3lO LETTRES.

et non point dans les objets que nous sentons, dans lesquels il n'y a que certaines figures et mouve- ments qui causent les sentiments qu'on nomme lumière, chaleur, etc. : ce que je n'ai expliqué et prouvé qu'à la fin de la quatrième partie; et toute- fois il est à propos de le savoir et remarquer dès le commencement du livre, pour le pouvoir mieux entendre. Au reste, j'ai ici à m'excuser de ce que vos lettres me sont allées chercher à Paris , et que je ne vous avois point encore mandé mon retour en Hollande , il y a déjà cinq mois que je suis ; mais je supposois que M. Clerselier vous l'écriroit , à cause qu'il me faisoit souvent part de vos nou- velles lorsque j'étois en France; et j'étois bien aise de ne rien écrire de mon retour, afin de ne sembler point le reprocher à ceux qui m'avoient appelé. Je les ai considérés comme des amis qui m'avoient convié à dîner chez eux ; et lorsque j'y suis arrivé, j'ai trouvé que leur cuisine étoiten désordre, et leur marmite renversée; c'est pourquoi je m'en suis re- venu sans dire mot, afin de n'augmenter point leur fâcherie. Mais cette rencontre m'a enseigné à n'entreprendre jamais plus aucun voyage sur des promesses , quoiqu'elles soient écrites en parche- min. Et bien que rien ne m'attache en ce lieu , si- non que je n'en connois point d'autre je puisse être mieux , je me vois néanmoins en grand hasard d'y passer le reste de mes jours, car j'ai peur que

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LETTRES. Sll

nos orages de France ne soient pas sitôt apaisés , et je deviens de jour à autre plus paresseux, en sorte qu'il seroit difficile que je pusse derechef me résoudre à souffrir l'incommodité d'un voyage. Mais je suppose que vous reviendrez quelque jour du lieu vous êtes; alors j'espère que j'aurai l'hon- neur de vous voir ici en passant. Et je serai toute ma vie, etc.

La lettre jointe à celle-ci ne contient qu'un compliment fort stérile : car , n'étant interrogé sur aucune matière, je n'ai osé, par respect, en tou- cher aucune , afin de ne semhler pas vouloir faire le discoureur, et j'ai cru néanmoins que mon de- voir m'obligeoit d'écrire.

A Egmont, le a6 février 1649.

A LA REINE DE SUÈDE.

(Lettre 3g du tome I.) Madame,

1

S'il arrivoit qu'une lettre me fût envoyée du ciel , et que je la visse descendre des nues , je ne serois pas davantage surpris, et ne la pourrois re- cevoir avec plus de respect et de vénération que

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3l2 LETTRES.

j'ai reçu celle qu'il a plu à votre majesté de m'é- çrire. Mais je me reconnois si peu digne des remer- ciements qu'elle contient, que je ne les puis accep- ter que comme une faveur et une grâce, dont je demeure tellement redevable, que je ne m'en sau- rois jamais dégager. L'honneur que j'avois ci-de- vant reçu d être interrogé de la part de votre ma- jesté par M. Chanut, touchant le souverain bien , ue m'avoit que trop payé de la réponse que j'avois faite ; et depuis ayant appris par lui que cette ré- ponse avoit été favorablement reçue, cela m'avoit si fort obligé, que je ne pouvois pas espérer ni souhaiter rien de plus pour si peu de chose , par- ticulièrement d'une princesse que Dieu a mise en si haut lieu, qui est environnée de tant d'affaires très importantes, dont elle prend elle-même les soins, et de qui les moindres actions peuvent tant pour le bien général de toute la terre, que tous ceux qui aiment la vertu se doivent estimer très heureux lorsqu'ils peuvent avoir occasion de lui rendre quelque service. Et pourceque je fais particulière- ment profession d'être de ce nombre, j'ose ici pro- tester à votre majesté qu elle ne me sauroit rien commander de si difficile, que je ne sois toujours prêt de faire tout mon possible pour l'exécuter, et que si j'étois Suédois ou Finlandois , je ne pour- rois être avec plus de zèle, ni plus parfaitement que je suis, etc.

y

LETTRES. 3l5

M. SCHOOÏEN

*

. . -

A M. DES G ART ES.

M

, . i (Lettre n6du tome III. )

«

A Leyde, ce 10 iuars it>4y.

Monsieur,

Je n'ai pas voulu manquer de vous envoyer les deux livres que je vous avois promis, savoir, Diogenes Laertius de vitis philosop/iorum, et Gre~ gorius a S. Vincenlio de quadratura circuit, et sectionum coni. Touchant ce dernier , je désire fort de savoir votre sentiment, d'autant que le feu père Mersenne, dans un livre qu'il a naguère mis en lumière, qui sert de second tome au livre in- titulé Cogitata pkysico - matkematica , parle fort sobrement en faveur de cet auteur, ne le nom- mant pas une seule fois, encore qu'il parle assez apertement et amplement de son livre. La plus grande louange qu'il lui donne est qu'il ait com- posé un grand livre, et qu'il a cherché cette qua- drature par des chemins fort longs et qui déjà sont connus. Ce que je prends pour le jugement de M. de Roberval , lequel je sais s être employé

y

3l4 LETTRES.

à l'examiner. Mais parceque Vincentius lui-même déclare que la chose principale dont il s'est servi pour en venir à bout est per proportionalitates , dont il a fait un traité, et qu'il traite aussi de ductu plani in planum, qui sans doute sont des choses nouvelles et qui méritent de la louange , dont pourtant le père Mersenne ne dit mot , je doute fort que ce sentiment soit assez équitable. Si vous voulez lire ce que le révérend père Mer- senne en a écrit , je vous enverrai son livre , lequel je puis facilement obtenir ici d'un de mes amis , qui m'a appris ce que je vous en viens d'écrire. Au reste j'ai écrit à M. Zuitlichera le jeune que les vers qu'il avoit composés pour mettre sous votre effigie ne sont pas encore gravés. Vous les verrez dans cette feuille ci-jointe, j'ai ajouté ceux que M. Bartholinus a composés sur le même sujet , et je l'ai fait en faveur de ceux qui in tui lundi' m se profitentur poêlas vel ptclores , etc. Sed his omissis , il faut que je vous propose une petite difficulté qui m'est survenue en voulant résoudre une équation de quatre dimensions , dont la ra- cine est cubique en deux autres, selon la règle de la page 385, à savoir, de diviser 12 par 3 \/e 5 \/e 2, ce que je ne puis autrement faire

qu'en mettant ^FfW^PTl \ mais je ne me satisfais pas ainsi. De plus je serois bien aise que vous voulussiez prendre la peine d'examiner si ces deux

LETTRES. 3 1 5

questions paradoxes sont bien résolues. Personœ duœ A et B , societatem îneuntes , lucrati sunt 1 2 au- reos, qaorum A expendit aureos 5 ; B autem reliqua- tur aureos 2, hoc est habet 2 aureos. Quœritur quan- tum cuilibet ex hac summa debeatur ? Respondelur. Solvendos esse a B ipsi A 8 aureos , quamvis lucrum esse manifestum sit. Aliud exemptum de damno. Personœ duœ A et B jacturam faciunt 12 aureo- rmn , hoc est , habent 12 aureos. Cum igitur A conlribuerit 5 aureos , et B 2 aureos: manifes- tum fit, ipsi A ex natura quœstionis deberi 20 aureos, et ipsi B f 8 aureos, hoc est, B habebit 8 aureos : etiamsi jacturam factam esse constet. Eu finissant je vous remercie très humblement de l'honneur qtie j'ai nouvellement reçu en votre logis, vous assurant qu'il n'y a chose au monde que je désire avec plus de passion que de pouvoir être capable de vous rendre quelque service , et dont je fasse plus d'état que d'avoir acquis la gloire de votre connoissance , laquelle je tâche- rai de me conserver, en vous assurant que je suis, etc.

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5i6

LETTRES.

RÉPONSE DE M. DESCARTES

A M. SCHOOTEN. (Lettre 117 du tome III.)

Monsieur,

Je vous remercie des livres et de tous les autres biens qu'il vous a plu m envoyer ; je n'avois jamais été si bien fourni de plumes que je suis mainte- nant, et pourvu que je ne les perde point, j'en ai plus qu'il ne m'en faut pour écrire cent ans du- rant. Cela me donnera sujet de penser à vous toutes les fois que j'aurai la plume en main, et il m'a été beaucoup plus aisé de faire la division de 1 2 par 3 \/e 3 [/e 2 que vous m'avez demandée, qu'il ne m'eût été si je n'eusse point eu de si bonnes plumes; car le calcul en est plus long que l'invention n'en est difficile. Il vient pour le quotient

^rrr t tW* f -tïVt ^2 f ^t*rH VM t iH*, M t m ^eiS t Sei2 f ff|f \Zeo6. Comme vous pourrez aisément vérifier en multipliant ces neuf termes par 3 y/e 3 \/e 2; car le produit sera 12.

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LETTRES. 5 I 7

Les deux questions que vous nommez para- doxes sont bien résolues, et encore qu'il ne soit pas ordinaire qu'un homme qui a quelque bien se mette en compagnie avec un autre qui a moins que rien, il peut toutefois arriver des cas aux- quels cela se pratique. Par exemple , deux mar- chands d'Amsterdam ont chacun leur commis en Alep , et pourcequ 'ils ne se fient pas trop en ces deux commis et qu'ils savent qu'ils sont ennemis l'un de l'autre, ils leur écrivent que du jour qu'ils auront reçu leurs lettres ils se rendent compte l'un à l'autre de tout ce qu'ils ont entre leurs mains du bien de leur maître, et que s'il se trouve que l'un d'eux doive plus qu'il n'a, que cela soit payé de l'argent de l'autre, et que le surplus soit mis en commun pour être employé en marchandise , sans que l'un des commis puisse rien vendre ni acheter sans le su de l'autre , et ils s'accordent entre eux qu'ils partageront ensem- ble le gain ou la perte, à raison de l'argent que leurs commis auront eu entre leurs mains lors- qu'ils recevront leurs lettres. Ensuite de quoi , s'il arrive qu'un de ces commis ait cinq mille livres, et que l'autre doive deux mille livres, ayant payé ces deux mille livres de l'argent du premier, il restera trois mille livres qu'ils emploieront en mar- chandise, et si de ces trois mille livres ils gagnent douze mille livres , c'est le quadruple de leur

5 I 8 LETTRES.

argent. C est pourquoi celui qui avoit au com- mencement cinq mille livres en doit gagner vingt mille , et par conséquent l'autre qui étoit reliqua- taire de deux mille livres en doit perdre huit mille. Au contraire, s'il y a douze mille livres de perte, celui qui avoit cinq mille livres en doit perdre vingt mille, et l'autre par conséquent en gagner huit mille, pourcequ'ayant payé ses deux mille livres de l'argent du premier , il l'a empêché de les employer en la marchandise il y avoit le quadruple à perdre. Pour le portrait en taille- douce vous m'obligez plus que je ne mérite d'a- voir pris la peine de le graver , et je le trouve fort bien fait , mais la barbe et les habits ne ressem- blent aucunement. Les vers sont aussi fort bons et fort obligeants; mais puisqu'ils ne satisfont pas assez leur auteur, j'approuve extrêmement le des- sein que vous m'avez dit que vous aviez de ne vous point servir du tout de ce portrait , et de ne le point mettre au-devant de votre livre. Mais en cas que vous l'y voulussiez mettre, je vous prie- rois d'en ôter ces mots , Perronii toparcha , naius die uiiimo martis iSgô. Les premiers , pource- que j'ai aversion pour toutes sortes de titres; et les derniers , pourceque j'ai aussi de l'aversion pour les faiseurs d'horoscope , à l'erreur desquels on semble contribuer quand on publie le jour de la naissance de quelqu'un. Je ne vous renvoie pas

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LETTRES. 019

encore vos livres, pourceque je n'ai pas eu le temps de les lire ; mais j'en ai assez vu pour re- marquer un paralogisme dans la quadrature du cercle prétendue, et je n'ai encore rien rencontré dans tout ce gros livre , sinon des propositions si simples et si faciles, que l'auteur me semble avoir mérité plus de blâme d'avoir employé son temps à les écrire que de gloire de les avoir inventées. Pour trouver son paralogisme, j'ai commencé par la 1 i34e page , il dit : Nota autem est proportio segmenli LMNK, ad se g ment um EGFIF. Ce qui est faux : et pour en chercher la preuve, j'ai exa- miné les propositions qui précèdent jusqu'à la trente-neuvième du même livre, page 1 121, j'ai vu que sa faute consiste en ce qu'il veut appliquer à plusieurs quantités conjointes ce qu'il a prouvé 2 4 8 en la proposition trente-septième des 2 6 18 mêmes quantités étant divisées , 2 8 32 sa conséquence est très fausse ; car 2 10 59 ayant, par exemple, les quantités 2, 4j 8, etc., bien qu'il soit vrai que 8 est à 02 en raison doublée de 4 à 8, et 18 à 5o, aussi en rai- son doublée de 6 à 10, ce n'est pas à dire que 8+18, c'est-à-dire 26, soit à 32-f5o, c'est-à-dire 82 , en raison doublée de celle qui est entre 4+6 , c'est-à-dire 10, et 8*j- 1 o , c'est-à-dire 1 8. Tout ce qu'il décrit de proportionalitatibus et de ductibus ne me semble aussi d'aucun usage, et ne lui a

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J20 LETTRES.

servi que pour s'embrouiller, et se tromper soi- même plus aisément. Je suis, etc.

A M. CHANUT \

(Lettre /,2 du tome I.)

Monsieur,

La dernière que vous avez pris la peine de m'a- dresser à Paris n'est point parvenue jusques à moi ,

* <* M. Chanut ayant envie que M. Descartes allât en Suède , le sollicita d'y aller, par des lettres qu'il adressa à M. Picot à Paris, croyant que M. Descartes y étoit encore. M. Picot envoya ces lettres à M. Descartes, qui les reçut vers la mi-février, puisque, dans une lettre adressée à Picot, du ai février 1649* il le remercie de lui avoir envoyé des lettres. Cepen- dant M. Chanut ayant appris par M. Clerselier que M. Descartes étoit de retour en Hollande, lui récrivit de secondes lettres , datées du 27 février. M. Descartes, qui avoit négligé de répondre aux premières lettres sué- doises que Picot lui avoit renvoyées de Paris, ayant reçu, sur la fin de mars, ces secondes lettres qui lui étoient adressées par la voie d'Alcmaer , répondit promptement à M. Chanut, et ne témoigna pas, dans sa réponse, avoir reçu ces secondes ; cependant il les avoit reçues quand il répondit à Chanut le 3 1 mars ; car dans la 44e lettre du xer volume , adressée à la priu- cesse Palatine, et écrite le icr avril if>4o, , M. Descartes dit à cette prin- cesse qu'il lui avoit écrit il y avoit un mois , qu'il avoit reçu des lettres de Suède (et cela vouloit dire les premières, qui avoient été le chercher â Paris), et qu'il en avoit reçu depuis peu de secondes , comme de la part de la reine de Suède, auxquelles il avoit fait la réponse qui est enfermée dans les 4 2 et 43e lettres du Ier volume. Tout cela me persuade que les 42 et

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LETTRES. 021

mais je viens d'en recevoir la copie par le soin de M. Brasset, et je tiens à une très insigne faveur d'apprendre par elle qu'il plaît à la reine de Suède que j'aie l'honneur de lui aller faire la révérence. J'ai tant de vénération pour les hautes et rares qua- lités de cette princesse, que les moindres de ses volontés sont des commandements très absolus à mon regard : c'est pourquoi je ne mets point ce voyage en délibération , je me résous seulement à obéir. Mais pourceque vous ne me prescrivez au- cun temps, et que vous ne le proposez que comme une promenade dont je pourrois être de retour dans cet été, j'ai pensé qu'il seroit malaisé que je puisse donner grande satisfaction à sa ma- jesté en si peu de temps, et qu'elle aura peut- être plus agréable que je prenne mes mesures plus

43e de ce volume, qui oui été envoyées à M. Chanut , sont bien datées du 3i mars 1649; premièrement, elles sont ainsi datées dans l'imprimé; et dans le catalogue des lettres reçues par M. Chanut il est marqué deux lettres de M. Descartes, reçues le 3i mars 1649. Ainsi, ces deux lettres sont du 3i mars 1649.» «La \->.'' du ier volume, page i35, est de M. Descartes à M. Cbauut ; il répond dans cette lettre à une que M. Cha- nut lui avoit écrite à Paris, l'y croyant encore , et que M. Descartes ne reçut que vers la mi-février, par le soin de M. Picot, qui lui en avoit en- voyé la copie. Cette lettre et la suivante étoient datées dtEgmond, du 3i mars 1648. Cependant il y a grande apparence qne toute cette date est fautive , et je me persuade que cette lettre et la suivante 43e sont écrites en même temps, le i3 mars 1649. Il est toujours constant que cette lettre de M. Descartes et la suivante, qui n'en font qu'une, sont dn mois de mars 1649. »

10. ai

r

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longues , et fasse mon compte de passer l'hiver à Stockholm. De quoi je tirerai un avantage que j'a- voue être considérable à un homme qui n'est plus jeune, et qu'une retraite de vingt ans a entièrement désaccoutumé de la fatigue; c'est qu'il ne sera point nécessaire que je me mette en chemin au com- mencement du printemps, ni à la fin de l'au- tomne , et que je pourrai prendre la saison la plus sûre et la plus commode , qui sera je crois, vers le milieu de l'été , outre que j'espère avoir cepen- dant le loisir de mettre ordre à quelques affaires qui m'importent. Ainsi je me propose d'attendre l'honneur de recevoir encore une fois de vos let- tres avant que je parte d'ici, et je ne manquerai pas d'obéir très exactement à tout ce qui me sera commandé de la part de sa majesté, ou bien à ce qu'il vous plaira me faire savoir lui être agréable ; car je ne sais s'il est à propos qu'elle sache que j'ai demandé ce délai , et je n'oserois prendre la liberté de lui écrire, pourceque le respect et le zèle que j'ai me font juger que mon devoir seroit de me rendre au lieu elle est, avant que les courriers y pussent porter des lettres ; mais je me fie en votre amitié et en votre adresse pour ménager mes excuses. Au reste, je ne sais en quels termes je vous puis remercier de toutes les offres qu'il vous plaît me faire, jusques à me vouloir même loger chez vous. Je n'ose les accepter ni les refuser. Je

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LETTRES. 323

vous puis seulement assurer que je ferai tout mon possible pour n'en user qu'en telle sorte que ni vous ni aucun des vôtres n'en serez incommodés, et que je serai toute ma vie, etc.

*

A M. CHANUT.

(Lettre 43 du tome I.)

Monsieur,

Je vous donnerai, s'il vous plaît, la peine de lire cette fois deux de mes lettres, car jugeant que vous en voudrez peut-être faire voir une à la reine de Suède, j'ai réservé pour celle-ci ce que je pen- sois n'être pas besoin qu'elle vît , à savoir que j'ai beaucoup plus de difficulté à me résoudre à ce voyage que je ne me serois moi-même imaginé. Ce n'est pas que je n'aie un très grand désir de rendre service à cette princesse. J'ai tant de créance à vos paroles , et vous me l'avez représen- tée avec des mœurs et un esprit que j'admire et estime si fort, qu'encore qu'elle ne seroit point en la haute fortune elle est, et n'auroit qu'une naissance commune, si seulement j'osois espérer

31.

5^4 LETTRES.

que mon voyage lui fût utile, j'en voudrois entre- prendre un plus long et plus difficile que celui de Suède, pour avoir l'honneur de lui offrir tout ce que je puis contribuer pour satisfaire à son désir. Mais l'expérience m'a enseigné que même entre les personnes de très bon esprit, et qui ont un grand désir de savoir, il n'y en a que fort peu qui se puissent donner le loisir d'entrer en mes pensées, en sorte que je n'ai pas sujet de l'espérer d'une reine qui a une infinité d'autres occupations. L'ex- périence m'a aussi enseigné que, bien que mes opi- nions surprennent d'abord, à cause qu'elles sont fort différentes des vulgaires , toutefois , après qu'on les a comprises, on les trouve si simples et si conformes au sens commun, qu'on cesse entièrement de les admirer, et par même moyen d'en faire cas, à cause que le naturel des hommes est tel, qu'ils n'estiment que les choses qui leur laissent de l'admiration, et qu'ils ne possèdent pas tout-à-fait. Ainsi, encore que la santé soit le plus grand de tous ceux de nos biens qui concernent le corps, c'est toutefois celui auquel nous fai- sons le moins de réflexion, et que nous goûtons le moins. La connoissance de la vérité est comme la santé de l'âme : lorsqu'on la possède on n'y pense plus. Et, bien que je ne désire rien tant que de communiquer ouvertement et gratuitement à un chacun tout le peu que je pense savoir, je ne

LETTRES. ' 525

rencontre presque personne qui le daigne appren- dre. Mais je vois que ceux qui se vantent d'avoir des secrets, par exemple en la chimie ou en l'as- trologie judiciaire, ne manquent jamais, tant ignorants et impertinents qu'ils puissent être , de trouver des curieux qui achètent bien cher leurs impostures. Au reste , il semble que la fortune est jalouse de ce que je n'ai jamais rien voulu atten- dre d'elle, et que j'ai tâché de conduire ma vie en telle sorte qu'elle n'eût sur moi aucun pouvoir; car elle ne manque jamais de me désobliger , si- tôt qu'elle en peut avoir quelque occasion. Je l'ai éprouvé en tous les trois voyages que j'ai faits en France, depuis que je suis retiré en ce pays; mais particulièrement au dernier, qui m'avoit été com- mandé comme de la part du roi. Et pour me con- vier à le faire, on m'a voit envoyé des lettres en parchemin, et fort bien scellées, qui contenoient des éloges plus grands que je n'en méritois, et le don d'une pension assez honnête; et de plus, par des lettres particulières de ceux qui m'envoyoient celles du roi, on me promettoit beaucoup plus que cela, sitôt que je serois arrivé. Mais lorsque j'ai été là, les doubles inopinément survenus ont fait qu'au lieu de voir quelques effets de ce qu'on m'avoit promis, j'ai trouvé qu'on avoit fait payer par l'un de mes proches les expéditions des lettres qu'on m'avoit envoyées, et que je lui en devois

3^6 LETTRES.

rendre l'argent ; en sorte qu'il semble que je n e- tois allé â Paris que pour acheter un parchemin, le plus cher et le plus inutile qui ait jamais été entre mes mains. Je me soucie néanmoins fort peu de cela : je ne Taurois attribué qu'à la fâcheuse rencontre des affaires publiques, et n'eusse pas laissé d'être satisfait si j'eusse tu que mon voyage eût pu servir de quelque chose à ceux qui m'a- voient appelé. Mais ce qui m'a le plus dégoûté, c'est qu'aucun d'eux n'a témoigné vouloir connoî- rre autre chose de moi que mon visage; en sorte que j'ai sujet de croire qu'ils me vouloient seu- lement avoir en France comme un éléphant ou une panthère, à cause de la rareté, et non point pour y être utile à quelque chose. Je n'imagine rien de pareil du lieu vous êtes ; mais les mauvais suc- cès de tous les voyages que j'ai faits depuis vingt ans me font craindre qu'il ne me reste plus pour celui-ci que de trouver en chemin des voleurs qui me dépouillent, ou un naufrage qui m'ôte la vie. Toutefois cela ne me retiendra pas, si vous jugez que cette incomparable reine continue dans le désir d'examiner mes opinions , et qu'elle en puisse prendre le loisir; je serois ravi d'être si heureux, que de lui pouvoir rendre service. Mais si cela n'est pas, et qu'elle ait seulement eu quelque cu- riosité qui lui soit maintenant passée, je vous supplie et vous conjure de faire en sorte que sans

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LETTRES. 327

lui déplaire je puisse être dispensé de ce voyage ; et je serai toute ma vie, etc.

D*Egmond , le 3i mars 1648 x.

A MADAME ÉLIZABETH,

PRINCESSE PALATINE, etc. ■. (Lettre 44 du tome I.)

1

Madame,

Il y a environ un mois que j'ai eu l'honneur d'écrire à votre altesse, et de lui mander que j'avois reçu quelques lettres de Suède; je viens d'en rece- voir derechef, par lesquelles je suis convié de la part de la reine d'y faire un voyage à ce printemps, afin de pouvoir revenir avant l'hiver: mais j'ai répondu de telle sorte , que bien que je ne refuse pas d'y aller, je crois néanmoins que je ne partirai point d'ici que vers le milieu de l'été. J'ai demandé ce délai pour plusieurs considérations , et parti cu-

- 1 Datée du 3i mars 1649. Voyet l'appendice de la lettre précé- dente. »

« Pas datée, mais la 43e étant du 3r mars , celle-ci est immanqua- blement du 3i avril 1649. Voye» le commencement de la lettre, et son rapport avec les deux précédentes. >•

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328 LETTRES.

fièrement afin que je puisse avoir l'honneur de recevoir les commandements de votre altesse avant que de partir. J ai déjà si publiquement déclaré le zèle et la dévotion que j'ai à votre service, qu'on auroit plus de sujet d'avoir mauvaise opinion de moi si on remarquoit que je fusse indifférent en ce qui vous touche, que l'on n'aura si on voit que je recherche avec soin les occasions de m 'acquitter de mon devoir. Ainsi je supplie très humblement votre altesse de me faire tant de faveur que de m 'instruire de tout ce en quoi elle jugera que je lui puis rendre service, à elle ou aux siens, et de s'assurer qu'elle a sur moi autant de pouvoir que si j'avois été toute ma vie son domestique. Je la supplie aussi de me faire savoir ce qu'il lui plaira que je réponde, s'il arrive qu'on se souvienne des lettres de votre altesse, touchant le souverain bien, dont j'avois fait mention l'an passé dans les miennes, et .qu'on ait la curiosité de les voir., Je fais mon compte de passer l'hiver en ce pays-là, et de n'en revenir que l'année prochaine ; il est à croire que la paix sera pour lors en toute l'Allema- gne, et si mes désirs sont accomplis, je prendrai au retour mon chemin par le lieu vous serez, afin de pouvoir plus particulièrement témoigner que je suis, etc.

LETTRES.

;

A M. CHANUT \

i

(Lettre 45 du tome I.)

Monsieur,

La philosophie que j'étudie ne m'enseigne point à rejeter l'usage des passions, et j'en ai d'aussi violentes pour souhaiter le calme et la dissipation des orages de France, qu'en sauroit avoir aucun de ceux qui y sont le plus engagés ; d'où vous ju- gerez, s'il vous plaît, combien est grande l'obliga- tion que je vous ai d'avoir pris la peine de me faire part des bonnes nouvelles que vous avez eues de Saint-Germain. Ma joie auroit été parfaite, si je n'avois point lu dans les dernières gazettes que l'archiduc s'avance vers Paris , et qu'on l'a laissé passer comme ami jusques à Soissons. C'est porter les choses à une grande extrémité , que d'attendre du secours de ceux dont on sait que le principal intérêt est de faire que notre mal dure. Je prie

» « Par deux lettres de M. Descartes à M. Picot, datées des 7 et x4 de

f

mai , M. Chanut n'étoit pas encore venu de Suède en Hollande. Ain>i, il

n'arriva que sur la fin de mai, et Payant su , il lui écrivit cette lettre 45,

* \ ' "

que je date du iS niai 164g. »

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330 LETTRES.

Dieu que la fortune de la France surmonte les efforts de tous ceux qui ont dessein de lui nuire. Pour la promenade à laquelle on m'a fait l'honneur de m'inviter, si elle étoit aussi courte que celle de votre logis jusques au bois de La Haye, j'y serois bientôt résolu; la longueur du chemin mérite bien qu'on prenne quelque temps pour délibérer avant que de l'entreprendre; ainsi , encore qu'il soit mal- aisé que je résiste à un commandement qui vient de si bon dieu, je ne crois pas néanmoins que je parte d'ici de plus de trois mois. Et je vous supplie de croire qu'en quelque lieu du monde que j aille, je serai toujours avec un même zèle , etc.

A M. CHANUT \

(Lettre A 6 du tome I.) Monsieur,

On n'a point trouvé étrange quUlysse ait quitté les îles enchantées de Calypso et de Circé, il

* « M. Descartes n'ayant pas témoigné, dans les 4a et 43e, du 3i mars 1649, qu'il avoit reçu la lettre du 27 février, il y fait ici une espèce de réponse , sans marquer qu'il Tait reçue depuis. C'est en témoiguage de la peine qu'il avoit de quitter son ermitage d'Egtnond. Je la date du 4 avril 1649. »

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LETTRES. 33 1

pouvoit jouir de tontes les voluptés imaginables , et qu'il ait aussi méprisé le chant des sirènes , pour aller habiter un pays pierreux et infertile , d'au- tant que c'étoit le lieu de sa naissance : mais j'a- voue qu'un homme qui est dans les jardins de la Touraine, et qui est maintenant en une terre s'il n'y a pas tant de miel qu'en celle que Dieu avoit promise aux Israélites, il est croyable qu'il y a plus de lait, ne peut pas si facilement se ré- soudre à la quitter pour aller vivre au pays des ours, entre des rochers et des glaces. Toutefois à cause que ce même pays est aussi habité par des hommes, et que la reine qui leur commande a toute seule plus de savoir, plus d'intelligence et plus de raison que tous les doctes des cloîtres et des collèges que la fertilité des pays j'ai vécu a produits, je me persuade que la beauté du lieu n'est pas nécessaire pour la sagesse , et que les hommes ne sont pas semblables aux arbres, qu'on observe ne croître pas si bien lorsque la terre ils sont transplantés est plus maigre que celle ils avoient été semés. Vous direz que je ne vous rends ici que des imaginations et des fables , pour les importantes et véritables nouvelles dont il vous a plu me faire part; mais ma solitude ne produit pas à présent de meilleurs fruits, et l'aise que j'ai de savoir que la France a évité le naufrage en une très grande tempête emporte tellement mon es-

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33a LETTRES.

prit, que je ne puis rien dire ici sérieusement , sinon que je suis, etc.

A M. CHANUT.

(Lettre 47 du tome h)

Monsieur,

Si votre dernière lettre , du 6 mars , m'eût été rendue au temps que les messagers la dévoient apporter, je crois que j'aurois eu l'honneur de vous voir à Stockholm avant que vous eussiez reçu celle-ci ; mais ayant été retenue douze ou treize jours entre La Haye et Alkmaar, il est arrivé que M. l'amiral Fl. 1 a pris la peine de venir ici avant qu'elle m'eût appris qui il étoit ; en sorte que, bien qu'il ait usé de plus de civilités que je n'en méritois, pour me convier à faire le voyage en sa compagnie , il ne m'a pas semblé que cela me dût faire prendre une résolution contraire à ce que je vous avois écrit quelques jours auparavant, à savoir que j'attendrois l'honneur de recevoir encore une fois de vos lettres avant que je partisse d'ici. Car j'appre- nois seulement de ses paroles que vous lui aviez écrit en ma faveur, ce que je ne considérois que

1 « Memmiup. »

y

LETTRES. 533

comme un effet de votre amitié ; et les offres qu'il me faisoit me sembloient n être que des excès de sa courtoisie, à cause que ne sachant point qu'il est l'un des amiraux de Suède, je ne voyois pas en quoi sa compagnie me pouvoit aider pour la sûreté et la commodité du voyage. Et je n'avois point assez de présomption pour m'imaginer qu'une reine qui a tant de grandes choses à faire, et qui em- ploie si dignement tous les moments de sa vie , eût voulu avoir la bonté de vous charger de me recommander à lui de sa part. Je me tiens si obligé de cette faveur, que je vous puis assurer qu'il n'y aura rien qui me retienne, sitôt que j'aurai eu de vos lettres , et que j'ai un extrême désir de vous aller dire que je suis , etc.

A MADAME ÉLIZABETH,

PRINCESSE PALATINE, etC.

(Lettre 48 du tome I.) Madame,

Puisque votre altesse désire savoir quelle est ma résolution touchant le voyage de Suède , je lui dirai

« Je la crois du 4 juin 1649 , ou environ.

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334 LETTRES.

que je persiste dans le dessein d'y aller , en cas que la reine continue à témoigner quelle veut que j'y aille, et M. Chanut, notre R." en ce pays-là, étant passé ici il y a huit jours, pour aller en France , ma parlé si avantageusement de cette merveilleuse reine , que le chemin ne me semble plus si long ni si fâcheux qu'il faisoit auparavant ; mais je ne partirai point que je n'aie reçu encore une fois des nouvelles de ce pays-là , et je tâcherai d'attendre le retour de M. Chanut pour faire le voyage avec lui , pourceque j'espère qu'on le renverra en Suède. Au reste , je m'estimerois extrêmement heu- reux si , lorsque j'y serai , j'étois capable de rendre quelque service à votre altesse. Je ne manquerai pas d'en rechercher avec soin les occasions , et ne craindrai point d'écrire ouvertement tout ce que j'aurai fait ou pensé sur ce sujet , à cause que ne pouvant avoir aucune intention qui soit préjudi- ciable à ceux pour qui je serai obligé d'avoir du respect , et tenant pour maxime que les voies justes et honnêtes sont les plus utiles et les plus sûres , encore que les lettres que j'écrirai fussent vues , j'espère qu'elles ne pourront être mal interprétées , ni tomber entre les mains de personnes qui soient si injustes que de trouver mauvais que je m'ac- quitte de mon devoir , et fasse profession ouverte detre, etc.

« « Résident. »

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LETTRES.

------

535

A M. FREINSHEMIUS '.

(Lettre 49 du tome I.)

Monsieur ,

Entre les excellentes qualités de M. Chanut , celle qui me semble mériter le plus d'amitié est qu'il a soin de faire que tous ceux qu'il aime soient aussi amis les uns des autres. Et outre qu'il m'a assuré en passant ici qu'il vous a déjà inspiré quelque bonne volonté pour moi , il m'a si bien décrit votre vertu et votre franchise, que je ne laisserois pas d'être entièrement à vous, encore que je n'espérasse aucune part en votre affection. Ainsi , monsieur, je me promets que vous ne trouverez pas étrange que je m'adresse librement à vous en son absence , et que je vous supplie de me déli- vrer d'un scrupule qui vient de l'extrême désir que j'ai d'obéir ponctuellement à lareine votre maî- tresse, touchant la grâce qu'elle m'a faite d'agréer que j'aie l'honneur de lui aller faire la révérence à Stockholm. M. Chanut vous sera témoin qu'avant

i * Pas datée ; mais on y voit qu'elle est postérieure à l'arrivée de M. Chanut en Hollande : aussi je la fixe au 10 juin 1649. »

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53t) LETTRES.

qu'il fut arrivé ici , j'avois préparé mon petit équi- page , et tâché de vaincre toutes les difficultés qui se présentent à un homme de ma sorte et de mon âge , lorsqu'il doit quitter sa demeure ordinaire pour s'engager à un si long chemin. Mais nonob- stant qu'il m'ait trouvé ainsi disposé à partir, et que j'aie trouvé aussi qu'il étoit disposé à user de toutes sortes de raisons pour me persuader ce voya- ge, en cas que je n'y eusse pas été résolu ; toutefois pourcequ'il ne m'a point dit qu'il eût aucun ordre de sa majesté pour me commander de me hâter, et que l'été est encore long , je lui ai proposé une dif- ficulté dont il a trouvé bon que je vous priasse de m'éclaircir : c'est que n'ayant pu me préparer à ce voyage sans que plusieurs aient su que j'a- vois intention de le faire, et qu'ayant quantité d'en- nemis, non point, grâce à Dieu, à cause de ma per- sonne , mais en qualité d'auteur d'une nouvelle philosophie , je ne doute point que quelques uns n'aient écrit en Suède , pour tâcher de m'y décrier. Il est vrai que je ne crains pas que les calomnies aient aucun pouvoir sur l'esprit de sa majesté , pourceque je sais qu'elle est très sage et très clair- voyante; mais à cause que les souverains ont grand intérêt d'éviter jusqu'aux moindres occasions que leurs sujets peuvent prendre pour désapprouver leurs actions , je serois extrêmement marri que ma présence servît de sujet à la médisance de ceux qui

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LETTRES. 337

pourraient avoir envie de dire qu'elle est trop as- sidue à l'étude , ou bien qu'elle reçoit auprès de soi des personnes d'une autre religion , ou choses semblables ; et bien que je désire extrêmement l'honneur de m'aller offrir à sa majesté, je sou- haite plutôt de mourir dans le voyage , que d'ar- river là pour servir de prétexte à des discours qui lui pussent être tant soit peu préjudiciables. C'est pourquoi , monsieur, je vous supplie, non point de parler de ceci à sa majesté, mais de pren- dre la peine de me mander, sur ce que vous juge- rez de ses inclinations , et de la conjoncture des temps , ce qu'il est à propos que je fasse , et je manquerais pas d'y obéir exactement, soit que vous ordonniez que j'attende le retour de M. de Chanut ( car , quoi qu'il puisse dire , je ne crois pas qu'il ait laissé madame sa femme, afin qu'elle retourne en France toute seule), soit que vous aimiez mieux que je me mette en chemin aussitôt après que j'aurai eu de vos nouvelles. Je vous demande encore une autre grâce , c'est qu'ayant été impor- tuné par un ami de lui donner le petit Traité des passions que j'ai eu l'honneur d'offrir ci-devant à sa majesté , et sachant qu'il a dessein de le faire imprimer, avec une préface de sa façon, je n'ai encore osé lui envoyer, pour ce que je ne sais si sa majesté trouvera bon que ce qui lui a été pré- senté en particulier soit rendu public, même sans

»0. 22

338 LETTRES.

lui être dédié. Mais pourceque ce traité est trop petit pour mériter de porter le nom d'une si grande princesse, à laquelle je pourrai offrir quelque jour un ouvrage plus important, si cette sorte d'hommage ne lui déplaît point , j'ai pensé que peut-être elle n'aura point désagréable que j'accorde à cet ami ce qu'il m'a demandé ; et c'est ce que je vous sup- plie très humblement de m'apprendre , car le prin- cipal de tous mes soins est de tâcher de lui obéir et de lui plaire. Au reste , afin que vous sachiez comment je me gouverne avec ceux auxquels je me donne , je vous dirai ici que je prétends que vous m'avez de l'obligation de ce que je souffre que vos offices préviendront les miens , et que je suis , etc.

A M. CLERSELIER \

(Lettre 119 du tome I.)

Monsieur,

Je ne m'étendrai point ici à vous remercier de tous les soins et des précautions dont il vous a plu

» « Après sa résolution prise d'aller en Suède ; je date donc cette lettre du t5 avril 1649.

y

LETTRES. OO9

user afin que les lettres que j'ai eu l'honneur de recevoir du pays du Nord ne manquassent pas de tomber entre mes mains; car je vous suis d'ailleurs si acquis , et j'ai tant d'autres preuves de votre ami- tié, que cela ne m'est pas nouveau. Je vous dirai seulement qu'il ne s'en est égaré aucune, et que je me résous au voyage auquel j'ai été convié par les dernières, bien que j'y aie eu d'abord plus de répu- gnance que vous ne pourriez peut-être imaginer. Celui que j'ai fait à Paris l'été passé m'avoit rebuté; et je vous puis assurer que l'estime extraordinaire que je fais de M. Chanut, et l'assurance que j'ai de son amitié, ne sont pas les moins principales raisons qui m'ont fait résoudre.

Pour le Traité des passions, je n'espère pas qu'il soit imprimé qu'après que je serai en Suède, car j'ai été négligent à le revoir, et y ajouter les choses que vous avez jugé y manquer, lesquels l'augmen- teront d'un tiers ; car il contiendra trois parties , dont la première sera des passions en général, et par occasion de la nature de l'âme, etc., la seconde des six passions primitives, et la troisième de tou- tes les autres.

Pour ce qui est des difficultés qu'il vous a plu me proposer, je réponds à la première, qu'ayant des- sein de tirer une preuve de l'existence de Dieu de l'idée ou de la pensée que nous avons de lui , j 'ai cru être obligé de distinguer, premièrement, tou-

3Î.

340 LETTRES.

tes nos pensées en certains genres, pour remarquer lesquelles ce sont qui peuvent tromper; et en mon- trant que les chimères mêmes n'ont point en elles de fausseté, prévenir l'opinion de ceux qui pour- roient rejeter mon raisonnement, sur ce qu'ils met- tent l'idée qu'on a de Dieu au nombre des chimères. J'ai aussi distinguer entre les idées qui sont nées avec nous et celles qui viennent d'ailleurs, ou sont faites par nous, pour prévenir l'opinion de ceux qui pourroient dire que l'idée de Dieu est faite par nous, ou acquise par ce que nous en avons ouï dire. De plus j'ai insisté sur le peu de certitude que nous avons de ce que nous persuadent toutes les idées que nous pensons venir d'aii leurs, pour montrer qu'il n'y en a aucune qui fasse rien con- noître de si certain que celle que nous avons de Dieu. Enfin je n'avois pu dire qu'il se présente en- core une autre voie, etc., si je n'avois auparavant rejeté toutes les autres, et par ce moyen préparé les lecteurs à mieux concevoir ce que j'avois à écrire.

2. Je réponds à la seconde, qu'il me semble voir très clairement qu'il ne peut y avoir de progrès à l'infini au regard des idées qui sont en moi , à cause que je me sens fini, et qu'au lieu j'ai écrit cela, je n'admets en moi rien de plus que ce que je connois y être; mais quand je n'ose par après nier le pro- grès à l'infini , c'est au regard des œuvres de Dieu ,

LETTRES. 34l

lequel je sais être infini , et par conséquent que ce n'est pas à moi à prescrire aucune fin à ses ouvrages.

3. A ces mots substantiam , durationem , nume- rum, etc., j'aurois pu ajouter veritatem, perfectio- nem, ordinem, et plusieurs autres dont le nombre n'est pas aisé à définir; et on peut disputer de tou- tes, si elles doivent être distinguées ou non des premières que j'ai nommées, car veritas non dis- tinguitur a re vera , sive substantia , nec perfectio a re perfecta, etc.; c'est pourquoi je me suis contenté de mettre, et si quœ alia sint ejusmodi.

4. Per infinitam. substantiam, intelligo substan- tiam perfecliones veras et reaies actu infinitas et im- mensas habentem. Quod non est accidens notioni sub- stantiel superadditum , sed ipsa essentia substantiœ ab soluté sumptœ, nullisijue defectibus terminatœ, qui defectus ratione substantiœ accidentia sunt, von au- tem infinitas, velinfinitudo. Et il faut remarquer que je ne me sers jamais du mot d'infini pour signifier seulement n'avoir point de fin, ce qui est négatif, et à quoi j'ai appliqué le mot d'indéfini; mais pour signifier une chose réelle, qui est incomparablement plus grande que toutes celles qui ont quelque fin. 5. Or, je dis que la notion que j'ai de Y infini est en moi avant celle du fini; poureeque de cela seul que je conçois l'être ou ce quiest, sans penser s'il est fini ou infini, c'est l'être infini que je conçois ; mais afin que je puisse concevoir un être fini, il faut que je

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LETTRES.

retranche quelque chose de cette notion générale de l'être, laquelle par conséquent doit précéder.

6. Est inquamhœc ideasumme vera, etc. La vérité consiste en l'être , et la fausseté au non-être seule- ment ; en sorte que l'idée de l'infini comprenant tout l'être, comprend tout ce qu'il y a de vrai dans les choses, et ne peut avoir en soi rien de faux, encore que d'ailleurs on veuille supposer qu'il n'est pas vrai que cet être infini existe.

7. Et suflicit me hoc ipsum intelligere, Nempe sufficit me intelligere hoc ipsum quod Deus a me non comprehendatur utDeum juxta rei veritatem et qua- lis est intelligam, modo praeterea judicem omnes in eo esse perfectiones quas clare intelligo, et in- super multo plures, quas comprehendere non possum.

8. Quantum ad parentes, utomniavera sint> etc. C'est-à-dire, encore que tout ce quenous avons cou- tume de croire d'eux soit peut-être vrai , à savoir, qu'ils ont engendré nos corps, je ne puis pas tou- tefois imaginer qu'ils m'aient fait , en tant que je ne me considère que comme une chose qui pense , à cause que je ne vois aucun rapport entre l'action corporelle, par laquelle j'ai coutume de croire qu'ils m'ont engendré, et la production d'une substance qui pense.

Omnem fraudem a defectu pendere, mihi est lu- mine naturali manifestum; quia ens in quo nulla est

LETTRES. 343

imperfectio non potest tendere in non ens, hoc est, pro fine et instttuto suo habere non ens , sive non bo- num sive non verum, hœc enim tria idem sunt. In omni autem fraude esse falsitatem manifestum est fal- sitatemque esse aliquid non verum. et ex consequenti non ens , et non bonum. Excusez si j'ai entrelardé cette lettre de latin ; le peu de loisir que j'ai eu l'é- crivant ne me permet pas de penser aux paroles, et j'ai seulement désir de vous assurer que je suis, etc.

t

A M. DE CA.RCA.VI.

(Lettre i5 du tome III.)

Le t r join 1649.

Monsieur,

•*...... .. •..»....

Je vous suis très obligé de l'offre qu'il vous a plu me faire de l'honneur de votre correspondance , touchant ce qui concerne les bonnes lettres, et je la reçois comme une faveur que je tâcherai de mé- riter par tous les services que je serai capable de vous rendre. J'avois cet avantage pendant la vie du bon P. Mersenne, que, bien que je ne m'enquisse jamais d'aucune chose, je ne laissois pas d'être averti soigneusement de tout ce qui se passoit entre les

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544 LETTRES.

doctes; en sorte que s'il me faisoit quelquefois des questions ', il m'en payoit fort libéralement les ré- ponses, en me donnant avis de toutes les expé- riences que lui ou d'autres avoient faites, de toutes les rares inventions qu'on avoit trouvées ou cher- chées, de tous les livres nouveaux qui étoient en quelque estime, et enfin de toutes les controverses qui étoient entre les savants. Je craindrois de me rendre importun si je vous demandois toutes ces choses ensemble , mais je me promets que vous n'aurez pas désagréable que je vous prie de m'ap- prend re le succès d'une expérience qu'on m'a dit que M. Pascal avoit faite ou fait faire sur les mon- tagnes d'Auvergne, pour savoir si le vif-argent monte plus haut dans le tuyau étant au pied de la montagne, et de combien il monte plus haut qu'au dessus. J'aurois droit d'attendre cela de lui plutôt que de vous, parceque c'est moi qui l'ai avisé il y a deux ans de faire cette expérience , et qui l'ai as- suré que, bien que je ne l'eusse pas faite, je ne doutois point du succès. Mais parcequ'il est ami de M. R***, qui fait profession de n'être pas. le mien , et que j'ai déjà vu qu'il a tâché d'attaquer ma matière subtile dans un certain imprimé de deux ou trois pages, j'ai sujet de croire qu'il suit les passions de son ami , lequel ne fait aucunement paroître , par ce que vous m'avez envoyé de sa part, qu'il sache la solution de la difficulté de M. de

LETTRES. 3/<5

Fermât touchant les équations entre cinq ou six termes incommensurables ; et afin que vous puis- siez voir la preuve, je vous dirai que lorsqu'on a \/af \/b\ \/c= \/d\ y/e, une partie de l'équa- tion , après que toutes les assymétries sont ôtées , doit être aPb •{- rjcfb -j- §a5bbc9 -j* 22asbcd-\- y^afbcde f $2u3b3cd f 3^a3bbccd f igoaabbccde , avec tous les termes des mêmes espèces que ces huit. Comme par exemple , aPc, a?d9 aPe, &a9 bnc9 etc. , sont de même espèce que aPb 9 et ainsi des autres. Faites donc s'il vous plaît que M. R*** vous donne l'au- tre partie de cette équation, avant que de croire qu'il la puisse trouver. Mais si vous ne la pouvez avoir de lui , je ne manquerai pas de vous l'envoyer, et de tâcher en tout ce qui me sera possible de vous témoigner que je suis, etc.

RÉPONSE DE M. DE CARCAV1

A M. DESCARTES.

r *

(Lettre 76 du tome III.)

A Paris , le 9 juillet «7 49.

Monsieur,

Si je n'eusse été absent de cette ville pendant un mois et davantage , je n'aurois pas manqué de

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546 LETTRES.

faire plutôt réponse à la lettre que vous avez pris la peine de m'écrire du onzième du mois passé , et vous remercier de la faveur que vous me faites de me donner de vos nouvelles , et d'agréer que je vous écrive de temps en temps celles que je croirai vous apporter davantage de satisfaction. Si j'avois les mêmes habitudes et la même pratique pour les expériences que le feu bon père Mersenne, vous en recevriez le même contentement; mais je tacherai de suppléer à cela par la curiosité de ceux que je saurai qui les font avec plus de soin et de diligence. Celle que vous me demandez de M. Pascal le jeune est imprimée il y a déjà quel- ques mois , et a été faite fort exactement sur une haute montagne d'Auvergne, appelée le Puys-de- Dôme; sa hauteur est d'environ cinq cents toises: on fit premièrement l'expérience au couvent des révérends pères minimes de la ville de Clermont, qui est presque le plus bas lieu de la ville. L'on prit deux tuyaux de verre, longs chacun de quatre pieds, le vif-argent qui resta à chacun d'eux, joints l'un contre l'autre, se trouva à même niveau, et il y en avoit au-dessus de la superficie du vaisseau dans lequel on les vida la hauteur de vingt-six pouces trois lignes et demie; après cela on monta au haut de la montagne, qui est tout proche de la ville, plus haute, ainsi que j'ai dit, d'environ cinq cents toises, l'on trouva qu'il ne restoit plus

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LETTRES. 547

de vif-argent dans le tuyau que la hauteur de vingt-trois pouces deux lignes; et ainsi entre les hauteurs de vif-argent de ces deux expériences il y eut trois pouces une ligne et demie de diffé- rence , ce qui étant réitéré diverses fois se trouva toujours de même. Et encore en descendant de la montagne Ton fit l'expérience en un lieu appelé la Fou de l'arbre, bien plus haut que les minimes, mais aussi plus bas que le sommet de la montagne, et la hauteur du vif-argent se trouva de vingt-cinq pouces.

Voilà, monsieur, en substance ce que vous m'avez demandé, à quoi je n'ajouterai pas grand chose pour maintenant, à cause du peu de temps qu'il y a que je suis arrivé, qui ne m'a pas même donné le loisir de lire deux petits livres qu'on m'a envoyés de Rome, et que je fais porter chez M. Picot, parcequ'il y en a un qui parle avec estime des principes que vous avez fait imprimer, mais qui ne les a pas , ce me semble , bien entendus ; et M. Picot s'est chargé de m'en écrire son avis, pour le lui faire tenir à Rome, il y a un mi- nime, nommé le père Magnan, plus intelligent, que le feu père Mersenne, qui m'a fait espérer quelques objections contre vos mêmes principes, ce que je souhaiterois être fait avec jugement, et qui méritât une réponse de votre main. Nous at- tendons bientôt votre Traité des passions , et ce

5/|8 LETTRES.

que M. de Schooten a fait imprimer touchant votre Géométrie. Ici il n'y a que la philosophie démo- critique de M. Gassendi , qu'il a faite au sujet de la vie d'Épicure; un ramas deBétinus, qu'il appelle /Erarium, semblable à son Apiarium; quelques traités de feu Cavalieri ; et une défense de la quadrature du père Grégoire de Saint -Vincent contre ce qu'en a remarqué le père Mersenne dans ses derniers ouvrages; lequel père Mersenne ayant laissé à M. de Roberval le soin d'achever ce qu'il ajoutoit à l'impression de la perspective du père Nicéron , ledit sieur de Roberval prendra cette occasion pour montrer en peu de mots en quoi il croit qu'il s'est trompé.

Vous me permettrez, s'il vous plaît, de vous écrire ce qu'il m'a dit sur le sujet des assymétries de M. de Fermât, savoir, que vous ne prenez pas, ou qu'il semble que vous ne vouliez pas prendre, ce que je vous ai mandé de lui sur ce sujet , et que sa solution porte sa démonstration avec soi , quel- que nombre qu'il y ait de racines; et que ce que M. de Fermât nomme \/ba, il l'appelle b, et ainsi des autres , ne s'arrètant point dans la suite de l'opé- ration, jusques à ce que l'équation subsiste sous £», ou ses degrés plus hauts par nombre pair, et qu'ainsi l'assymétrie en estôtée. Voilà tout ce qu'il m'a dit sur ce sujet, sur lequel je crois que vous me ferez la faveur de me mander votre méthode ,

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LETTRES. 349

avec sa démonstration, ainsi que je vous en ai supplié par ma précédente.

Ledit sieur m'a encore dit, sur ce que vous l'ap- pelez votre .ennemi , qu'il n'a jamais eu d'autre pensée que de vous honorer , et m'a prié de vous l'écrire formellement, comme je ferai ci-après, pourvu que vous me fassiez la grâce de le trouver bon, et de croire que je ne le fais pas pour lui plaire, mais par un désir que j'ai de rétablir, si je pouvois, la paix entre vous, qui a peut-être été troublée innocemment par le bon père Mersenne, qui prenoit parfois les choses un peu trop crûment, et les écrivoit souvent plutôt selon son génie que comme elles étoient en effet. Ledit sieur de Roberval m'a donc dit que si vous l'appelez votre ennemi parcequ'il vous a recherché en particulier pour vous dire quelque chose qui ne lui sembloit pas bien dans votre Géométrie, dont il a été obligé de donner des démonstrations à ceux qui l'en pres- soient, suivant l'obligation de sa charge, il ne peut éviter d'être votre ennemi de cette sorte; mais que cette inimitié ne sera pas réciproque, car elle ne sera que dans la créance que vous en aurez , étant disposé partout ailleurs à rendre ce qu'il doit à votre mérite et à votre condition, ainsi qu'il vous a protesté de vive voix. Or ce qu'il trouve n'être pas bien dans votre Géométrie est :

1 . Page 326. Que le point G est par tous les

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35o LETTRES.

angles que vous avez nommés, et que vous ne nommez point celui il ne peut être; et que ja- mais la question n'est impossible.

2. Page 3 7 3. Vous dites qu'il y a autant de racines vraies que les signes -f- et se trouvent de fois être changés en une équation , etc. Il y a démonstration du contraire en une infinité de cas.

3. Pages 4o5 , 406. Touchant le cercle qui coupe votre parabole ou plutôt conchoïde parabolique , il y a une faute et une omission. La faute est en ce que vous soutenez que le cercle peut couper cette conchoïde en six endroits, sans avoir égard à sa compagne qui est de l'autre part de la ligne DO , et que vous n'avez pas représentée ; il y a démonstration qu'il ne la peut couper qu'en quatre endroits, de quelque façon qu'elle puisse être faite. L'omission est en ce que vous ne vous servez pas de sa compagne, qui est absolument nécessaire pour résoudre les équations qui ont six racines vraies; et que cette omission devient bien plus considérable, en ce que, pour six racines vraies, vous faites tomber vos perpendiculaires CG, NR, QO, etc. , sur la ligne DO, et cependant elle y est absolument inutile, et il se faut servir d'une autre, comme dans la parabole ordinaire, qui la voudroit faire servir à une équation cubique , ou carrée , affectée sous tous les degrés , accompagnant cette parabole d'un cercle , comme vous faites très élé-

LETTRES. 55 1

gamment, il ne faut pas se servir de l'axe. Excusez, s'il vous plaît, ma liberté, qui ne part que d'un cœur sincère et de, etc.

A M. DE G ARC AVI.

(Lettre 77 du tome III.)

A La Haye , le 17 août 1649.

Monsieur,

Je vous suis très obligé de la peine que vous avez prise de m'écrire le succès de l'expérience de M. Pascal , touchant le vif-argent , qui monte moins haut dans un tuyau qui est sur une montagne que dans celui qui est dans un lieu plus bas; j'avois quelque intérêt de la savoir , à cause que c'est moi qui l'avois prié, il y a deux ans , de la vouloir faire, et je l'avois assuré du succès, comme étant entièrement conforme à mes principes , sans quoi il n'eût eu garde d'y penser, à cause qu'il étoit d'opinion contraire. Et pourcequ'il m'a ci-devant envoyé un petit imprimé, il décrivoit ses pre- mières expériences touchant le vide, et promettoit de réfuter ma matière subtile, si vous le voyez, je serois bien aise qu'il sût que j'attends encore cette

352 LETTRES.

réfutation , et que je la recevrai en très bonne part, comme j'ai toujours reçu les objections qui m'ont été faites sans calomnie. Si on m'envoie celles que vous me faites espérer du père Magnan , je ne manquerai pas d'y faire la réponse que je jugerai être convenable.

La Géométrie de M. Schooten est imprimée; son latin n'est pas fort élégant, et pourceque je ne l'eusse pu voir avant qu'il fût imprimé sans être obligé de le changer tout, je m'en suis entièrement dispensé. Pour mon Traité des passions, il est vrai que j'ai promis il y a long-temps de l'envoyer à un ami 1 qui a dessein de le faire imprimer, mais je ne le lui ai pas encore envoyé.

Pour la quadrature du père Grégoire de Saint- Vincent, je n'en fais pas meilleur jugement que M. de Roberval ; car, quelque animosité que ce der- nier ait contre moi, il ne peut y avoir aucune con- sidération qui me détourne du chemin de la vérité, lorsqu'il me sera connu. Mais je ne puis aucune- ment connoître par ce qu'il vous a plu m 'écrire de sa part qu'il puisse démêler les asymétries qui ont embrouillé M. de Fermât. Ce n'est rien de dire comme il fait que ce que M. de Fermât nomme \/b a, il l'appelle b , et ainsi des autres, ne s'arrètant point dans la suite de l'opération jusqu'à ce que l'équation subsiste b*, ou ses degrés plus hauts par

i « Clerselier. »

y

LETTRES. 353

nombre pair; la difficulté est de savoir par quelle opération on peut faire cela, lorsqu'il y a plus de quatre termes incommensurables donnés. Lors- qu'il n'y en a que quatre, la cbose est facile, pour- ceque faisant y/ a -j- y/b , \\ y/c, f y/d , leurs carrés sont a f i> f 2 y/ab || cfd \\ 2 y/vd, le nombre des termes incommensurables est diminué; mais ayant y/a f y/c \\ y/d f y/* f y/f,

leurs carrés sont, a f b f c f 2 y/ab \ 2 y/ac \ 2 y/bc II d y/ de f 2 y/df f 2 y/cf,

le nombre des termes est augmenté ; c'est ce qui a embarrasséM. de Fermât, et qui embarrasse encore maintenant M. de Roberval, quoiqu'il dissimule. Sans cela il ne feroit pas de difficulté d'achever l'é- quation dont je me souviens de vous avoir envoyé la moitié en ma précédente, pourceque c'est chose facile. Permettez-moi que je l'attende encore jusques à la première fois que j'aurai l'honneur de recevoir de vos lettres, afin qu'il puisse d'autant mieux être convaincu. Je ne puis que je ne vous aie de l'obligation de ce que vous tâchez de me persuader qu'il n'est point animé contre moi; c'est avoir l'âme généreuse et belle que de se porter ainsi à prévenir les dissensions, au contraire des esprits malins qui se plaisent à les faire naître et à les entretenir. Mais je vous dirai que, de ma part, je n'ai jamais fait tant d'honneur à ceux qui tâ- chent de me désobliger que de les estimer dignes

10. v 3J

35/f LETTRES.

de ma haine; je ne suis point leur ennemi, bien qu'ils puissent être les miens. Je puis aussi vous assurer que le révérend père Mersenne n'a rien contribué du sien pour me faire juger de l'animo- sitédudit sieur de Roherval; il l'a toujours plutôt dissimulée, autant que les lois de l'amitié lui ont pu permettre. C'est lui-même qui me l'a déclarée,Jsi expressément, et avec des paroles si hardies et si pleines de confiance, que,s'il parlemaintenant d'une autr,^ façon, j'ai sujet de penser que c'est seulement pour être moins soupçonné de calomnie,' lorsqu'il dit quelque chose à mon désavantage; et pour cette même raison j'ai intérêt que le monde sache qu'il est autant irrité et piqué contre moi quelle peut être un homme que sa profession engage à vouloir paroître docte, et qiû , m'ayant attaqué cinq ou six fois pour faire preuve de son savoir , m'a obligé autant de fois à découvrir ses erreurs , comme il m'y oblige encore à présent par ses trois objec- tions que vous avez pris la peine de mettre dans votre lettre. Car, premièrement , lorsqu'il m'objecte que le point C est par tous les angles que j'ai nommés en la page 526, et que je n'ai point nommé celui il ne peut être, et que jamais la question n'est impos- sible; il est évident que ce qu'il dit est hors de rai- son, en quelque sens qu'il le puisse prendre. Car mes paroles sont, page 3s6, ligne 5 , que si la quan- tité y se trouve nulle lorsqu'on a supposé le point C

LETTRES.

dans l'angle DAG, il faut le supposer aussi dans l'angle DAE, ouEAR, ou RAG, et que si en toutes ces quatre positions la valeur d'y se trouvoit nulle, la question seroit impossible au cas proposé. A quoi je n'ai pas besoin de rien ajouter pour faire voir clairement qu'il se trompe, premièrement en ce qu'il dit que le point C est par tous les angles que j'ai nommés ; car en l'exemple proposé, il ne se peut trouver dans l'angle DAE, ni aussi ( pour user de ses termes) par V angle DAE. Mais la particule par qu'il met au lieu de dans me fait connoître qu'il pèche en ceci un peu plus que par ignorance. Il pèche par ignorance en ce que voyant que le cercle CA , dans toutes les parties de la circonfé- rence duquel se trouve le point C, passe par le point A, il s'est imaginé que ce point C pou voit être le même que le point A , ce qui est très faux , à cause qu'au point A La quantité y se trouve nulle, et il y a différence entre tous les points et toutes les parties d'une circonférence. De plus quand on lui accorderoit que le point C pourroit être au point A, on ne pourroit dire pour Cela qu'il fût dans l'angle DAE, mais seulement en l 'intersection des lignes qui le composent; car le mot d'angle si- gnifie une quantité, et non pas le seul point deux lignes se rencontrent. On ne pourroit dire non plus qu'il fût par l'angle DAE, car on ne peut ainsi parler d'un point; c'est seulement d'une ligne

aS.

356 LETTRES.

qu'on peut dire qu'elle est, ou plutôt quelle passe «par un angle, lorsque passant par le point les deux lignes qui le composent se rencontrent, elle passe aussi par le dedans de cet angle, c'est-à-dire par la superficie contenue entre ces deux lignes. Ainsi le cercle CA 1 passe par les angles DAGet EAR, mais non point par l'angle DAE. De façon qu'en quel- que sens qu'il s'explique, il a toujours tort d'avoir dit que le point G est par tous les angles que j'ai nommés. Et sa finesse paroît en ce que, bien que mon sens fût très clair, et que lorsque j'ai parlé de supposer le point C dans l'angle DAG, il n'ait pu douter que je n'aie entendu par cet angle toute la superficie contenue entre les deux lignes DA et GA, qui le contiennent, pourceque cela ne souffre au- cune autre interprétation , et même que le point G s'y voit peint dans la figure, il a néanmoins changé mes mots, et par ce moyen en a corrompu le sens.

Il est évident aussi qu'il se trompe, en ce qu'il dit que je n'ai pas nommé l'angle le point G ne peut être ; car ayant nommé toutes quatre an- gles qui se font par l'intersection des deux lignes DR et EG, j'ai nommé toute la superficie indéfini- ment étendue de tous côtés, et par conséquent tous les lieux, tant ceux le point G peut être, que ceux il ne peut pas être; en sorte qu'il auroit

1 Figure 1 3.

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LETTRES. 357

été superflu que j'eusse considéré d'autres angles. Enfin il se trompe de dire que cette question n'est jamais impossible; car bien qu'elle ne le soit pas en la façon que je l'ai proposée , on la peut pro- poser en plusieurs autres, dont quelques unes sont impossibles, et je les ai voulu toutes comprendre dans mon discours.

Sa seconde objection est une fausseté manifeste; car je n'ai pas dit dans la page 373 ce qu'il veut que j'aie dit , à savoir , qu'il y a autant de vraies racines que les signes f et se trouvent de fois être changés , ni n'ai eu aucune intention de le dire. J'ai dit seulement qu'il y en peut autant avoir; et j'ai montré expressément dans la page 38o quand c'est qu'il n'y en a pas tant, à savoir , quand quel- ques unes de ces vraies racines sont imaginaires. Et son peu de mémoire m'est confirmé par ce que m'a dit le sieur Chauveau , qui m'a assuré qu'il lui a déjà ci-devant répondu à cette prétendue objec- tion, et montré son erreur; en sorte qu'il ne pèche pas en ceci par ignorance , niais faute de mémoire, ou autrement.

Au contraire, dans sa troisième obje c tion, je nere marque qu'une ignorance grossière. 11 dit qu'en ma Géométrie j'ai une faute et une omission; la faute, en ce que je soutiens que le cercle peut couper en six endroits la ligne courbe que j'y décris, sans avoir égard à sa compagne qui est de l* autre part de la ligne DOp

558 LETTRES.

laquelle je n'ai pas représentée ; et qu'il y a démons- tration qu'il ne la peut couper qu'en quatre endroits, de quelque façon qu'elle puisse être faite. L'omission, en ce que je ne me sers pas de sa compagne , qu'il dit être absolument nécessaire pour résoudre les équa- tions qui ont six racines vraies; et que cette omission devient bien plus considérable , en ce que pour six racine svr aies je fais tomber mes perpendiculaires CG, NR , QO et semblables sur la ligne DO , qu'il dit y être absolument inutile, et qu'il se faut servir d'une autre. A quoi je réponds qu'il ny a ni faute ni omission en ce qu'il reprend, pourcequil est très vrai que le cercle peut couper cette ligne courbe en six endroits, et qu'il l'y coupe effectivement toutes les fois que l'équation , pour la résolution de laquelle on les décrit suivant la règle que j'en ai donnée, contient six vraies racines inégales en- tre elles, sans qu'il faille pour cet effet avoir aucun égard à sa compagne ; ainsi que vous verrez très clairement , s'il vous plaît de prendre la peine de chercher par cette règle les racines de l'équation suivante , ou de quelque autre semblable : x6 25 xs f 239 z4 1 1 15 s* f 2664 xx 3o6o x f 1296 =0. Car d'autant qu'il y a six vraies racines en cette équation , qui sont , 1 , 2 , 3 , 4 , 6 et 9 , vous trou- verez que le cercle coupera la courbe en six points, desquels tirant six perpendiculaires sur la ligne DO, ces six perpendiculaires seront 1 , 2 , 3 , 4. , 6 et 9.

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LETTRES. 359

Et son ignorance est telle, que, bien qu'il y ait déjà onze ou douze ans qu'il ma fait la même objec- tion, et que je lui ai répondu , il n'a su apprendre en tout le temps qui a coulé depuis à faire le cal- cul qui est requis pour examiner ma règle , quoi- qu'il soit si aisé qu'on le peut faire en moins d'un demi-quart d'heure.

J'ajoute que tant s'en faut que la ligne qu'il nomme la compagne de la courbe soit absolument nécessaire en ma règle , ainsi qu'il assure , qu'au contraire elle n'y peut jamais aucunement servir; et on peut voir que je ne l'ai point omise faute de la connoître , pourceque je l'ai représentée dans la page 336 pour une autre occasion elle est utile. Enfin , il se moque de dire que la ligne droite DO est absolument inutile dans ma règle , qu'il s'y faut servir d'une autre ligne droite; car il suffit que celle-ci y soit employée , et que la règle ne soit point fausse , comme certainement elle ne l'est point , pour faire voir qu'elle y est utile. Et ce qui rend son ignorance moins excusable en tout ceci , c'est qu'on peut , comme j'ai averti dans la page 4 1 2 , faire une infinité d'autres règles à l'imi- tation de la mienne, et il n'y a aucune ligne droite que je ne puisse faire servir au lieu de cette ligne DO en quelqu'une de ces règles ; comme aussi au lieu de la ligne courbe dont je me suis servi je pourrois y employer sa compagne, ou telle autre

560 LETTRES,

ligne du second genre qu'il me plairoit, mais la règle ne pourroit pas aisément se rencontrer si courte ni si élégante. Et j'ose dire que celle que j'ai donnée est la plus belle , et qui a été sans com- paraison la plus difficile à trouver de toutes les choses qui ont été inventées jusques à présent en géométrie , et qui le sera peut-être encore ci-après en plusieurs siècles , si ce n'est que je prenne moi- même la peine d'en chercher d'autres.

La règle je me sers de l'intersection de la parabole , du cercle pour construire les pro- blèmes solides , laquelle vous louez en votre lettre , est autant inférieure à celle-ci , qu'elle surpasse celle de la page 3o2 , je me sers de l'intersec- tion du cercle et de la ligne droite pour construire les problèmes plans. Mais je voudrois qu'il nous fît voir ies démonstrations qu'il prétend avoir pour prouver ses censures; je m'assure que nous y ver- rions de beaux parai ogismes , comme j'en ai quasi toujours trouvé dans tout ce qu'il a voulu pro- duire de son invention. Je dis dans tout, sans que j'en excepte presque aucune chose; car pour l'aire de la ligne décrite parla roulette, dont il s'est fort vanté , c'est Toricelli qui l'a trouvée , et c'est moi qui lui ai enseigné à en trouver les tangentes , ce qu'il m'avoit fait demander par le révérend père Mersenne , après avoir confessé qu'il ne les pou- voit trouver. On me fit voir l'an passé des écrits

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LETTRES. 36l

qu'il avoit enseignés à ses disciples, qui contenoient plusieurs raisonnements très foibles qu'il débitoit pour des démonstrations ; et à cause qu'il y con- cluoit des choses contraires à ce que j'avois écrit, il inféroit de que j'avois failli. Il a aussi usé de ce même moyen pour me réfuter , dans un écrit1 que le frère1 de M. le marquis de Neuf-Castel m'a autrefois envoyé de sa part. Il y raisonnoit en cette sorte : Ma démonstration est vraie ( et c'étoit une démonstration qu'il retenoit in pectore sans vou- loir que je la susse ) , et la conclusion en est con- traire à ce qu'un tel prétend avoir démontré ; donc sa démonstration est fausse. Ainsi il vouloit vaincre par sa seule autorité, d'une façon fort magistrale, et, ce me semble , fort peu convenable pour lui à mon égard. Je n'aurois jamais fait , si je voulois mettre ici toutes les raisons que j'ai de ne l'estimer qu'autant que je dois, et de craindre qu'il ne parle pas selon son cœur, lorsqu'il dit qu'il n'est point animé contre moi. Mais je ne laisse pas de vous, remercier de ce qu'il vous a plu m'en écrire, et je suis , etc.

» « La 87e du tome 3. » * « Cavendisch. »

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5Ô2

LETTRES.

RÉPONSE DE M. DE CAKCAVI.

( Lettre 78 du tome III. )

A Paris , le a 4 septembre 1649.

Monsieur ,

Je croyois répondre tout aussitôt à la lettre que vous m'avez fait la faveur de m 'écrire du dix-sep- tième du mois d'août , et vous remercier , comme je fais de tout mon cœur de la peine qu'il vous plaît de prendre; mais une fièvre qui m'a tenu quelque temps malade m'a contraint de différer ce devoir jusques à maintenant. M. Clerselier, de l'entremise duquel je me sers pour vous faire tenir la présente en l'absence de M. Picot , vous pourra témoigner que j 'a vois pris rendez-vous chez lui il y a trois semaines pour vous l'envoyer.

J'ai écrit à M. Pascal , qui n'est pas encore de re- tour en cette ville , ce que vous avez désiré que je lui fisse savoir de votre part touchant l'expé- rience qu'il a fait faire du vif-argent , et si le père Magnan m'écrit quelque chose de Rome , je vous l'enverrai vous serez ; car nous ne savons pas si c'est encore en Hollande , ou bien en Suède. Il m'a témoigné par sa dernière lettre qu'il eût bien

LETTRES. 363

désiré de savoir de quelle façon vous expliquez les actions de l'entendement et de la volonté : Sachant assez , dit-il , que celles des sens , tant internes qu1 ex- ternes, ne consistent qu'en des mouvements locaux , comme l'expliquent M. Descartes et M. Hogelande, si ce n'est le même , ainsi que quelques uns ont cru ici. Voilà , monsieur , ses propres termes , dont vous userez comme il vous plaira.

Pour ce qui est du père Grégoire de Saint- Vin- cent , j'avois bien cru que vous n'approuveriez pas sa quadrature, encore qu'il paroisse avoir autant de géométrie qu'aucun de ceux que nous ayons vu de sa compagnie. Mais vous ne savez peut-être pas qu'il a écrit sous le nom d'un de ses écoliers quelque chose contre le jugement que le père Mersenne a fait de son ouvrage, dans son der- nier traité De reflexionibus physico-mathematicis , à quoi l'on a ici répondu en peu de mots.

Le livre de M. de Schooten est attendu avec im- patience ; et bien qu'il soit fort savant en géomé- trie, il eût été néanmoins à souhaiter que vous vous fussiez donné la peine de le voir ; car encore que vous ne l'ayez pas fait, on aura sujet de le penser , à cause que vous êtes au même lieu une personne qui témoigne vous honorer si par- ticulièrement l'a fait imprimer; et vous savez qu'en cette science on s'arrête davantage au sens qu'aux paroles.

364 LETTRES.

Vous m'excuserez s'il vous plaît , si je vous parle si librement, mais l'intérêt que je prends en ce qui vous regarde m'y oblige; et votre dernière lettre ne m'ayant pas fait voir le contraire de ce que je vous avois écrit, j'eusse bien désiré que vous vous fus- siez donné le loisir de relire ce qui regarde le lieu ad très et quatuor , etc., contre lequel, au moins contre ce que vous en avez mis dans votre Géomé- trie , vous me permettrez de vous dire ingénu- ment, et par le seul amour de la vérité, ce que j'en pense, et qui est conforme à la démonstration que M. de Roberval m'en a montrée il y a très long -temps, et que je vous enverrai quand il vous plaira, vous assurant que je l'ai parmi mes papiers, et qu'il ne me faut qu'un peu de temps pour la mettre en ordre. Car lorsque je vous ai écrit que ledit sieur de Roberval ne vous étoit pas ennemi, je vous assure que je vous l'ai mandé can- didement, et comme je lui ai ouï dire, ne l'excu- sant pas aussi s'il s'est servi des termes dont vous m'écrivez, bien que le plus souvent la chaleur de la dispute nous emporte au-delà de ce que nous ne ferions pas dans une autre rencontre. Et pour ce qui est du père Mersenne, je ne l'ai accusé que de ce que tous ceux qui l'ont connu ont remarqué en lui, ce qui n'étoit pas toutefois absolument blâ- mable dans son intention , qui n'alloit qu'à la re- cherche de la vérité , qui ne se trouve d'ordinaire

LETTRES. 365

qUe par le moyen de quelque émulation, et qui ne s'établit qu'après plusieurs contestations ; mais il m'a semblé qu'il ne mettoit pas toujours assez de différence entre ceux qui disputent en matière de science, et les autres qui se battent pour le point d'honneur , ce que j'ai tâché de faire en cette occasion , vous me faites la faveur de me témoi- gner la satisfaction que vous en avez , et vous me donnez des louanges qui me persuadent que vous agréerez que je continue, ou plutôt que je finisse dans cette lettre ce que vous avez commencé de lire dans la précédente.

Et premièrement, je vous assure que ledit sieur de Roberval ne pense aucunement à biaiser, ni à prendre vos paroles autrement que vous ne les avez écrites; car lorsque dans ma lettre j'ai dit par l'angle, s'il y a quelque faute elle est à moi, pareequ'il l'entend de même que vous, et comme vous l'expliquez dans votre lettre et dans votre livre, c'est-à-dire dans l'espace compris par les lignes qui forment l'angle; et ayant pris votre énonciation en même sens que vous, il m'en a fait voir la démonstration , ainsi que je vous ai dit il y a très long-temps , et même la publia dès l'année 1637, en l'assemblée de quelques mes- sieurs qui conféroient des mathématiques. Il ne s'est pas aussi arrêté aux figures de votre livre , mais seulement à votre énonciation ; car celle de

366 LETTRES.

la page 33 1 montre évidemment le peu d'intelli- gence de celui à qui vous vous êtes fié pour la tra- cer ; c'est le lieu est représenté par une hyper- bole, laquelle ne passant par aucun des six points les quatre lignes peuvent s'entrecouper, coupe néanmoins la ligne TG au point H , fort éloi- gné de tous ces six points, qui est une absur- dité si manifeste , qu'encore que ledit sieur de Ro- berval croie que vous ne vous soyez pas donné la peine de construire ce lieu, il ne doute pas toute- fois que vous ne la voyiez incontinent; de même que celle de la page 3o8, vous dites que pour trois ou quatre lignes données, les points cher- chés se rencontrent tous en une section conique , ce qui n'est pas véritable; car ils ne se trouvent pas tous dans une de ces sections, quand vous pren- driez les deux hy perboles opposées pour une sec- tion, comme nous faisons avec les anciens. Et il m'a fait remarquer que cette faute peut bien avoir été cause d'une autre dans la page 3 1 3 , vous dites qu'on pourra trouver une infinité de points par lesquels on décrira la ligne demandée: car il se pourra faire que tous ces points ne seront pas dans une même ligne, savoir, lorsque quelques uns d'tceux seront dans l'un des espaces qui sont distingués par les quatre lignes données, et d'au- tres en un autre espace ; et finalement, il soutient que vous ne sauriez donner aucun cas auquel la

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LETTRES. J67

question ne soit toujours possible, comme vous verrez , si vous désirez que nous en parlions da- vantage. Je vous prie de me faire la faveur de croire que je procède en ceci très franchement, et que je ne vous raanderois pas toutes ces cho- ses, ni n'aurois pas prié M. de Roberval (du- quel j'ai assez de peine à chevir à cause des éco- liers qui l'occupent ) de s'expliquer davantage sur celles qui suivent, si ce n'étoit par une estime très particulière que je fais de votre personne, car il me suffiront de les savoir.

Il m'a donc dit sur le sujet des racines ( quel- ques unes desquelles nous appelons positives en-dessus, ou positiva supra, savoir, celles que vous appelez vraies ; les autres positives en- dessous , ou positiva infra, qui sont celles que vous appelez fausses; et les autres impossibles, que vous appelez imaginaires ) qu'il y a des équations qui changent alternativement de si- gne f et , qui ne laissent pas d'avoir quelque racine fausse ou positive en-dessous, contre ce que vous avez pris la peine de m'écrire touchant vos pages 373 et 38o. Et voici une de ces équations qui est cubique, en laquelle il n'y a et ne peut avoir, par sa génération , aucune ra- cine impossible, mais seulement une positive en- dessus, et une positive en-dessous, quoique la plus grande partie de celles de ce degré , c'est-à-

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368 LETTRES.

dire cubique , en aient trois, excepté quand il y en a d'impossibles ,

4 4 a f 4 a% û*-

Et pour montrer qu'il n'y en a point d'ima- ginaire, il ne faut que remarquer qu'en toute équation il y a de ces racines impossibles, il n'y en a jamais moins de deux , et partant en une équation cubique, il y auroit deux telles ra- cines impossibles , il n'y en pourroit avoir qu'une positive en-dessus ou en-dessous, ce degré cubi- que ne pouvant souffrir au plus que trois racines. Donc , puisqu'en l'équation ci-dessus il y a deux racines positives , il ne se peut faire qu'il y en ait de ces impossibles. On peut dire le même de l'é- quation carrée suivante , qui a trois racines po- sitives en-dessus , et une en-dessous , quoique , sui- vant votre doctrine, elle n'en dut point avoir en- dessous ; et si elle en avoit d'impossibles , elle ne pourroit avoir que deux positives au plus ,

12 16 af 7 a* 4 fl3 1 a*-

Pour ce qui regarde votre conchoïde paraboli- que , voici le calcul que nous en avons fait sur votre figure de la page 4<>4 » que nous ne voulions pas vous envoyer sans y ajouter quelque cbose de plus précis ; la lettre a est l'inconnue en la ma- nière de M. Viète.

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CG , vel MH lattis rectum DE AB IH HB IG

a

b c d

f

S k

LETTRES. 55g

L'équation est entre les carrés IM et MC ensemble d'une part, et le carré IC de l'autre, c'est-à- dire , entre les carrés de

d'une part, et hh de l'autre, et l'équation vient de cette sorte.

+ U *■ «• d' - 2 cdga + b* g* «. + a bdga* _ 2 bgai - ,

, «--M M»»-»

—a bcd* a»— s /a* -f«rf» a4

+ b*f»a* a».

Dans laquelle équation toutes les espèces sont distinguées avec leurs signes, supposant votre figure comme elle est. Nous l'aurions aussi faite supposant la ligne LH ( que nous appelons G) de l'autre part vers L; mais nous ne vous l'envoyons pas, parcequ'on reconnoît incontinent qu'elle est inutile en l'équation particulière que vous avez envoyée, qui est celle que nous vouUons précisé- ment examiner , il se trouve qu'en la parabole requise à votredite équation numérique, savoir, t l296 3o6o a f 2664 <*' 1 1 15 a3 f z39 a* a5 a5 f a6 || o9 le côté droit doit être ^ le carré de DE , ou ca en nos espèces , ?Hf|£ ia ligne AB,ouD, 12 j; IH ouF,^; l# ou H% ^àHU Je rectangle sons le côté droit et la ligne JUS, cm 6>£,est

*

*4

10.

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5^0 h E TTRES.

D'qù U est manifeste qu'en cet exemple le centre du cercle CNQ est dans l'espace compris par la cqnchojide parabolique QACN, et non pas au dehors ; on voit aussi que ce cercle ne doit pas couper xettej conchoïde de l'aube ,part de la ligne B vers» AQ , pàf ceqtue B ^tant déjà 1 â -f , et les au- tres perpendiculaires de* cette ; part étant plus grandes, exècdèroienl la plus grande racine 9: il faut donc que lès six points que le cercle donnera en cet^élcohchoïde soient dans la portion de cette ligne depuis A par Ç, par N, etc., à l'infini. Voyez, s'il vous plaît, si cela se peut. ; î ,\Le mo^en que nous 1 avoris l'examiner est indubitable^ car posé ,' par texëm'ple , qu'on veuille examiner, la racine GR (ou peut-être g) qui soit comme G& ( tfest le même pour toutes les autres), Hu'ya iqûtemeh'ef M parallèle £M, et calculer lescercfefa cou^ë. Or , pourcequ'en ce cas GD sera connue, on saura la ligne droite AC pro- longée co^per^ l'axfe DB , èt qu'elle longueur aura ■la Jlgwe;GC, d'où l'on verra1 si EB teste de Ion- goeùr requi se , et si Célti Arrive à toutes les six ra- pines t posant qu'en %us lès six cas le point C et ses semblables soient tarnt1 dams la circotiférence du cercle qtte dans e^ïlé' delà donchoïde, et dans la ligne miroite , ce éftii nVautre difficulté que la lôiigueur du calcul ide' ces triangles. Et bien que vous ayez suivi une autre construdutih que nous

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LETTRES. 371

pour trouver votre côté droit et vos autres lignes, nous les avons néanmoins trouvés les mêmes par la oiôtre, ce qui nous a servi de témoignage que nous ne nous étions pas mépris dans l'opéra- tion j et vous verrez aussi par que ce n'est pas à la vue mais par le raisonnement que l'examen en a été fait.

En voilà ce me semble assez en matière de géo- métrie, et peut-être trop pour votre loisir, s'il vous y falloit employer davantage de temps qu'il ' n'en faut pour le lire ; et je n'y ajouterai rien de plus, si ce n'est que, pour la démonstration dont vous me parlez touchant M. de Gavendish, ledit sieur de Roberval m'a assuré la lui avoir donnée, et qu'il n'a pas empêché quïl ne vous l'ait fait voir, n'étant aucunement chiche de ces choses , lorsqu'il croit qu'on les recevra de même qu'il les donne. Pour les asymétries, il dit qu'il suffit que vous voyiez comme il y procède, et que sa manière est universelle. Si la votre est plus courte et meilleure , vous m'obligerez beaucoup de me l'envoyer; et me permettrez, s'il vous plaît, de finir cette lettre par ce que vous me mandez de M. Toricelli , sur quoi je crois vous pouvoir entièrement satisfaire, en ayant eu une particulière connoissance. Il ne s'est fait connoître en France qu'en octobre de l'année i643; nous avons l'original de sa lettre de 16^6, dans laquelle il avoue que cette ligne de la

H.

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3y2 LKTTHES.

roulette ou cycloïde ne lui appartient point, et que jusqu'à la mort de Galilée, qui fut en 16^2, on n'en savoit rien en Italie. Il a depuis continuer à écrire qu'il n'avoit aucune connoissance des so- lides, soit à l'entour de la base, soit autour de l'axe de cette ligne; et ayant quelque temps après trouvé la raison de celui autour de la base à son cylindre, il énonça aussi, mais faussement, la raison de celui autour de l'axe à son cylindre de même hauteur, savoir , comme de 1 1 à 18. Ce qui donna sujet à M. de Roberval, en l'examinant, de trouver la véritable, qui est énoncée dans le livre des réflexions du père Mersenne; et que ni ledit Toricelli, ni personne autre que lui, non pas même M. de Fermât, n'a jamais pu démontrer. Après cela vous-même , monsieur, avez écrit une lettre que ledit sieur de Roberval m'a fait voir, de l'année i658, dans laquelle vous donnez la démons- tration de l'espace compris par cette ligne et sa i>ase, comme d'une chose qu'il a trouvée; j'ai plu- sieurs lettres de M. de Fermât, de Tannée 1 607, qui disent le même, et qui témoignent sa franchise, en ce que s'étant mépris sur le sujet de cette ligne, et d'une énonciation dudit sieur de Roberval , qui lui apparut d'abord fausse, il se rétracta généreu- sement par le courrier suivant. M. Des Argues a imprimé la même chose en 1639, et le père Mer- senne en cent endroits; et néanmoins si vous ne

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LETTRES. 5;5

1; trouvez pas bon, ledit sieur de Roberval ne veut pas se l'attribuer, et m'a dit qu'il la laisse à celui qui la pourra prendre; m ayant encore assuré sur ce sujet, ce que je ne vous écrirais point si vous n'aviez intérêt de le savoir, qu'il pourrait vous reprocher ce qu'un anonyme qui a fait quelque petit écrit d'algèbre vous objecte ( quel- ques uns croient que c'est un père jésuite), que dans la formation de vos équations vous ne fuites que redire ce qui a été publié dès l'année 1 63 1 par un Anglois, nommé Hariot, duquel nous n'a- vons pas ici grande connoissance, du moins moi, qui suis parfaitement et en vérité \ etc.

A MADAME ÉLIZABETH,

PRINCESSE PALATINE, CtC. 3.

(Lettre 5o du tome I.)

Madame,

Étant arrivé depuis quatre ou cinq jours à Stockholm, l'une des premières choses que j'estime

« M. Descartes ne reçut cette lettre qu'étant en Suède , par l'entremise de M. Clerselier , et il ne voulut point y répondre. La lettre qu'il écrivît à M. Clerselier à l'occasion de celle-ci est datée du C novembre 164g , et sera imprimée dans les fragments. »

» « Descartes étant arrivé à Stockholm au commencement d'octobre 1649 , et disant ici qu'il n'est arrivé que depuis quatre ou cinq jours , je. fixe cette lettre du 8 octobre 1649. Stockholm. »

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0^4 LETTRES*

appartenir à mon devoir est de renouveler les offres de mon très humble service à votre altesse, afin qu'elle puisse connoître que le changement d'air et de pays ne peut rien changer ni diminuer de ma dévotion et démon zèle. Je n'ai encore eu l'hon- neur de voir la reine que deux fois, mais il me semble la connoître déjà assez pour oser dire qu'elle n'a pas moins de mérite et plus de vertu que la renommée lui en attribue. Avec la généro- sité et la majesté qui éclatent en toutes ses actions, on y voit une douceur et une bonté qui obligent tous ceux qui aiment la vertu, et qui ont l'honneur d'approcher d'elle , d'être entièrement dévoués à son service. Une des premières choses qu'elle m'a demandées a été si je savois de vos nouvelles, et je n'ai pas feint de lui dire d'abord ce que je pen- sois de votre altesse; car, remarquant la force de son esprit, je n'ai pas craint que cela lui donnât aucune jalousie : comme je m'assure aussi que votre altesse n'en sauroit avoir de ce que je lui écris librement mes sentiments de cette reine. Elle est extrêmement portée à l'étude des lettres; mais pourceque je ne sache point qu'elle ait en- core rien vu de la philosophie, je ne puis juger du goût qu'elle y prendra, ni si elle y pourra em- ployer du temps, ni par conséquent si je serai capable de lui donner quelque satisfaction , et de lui être utile en quelque chose. Cette grande éuv

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LETTRES. 3^5

deur qu'elle a pour la connoissance des lettres l'incite surtout maintenant à cultiver la langue grecque, et à ramasser beaucoup de livres anciens; mais peut-être que cela changera, et quand il ne changeroit pas, la vertu que je remarque en cette princesse m'obligera toujours de préférer Futilité de son service au désir de lui plaire. En sorte que cela ne m'empêchera pas de lui dire franchement mes sentiments ; et s'ils manquent de lui être agréables, ce que je ne pense pas, j'en tirerai au moins cet avantage, que j'aurai satisfait à mon de- voir, et que cela me donnera occasion de pouvoir d'autant plus tôt retourner en ma solitude, hors de laquelle il est difficile que je puisse rien avancer en la recherche de la vérité ; et c'est en cela que consiste mon principal bien en cette vie. M. Fr. 1 a fait trouver bon à sa majesté que je n'aille jamais au château qu'aux heures qu'il lui plaira de me donner pour avoir l'honneur de lui parler, ainsi je n'aurai pas beaucoup de peine à faire ma cour, et cela s'accommode fort à mon humeur. Après tout néanmoins, encore que j'aie une très grande vé- nération pour sa majesté, je ne crois pas que rien soit capable de me retenir en ce pays plus long- temps que jusques à l'été prochain : mais je ne puis absolument répondre de l'avenir. Je puis seu- lement vous assurer que je serai toute ma vie , etc.

* Freinshetmus.

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APPENDICE

DE LA CORRESPONDANCE.

I

»

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APPENDICE

DE LA CORRESPONDANCE.

LETTRE DE M. CLERSELIER

A M. HENRI MORUS,

CIRT1LHOUUI 1NOL01I.

(Lettre 64 du tome I. Version. )

* *

Monsieur,

J'ai lu et relu avec un extrême plaisir les dif- ficultés que vous proposâtes à M. Descartes le 1 1 décembre 1648, le 5 mars, 2 3 juillet et 21 oc- tobre 1649, dans lesquelles j'ai trouvé tant d'es- prit, et en même temps tant de bonté, que cela me donne la hardiesse de vous écrire, pour vous instruire du dessein que je médite, et vous prier de m'accorder ce dont j'ai besoin pour achever mon ouvrage. J'ai entre les mains les principaux manuscrits que M. Descartes, ce philosophe in- comparable, laissa à son parent M. Chanut, ci-de-

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3Ô0 LETTRES.

vaut ambassadeur auprès de la reine de Suède , et présentement auprès des États de Hollande, et chez lequel il mourut en Suède. J'ai trouvé entre autres les originaux des lettres qu'il écrivit en réponse à plusieurs de ses amis. Je fais choix des principales, qui concernent, les unes sa Philosophie, d'autres quelques ouvrages qu'il n'avoit qu'ébauchés; d'au- tres enfin qui contiennent la solution des difficul- tés qui lut avoient été proposées par plusieurs grands hommes, parmi lesquels vous tenez une place si distinguée. Mon dessein est de les faire toutes imprimer au premier jour, comme je l'es- père : mais comme on auroit de la peine à enten- dre les réponses aux difficultés, si on n'imprime en même temps les difficultés mêmes, et que je n'ai pas cru pouvoir exécuter ce dessein sans la permission de ceux qui ont été en commerce de lettres avec lui, j'ai déjà obtenu de quelques un* la grâce que je vous demande, et que j'attends de votre honnêteté, et de ce zèle incroyable que je vous connois pour M. Descartes. Je voudrois vous supplier en même temps de m'envoyer les origi- naux de toutes celles qu'il vous a écrites, car je n'en trouve que deux ici , l'une en réponse de la vôtre du 1 1 décembre, et l'autre à celle du 5 mars. 11 me manque donc la troisième, qui doit être en rér ponse des vôtres du a3 juillet et du 2 1 octobre, la- quelle doit être très belle et très curieuse,, ayant à

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IjRfTM'S. 58 1

répondre à tant de questions importantes que vous lui avez faites sur ses Principes de philoso- phie, et sur la Dioptrique, dont je n'ai trouvé que deux pages, il tâche de répondre à vos in- stances, sans qu'il s'y trouve un seul mot de vos questions sur ses Principes et sur sa Dioptrique : ainsi je vous prie donc instamment de m'accorder la grâce de faire imprimer vos lettres avec ses réponses, et de m'envoyer aussi toutes celles que vous avez de M. Descartes, afin que nous concou- rions ensemble à l'utilité du public et à la mé- moire de notre ami. Outre ces lettres, j'ai encore plusieurs beaux monuments de ce grand homme, qui verront le jour chacun en son temps , et qui, je m'assure, ne vous feront pas peu de plaisir un jour, connoissant votre zèle et votre amour pour les écrits de M. Descartes. Si j'eusse pu vous écrire dans ma langue naturelle, je vous aurois expliqué ma pensée en termes plus clairs et meilleurs; mais de peur de tomber en diverses fautes, j'ai serré mon style, et je vous ai découvert ma pensée comme j'ai pu , et non pas comme j'ai voulu. Je vous prie de me le pardonner, et d'être bien persuadé que je suis avec toute l'estime et la vénération possible, etc.

A Paris, [e ta décembre i654.

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582 LETTRES.

RÉPONSE DE M. MORUS

A M. CLERSELIER.

(Lettre 65 du tome III. Version.)

Monsieur,

Je n'ai reçu que le i5 avril 1 celle que vous m'avez fait l'honneur de m écrire de Paris le 12 décembre 1 654- Je suis surpris de ce retardement. Jëtois alors à Grantham, aux environs de Lincoln : je m'étois retiré à la campagne en partie pour rétablir ma santé. J'ai eu une véritable joie d'ap- prendre le louable dessein que vous avez de mettre au jour tous les écrits de M. Descartes qui sont entre vos mains : en quoi vous travaillez non seu- lement pour le nom et la mémoire de cet excellent philosophe, mais encore pour l'utilité de tous les gens de lettres; car il n'y a personne à qui on puisse appliquer plus heureusement qu'à cet homme divin le passage d'Horace :

Il n'entreprend rien que d'utile.

C'est pourquoi si j'avois un conseil à vous donner,

Lisez probablement février; car celte lettre est datée du 14 mars , et Moms dit qu'il s'est écoulé un mois entre la réception de la lettre de Clerselier et cette réponse.

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I

LETTRES. 385

ce seroit do ne rien supprimer de ses ouvrages , tant de ceux qu'il n'a fait qu'ébaucher , que de ceux auxquels il a donné la dernière main : ce qui ne peut tourner qu'au bien de la république des lettres. Ainsi, pour ne mettre aucun obstacle à un dessein si utile, j y donne les mains de bon cœur , et je vous permets de faire imprimer la première et la seconde lettre que j'ai écrites à M. Descartes, parceque sans elles , comme vous dites fort bien, on n'est pas en état d'entendre si facilement ses ré- ponses ; je crois même qu'il ne seroit pas inutile de faire imprimer aussi ma troisième , puisqu'elle est la réponse aux précédentes de M. Descartes; mais comme ma quatrième n'a rapport à aucune des siennes , et que la mort inopinée l'a empêché d'y faire réponse, je ferois difficulté de lui faire voir le jour : si néanmoins quelques uns de ses amis ? ou de ceux qui vivoient et conféroient plus fréquemment avec lui , vouloient y suppléer par une réponse , je crois qu'alors il ne seroit pas inu- tile de la joindre aux autres ; et quand même cela ne pourroit se faire à présent , s'il y avoit apparence que l'impression de la troisième et de la quatrième lettre engageât quelqu'un des plus habiles disci- pjes de M. Descartes à répondre à toutes les dif- ficultés que je propose à ce grand philosophe, cette seule espérance me porteroit plus facilement à vous accorder toute liberté de les mettre au jour avec

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584 LETTRES.

» *

les autres. Vous trouverez peut-être vous-même

«

quelque expédient là-dessus meilleur que le mien ; mais pour ne pas vous arrêter davantage , je m'en remets entièrement sur toute cette affaire à votre prudence et à votre équité.

Je ne saurois vous exprimer la douleur que j'ai

» i

ressentie à la nouvelle de la mort prématurée de M. Descartes. J'étois zélé admirateur de l'esprit et des vertus de cet homme incomparable , et je dé- sirois passionnément de lire sa réponse que j'atten- dois à ma troisième et quatrième lettre , qui par- courent toute sa philosophie. Vous m'apprenez , monsieur , quil avoit commencé une réponse à ma lettre du 23 juillet. Je conjecture qu'il a écrit ce fragment étant encore à Egmonten Hollande, et il la discontinua ( comme il me le fit savoir par ses amis ) parcequ'ayant l'esprit occupé de son dé- part pour la Suède , il ne put vaquer en même temps, selon ses termes, à tant de difficultés si subtiles , et à des disquisitiohs de si grande impor- tance : mais il promit bien sûrement à ses amis de retourner le printemps suivant, et de m'y faire alors une ample réponse, capable de lever tous mes doutes : mais puisque la cruelle mort nous a enlevé tout le reste, je ne voudrois pas que' ce fragment de deux pages dont vous parlez vînt à périr.

> Quant à ces autres monuments plus précieux

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LETTRES. 385

et plus importants que vous dites avoir entre les mains, et à qui vous promettez de faire voir le jour en leur temps, je m'en forme d'avance une joie infinie, et je vous aurois toute l'obligation possible si vous vouliez bien me faire la grâce de marquer seulement dans votre première lettre le sujet et le titre de chacun de ces livres. Votre der- nière lettre fait renaître en moi cette ardeur que j'avois autrefois pour la philosophie de M. Des- cartes, et qui s'étoit un peu ralentie par la mort de cet illustre ami , faute de nouveaux sujets de lecture: ou plutôt, pour vous dire les choses comme elles sont , ce n'étoit pas l'unique cause , d'autres occupations avoient détourné mon es- prit sur des études tout-à-fait différentes. Car le poids des raisonnements, la beauté sensible de la vérité, la grandeur et la sublimité du génie, le bel ordre, l'enchaînement et la correspon- dance universelle de tous les écrits de M. Des- cartes font qu'après Les avoir lus mille fois on les trouve toujours nouveaux, toujours pleins de char- mes qui les font relire avec plaisir : de même que la lumière du soleil qu'on voit tous les jours sans se lasser, et dont le lever est attendu , souhaité et reçu tous les matins avec de nouvelles démonstrations de joie par les hommes , les oiseaux et le reste des ani- maux. D'ailleurs la philosophie cartésienne (malgré les murmures secrets des uns , et les déchaînements

10. 25

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586 LETTRES.

emportés des autres ) est non seulement agréable à lire, mais elle est principalement utile pour la religion , qui est la fin principale de toute la phi- losophie ; car les péripatéticiens prétendent qu'il y a certaines formes substantielles qui sortent de la puissance de la matière, et qui lui sont tellement unies, quelles ne peuvent subsister sans elle, et que par conséquent elles retournent enfin de né- cessité dans la puissance de la matière , ces philo- sophes rapportant à cet ordre les âmes de presque tous les êtres vivants , et celles-là même à qui ils donnent du sentiment et de la pensée; les épicu- riens, qui d'un autre côté se moquent des formes substantielles, attribuant à la matière même le sen- timent et la pensée , il n'y a que M. Descartes , entre tous les philosophes, qui ait banni de la philosophie toutes les formes substantielles , ou ces âmes sorties de la matière , et qui ait entière- ment dépouillé la matière de la faculté de sentir et de penser; de sorte que si Ton saivoit les principes de M. Descartes , on auroit une méthode très cer- taine et un moyen très facile pour démontrer l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme , qui sont les deux fondements les plus solides et les uniques soutiens delà vraie religion. Je remarque ces choses en deux mots , parmi plusieurs autres que je pourrois ajouter , et qui se rapportent au même sujet; mais je dirai en gros qu'il n'y a au-

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LETTRES. 087

cune philosophie qui combatte si fortement les athées, jusqu'au fond de leurs retranchements , et qui détruise si heureusement tous leurs réduits, que la philosophie cartésienne bien entendue, à laquelle on pourroit joindre celle de Platon pour ce point. Ce qui me fait espérer que tous les gens de bien me pardonneront les grandes louanges que j'ai données à cet homme incomparable , dans les* lettres que je lui ai écrites ; et je crois ( quel que puisse être le sentiment de notre siècle pour M. Descartes,, dont la mémoire est encore trop récente pour pouvoir ensevelir sitôt tous ses en- vieux ) , je crois , dis-je , que la postérité embras- sera sa philosophie avec honneur, et quelle recon- noîtra le bon usage qu'on en peut faire.

Je prédis volontiers ces choses pour vous en- courager le plus qu'il m'est possible à poursui- vre le noble dessein que vous avez de faire im- primer tous les écrits qui sont entre vos mains. Vous obligerez par bien des personnes , et moi surtout , qui trouve un extrême plaisir dans cette lecture.

Si vous jugez à propos de faire imprimer mes lettres , je vous prie de ne pas le faire sur les exem- plaires que vous avez déjà, parceque je vous en prépare de plus correctes ; ayant donné plus d'at- tention à cette lecture , j'ai trouvé à corriger

quelques endroits qui raetoient échappés dans

2.5.

338 LETTRES.

la précipitation et l'ardeur avec laquelle j écri- vis à M. Descartes. J'ai aussi effacé quelques unes de mes questions sur la troisième et qua- trième lettre : la première et la seconde sont entières.

Au reste, n'attribuez ni à négligence ni à mé- pris de ce qu'il s'est écoulé un mois depuis que j'ai reçu votre lettre, sans vous faire réponse. J'ai pour vous toute l'estime et la considération pos- sibles, tant à cause de l'excellent esprit que j'ai reconnu en vous par vos lettres , qu'en considéra- tion des devoirs de piété dont M. votre frère usa, lors de son ambassade en Suède, envers M. Des- cartes après sa mort. Tout le temps qui s'est écoulé depuis que j'ai reçu votre lettre s'est passé en partie à terminer les affaires qui me retenoient à la campagne, et en partie à corriger et à transcrire mes lettres à M. Descartes; depuis mon retour dans notre académie, je n'ai pas cru devoir vous répondre avant que tout fût achevé: aujourd'hui tout est prêt, les lettres de M. Descartes et les miennes : je ne vous les envoie pas cependant par ce courrier; j'ai voulu savoir auparavant si cette lettre vous seroit rendue sûrement Dès que vous me l'aurez fait savoir, je les ferai toutes partir. Vous me ferez plaisir de me marquer dans la pre- mière où vous en êtes de votre projet. Je souhaite de tout mon cœur qu'il réussisse. Ce sont les vœux

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LETTRES. 389

que forme pour vous, et pour tous MM. les car- tésiens, etc.

A Cambridge, du collège de Christ, ce 14 mai iG55.

LETTRE DE M. DE FERMAT

A M. CLERSELIER,

1

SUR LA DIOPTRIQUE UE II. DESCARTKS.

(Lettre |3 du tome III.)

A Toulouse, le 3 mais i(>58.

Monsieur,

J'ai reçu votre lettre avec les deux copies des écrits de M. Descartes sur le sujet de notre ancien démêlé; je voudrois bien, monsieur, vous satis- faire ponctuellement, en ce que vous semblez souhaiter que je fasse mes réponses d'alors qui se sont égarées; mais comme je hais naturellement tout ce qui choque tant soit peu la vérité, et qu'il me seroit aussi malaisé de rajuster ce vieux ou- vrage, qu'à un peintre de refaire mon portrait d'alors sur mon visage d'à présent, j'ai cru qu'il valoit mieux vous écrire tout de nouveau une lettre qui contiendra mes raisons d'opposition , et

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390 LETTRES.

vieilles et nouvelles, et c'est à quoi je travaillerai pour la huitaine. J'entre dans vos sentiments pour ce qui concerne l'impression; il faudra changer les termes les plus choquants et les plus aigres; mais n'y faire point autrement de grand change- ment; et de cela je m'en remets à vous. Pour notre question de Dioptrique, je vous proteste, sans nulle feintise, que je souhaite de m'ëtre trompé; mais je ne saurois obtenir sur moi, en façon quelconque, que le raisonnement de M. Descartes soit une dé- monstration , et même qu'il en approche. Je vous enverrai dans huit jours la lettre qui éclaircira mes doutes sur cette matière. Et je suis de tout mon cœur, etc.

J'ai retenu cette lettre, qui étoit prête à vous être envoyée dès la semaine passée, parceque j'ai cru que M. Digby, par la voie duquel j'ai pris la liberté de vous écrire, ne seroit pas encore de retour à Paris. Vous recevrez donc les deux con- jointement; et si la seconde est un peu longue, assurez-vous, monsieur, que j'ai pris peine à rac- courcir , et que je pourrois dire beaucoup plus de choses que je n'ai fait. Je l'ajouterai un jour, si les géomètres de Paris soutiennent la démonstra- tion de M. Descartes.

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LETTRES.

LETTRE DE M. DE FERMAT

A M. CLERSELIER,

SUR LA DIOPTRIQUE DE M. DESCARTES.

(Lettre 44 du tome III.)

Du 10 mare i658.

Monsieur,

Les conclusions qui se peuvent tirer de la pro- position qui sert de fondement à la Dioptrique de M. Descartes sont si belles , et doivent naturelle- ment produire de si beaux effets dans tous les ou- vrages de l'art qui regardent la réfraction , qu'il seroit à souhaiter, non seulement pour la gloire de notre défunt ami, mais bien plus pour l'aug- mentation et embellissement des sciences, que cette proposition fût véritable; et qu elle eût été légi- timement démontrée, et d'autant plus qu'elle est de celles dont on peut dire que multa sunt falsa probabiliora veris. Je veux même passer plus outre, et la comparer à ce fameux mensonge dont il est parlé dans le Tasse, et que ce poète assure être plus beau que la vérité.

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209 LETTRES.

Quando sara il w.to Si bello , che si possa à ti proporre f

Je commence par là, monsieur, afin de vous faire connoître que je serois ravi que le différent que j'ai eu autrefois sur ce sujet avec M. Descartes se terminât à son avantage; j'y trouverois mon compte en toutes façons: la gloire d'un ami que j'ai infiniment estimé , et qui a passé avec raison pour un des grands hommes de son temps, l'établisse- ment d'une vérité physique des plus importantes, et l'exécution aisée des effets merveilleux qui s'en pourroient infailliblement déduire; tout cela me vaudroit incomparablement mieux qu'un gain de cause, quand même je devrois compter pour rien le

M< cuin certasse ferelur,

dont les amis de M. Descartes peuvent toujours raisonnablement consoler ses adversaires. Je me mets donc, monsieur, en la posture d'un homme qui veut être vaincu , je Je déclare hautement.

Jani jam efficaei do manu» scientix.

Mais parceque les démonstrations sont des raisons forcées, et qu'à moins d'être convaincu par elles, on n'en sauroit être persuadé, voyons, monsieur, si le contentement des lecteurs peut échapper à notre auteur, et si nous pourrons nous

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LETTRES. 3q3

défaire aisément des objections qui semblent lui pouvoir être opposées. Il faut pour cela suivre sa démonstration mot pour mot, et il suffira d'en- fermer par des parenthèses ce qui ne sera point à lui , et que j'ajouterai du mien. Voici donc comme il parle au commencement de la page 20 de sa Dioptrique françoise.

Et premièrement , supposons qu'une balle pous- sée d'A vers B rencontre au point B, non plus la superficie de la terre , mais une toile CBE , qui soit si foible et si déliée que cette balle ait la force de la rompre et de passer tout au travers, en per- dant seulement une partie de sa vitesse, à savoir, par exemple, la moitié. Or, cela posé, afin de savoir quel chemin elle doit suivre, considérons dere- chef que son mouvement diffère entièrement de sa détermination à se mouvoir plutôt vers un côté que vers un autre , d'où il suit que leur quantité doit être examinée séparément; et considérons aussi que des deux parties dont on peut imaginer que cette détermination est composée , il n'y a que celle qui faisoit tendre la balle de haut en bas qui puisse être changée en quelque façon par la ren- contre de la toile, et que pour celle qui la faisoit tendre vers la main droite , elle doit toujours de- meurer la même qu'elle a été , à cause que cette toile ne lui est aucunement opposée en ce sens-là. Mais ce raisonnement n'est-il pas un peu opposé

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094 LETTRES.

au sens commun ? L'extension qu'il en fait de la réflexion à la réfraction n est-elle pas aussi un peu forcée ? Dans la page 14 il suppose que la balle va toujours d'égale vitesse, tant en descendant qu'en remontant, qu'elle continue son mouvement dans un même milieu ; il en déduit, dans la page 1 7, que la rencontre de la terre peut bien empêcher la détermination qui faisoit descendre la balle d'AF vers CE à cause qu'elle occupe tout l'espace qui est au-dessous de CE , mais qu'elle ne peut point empêcher l'autre qui la faisoit avancer vers la main droite, vu qu'elle ne lui est aucunement opposée en ce sens-là; d'où il infère l'égalité des angles de ré- flexion et d'incidence. Mais quand bien ce raisonne- ment seroit véritable en la réflexion, quelque scep- tique scrupuleux ne manquera pointd'alléguer qu'il y a trois circonstances en la réfraction qui doivent changer la conséquence, ou du moins servir d'empê- chement à la recevoir sans nouvelle preuve. Premiè- rement, en la figure de la page 20 ou en celle de la page 21 de la Dioptrique, la balle ne continue pas son mouvement d'une égale vitesse , puisque par la supposition elle perd, par exemple, la moitié de sa vitesse dès le point B. Secondement, elle ne passe pas toujours par un même milieu , comme il paroît en la figure de la page 2 1 . Et enfin la détermination qui la faisoit aller de haut en bas n'est pas tout-à-fait empêchée par la rencontre la toile, ou de l'eau,

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LETTRES. 5gb

mais changée seulement ou diminuée. Or que la conséquence soit la même nonobstant la diversité de ces trois circonstances , il sera malaisé qu'un médiocre logicien le puisse accorder. Il alléguera pour excuse de sa logique scrupuleuse qu'il n'a pas cru se faire grande violence lorsqu'en la fi- gure de la page 1 6 et 17 il a donné les mains que la détermination de la gauche à la droite restoit la même , puisque la balle allant toujours de même vitesse pouvoit conserver l'une de ses visées ou déterminations lorsque l'autre seule étoit empê- chée ; que d'ailleurs le mouvement se faisoit dans un même milieu, et qu'enfin la détermination de haut en bas étant entièrement empêchée , il n'y avoit pas grand mal de consentir que celle de la gauche à la droite restât tout entière ; comme quand on perd un œil on dit que la vertu visive se conserve entière en celui qui reste. Mais en la réfraction tout y est différent; veut-on y obtenir le consentement de notre sceptique sans preuve ? La détermination de la gauche à la droite demeurera - t-elle la même , lorsque toutes les raisons qui le lui avoient persuadé en la réflexion se sont éva- nouies ? Mais ce n'est pas tout , il a sujet d'appré- hender l'équivoque; et lorsqu'il aura accordé que cette détermination de gauche à droite demeure la même, il a occasion de soupçonner que l'auteur le chicanera sur l'explication de ce terme ; car

7)Ç)6 LETTRES*

quoiqu'il ait protesté que la détermination est dif- férente de la puissance qui meut, et que leur quan- tité doit être examinée séparément , si notre scep- tique lui accorde en cet endroit que cette déterrai- nation de gauche à droite demeure la même en la réfraction , c est-à-dire qu'elle conserve la même visée ou direction , il y a apparence que l'auteur voudra l'obliger ensuite à lui accorder que la balle dont la détermination vers la droite n'est point changée s'avance autant et aussi vite vers la droite qu'elle faisoit auparavant, quoique sa vitesse et le milieu par elle passe soient changés. Mais par- cequ'il ne paroît passitôt qu'on veuille lui faire une si grande violence, il ne croit pas être encore temps de se départir du respect qu'il doit au nom de M. Descartes , et il veut bien lui avouer , sur sa seule parole, que cette détermination vers la droite demeurera la même , pourvu qu'il ne se parle point du temps que la balle doit employer à s'avancer de ce côté-là ; parceque M. Descartes même a avoué que la force qui meut et la détermination sont deux quantités qui n'ont rien de commun , et qu'elles doivent être séparément examinées. Puis ayant décrit du centre B le cercle AFD, et tiré à angles droits sur CBE les trois lignes droites AC, HB, FE, en telle sorte qu'il y ait deux fois autant de distance entre FE et HB qu'entre HB et AC , nous verrons que cette balle doit tendre

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LETTRES.

vers le point I. Car puisqu'elle perd la moitié de sa vitesse en traversant la toile CBE, elle doit em- ployer deux fois autant de temps à passer au-des- sous, depuis B jusques à quelque point de la cir- conférence du cercle AFD, qu'elle a fait au-dessus à venir depuis A jusques à B; et puisqu'elle ne perd rien du tout de la détermination qu'elle avoit à s'avancer vers le côté droit, en deux fois autant de temps qu'elle en a mis à passer depuis la ligne AC jusques à HB , elle doit faire deux fois autant de chemin vers le même côté. C'est ici le guet- apens; et la trop grande crédulité de celui qui avoit franchi tous ses scrupules sur le premier article reçoit en cet endroit une nouvelle attaque. L'au- teura sujet d'espérer que puisque notre sceptique lui a déjà accordé que la détermination vers la droite restoit la même, il ne doit pas le dédire non plus que cette détermination ou cette visée et direction vers le côté droit ne soit également vite, et n'avance toujours autant qu'elle faisoit aupara- vant. Mais le sceptique commence à n'entendre plus raillerie ; et s'il a consenti de bonne foi que la détermination vers la droite ne changeoit pas , il proteste qu'il n'est point engagé à consentir qu'en changeant de milieu elle fasse toujours un égal progrès , puisque l'auteur a si souvent et si solennellement assuré que la détermination et la force mouvante sont tout-à-fait différentes et dis-

O98 LETTRES.

tinctes. Et pour se confirmer en son doute, il ajoute que si , dans la figure delà page 20, la balle étoit poussée depuis H jusques à B, et qu'elle con- tinuât son mouvement vers BG, le raisonnement de celui qui diroit , La détermination de la balle sur la route HBG n'est point changée au point B , car elle est la même, et le mouvement perpendiculaire se continue dans la même ligne IIBG , donc cette balle avance autant et aussi vite au-dessous de B qu elle faisoit auparavant ; ce raisonnement , dis-je , seroit ridicule , parcequela détermination ou direction du mouvement diffère de sa vitesse. Pourquoi donc notre sceptique serat-il obligé d'accorder gratui- tement et sans preuve que le mouvement qui se fait vers la droite dans la figure de la page 21 avance également vers ledit côté droit, après qu'il a changé de milieu? Ce n'est pas que cette propo- sition ne puisse être vraie, mais elle ne l'est qu'au cas que la conclusion que M. Descartes en tire soit véritable , c'est-à-dire que la raison ou proportion pour mesurer les réfractions ait été par lui légiti- mement et véritablement assignée. Il ne l'a donc pas prouvée par une proposition si douteuse et si peu admissible. En un mot quand toutes les oppo- sitions qu'on peut faire à son raisonnement seroient fautives, peut-il faire passer pour véritable ce qui n'est ni axiome , ni déduit par une conséquence légitime d'aucune première vérité? Les démons*

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LETTRES. O99

trations qui ne forcent pas de croire ne peuvent point porter ce nom. Et croiriez-vous , monsieur , que si la proposition de M. Descartes étoitdémons- trativement prouvée, son évidence et sa clarté n'eussent pas percé les ténèbres de mon entende- ment pendant vingt années qui se sont écoulées depuis notre ancien démêlé , puisque je vous ai protesté dès le commencement de ma lettre que je travaille sincèrement à me tirer d'erreur, et que je ne cherche qu'un honnête prétexte à me rendre. Je serois même ravi d'établir l'honneur de M. Des- cartes aux dépens du mien , et je voudrois , s'il m'étoit possible , en reconnoissant la vérité de sa preuve , ajouter avant que de finir:

Se clara vide n dam Obtulit , et put a per noctem in luce refulsit.

Il en sera pourtant ce que M. le chevalier Digby et vous, monsieur, trouverez bon. Je vous sou- mets à tous deux ma Logique et ma Mathématique, et je consens que vous en fassiez un sacrifice à la mémoire de cet illustre, qui n'est plus en état de se défendre. Mais jusques à ce que vous ayez pro- noncé , je prétends que la véritable raison ou pro- portion des réfractions est encore inconnue, et que 0£ûv Iv yevvaci *etrm en compagnie de tant d'autres vérités que l'avenir découvrira peut-être mieux que n'a pu le faire le passé. Excusez ma longueur, et faites-moi l'honneur de me croire , etc.

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4 00 LKTTRES.

RÉPONSE DE M. CLEKSELIER

A M. DE FERMAT. (Lettre 45 du tome III.)

1

A Pari», le tS mai iG58.

Monsieur,

Je ne veux pas m arrêter beaucoup à vous faire des excuses d'avoir tant tardé à faire réponse aux deux vôtres, Tune du troisième et l'autre du dixième mars dernier , pareeque je me persuade que vous croirez aisément qu'il m'a fallu des ob- stacles invincibles pour m'empêcher de satisfaire à temps à des témoignages si obligeants de votre suf- fisance et de votre civilité. En effet , une maladie qui m'a détenu dans le lit presque tout ce temps- , et qui m'a ôté le moyen de pouvoir attacher mon esprit à des spéculations si relevées, est la véri- table cause qui m'a empêché de vous témoigner plus tôtmareconnoissance. Mais tout cela seroit peu, si je pou vois aujourd'hui répondre à tous les dou- tes de votre sceptique, et satisfaire pleinement aux difficultés que vous proposez dans votre dernière;

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LETTRES. /joi

car comme elles ne dépendent point du temps, la réponse n'en seroit de rien moins recevable et con- vaincante, pour n'être pas venue à temps. Néan- moins, pourvu que ce soit à vous, monsieur, que j'aie affaire , et non point à votre sceptique , dont l'humeur seroit trop difficile à contenter, je me promets de pouvoir éclaircir la plupart de ses doutes , et de faire voir , si je ne me trompe , si clairement en quoi il s'est mépris lui-même dans ses raisonnements, que, vous prenant vous-même pour l'arbitre de nos différents et pour le juge de nos conclusions , j'espère que vous reconnoîtrez la subtilité des siennes et la vérité des miennes, c'est-à-dire de celles de M. Descartes.

Premièrement, je ne vois point que le raisonne- ment que fait M. Descartes, à l'occasion de la fi- gure de la page 20 de sa Dioptrique, soit aucune- ment opposé au sens commun , ni que l'extension qu'il en fait de la réflexion à la réfraction soit for- cée ; car la même raison qui lui a fait conclure en la page 1 6 que la terre GBE ne pouvoit empêcher que la détermination de haut en bas, et non point celle de gauche à droite , pourcequ'elle est entiè- rement opposée à la première et point du tout à la seconde , la même lui a faire conclure dans la figure de la page 20 et 2 1 que la détermination de haut en bas pouvoit bien être changée en quel- que façon par la rencontre de la toile ou de l'eau ,

/|02 LETTRES.

mais point du tout celle qui fait tendre la balle vers la main droite, à cause que l'eau ou la toile est en quelque façon opposée à l'une, et point à l'au- tre. Je vous prie de remarquer ici la façon de par- ler de M. Descartes ( car c'est de que dépend eu partie la résolution de tous les doutes de votre sceptique ) : il ne dit pas simplement que la déter- mination de haut en bas peut être changée par la rencontre de la toile , mais seulement qu'elle peut être changée en quelque façon ; car en effet elle n'est pas tout-à-fait changée, puisque la balle con- tinue de descendre , mais elle est changée en quel- que façon , en tant que c'est changer en quelque façon la détermination qu'un mobile avoit à avan- cer vers un certain côté, que de faire que dans le même temps il n'avance pas tant vers ce côté-là qu'il faisoit auparavant; ce qui change la quantité de sa détermination.

De plus, trois circonstances que remarque votre sceptique pour l'empêcher d'admettre cette con- séquence ne la peuvent aucunement infirmer; car que la vitesse soit diminuée, que le milieu soit changé, et que la détermination de haut en bas ne soit pas tout-à-fait empêchée , mais que la balle continue de descendre , tout cela ne doit point ap- porter de changement à la détermination de gau- che à droite , à laquelle pas une de ces circon- stances ne s'oppose et ne met obstacle , puisque

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LETTRES. 4°3

cette détermination peut demeurer la même, quoi- que la vitesse soit changée, une même détermi- nation pouvant être jointe à différentes vitesses. Le milieu ne peut aussi apporter aucun change- ment à cette détermination , puisqu'il lui est éga- lement facile de s'ouvrir et faire passage d'un côté que d'autre; et bien que la balle continue de des- cendre, et ne remonte pas comme en la réflexion, cette détermination vers la droite se peut aussi bien faire et maintenir en descendant qu'en remon- tant.

Jusques ici votre sceptique auroitce me semble tort de ne vouloir pas accorder que la détermina- tion de gauche à droite demeure la même en la réfraction , après en être demeuré d'accord sans difficulté en la réflexion ; et il ne doit point appré- hender qu'on le chicane sur l'explication de ce terme , et qu'on l'oblige à rien avouer qu'on ne prouve , et qui ne soit tiré par une conséquence légitime de ce qu'on a avancé auparavant, M. Des- cartes ayant trop soigneusement fait remarquer la différence qu'il y a entre la détermination et le mouvement, ou, comme vous dites, entre la détermination et la puissance qui meut, pour s'en oublier.

Mais voici le point qui effarouche votre scep- tique, et qui lui fait perdre ce peu de respect qu'il sembioit encore porter au nom de M. Descartes ;

*6.

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4<>4 LETTRES.

c est à ce coup qu'il dit n entendre plus de raille- rie,4 et que s'il a consenti de bonne foi que la dé- termination vers la droite ne chaugeoit pas , il pro- teste qu'il n'est point engagé à consentir que la balle, changeant de milieu , lasse toujours un égal progrès, et, comme H dit un peu auparavant, aille aussi vite vers la droite, après qu'il a été supposé que la balle au point B perd la moitié de sa vitesse; et que M. Descartes a si solennellement assuré que la détermination et la force mouvante sont tout-à- fait différentes et distinctes.

Mais ne voyez -vous pas que ce qui empêche votre sceptique d'y consentir et d'y donner les mains, est qu'il ne distingue pas assez lui-même la détermination d'avec la force mouvante ou la vitesse , et qu'il les confond ensemble , croyant que la perte que l'une souffre , à savoir la vitesse, se doive ressentir par l'autre, à savoir par la dé- termination vers la main droite, quoique rien ne se soit opposé qui ait pu changer ou diminuer la quantité de la détermination que la balle avoit à avancer vers ce côté-là. Car s'il avoit bien pris garde à ce que dit M. Descartes, il n'auroit pas de peine à comprendre que la vitesse étant diminuée de moitié au point B , la détermination de gauche à droite demeurant toujours la même en ce point- qu'elle a été auparavant, il est nécessaire que la balle suive la ligne BI pour faire que la détermi

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LETTRES. 4°5

nation qu'elle doit prendre se rapporte à la vitesse ou à la force qui lui reste , et qui la commence en B. Et quoique dans la route qu'elle prend , en des temps égaux, elle avance autant vers la droite qu'elle faisoit auparavant , et qu'ainsi la détermi- nation quelle avok à avancer vers ce côté-là ne soit point changée , il ne s'ensuit pas qu'elle aille aussi vite qu'elle faisoit auparavant ; ce que votre scep- tique semble avoir toujours appréhendé qu'on lui voulût faire accorder, puisque M. Descartes avoue lui même qu'il lui faut le double du temps pour faire autant de chemin qu'auparavant; mais comme dans la route qu'elle est obligée de prendre elle incline plus qu'elle ne faisoit vers la droite , elle ne laisse pas d'avancer autant verscecoté-là, quoi- qu'elle aille deux fois moins vite.

Et c'est à mon avis ce qui fait la beauté et la force tout ensemble du raisonnement de M. Descartes, de faire voir quelle doit être dans cette rencontre la route véritable que doit prendre la balle, qui ne peut être autre que celle qu'il a expliquée en ce lieu-là , pour se rapporter à la détermination vers la droite , qu'elle doit garder , et à la perte de la vitesse qu'elle a soufferte en B.

Mais ce qui a le plus abusé votre sceptique est un raisonnement, très spécieux à la vérité, et très capable de surprendre les autres, et de faire qu'on y soit surpris soi-même, si l'on n'y prend garde,

4o6

LETTRES

mais qui pourtant est faux, et contre l'intention de M. Descartes. Ce raisonnement est que comme M. Descartes sur la figure de la page 20 dit que la détermination vers le côté droit étant la même, quoique le mouvement de la balle soit diminué de moitié au point B, en deux fois autant de temps elle doit avancer deux fois autant vers la droite ; donc à pari, dit votre sceptique, posé que la balle soit poussée perpendiculairement depuis H jusques à B, et quelle continue son mouvement vers BG, la détermination de la balle sur la route BG n'étant point changée au point B , et demeurant la même puisque le mouvement perpendiculaire se continue dans la même ligne HBG en deux fois autant de temps , elle doit avancer deux fois autant , et aussi vite au-dessous de B, qu'elle avoit fait auparavant au-dessus , ce qui est absurde, puisque l'on suppose que la balle au point B a perdu la moitié de sa vitesse.

Véritablement , si la conséquence qu'il infère étoit bien tirée de ce qu'a avancé M. Descartes , je conclurois comme lui que M. Descartes se seroit trompé dans son raisonnement, duquel il s'ensui- vroit une telle absurdité ; mais aussi M. Descartes a-t-ii dit tout autre chose que ce que votre scep- tique lui veut faire dire : car, quand il a dit que la détermination qu'avoit la balle à avancer vers le côté droit demeuroit la même , et que par consé-

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LETTRES. 4°7

quenten deux foisautantde temps elle devoit faire deux fois autant de chemin vers ce côté-là , il a conclu cela de ce que , bien qu'on suppose que la balle au point B perde la moitié de sa vitesse , néanmoins elle ne perd rien du tout de la quantité de la détermination qu'elle avoit à s'avancer vers le côté droit , à laquelle détermination la toile n'est aucunement opposée en ce sens-là , et laquelle se doit et se peut accommoder à la vitesse qui reste en la balle , pour faire en sorte que , sans déroger à la perte qu'elle a soufferte , et qu'allant moins vite , elle ne laisse pas d'avancer autant vers le côté droit qu'elle eût fait si elle n'eût rien perdu de sa vitesse. Mais peut-on dire la même chose de la dé- termination d'une balle que l'on suppose tomber perpendiculairement sur la même toile, à savoir, que la superficie sur laquelle elle tombe ne lui est aucunement opposée en ce sens-là, et qu'en per- dant la moitié de sa vitesse , elle ne perd rien du tout de la quantité de la détermination qu'elle avoit à s'avancer vers G, et que cette détermination se doit et se peut accommoder avec la vitesse qui lui reste , pour la faire avancer en un temps égal sur la même route , autant qu'elle eût fait si elle n'eût rien perdu de sa vitesse ; certainement personne ne dira que ce cas soit semblable au premier , et par conséquent la conclusion n'en peut être pa- reille.

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/|08 LETTRES.

Aussi tout le défaut du raisonnement de votre sceptique ne vient que de ce qu'il semble n avoir pas pris garde que cette superficie CBE, en la- quelle la balle au point B perd la moitié de sa vi- tesse , est toujours opposée à sa détermination de haut en bas , soit que la chute soit perpendiculaire, ou qu'elle ne le soit pas; en sorte que, quoique la balle continue de descendre , et même qu'elle des- cende dans la même ligne quand elle a été poussée perpendiculairement , on ne sauroit pas dire que cette détermination vers le bas soit la même, ayant été changée en quelque façon, ainsi que dit M. Des- cartes ; car la balle ne descend plus avec une pa- reille détermination, puisque dans un temps égal elle ne va pas si loin qu'elle étoit déterminée d'al- ler avant qu'elle eût perdu la moitié de la vitesse, ce qui est un changement en la détermination qu'elle a voit à avancer vers ce coté-là.

Et si vous y prenez garde , tous les changements de détermination que M. Descartes a dit s'ensuivre en la balle, du changement qui arrive en sa vitesse, ou en la force qui l'avance ou qui la retarde en B (selon les différentes suppositions qu'il fait), ont tous été en la détermination de haut en bas, et non point en celle de gauche à droite, à cause > comme il a dit en la page 20, ligne i5, que des deux parties dont on peut imaginer que la déter- mination de la balle sur la route ÀB est composée

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LETTRES. /j09

il n'y a que colle qui faisoit tendre la balle de haut en bas qui puisse être changée, en quelque fa- çon, par la rencontre de la toile; mais à plus forte raison cette toile peut-elle faire changer la détermi- nation perpendiculaire, à laquelle elle est entière- ment opposée, qui est simple, et qu'on ne peut pas dire être composée de deux autres, à Tune des- quelles elle ne soit point du tout opposée, ainsi qu'elle ne l'est point à celle de gauche à droite, quand la balle est poussée de biais, suivant la ligne AB.

Or, quel changement peut-il arriver en cette détermination de haut en bas , que celui qu'a ex- pliqué M. Descartes, à savoir, que cette balle, en continuant de descendre, avance tantôt plus et tantôt moins vers le bas qu'elle ne faisoit, selon le changement, c'est-à-dire selon l'augmentation ou la diminution que sa vitesse a reçue en B, et selon le rapport que cette vitesse s'est trouvée avoir avec la détermination vers le côté droit, qui a toujours demeurer la même, comme j'ai dit plusieurs fois, c'est-à-dire qui a faire que la balle ait toujours autant avancé de ce côté-là qu'elle avoit fait auparavant.

Et partant, tant s'en faut que l'absurdité qif avoit voulu inférer votre sceptique soit une suite de ce qu'a dit M. Descartes, qu'au contraire il se trouve que c'est lui-même qui, au lieu de faire un bon argument, s'est embarrassé dans un sophisme, en

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/jlO LETTRES.

supposant que la détermination de la balle dans une chute perpendiculaire étoit la même, au même sens que celle de gauche à droite est dite être la même quand la balle tombe obliquement.

Que si après cela vous prenez la peine d'exa- miner la réponse que M. Descartes a faite lui-même au reste des difficultés que votre sceptique lui a autrefois proposées par l'entremise du révérend père Mersenne, et auxquelles il satisfit alors, par une lettre qu'il adressa à M. Midorge, dont je vous ai naguère envoyé la copie, vous trouverez que ce qu'il dit est véritable, à savoir, que votre scep- tique s'est trompé, pour avoir parlé de la compo- sition du mouvement en deux divers sens, et in- féré de l'un ce qu'il avoit seulement prouvé de l'autre.

Je ne répète point ici ce qu'il en a dit; car, outre qu'il seroit inutile , comme j'en étois , un de mes amis, appelé M. Rohaull, savant mathématicien, et des plus versés que je connoisseen la philosophie de M. Descartes, m'est venu apporter une réponse qu'il a faite à votre lettre au père Mersenne , pensant que M. Descartes n'y avoit point répondu (car je ne lui avois point montré cette lettre à M. Midorge) et que vous n'eussiez reçu de lui aucune réponse, voyant que dans la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, laquelle je lui avois fait voir, vous continuez vos premières difficultés, et

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LETTRES. 411

que dans celle à M. de la Chambre, vous dites avoir autrefois contesté à M. Descartes sa démons- tration touchant la réfraction, à lui, dites-vous, viventi alque sentienli, mais qu'il ne vous satisfit jamais. Et pourcequ'il entend beaucoup mieux que moi toutes ces matières, et qu'il a répondu article par article à votredite lettre, je m'abstien- drai de vous ennuyer davantage par mon discours, afin de vous laisser plus de temps pour examiner la réponse qu'il y a faite. S'il me l'eût apportée plus tôt , il nous auroit tous deux soulagés, moi d'é- crire d'un sujet qui passe mes forces, et vous de lire une si mauvaise lettre; mais comme c'en étoit déjà fait, je n'ai pas voulu perdre ma peine, et j'ai pensé qu'il valoit mieux vous fatiguer de cette lecture, et vous donner par même moyen des preuves du soin je m'étois mis de m'acquitter de ce que je vous devois, que de vous laisser venir la pensée que je m'en serois peut-être oublié et que j'aurois été bien aise de m'en décharger sur un autre.

*

Au reste, monsieur, je vous prie d'excuser ce qui peut m'étre échappé de libre en répondant à votre sceptique, j'aurois agi avec tout un autre respect si j'eusse eu affaire à vous; mais, bien loin de craindre que pour cela vous me refusiez justice, je prends même l'assurance de vous demander quelque grâce; il y a des rencontres un peu de

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l^X'l LETTRES.

faveur n'offense point lequité; et si en celle-ci vous prenez mon parti , je puis vous assurer qu'en toute autre occasion je serai entièrement à vous , et que vous pourrez faire état d'avoir toujours tout prêt en moi , etc.

«. » - . * - ~ - « » »^-^>-^^»-^«---.-- ^ . . . » ^

RÉPONSE DE M. ROHAULT

A LA LETTRE DE M. DE FERMAT,

QUI CONTIENT SES ANCIENNES OBJECTIONS SUR LA DIOPTR1QUK

DE M. DESCARTES.

(Lettre 46 du tome III.)

Monsieur ,

Je ne sais si le père Mersenne , a qui cette lettre étoit adressée, l'a communiquée à M. Descartes, et si, l'ayant vue, ses occupations l'ont empêché d'y faire réponse; mais il paroît n'y avoir point ré- pondu, pareeque M. de Fermât, qui l'avoit écrite il y a environ vingt ans , répète encore à peu près les mêmes difficultés dans une lettre qu'il a écrite depuis peu à un de mes amis. Je m'en vas donc essayer d'y répondre, puisque vous le désirez; et,

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LETTRES. / 1 1 5

pour le faire plus commodément, je suivrai de point en point tous les articles de sa lettre , que j'examinerai les uns après les autres.

Article premier. J'ai vu> etc.

Le premier article ne contient qu'un compli- ment, dont M. de Fermât a voulu honorer M. Des- cartes, et dont sa mémoire lui sera toujours re- devable.

Article second. Je retranche, etc.

Quand M. Descartes auroit accommodé son mé- dium à sa conclusion , et qu'il auroit divisé la déter- mination du mouvement d'une certaine manière plutôt que d'une autre, on ne le devroit non plus trouver étrange que si un géomètre s'étoit servi d'une construction plutôt que d'une autre pour l'exécution d'un problème; et l'on ne conteste ja- mais la voie qu'il a choisie, pourvu qu'il soit venu à bout de ce qu'il avoit entrepris. Au reste, M. Des- cartes a diviser la détermination de la balle qui se meut dans la ligne AB , en une qui fut per- pendiculaire à la superficie CBE, et en une autre qui lui fût parallèle ; parceque, celle-ci ne rencon- trant aucune opposition , il étoit assuré qu'elle de- voit demeurer la même; et cela lui a été un moyen de trouver la vérité qu'il cherchoit, ce qu'il n au- roit pu faire s'il eût suivi une autre méthode.

Article troisième. Je reconnais , etc.

M. de Fermât semble favoriser M. Descartes

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4 1 4 LETTRES.

en avouant qu'il est de son sentiment, touchant la différence qu'il établit entre le mouvement et la détermination et tâchant même de le prouver; cependant il semble aussi qu'il y ait de l'adresse , parcequ'il impute à M. Descartes une opinion qu'il n'a pas, à dessein, ce semble, de s'en servir contre lui dans la suite.

C'est dans le second exemple, il assure qu'une balle poussée du point H au point B per- pendiculairement sur la surface CBE , ne perd rien du tout de la détermination qu'elle avoit à avancer vers BG, à cause, dit-il, qu'en pénétrant l'eau ou la toile, elle continue de se mouvoir dans la même ligne droite. Mais il doit considérer que la déter- mination d'un mobile doit être réputée changer, non seulement quand il quitte la ligne dans la- quelle il se mouvoit auparavant, ou quand il se meut à contre-sens dans la même ligne , mais en- core en se mouvant du même dans la même ligne droite , pourvu que ce soit plus ou moins loin qu'il netoit terminé d'aller en ce sens-là. Et c'est en cette troisième façon que la quantité de la déter- mination de la balle est devenue moindre, autant que le mouvement.

Article quatrième. Je viens maintenant, etc.

Cet article ne contient que le texte de M. Descartes.

Article cinquième. Je remarque d'abord , etc.

Le manque de mémoire qui est ici imputé à

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LETTRES. 4*5

M. Descartes est fondé sur la croyance qu'a M. de Fermât que la détermination de haut en bas de l'exemple de la page 20 de la Dioptrique n'est point changée , qui est une erreur semblable à celle qui a e'té remarquée sur l'article troisième. Et il ne sert de rien pour prouver sa pensée, de dire que la détermination dans la ligne BI est com- posée en partie de celle qui fait aller le mobile de haut en bas, comme étoit celle qui le faisoit auparavant mouvoir vers le même côté dans la ligne AB. Il y a en cela de l'équivoque; et encore qu'on remarque toujours une détermination de haut en bas, la seconde est autre que la première, de même que dix écus sont une autre quantité d'écus que quinze écus, encore que ce soit tou- jours des écus.

Article sixième. Mais donnons que, etc.

Après que M. de Fermât semble avoir accordé, comme par forme de passe-droit, une chose qu'il auroit eu tort de contester, il s'efforce de prouver que M. Descartes ne s'est pas aperçu que la déter- mination de gauche à droite étoit aussi bien changée que celle de haut en bas; ce qui vérita- blement rendroit nulle sa démonstration. La raison qu'il en apporte, c'est parce, dit-il, qu'on ne sau- roit dire que la détermination de haut en bas soit changée, sinon parceque depuis que le mobile se meut dans la ligne BI, sa quantité n'a plus la même

4l6 LETTRES.

raison avec celle de gauche à droite qu'elle avoit quand il étoit porté dans la ligne AB. Je ne sais si M. de Format parle ici tout de bon, d'autant qu'il raisonne à peu près comme feroit une personne qui, après avoir mis quinze écus dans l'une de ses pochettes, et trente dans l'autre, et en ayant perdu par je ne sais quel accident quelques uns des quinze , reconnoîtroit cette perte par cela seule- ment que ce qui lui reste des quinze n'est plus la moitié de la somme qu'il a de l'autre coté, et qui , après cela , pour se consoler de sa perle , viendroit à croire que la somme qu'il avoit de l'autre côté est augmentée, parcequ'elle fait en ré- compense plus du double de l'autre. M. Descartes raisonne d'une autre façon , et à peu près comme pourroit faire un jeune homme qui, sans avoir jamais appris ce que c'est que proportion, sauroit simplement compter : car, comme celui-ci jugeroit qu'il auroit perdu une partie de ses quinze écus en comparant ce qui lui resteroit avec ce qu'il avoit auparavant dans la même pochette, sans se soucier de les comparer avec les trente de l'autre, de même M. Descartes juge du changement arrivé en la dé- termination de haut en bas, parceque sa quantité n'est plus la même, depuis que le mobile est au- dessous de la surface CBE, qu'elle étoit quand il étoit au-dessus. Et il a raison d'assurer que la dé- termination de gauche à droite n'est pas changée,

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LETTRES. /jl^

parceque sa quantité est la même, le mobile étant dans la ligne BI, qu'elle étoit quand il étoit porté dans la ligne AB. .

Article septième. Mais donnons encore , etc.

M. de Fermât semble encore accorder ici gratui- tement une chose qu'il auroit aussi tort de con- tester, comme il se voit par la remarque précé- dente. Ce qu'il y a de plus dans cet article n'est que le propre texte de M. Descartes.

Article huitième, Voyez comme il retombe, etc.

M. Descartes est ici accusé de tomber pour la seconde fois dans une même faute, pour ne s'être pas souvenu de la différence qu'il y a entre la dé- termination et le mouvement; mais cette accusa- tion n'est fondée que sur ce que M. de Fermât prend ici un peu rigoureusement les paroles de M. Descartes. Car quand il dit que la balle doit faire deux fois autant de chemin vers le même côté, cela ne signifie pas que la balle doive se mouvoir dans une ligne deux fois aussi grande qu'aupara- vant; mais que, quelle que soit la longueur de cette ligne, la détermination vers la droite doit tellement s'accommoder avec la vitesse qui lui reste, que la balle avance de ce côté-là deux fois autant qu'elle avoit fait : c'est le sens qu il falloit donner aux paroles de M. Descartes, et non pas celui par lequel on prétend qu'il confond deux choses diverses : et cela étoit assez évident, puis-

4l8 LETTRES.

que même il suppose que le mouvement total de la balle est diminué de moitié. Ce qui suit de cet article, et l'absurdité que M. de Fermât y con- clut, ne fait rien contre M. Descartes, qui nieroit tout franc que la détermination de haut en bas demeure la même, suivant ce qui a été remarqué sur l'article troisième , et ainsi tout cet appareil de raisonnement s'en va en fumée.

Articles neuvième, dixième , onzième , douzième.

Je passe pour vrai tout ce qui est contenu dans ces articles ; mais cela ne fait rien du tout au sujet, et n'a servi qu'à tromper M. de Fermât, qui y parle du mouvement composé en autre sens que n'a fait M. Descartes.

Article treizième. Cela ainsi supposé , etc.

M. de Fermât estime que dans la page 23 de la Dioptrique, la supposition de M. Descartes est que l'accroissement d'un tiers de mouvement qui arrive à la balle soit simplement de haut en bas, ou selon la ligne BG , au lieu que c'est à le mesurer dans la ligne qu'elle a à décrire ou parcourir ac- tuellement, et cela est assez aisé à entendre ; par- ceque si cela étoit, M. Descartes n'auroit pas supposé, comme il a fait, que la force du mouve- ment de la balle est augmentée d'un tiers, mais auroit supposé que la détermination de haut en bas est augmentée d'un tiers, et n'auroit pas parlé du mouvement total. Il ne faut donc pas dire

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LETTRES. 4*9

qu'au sens de M. Descartes la balle qui se meut en BI s'y meuve d'un mouvement composé de celui qu'elle avoit vers BD, et d'un nouveau vers BG , qui augmente d'un tiers la force quelle avoit déjà en ce sens-là; mais bien que le mouvement ac- tuel de la balle est d'un tiers plus vite qu'aupara- vant, laissant au raisonnement à définir quel chan- gement doit suivre de en la détermination de haut en bas.

Article quatorzième. Imaginons ensuite, etc.

Ce que M. de Fermât conclut dans cet article est vrai dans sa supposition , laquelle ( comme je viens de remarquer) étant différente de celle de M. Descartes, il ne faut pas s'étonner s'ils éta- blissent tous deux des proportions différentes, Pune desquelles par conséquent ne sauroit détruire l'autre. ) .

Article quinzième. D'ailleurs la principale rai- son, etc.

Il est vrai que M. Descartes entend que le mou- vement d'un mobile accroît toujours d'une pareille quantité, en pénétrant un même milieu , quoiqu'il tombe sur sa surface avec des inclinaisons diffé- rentes: et cela est bien raisonnable, puisque l'aug- mentation de vitesse, ou la facilité à se mouvoir, que le mobile acquiert au point de rencontre qui sépare les deux milieux, dépend de la nature du second milieu, laquelle ne change point, mais est

a7.

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4^0 LETTRES.

toujours la même dans toutes les inclinaisons. Et la principale faute que commet ici M. de Fermât est fondée sur ce qu'il croit que le mouvement composé en BI n'est pas toujours également vite, comme s'il dépendoit de la direction ou détermi- nation des deux forces mouvantes; au lieu que c'est à elleà s'accommodera la force du mouvement, lequel est composé, et non pas la détermination: et c'est ce qui a trompé M. de Fermât, et qui lui a fait faire tous ses faux raisonnements; et c'est peut-être encore ce qui l'empêche à présent de recevoir la démonstration de M. Descartes. Aussi ce quïl ajoute ensuite, et qu'il dit avoir démontré être faux, n'est vrai que dans sa supposition, qu'il croyoit être celle de M. Descartes, mais qui pour- tant, comme j'ai montré, en est fort différente. Article seizième. Ce n'est pas que, etc. M. de Fermât avoue qutf l n'est pas assuré qu'il faille suivre sa proportion plutôt que celle qu'il tâche de combattre; mais je ne fais pas difficulté d'avouer qu'il faudroit r*ienir la sienne , si l'accé- lération ou le ralentissement du mouvement dé- pendoit ici l'angle compris sous les lignes de direction dçs deux forces mouvantes; mais parce» qu'il dépend de la nature du second niilièu que le corps a à parcourir de faciliter ou de retarder son mouvement , il est évident, ce me semble, que l'on doit retenir celle, de M. Descartes.

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LETTRES. 421

Nous saurons, quand il plaira à M. de Fermât, les pensées qu'il a touchant la réfraction; mais je puis déjà dire ici par avance que ce que j en ai vu dans sa lettre à M. de la Chambre m'a paru fort ingé- nieux et digne de lui.

Si vous lui faites voir ceci , je vous prie de lui taire mon nom , ou si vous trouvez à propos de lui déclarer, je vous prie aussi qu'il sache que ce n'est pas d'aujourd'hui que le bruit de son nom est venu jusques à moi; que j'estime beaucoup son mérite, et que je tiendrai à honneur s'il daigne me faire la grâce de me mettre au rang de ses très humbles serviteurs.

4^2

LETTRES

RÉPLIQUE DE M. DE FERMAT

A M. CLERSELIER.

(Lettre 47 du tome III.)

Du a juin i658.

Monsieur,

Je suis si passionné pour la gloire de M. Descartes, que vous ne pouvez m obliger plus sensiblement qu'en combattant les opinions du sceptique qui s'oppose à ses sentiments. Mais prenez garde, monsieur, qu'il importe de conduire votre travail jusques au bout, et de renverser entièrement sur leurs auteurs tout ce que vous appelez ou para- logisme ou sophisme. Il ne suffit pas de dire que le sens de M. Descartes a été mal pris par ceux qui le reprennent ; il faut prouver que l'explication que vous lui donnez va droit et sans détour à sa con- clusion, et qu'enfin sa preuve est démonstrative. Nous avions cru que la balle qui conserve sa di- rection et sa route ne perd point sa détermination , et nous l'avions avec quelque raison inféré de la différence que M. Descartes établit entre le mou-

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LETTRES. 425

vement et la détermination. Mais, sans nous em- presser davantage à prouver la conséquence que nous tirions de son raisonnement, nous nous te- nons pour suffisamment avertis de sa pensée, et de la vôtre , qui veut que la détermination d'un mobile soit réputée changer, non seulement quand il quitte la ligne dans laquelle il se mouvoit aupa- ravant, ou quand il se meut à contre-sens dans la même ligne, mais encore en se mouvant du même sens dans la même ligne droite, pourvu que ce soit plus ou moins loin qu'il n'étoit déterminé d'aller en ce sens-là. Et c'est en cette troisième fa- çon, dites- vous, que la quantité de la détermina- tion de la balle est devenue moindre autant que le mouvement , lorsqu'elle se meut sur la ligne HBG de la page 20 de la Dioptrique. Mais prenez garde que ce ne soit tomber dans la pétition du principe. Vous entendez donc dans la page 20 que la toile n'étant aucunement opposée à la détermination de gauche à droite, ces paroles veulent dire que cette détermination avance autant vers la droite qu'elle faisoit auparavant ; c'est ce que je nie, et qu'il faut prouver. Car bien que la toile n'empêche point que la balle n'avance toujours vers la droite, elle ne laisse pas d'avancer vers la droite, soit que ce progrès soit plus lent, soit qu'il soit plus vite qu'auparavant. Or, de cela seul que la toile n'em- pêche pas le progrès vers la droite, vous en inférez.

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I<ETTAES.

que ce progrès doit être justement le même, c est- à-dire ni plus ni moins vite qu'auparavant; c'est donc ouvrira aÎTvjjxaToç. Et il faut de deux choses l'une, ou que le médium soit le même que la conclusion , ou que la conclusion en soit mal tirée. Peut-être direz-vous que le mot aucunement fait tout le mystère , et qu'en disant que la toile ne lui est aucunement opposée en ce sens-là, tout le reste s'en déduit aisément; mais il en faut toujours revenir : si par le mot aucunement vous en- tendez que la toile n'empêche pas que la balle ne continue sa marche vers la droite , et que son progrès ne se fasse également , et en temps égal , je le nie, et c'est ce qu'il faut prouver. Si vous en- tendez que la toile ne lui est aucunement opposée, c'est-à-dire quelle n'empêche pas que la balle ne continue d'avancer vers la droite, sans assurer en- core si son progrès doit se faire en temps égal , vous ne trouverez jamais votre compte dans la conclusion. D'où il suit clairement que M. Des- cartes a voulu donner des paroles pour des choses ; et qu'en traitant deux propositions différentes sur le sujet de la réflexion et de la réfraction , il a voulu accommoder son raisonnement à la première qu'il savoit, et à la seconde qu'il a peut-être trop légèrement crue. Ce n'est pas , comme je vous ai déjà souvent protesté, que sa proportion des ré- fractions ne puisse être vraie : mais j'ai du moins

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LETTRES. /f2^

à vous dire que je ne la tiens du tout point prou- vée ; et qu'en tout cas vous avez trop de complai- sance en faisant semblant d'approuver ma pensée sur ce même sujet, puisque si ce que j'ai écrit là- dessus à M. de la Chambre est véritable, ce que M. Descartes croit avoir démontré est nécessaire- ment faux, ces deux opinions étant tout-à-fait contradictoires et incompatibles. Mais supposons, si faire se peut, que la proposition de M. Descartes soit véritable, il faut du moins pourvoir à ce que rien ne se démente dans les suites, et c'est aux amis du défunt à prévoir tous les cas qui pourroient faire de la peine à ia vérité supposée de cette pro- position. En voici un par exemple qu'il faut tâcher de résoudre.

Supposez dans la page 20 que la balle rencontre, au lieu delà toile ou de l'eau, un corps dur et im- pénétrable , et que lorsque la balle arrive au point B elle ne laisse pas de perdre la moitié de sa vi- tesse (car cette supposition est possible), et quoique le corps CBE ne contribue rien à la diminution de la vitesse , comme il fait en l'exemple de INI. Des- cartes , lorsque c'est de la toile ou de l'eau , néan- moins nous pouvons imaginer et supposer que lorsque la balle arrive au point B elle perd juste- ment la moitié de sa vitesse , sans nous mettre en peine d'où provient cette diminution , puisque le même M. Descartes, en la page a3 de la Dioptri-

4^6 LETTRES.

que, suppose ou imagine au point B une nouvelle puissance qui augmente le mouvement ou la vitesse de la balle ; de sorte que je ne crois pas que les amis de M. Descartes soient assez injustes pour nier que cette supposition puisse être non seulement ima- ginée, mais réduite en acte: cela supposé, il ' ne faut que transférer le raisonnement de M. Descartes au-dessus du plan, et on pourra dire avec lui que pour savoir le chemin que la balle doit prendre il faut considérer que son mouvement diffère en- tièrement de sa détermination à se mouvoir plutôt vers un côté que vers un autre : d'où il suit que leur quantité doit être examinée séparément. Con- sidérons aussi que des deux parties dont on peut imaginer que cette détermination est composée, il n'y a que celle qui faisoit tendre la balle de haut en bas qui puisse être changée par la rencontre du plan CBE, et que pour celle qui la faisoit ten- dre vers la main droite , elle doit toujours demeu- rer la même quelle a été, à cause que ce plan ne lui est aucunement opposé en ce sens-là. Puis ayant décrit du centre B le cercle AFD , et tiré à angles droits sur CBE les trois lignes droites AC , HB , FE , en telle sorte qu'il y ait deux fois autant de distance entre FE et HB qu'entre HB et AC, nous verrons que cette balle doit tendre vers le point du cercle la ligne FE coupe le cercle au-dessus du plan , c'est-à-dire au point O : car puisque la balle perd

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LETTRES. 427

la moitié de sa vitesse en rencontrant le plan au point B , et qu elle ne peut point le traverser par la supposition , elle doit employer deux fois autant de temps à passer au-dessus depuis B jusques à quelque point de la circonférence du cercle AFD qu'elleafait venirdepuis A jusques àB, etpuisqu'elle ne perd rien du tout de la détermination qu'elle avoit à s'avancer vers le côté droit , en deux fois autant de temps quelle en a mis à passer depuis la ligue AC jusques à HB , elle doit faire deux fois autant de chemin vers ce même côté-là, et par con- séquent arriver à quelque point de la ligne droite FE au même instant qu'elle arrive aussi à quelque point de la circonférence du cercle AFD, ce qui se- roit impossible si elle n'alloit vers O , d'autant que c'est le seul point au-dessus du plan CBE le cercle AFD et la ligne droite F s'entrecoupent. Si ce raison- nement, qui est justement le même que celui de M. Descartes , en le transférant seulement au-des- sus du plan, ne conclut pas, pourquoi de grâce ce- lui de M. Descartes conclura-t-il? ce qui est une démonstration au-dessous de viendra-t-il un paralo- gisme au-dessus ? Je ne crois pas que vous soyez de ce sentiment, et que vous vouliez donner tout au seul nom et à l'inspiration, s'il faut ainsi dire, de M. Descartes.

Cela étant , passons à la figure de la page 22 , et supposons de même que le plan CB est un corps

428 LETTRES.

dur et impénétrable , et que la balle arrivant au point B diminue sa vitesse, en telle sorte que la ligne FE , étant tirée comme en l'exemple pré- cédent, ne coupe point le cercle AD; cette balle par la supposition ne peut point pénétrer au-des- sous du plan ; elle ne peut non plus se réfléchir à angles égaux , car sa détermination vers la droite ne seroit point la même ; enfin quelque angle que vous preniez pour sa réflexion au-dessus du plan, son progrès vers la droite sera toujours moindre qu'auparavant ; voire même quand vous la feriez rouler sur le diamètre CB, sa détermination vers la droite changeroit encore , comme il se voit à l'oeil, et comme il se déduit clairement de la supposition; car il faudroit qu'au même tempsque la balle arrive à quelque point de la circonférence, elle arrivât aussi à quelque point de la droite FE , ce qui est impossible. Que deviendra donc cette balle ? C'est à vous, monsieur , et aux amis de M. Descartes , à lui fournir un passe-port , et à lui marquer sa route, en la faisant sortir de ce point fatal. J'en dirois da- vantage , si je n'appréhendois de passer dans votre esprit pour un homme qui auroit envie de

barbam vellerc mortuo leoni.

J'attends , monsieur, votre réplique, ou celle de M. Rohault , que j'estime comme je dois , et je vous assure par avance que je ne cherche que la vé-

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LETTRES.

rite sans chicane, et que je suis de tout mon cœur , etc.

AUTRE RÉPLIQUE DE M. DE FERMAT

A M. CLERSELIER.

(Lettre /,8 du tome III.)

*

m *

Du 16 juin [<i:'> s.

: . . .

»

Monsieur,

Nous laissâmes dernièrement la balle de M. Des- cartes en grande peine; c'est dans la page 22 de la Dioptrique , elle faisoit tous ses efforts pour sortir du point B à l'honneur de M. Descartes ; mais elle y trouva toutes les issues fermées en sui- vant le raisonnement de cet auteur; et nous ne pouvons même lui donner présentement de se- cours , si nous ne faisons changer de biais à sa lo- gique.

Reprenons la figure de la page 1 6 , et supposons que la balle qui va dans la droite AB diminue sa vitesse de moitié en arrivant au point B. Si elle continuoit dans le même milieu , et que le plan CBE

430 LETTRES.

ne lui fût point opposé, elle iroit toujours en ligne

nu

r

r

d

•lil

qu'elle avoit mis depuis A jusques à B. Mais si en supposant la même diminution de vitesseau pointB, nous supposons que le plan CBE impénétrable à la balle se trouve maintenant entre deux et empêche que la balle ne passe au-dessous , je dis qu'elle se ré- fléchira aussi bien à angles égaux que si la vitesse et lemouvement demeuroientles mêmes; car puisque l'interposition du plan n'empêche que l'une des parties dont la détermination est composée, et que celle de gauche à droite demeure la même , donc la balle avancera autant vers la droite qu'elle eût fait au-dessous, si le plan n'eût pas empêché sa route. Or si le plan CBE ne faisoit point d'obstacle, la balle, qui diminue sa vitesse de moitié au point B , mettroit le double du temps depuis B jusques à D qu'elle avoit mis depuis A jusques à B 5 et lorsqu'elle seroit au point D, elle auroit avancé vers la droite jusques en E : elle mettroit donc le double du temps à s'avancer depuis B jusques à E qu'elle avoit fait à s'avancer depuis C jusques à B; et il y a même raison de AB à BC que de BD à BE, parceque les angles ABC, DBE sur les deux droites AD et CE sont égaux , et par conséquent les triangles ABC , DBE semblables. Nous pouvons faire le même raisonnement au-dessus, si du point

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LETTRES. 43»

E nous élevons la perpendiculaire EF , et dire que lorsque la balle sera à l'un des points de la circon- férence , comme F , elle y aura mis le double du temps qu'elle avoit mis depuis A jusques àB , puis- que le plan que nous supposons maintenant entre deux ne fait rien de nouveau qu'empêcher la dé- termination de haut en bas ; et partant la déterrai- nation de gauche à droite sera pour lors marquée par le même point E ; et par conséquent comme FB sera à EB , ainsi la droite AB sera à BG ; d'où il suit que les angles ABC, FBE seront toujours égaux , de quelque manière et en quelque propor- tion que la vitesse ou le mouvement changent. Si M. Descartes eût pris garde qu'en quelque manière que la vitesse change au point B la réflexion ne laisse pas de se faire à angles égaux , il n'eût pas été en peine ni ses amis non plus de tirer la balle du point B , ils l'ont vue malheureusement en- gagée dans l'exemple de ma dernière lettre; il n'eût pas soutenu que la vitesse venant à changer au point B , la balle ne laisse pas d'avancer vers la droite autant qu'elle faisoit auparavant; il n'eût pas déduit d'un fondement non seulement incer- tain , mais encore faux , sa proportion des réfrac- tions; et enfin il n'eût pas esquivé dans la figure de la page 22 de déterminer sous quel angle la balle étant au point B se réfléchit vers le point L. Car quoiqu'il paroisse par son discours , et par

4^2 LETTRES.

l'inspection même de la figure , qu'il a entendu que cette réflexion se fait à angles égaux, il a laissé un petit scrupule dans l'esprit des lecteurs , qui peuvent raisonnablement douter si dans l'exemple de M. Descartes la balle diminue sa vitesse au point B, ou non. Si elle diminue, la réflexion ne se pourroit pas faire à angles égaux en suivant le raisonnement de M. Descartes. Que si la balle ne diminue point sa vitesse au point B, y a-t-il rien de plus contraire aux lois inviolables de la pure géométrie , qui ne veut point qu'on puisse aller d'un extrême à l'autre sans passer par tous les de- grés du milieu. Or, M. Descartes et ses amis sou- tiennent que la balle qui est poussée sur l'eau , ou sur la toile , diminue sa vitesse également en toutes les inclinations , lorsqu'elle la traverse , et que cette diminution se fait dès le point B. Gomment donc peut-on concevoir que, dès le premier angle elle se réfléchit, sa vitesse ne diminue point du tout, et qu'il n'en puisse pourtant être pris aucun plus grand auquel elle diminue d'une certaine quantité qui soit toujours la même? Ne seroitil pas plus géométrique et plus naturel de soutenir, dans le sentiment de M. Descartes , que la dimi- nution de la vitesse se fait également ; que cette diminution est la plus grande de toutes dans la chute perpendiculaire d'H vers B, et qu'elle se rend toujours moindre à mesure que les inclinations va-

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LETTRES. 453

rient, jusqu'à ce quelle devienne nulle; ce que M. Descartes a peut-être cru arriver lorsqu'elle se réfléchit. Mais , parceque nous venons de prou- ver que, soit que la vitesse augmente ou qu'elle diminue au point B, la réflexion ne laisse pas de se faire à angles égaux , nous ne devons pas nous mettre en peine de rechercher plus soigneusement la conduite secrète dont se sert la nature en affai- blissant la vitesse de la balle ou également ou iné- galement à mesure que les inclinations viennent à changer.

Mais que deviendra le raisonnement qui se doit faire au-dessous du plan CBE en la page 20 par exemple? il sera le même que le précédent; car que la vitesse diminue au point B, ou par la rencontre de la toile, ou par quelque autre voie qui vienne d'ailleurs , c'est toute la même chose. Et puisqu'en Ja figure de la page 20 la balle perce la toile, et qu'au point B la vitesse diminue de moitié, elle ne peut jamais avoir la détermination vers la droite pareille à celle qu'elle auroit s'il n'y avoit point de toile , et que pourtant sa vitesse diminuât de moi- tié au point B, qu'en continuant toujours sa route dans la droite ABD. Vous répliquerez : mais à ce compte-là, la détermination de haut en bas ne changeroit pas non plus par la rencontre de la toile ; je l'avoue. Et pour ôter et éclaircir pleine- ment cette difficulté , il ne faut que dire que vous

lu. 28

434 LETTRES.

ne tirerez jamais autre chose du raisonnement des mouvements et déterminations composées de M. Descartes, sinon que la réflexion se fait toujours à angles égaux, et que la pénétration du second mi- lieu se doit toujours faire en ligne droite ; à quoi même se rapporte ce que vous dites dans votre dernier écrit , que la balle a toujours une même aisance à pénétrer le second milieu en toutes sortes d'inclinations. D il doit suivre, dans l'application du raisonnement de M. Descartes , qu'en toutes sortes de cas la réflexion se fera à angles égaux , et que la pénétration se fera de même en tous les cas en ligne droite ; le mouvement de dessous en ligne droite suivant les mêmes lois, et répondant justement au mouvement de dessus à angles égaux. Mais il n'y aura donc point de réfraction, me di- rez-vous? Je réplique que le mouvement de la balle et la réfraction ne se ressemblent guère que par la comparaison imaginaire de M. Descartes; et qu'au pis aller, si le détour de la balle en passant par le second milieu est véritable, il en faut chercher la raison ailleurs que dans la composition des mou- vements, qui ne produira jamais en cette rencontre qu'un cercle dialectique, de quelque biais que vous la preniez; il faudra examiner les principes secrets dont se sert la nature en produisant la réfraction ; et si celui que j'ai touché dans ma lettre à M. de la Chambre ne vous plaît pas, je souhaite qu'il vous

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LETTRES.

en vienne un meilleur en l'esprit, et que cette vieille dispute aboutisse enfin à la pleine et en- tière découverte de la vérité. Je suis de tout mon cœur , etc.

RÉPONSE DE M. CLERSELIER

AUX DEUX PRÉCÉDENTES DE M. DE FERMAT.

( Lettre 49 du tome III. )

Du ai août i658.

Monsieur,

Je me trouve aujourd'hui plus empêché à ré- pondre que je n'étois la dernière fois; aussi avez- vous changé de condition, et déjuge que vous étiez, vous êtes devenu partie. Quand je n'avois qu'à dé- fendre devant vous la cause de M. Descartes contre votre sceptique , je ne me promettois pas un suc- cès moins favorable que celui que j'ai eu; j'avois une bonne cause à défendre , des subtilités à éclair- cir, et un juge clairvoyant pour m'entendre et prononcer. Mais quand je vous considère descendu de votre siège, pour vous porter vous-même partie

contre celui que je défends, le respect que je vous

28.

436 LETTRES.

dois en quelque état que vous paraissiez , la grande estime que j'ai toujours conçue de vous, et qui s'augmente en moi à mesure que vous vous faites davantage connoître, et le peu d'usage que j'ai dans la matière que nous agitons, à comparaison de celui que vous vous y êtes acquis, tout cela m étonne, et fait que je ne sais encore quelle issue me promettre de tout ce démêlé. Je vous dirai pourtant d'abord que si je voulois agir avec moins de franchise que ne m'oblige l'honnête procédé que vous gardez avec moi, je pourrais user d'une exception, qui paraîtrait peut-être assez légitime et recevable, en vous accordant tout ce que vous dites, et prétendant que tout cela ne fait rien contre M. Descartes, et ne combat en aucune façon sa doctrine touchant la réflexion et la ré- fraction.

Car je veux que la balle de la figure de la page 22 de la Dioptrique, selon la supposition que vous faites dans votre première lettre, se trouve empê- chée (comme vous dites sans doute agréablement) à trouver quelque issue pour prendre sa route; et je veux même que le passe-port que vous lui avez donné par avance en votre seconde, de peur que nous n'eussions pas assez de crédit pour lui en obtenir un, et même que la route que vous avez eu la bonté de lui marquer en cet endroit lui fut si aisée et si commode qu'elle ne fît point de dif-

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LETTRES. 4^7

ticulté de la suivre, que pourroit-on conclure delà contre M. Descartes? lequel n'ayant apporté en ce Heu-là les exemples de la balle que pour expliquer certains effets particuliers de la lumière, à savoir, celui de la réflexion , qui se fait toujours à angles égaux , et celui de la réfraction , qui se fait toujours de la même sorte dans un même milieu , et qui change selon la proportion qui est entre le milieu d'où elle sort et celui elle entre, ce qui fait que tantôt elle s'approche et tantôt elle s'éloigne de la perpendiculaire; qui, dis-je, n'a eu aucune oc- casion d'expliquer le cas que vous proposez, pour- cequ'il n'a aucun rapport à son dessein.

Il n'y en avoit que trois qui y pussent servir, et il les a tous trois expliqués, et, à mon avis, d'une manière si claire et si simple, qu'il n'y a que ceux qui veulent trop subtiliser qui y puissent trouver de la difficulté.

Le premier cas, qui explique la réflexion, est celui d'une balle qui, étant poussée suivant la ligne AB, rencontre de biais dans son chemin un corps dur, impénétrable et inébranlable; qu'y a-t-ii de plus simple et de plus clair que cette balle, qui ne perd rien de sa vitesse, doit rejaillir à angles égaux , c'est-à-dire remonter aussi vite qu'elle est descendue, et avancer autant qu'elle faisoit vers le côté ce corps dur n'est point du tout op- posé.

438 LETTRES.

Le second , qui se rapporte à la réfraction lors-p quelle s'éloigne de la perpendiculaire, est celui de la même balle qui , étant poussée comme dessus, rencontre aussi de biais un autre milieu dans le- quel elle pénètre , et qui lui fait perdre une partie de sa vitesse. Quoi de plus clair et de plus simple que de dire que cette balle , ne pouvant plus aller si vite qu'elle faisoit auparavant, doit pourtant conserver toute la détermination qu'elle avoit à avancer vers le côté, à laquelle ce milieu n'est au- cunement opposé, et à quoi la perte qu'elle a soufferte en sa vitesse ne résiste point et se peut accommoder. Pourquoi vouloir obliger cette balle à faire plus qu'elle ne doit, puisque la nature ne fait rien en vain.

Enfin le troisième cas , qui se rapporte à la ré- fraction lorsqu'elle s'approche de la perpendicu- laire , et le seul qui restoit à M. Descartes à éclair- cir, s'explique heureusement par la même balle, qui, étant poussée comme auparavant, rencontre aussi de biais dans son chemin un autre milieu , dans lequel elle pénètre avec une égale facilité de tous côtés, et qui augmente sa vitesse d'une certaine quantité. Que peut-on penser de plus simple et de plus naturel que de dire que cette balle devant aller plus vite qu'elle ne faisoit au- paravant , n'avance pourtant pas davantage , selon cette détermination à laquelle ce corps, par qui

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LETTRES. 4^9

sa vitesse a été augmentée, n'est point du tout opposé.

Le cas que vous proposez outre cela dans votre première lettre est superflu , et ne peut servir à expliquer aucun de ces phénomènes de la lumière, et par conséquent il n'est ici d'aucune considération; et , quelque inconvénient qui en pût suivre , cela ne pourroit préjudicier à ce que M. Descartes a auparavant prouvé, et par quoi il a expliqué si in- telligiblement ces effets merveilleux de la lumière, qui ne laisseroient pas d'être vrais, et tels qu'il les a démontrés, quand votre supposition seroit difficile à expliquer par ses principes , ce que je ne déses- père pourtant pas de faire , et quand elle se devroit expliquer suivant les vôtres, ce que je n'estime pas.

Mais pourceque c'est en ceci que consiste toute notre dispute , il faut que j'éclaircisse une fois pour toutes un point qui vous semble n'avoir pas été prouvé par M. Descartes, à cause que sa preuve n'est pas purement géométrique, mais qu'elle est en partie fondée sur quelques principes de la na- ture, si clairs qu'ils ne demandent aucune expli- cation. Ces principes sont, premièrement, que chaque chose demeure en l'état qu'elle est pen- dant que rien ne la change. Secondement, que lorsque deux corps se rencontrent qui ont en eux des modes incompatibles , il se doit véritable- ment faire quelque changement en ces modes pour

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44° LETTRES.

les rendre compatibles, mais que ce changement est toujours le moindre qui puisse être. Troisiè- mement, qu'un corps ne peut résister, ou causer du changement dans un autre, qu'en tant qu'il lui est opposé.

Ainsi donc, si une balle se meut d'A vers B, dans la figure de la page 16 de la Dioptrique, avec une certaine vitesse, elle continuera tou- jours d'aller avec la même vitesse dans la même ligne , si rien ne la change. Mais si vous lui op- posez le corps dur , impénétrable et inébranlable CBE, pourceque' les modes de ces deux corps, l'un qui tend de B vers D, et l'autre qui s'op- pose à cette route, sont incompatibles, mais qui ne s'oppose point à sa vitesse , il faut qu'il arrive du changement en l'un de ces modes, mais le moindre qui puisse être; c'est pourquoi la balle changera de détermination , et gardera sa vitesse ; et d'autant que le corps CBE n'est opposé qu'à l'une des deux déterminations, dont il est vrai que celle de la balle est composée, eu égard au corps CBE sur lequel elle tombe, à savoir, à celle qui la faisoit descendre, et non point à celle de gauche à droite, ce corps ne peut apporter de changement qu'à celle-là, et non point à l'autre, à laquelle il n'est point opposé; c'est pourquoi il oblige la balle de remonter, et la laisse continuer à s'avancer vers la droite comme elle faisoit auparavant , à quoi

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LETTRES. 44 1

il ne change rien, le mode de son corps n'ayant rien d'incompatible et d'opposé à celui-là. Il ne faut plus ajouter à ce raisonnement que ce qui ap- partient â la géométrie , et la preuve sera achevée. Si vous n'appelez pas cela une preuve démonstra- tive , je ne sais plus de quelles raisons il faudra se servir pour en composer une ; mais, pour moi, je me contente de pareilles démonstrations. Or, le même raisonnement que je viens de faire se peut accommoder à la figure de la page 20 et à celle de la page 22, et à tous les cas qui se peuvent proposer, et je n'y vois rien de différent que les différentes suppositions ; à savoir , que le corps CBE tantôt est dur et tantôt liquide, tantôt pénétrable et tantôt impénétrable; que la vitesse tantôt diminue, tantôt augmente , et tantôt demeure la même; et que la balle tantôt continue de descendre, et tan- tôt est obligée de remonter, et même que tantôt on peut opposer un corps au cours de la balle , et tantôt non.

Examinons maintenant ces cas l'un après l'autre suivant ces principes , et voyons ce qui doit ar- river, et je m'assure que l'on ne trouvera point que la chose doive aller comme vous dites, mais bien comme dit M. Descartes, et cela répondra en même temps à toutes vos nouvelles diffi- cultés.

Premièrement, vous dites au commencement de

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votre seconde lettre que si l'on suppose que la balle qui va dans la ligne droite AB diminue sa vi- tesse de moitié en arrivant au point B, elle ira toujours en ligne droite vers D si elle continue daller dans le même milieu et que le plan CBE ne lui soit point opposé, avec cette différence seule- ment , quelle emploiera depuis B jusqnes à D le double du temps qu'elle avoit mis auparavant de- puis A jusques à B, et cela à cause qu'un corps doit toujours demeurer dans le même état il est, ou auquel on suppose qu'il soit , si rien ne le change. Or, n'y ayant rien qui change en la balle, que la vitesse, ni rien par quoi la détermination doive être altérée plus d'un côté que d'un autre , tout cela fait qu'elle doit continuer dans la même ligne, aller seulement moins vite selon cette dé- termination ; de même que lorsqu'un corps tombe perpendiculairement de l'air dans l'eau il continue d'aller suivant la ligne de sa chute , et va seulement d'autant moins vite que sa vitesse est diminuée à la rencontre de l'eau.

Si pourtant j'eusse été d'humeur à vouloir chi- caner ( ce qui ne m'arrivera jamais lorsque j'au- rai affaire à une personne d'honneur et de mérite comme vous), j'aurois pu nier que le cas que vous proposez fût concevable et admissible, à savoir, qu'un mobile sans changer de milieu puisse tout d'un coup passer d'une vitesse à une autre sans

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LETTRES. 4'|3

passer par les degrés qui sont entre deux ; ce que vous dites vous-même être contraire aux lois invio- lables de la pure géométrie , et qui même est con- traire à cette loi de la nature qui est que cha- que corps continue toujours de demeurer dans le même état autant qu'il se peut , et que jamais il ne le change que par la rencontre des autres. Le moyen donc de concevoir qu'un corps puisse tout d'un coup, étant arrivé au point B, perdre la moitié de sa vitesse, lorsqu'il ne se rencontre rien qui la lui puisse faire perdre. Mais je veuxbien vous accor- der toutes vos suppositions, et ne vous rien nier que ce qui ne se pourra absolument admettre , à moins de renverser toutes les lois de la nature, et toutes les notions claires et simples qui sont en nous.

Passons à votre seconde supposition , qui est à mon gré une des plus adroites que Ton pût faire en ce genre , et dont sans doute j'aurois eu peine à apercevoir la subtilité, n'étoit qu'étant accoutumé à suivre des voies fort simples dans mes raisonne- ments , je me défie de tout ce que je vois qui s'en écarte.

Vous supposez après cela que la balle perdant comme auparavant la moitié de sa vitesse au point B, le plan CBE impénétrable se trouve entre deux, et empêche que la balle ne passe au-dessous ; et vous dites que la balle réfléchira aussi bien à angles

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égaux que si la vitesse ou le mouvement demeu- roit le même : et certainement je confesse que vous le prouvez d'une manière la plus ingénieuse qu'il est possible; mais permettez-moi aussi de vous dire qu'elle est captieuse , et souffrez que je vous fasse voir en quoi je pense que vous vous êtes mé- pris.

Quand en l'exemple ci -dessus je suis demeuré d'accord que la balle , perdant au point B la moitié de sa vitesse, ne laissoit pas de continuer son che- min suivant la ligne BD, avec cette seule différence qu elle alloit de moitié moins vite , cela a été parce- que, ne changeant point de milieu, et aucun plan ne lui étant opposé , on ne pouvoit pas dire que la dé- termination de laballe suivant la ligne AB fût com- posée de deux déterminations , non plus que lors- qu'une balle tombe perpendiculairement sur un plan. Mais ici, vous supposez que le plan CBE lui est opposé, il est certain qu'à son égard la dé- termination de la balle sur la route AB est com- posée de deux autres , l'une qui la fait descendre vers lui , et l'autre qui la fait avancer vers la droite , ou horizontalement, et que ce plan s'oppose à celle-là et non point à celle-ci.

Maintenant, de deux choses l'une, ou vous sup- posez qu'après que la balle est venue avec deux degrés de vitesse depuis A jusques à B , étant au point B elle rencontre le plan CBE , qui lui fait

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LETTRES.

perdre la moitié de sa vitesse; ou bien vous su jv posez que , saus que ce plan y contribue , ayant perdu la moitié de sa vitesse au point B , elle ren- contre le plan CBE : et si j'ai bien compris le sens de votre seconde lettre , c'est principalement à ce dernier cas qu'elle se rapporte. Mais remarquez encore ici en passant que je vous accorde pins que je ne devrois; car le moyen de concevoir qu'une balle perde la moitié de sa vitesse au point B , » sans la rencontre d'aucun corps qui la lui fasse perdre ?

Au premier cas, il est aisé de voir qu'il ne faut ( comme vous avez fait dans votre première lettre) que transférer le raisonnement de la figure de la page 20 au-dessus du plan, et dire que, puisque la balle ne perd rien du tout de la détermination qu'elle avoit à avancer vers la droite, elle doit ( toutes les autres conditions étant gardées) arri- ver au point O , ainsi que vous avez fort bien re- marqué. C'est pourquoi je n'aurois garde de dire, comme vous faites, pourquoi de grâce le raison- nement de M. Descartes conclura- t-il au-dessous, s'il ne conclut pas au-dessus ? Ce qui est une dé- monstration en un cas deviendra-t-il un paralo- gisme en l'autre? Non sans doute; l'un et l'autre conclut également bien.

Au second cas , la balle peut suivre la route que vous avez marquée dans votre seconde lettre , et

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réfléchir toujours à angles égaux * de quelque ma- nière et en quelque proportion que la vitesse ou le mouvement change au point B ; mais non pas à la vérité par la raison que vous dites , car la même proportion ne doit pas être gardée par une balle qui, rencontrant de biais un plan impéné- trable, est obligée de réfléchir, que celle qui est gar- dée par une autre balle que l'on suppose n'en point rencontrer: à cause qu'une balle qui ne rencontre aucun plan n'a qu'une seule détermination, elle ne va ni à gauche ni à droite; au lieu qu'une balle qui tombe de biais sur un plan y va toujours avec deux déterminations , à l'une desquelles ce plan est op- posé, et à l'autre non; et cette circonstance en doit changer l'effet , selon les principes ci-devant posés.

Mais voici comme la balle peut suivre la route que vous avez marquée, et réfléchir à angles égaux: à savoir, il faut supposer que la balle étant au point B , et ayant perdu la moitié de sa vitesse ( ou telle autre quantité qu'il vous plaira ), commence à suivre la route qu'elle suivroit si elle avoit com- mencé à ce point-là à se mouvoir avec la vitesse qui lui reste ; or il est constant que si , sans avoir égard à la ligne AB, qu'elle a parcourue avec deux degrés de vitesse , elle commençoit à se mouvoir en B avec la vitesse qu'on suppose qui lui reste , et suivant la direction qu'elle a véritablement au point B, elle iroit vers D avec un degré vitesse,

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LETTRES.

et y arriverôiten deux fois autant de temps qu'il lui en a fallu pour venir d'A en B , si rien ne s'op- posoitàson mouvement. Et si, au lieu de lui oppo- ser le plan CBE au point B, on le lui opposoit au point D , il est évident, par ce que nous avons dit ci- dessus, que ce plan l'empêchant seulement de passer outre , et non point d'avancer vers la droite , etne diminuant ni n'augmentant la vitesse avec la- quelle elle seroit venue vers lui depuis B , elle re- jailliroit vers G , et feroit un angle de réflexion DR, égal à celui d'incidence BDG, lequel se trouveroit égal à celui de la première incidence ABC. Or est- il dit qu'il doit arriver au point B le même chan- gement en la détermination de la balle que celui qui arriveroit au point D si le plan CBE lui étoit opposé en ce point-là , puisque dès le point B la balle a toute la même vitesse et la même détermination qu'elle auroit au point D après avoir parcouru la ligne BD? et partant, la balle, selon votre supposi- tion, doit au point B rejaillir suivant un angle égal à celui d'incidence; non point, comme j'ai dit, par la raison que vous dites, car il n'est pas vrai que l'interposition du plan CBE n'empêchant que l'une des parties dont la détermination est composée , celle de gauche à droite reste la même qu'elle étoit quand la balle n'avoit aucun plan qui lui fut op- ; car, en ce dernier cas , la balle n'avoit qu'une détermination, et l'on ne peut pas dire qu'elle avan»

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çoit vers la droite. C'est pourquoi la conclusion que vous en tirez n'est pas non plus véritable. Donc , dites-vous, la balle a avancer autant au-dessus vers la droite qu'elle eût fait au-dessous si le plan n'eût pas empêché sa route; et comme lorsqu'elle seroit au point D au-dessous elle auroit avancé en deux moments vers la droite depuis B jusques en E , et de même aussi pour avancer en deux mo- ments autant au-dessus vers la droite elle doit al- ler au point F, qui est autant avancé vers la droite que le point D, et qui coupe le cercle au-dessus en même proportion que D le coupe au-dessous , et fait un angle de réflexion égal à celui d'incidence. Car toute cette proportion de gauche à droite que vous dites devoir être gardée au-dessus comme elle eût été au-dessous si le plan CBE n'eût pas empêché sa route , n'est qu'une proportion imagi- naire, puisque au-dessous, quand il n'y a aucun plan interposé , la balle n'a aucune direction vers la droite, cette direction ou détermination vers la droite étant toujours relative au plan qu'on lui in- terpose : et , par exemple , si le plan CBE lui eût été opposé d'un autre sens , comme en cette figure, seroit tout votre raisonnement vers la droite ? Mais cela doit arriver dans votre su pposi lion même, et dans toute autre, par la raison que j'ai dite, qui est conforme aux lois de la nature et aux prin- cipes ci-devant établis.

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Pour éclaircir ceci encore davantage , suppo- sons pour troisième cas , comme a fait M. Des- cartes à la page al , ligne 14 de la Dioptrique , que la balle ayant été premièrement poussée d'A vers B , rencontre au point B le plan CBE , qui aug- mente la force de son mouvement , ou sa vitesse , d'un tiers , en sorte qu elle puisse faire par après autant de chemin en deux moments quelle en fai- soit en trois auparavant : et il suit manifestement qu elle doit rejaillir en F , puisque la détermination vers la droite ne peut être augmentée par le pian CBE , à laquelle il n'est aucunement opposé; et non pas en K , comme elle devroit faire, si votre raisonnement étoit véritable, mais qui ne le peut être, puisqu'il est contraire aux lois de la nature , et même contre l'expérience, qui nous montre que la réflexion d'une balle et celle des autres sembla- bles corps qui ne sont pas parfaitement durs , ou qui tombent sur d'autres qui affoiblissent leur mouvement, ne se fait jamais à angles égaux: ainsi les balles les plus molles ne rebondissent pas si haut , ni ne font pas des angles de réflexion si grands que celles qui sont plus dures.

Et remarquez que puisqu'il est naturellement aisé de concevoir que, pour faire que la réflexion se fasse à angles égaux, le mouvement ne doit en aucune façon être augmenté ni diminué par la ren- contre du plan , il semble que la raison nous doive

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/pQ LETTRES.

aussi naturellement porter à croire que, lorsque ce plan l'augmente ou la diminue, l'angle de réflexion doit être à proportion ou plus grand ou plus petit que celui d'incidence , et non pas qu'il doive être toujours égal , comme il suit de votre raisonnement, qui pour cela vous doit être suspect , quoiqu'il soit très ingénieux.

Mais, me direz- vous, que deviendra donc la balle dans la supposition que j'ai faite à la fin de ma première lettre, à l'occasion de la figure de la page 22 ; car c'est ici le point de la difficulté, et enfin il la faut tirer de ce point fatal, elleparoit mal- heureusement engagée : c'est aussi ce que je pré- tends faire maintenant à l'honneur de M. Descartes, et sans faire changer de biais à sa logique, en me servant, dans le cas que vous proposez ici, du même raisonnement dont je me suis déjà servi quand j'ai passé à votre seconde supposition.

Si donc la balle étant arrivée au point B ren- contre de biais le plan dur, impénétrable et iné- branlable CBE, et qu'elle perde à ce point B une telle partie de sa vitesse que la ligne FE étant tirée comme aux exemples précédents soit hors du cercle

AD» je dis °iue' ou vous enten(^ez <lue *e P*an contribue à la perte de sa vitesse , ou vous enten- dez qu'il n'y contribue rien. S'il n'y contribue rien , on ne peut pas concevoir autre chose , sinon que la balle, après avoir perdu les deux tiers de sa vitesse,

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LETTRES. 45 1

et ayant dans cet état une direction déterminée à aller vers D en un certain temps, à proportion de la force ou de la vitesse qui lui reste , et par con- séquent d'avancer aussi selon cette force d'une certaine quantité vers la droite à l'égard du plan CBE qu'on lui suppose, lequel pourtant n'est point opposé à cette direction vers la droite , elle doit rejaillir étant au point B, comme elle feroit au point D, ainsi que j'ai dit ci-dessus. Et voilà route que je lui aurois marquée , qui se trouve conforme à la vôtre ; mais par une autre raison , qui ne m'oblige point à changer de logique.

Mais remarquez que cette supposition même est impossible, qu'une balle perde les deux tiers de sa vitesse sans la rencontre d'aucun corps qui la lui fasse perdre.

Que si maintenant le corps CBE contribue à la perte de la vitesse, cela ne se peut faire en suppo- sant le corps CBE parfaitement dur, impénétrable et inébranlable. Car le mouvement de la balle ne peut être diminué par la rencontre d'un corps, qu'en tant que la balle lui transfère de son mou- vement , et si elle lui en transfère , cela ne se peut faire que du sens auquel le corps CBE lui est op- posé ; et par conséquent elle ne lui peut transférer de son mouvement que selon cette partie de sa direction qui la fait tendre vers lui, et jamais la rencontre du corps CBE (que Ton doit supposer

*9-

45?, LKTTKES.

parfaitement uni) ne peut diminuer sa direction vers la droite, ou parallèle : or, il est aisé de con- clure que si la balle au point B a transféré au corps CBE tout le mouvement qui la faisoit tendre en bas, elle doit continuer son mouvement parallèle, et rouler sur lui en avançant autant vers la droite qu'elle faisoit auparavant.

Que si nonobstant cela vous voulez, contre toute raison, faire cette supposition impossible qu'elle perde une telle partie de sa vitesse au point B qu'elle ne puisse avancer autant vers la droite qu'elle faisoit auparavant, et par conséquent qu'elle ait aussi perdu une partie du mouvement qui la faisoit avancer vers la droite, alors je vous dirai qu'elle roulera sur le diamètre avec la vitesse qui lui reste; tout de même que, lorsque vous supposez que sans rencontrer aucun plan elle vient à perdre de sa vitesse, elle doit continuer son che- min dans la même ligne droite qu'elle avoit com- mencé à parcourir; et ainsi il arrivera la même chose à cette balle que si, ayant été mue avec une certaine vitesse le long du plan CBE, il arrivoit qu'étant au point B (par une supposition impos- sible et sans aucune cause) elle vînt à perdre une partie de sa vitesse : elle continueroit son chemin sur le même plan avec la vitesse qui lui resteroit.

Mais remarquez que pour trouver quelque chose de défectueux aux raisonnements de M. Descartes

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LETTRES. 453

il en faut venir à des suppositions impossibles, et partant ce ne seroit pas merveille quand d'une impossibilité posée il s ensuivrait une absurdité.

Par tout ce que dessus, il paroît que ce que vous dites dans votre seconde lettre tombe de soi- même, et n'a pas besoin de réponse; à savoir, que si M. Descartes eût pris garde qu'en quelque ma- nière que la vitesse change , c'est-à-dire augmente ou diminue au point B, la réflexion ne laisse pas de se faire à angles égaux, il n'eût pas été en peine, ni ses amis non plus, de tirer la balle du point B , ils l'ont vue malheureusement engagée dans l'exemple de ma dernière lettre; il n'eût pas sou- tenu que la vitesse venant à changer au point B , la balle ne laisse pas d'avancer vers la droite au- tant qu'elle faisoit auparavant, et n'eût pas déduit d'un fondement, non seulement incertain, mais encore faux , sa proportion des réfractions Tout cela, dis-je, n'étant plus appuyé d'aucunes raisons valables, se détruit de soi-même; aussi bien que ce que vous ajoutez à la fin de la même lettre, à sa- voir, que le second milieu se pouvant, comme j'ai dit, ouvrir avec une égale facilité de tous cotés pour faire passage à la balle, et que la balle ayant toujours une même aisance à pénétrer le second milieu en toutes sortes d'inclinations, il doit suivre, dites-vous, dans l'application du raisonnement de M. Descartes , qu'en toute sorte de cas la réflexion

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434 LETTRES.

se fera de même à angles égaux, et que la pénétra- tion se fera de même en tous les cas en ligne droite, le mouvement de dessous en ligne droite suivant les mêmes lois, et répondant justement au mouve- ment de dessus à angles égaux. Car si je me suis assez fait entendre, vous devez maintenant tirer d'autres conclusions que celles-là des principes de M. Descartes, et devez aussi , si je ne me trompe moi-même, avoir reconnu Terreur du raisonnement duquel vous les aviez tirées; et partant ne dites plus que le mouvement de la balle et la réfraction ne se ressemblent que par la comparaison imagi- naire de M. Descartes , car c'est peut-être la plus juste et la plus claire que Ton puisse apporter pour l'expliquer : mais pour cela il faut considérer la balle sans pesanteur, sans grosseur, sans figure, et sans changement en sa vitesse dans toutes les lignes quelle parcourt; toutes lesquelles choses peuvent causer une infinité de variétés dans la ré- flexion et la réfraction d'une balle : mais pource- qu'elles n'ont point de lieu en l'action de la lu- mière, à laquelle se doit rapporter tout ce qu'il dit, M. Descartes ne les a point considérées dans le mouvement de cette balle dont il parle; et princi- palement il n'a point considéré cette circonstance que je vous prie de remarquer, qui est la plus commune et qui peut donner le plus d'occasion de douter de ce qu'a dit M. Descartes : c'est à sa-

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LETTRES. 4^

voir, que d'autant que le milieu que parcourt une balle lui ôte pour l'ordinaire à tous moments une partie de sa vitesse par le transport qu'elle lui en fait, de arrive qu'une balle peut avoir perdu au point de la réflexion la moitié, par exemple, de la vitesse qu'elle avoit au commencement, qu'elle ne laissera pas de réfléchir à angles égaux, à cause qu'au moment qu'elle vient à toucher le plan, la vitesse a déjà été diminuée par le milieu qu'elle a parcouru, et que la direction qu'elle a alors ne laisse pas de la déterminer d'aller suivant la même ligne, sa première direction la portoit quand elle est sortie de la main ou de dessus la raquette (pourvu que sa pesanteur ou sa grosseur, sa figure, n'aient rien changé en cela). Et ce que je dis de la vitesse quand le milieu la diminue se doit aussi entendre quand elle est augmentée à tous moments par sa pesanteur; comme lorsqu'une balle tombe le long d'un plan incliné, elle rejaillira aussi alors à angles égaux, encore que sa vitesse se trouve augmentée au point de la réflexion, et cela par la même raison, à savoir, que cette augmentation ne lui vient pas du plan, mais quelle lavoit avant que de le rencontrer; et ainsi vous voyez combien les principes de M. Descartes sont fermes, et ses raisonnements bien suivis. Ce qui montre que la véritable raison des réfractions se doit tirer du mouvement et des déterminations composées , en

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les examinant comme M. Descartes a fait; et sans mentir, M. Descartes étoit un homme de trop de bon sens, et qui prenoit garde de trop près aux choses, pour tomber dans des fautes ou visibles, ou grossières; et il me semble qu'il nous a donné sujet d'avoir assez bonne opinion de lui, pour croire plutôt que nous nous méprenons en ne compre- nant pas son sens et ses raisons, que non pas de croire qu'il se soit trompé, au moins quand l'er- reur où nous croyons qu'il soit tombé est appa- rente et grossière. A quoi j'ajouterai seulement que puisque les diverses expériences qu'a faites ici M. Petit (que vous connoissez) en toutes sortes de corps transparents s'accordent toutes avec la pro- portion que M. Descartes a trouvée, il est à croire que les raisons qui la lui ont fait trouver sont vé- ritables : car le moyen d'arriver en tant de diffé- rents cas si justement au vrai par un même rai- sonnement, si ce raisonnement étoit faux.

Que si après tout cela vous ne voulez pas admettre les conclusions que j'ai tirées des principes que M. Descartes a établis, recevez au moins pour vraie la conclusion de cette lettre , et croyez que si mes raisonnements sont fautifs, les protestations de mon cœur sont sincères , quand je vous assure que je veux être , etc.

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LETTRES.

LETTRE DE M. DE FERMAT

A M. DE LA CHAMBRE,

TOUCHANT LA DIOPTRIQUE-

(Lettre 5o du tome III.)

A Toulouse, le mois d'août 1657.

*

Monsieur,

Je n'avois garde de vous obéir lorsque vous m'ordonniez de recevoir votre livre sans le lire; le présent que vous m'en avez fait est une marque trop précieuse de l'amitié dont vous m'honorez; mais sa lecture m'a fait concevoir l'idée de cette amitié, comme un bien qui mérite d'être conservé avec soin, avec respect et avec estime. Et pour vous le faire voir, je ne vous parlerai point de vos autres spéculations de physique, quoiqu'elles soient pleines d'un raisonnement très solide et très subtil; il me suffira de vous entretenir un peu sur la matière de la réflexion et de la réfraction , quand ce ne seroit que pour réparer par cette lettre la perte d'un discours que je vous avois adressé il y

458 LETTRES.

a déjà quelques années sur ce même sujet, et que j'ai su n'être point venu en vos mains. Ce qui m'y confirme est que j'entre par dans quelque so- ciété d'opinion avec vous ; et j'ose même vous as- surer par avance que si vous souffrez que je joigne un peu de ma géométrie à votre physique, nous ferons un travail à frais communs qui nous mettra d'abord en défense contre M. Descartes et tous ses amis.

Je reconnois premièrement avec vous la vérité de ce principe, que la nature agit toujours par les voies les plus courtes. Vous en déduisez très bien légalité des angles de réflexion et d'incidence ; et l'objection de ceux qui disent que les deux lignes qui conduisent la vue ou la lumière dans le miroir concave sont très souvent les plus longues n'est point considérable, si vous supposez seulement, comme un autre principe indisputable , que tout ce qui appuie ou qui fait ferme sur une ligne courbe, de quelque nature qu'elle soit, est censé appuyer ou faire ferme sur une droite qui touche la courbe au point la rencontre se fait; ce qui peut être prouvé par une raison de physique, aidée d'une autre de géométrie. Le principe de physique est que la nature fait ses mouvements par les voies les plus simples; or, la ligne droite étant plus simple que la circulaire, ni que pas une autre courbe , il faut croire que le mouvement du

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LETTRES. 4^9

rayon qui tombe sur la courbe se rapporte plutôt à la droite qui touche la courbe, qu'à la courbe même; premièrement, parceque cette droite de l'attouchement est plus simple que la courbe ; secon- dement (et c'est ce qui s'emprunte de la géométrie), parcequ'aucune droite ne peut tomber entre la courbe et la touchante , par un principe d'Euclide ; de sorte que le mouvement est justement le même sur la droite qui touche que sur la courbe qui est touchée. Et cela supposé, on ne peut jamais dire que les deux droites qui conduisent la lumière ou le rayon soient quelquefois les plus longues aux miroirs concaves, parcequ'en ce cas même elles se trouvent les plus courtes de toutes celles qui peu- vent se réfléchir sur la droite qui touche la courbe; et par conséquent il ne faut ni supposer que la nature agisse par contrainte en ce cas , ni conclure qu'elle suive une autre manière du mouvement que celle qu'elle pratique aux miroirs plans, et en toute autre espèce de miroirs, de sorte que voilà votre principe pleinement établi pour la réflexion.

Mais puisqu'il a servi à la réflexion, pourrons- nous en tirer quelque usage pour la réfraction ? Il me semble que la chose est aisée, et qu'un peu de géométrie nous pourra tirer d'affaire. Je ne m'é- tendrai point sur la réfutation de la démonstration de M. Descartes, je la lui ai autrefois contestée, à lui, dis-je, vivenli algue sentienti, comme disait

460 LETTRES.

Martial, mais il ne rae satisfit jamais. L'usage de ces mouvements composés est une matière bien délicate, et qui ne doit être traitée et employée qu'avec une très grande précaution. Je les com- pare à quelques uns de vos remèdes, qui servent de poison s'ils ne sont bien et dûment préparés. Il me suffit donc de dire en cet endroit que M. Descartes n'a rien prouvé, et que je suis de votre sentiment, en ce quev ous rejetez le sien.

Mais il faut passer plus outre, et trouver la raison de la réfraction dans notre principe com- mun, qui est que la nature agit toujours par les voies les plus courtes et les plus aisées. Il semble d'abord que la chose ne peut point réus- sir, et que vous vous êtes fait vous-même une objection qui paroît invincible; car puisque, dans la page 5i5 de votre livre, les deux lignes CB, BA, qui contiennent l'angle d'incidence et celui de réfraction, sont plus longues que la droite ADG qui leur sert de base dans le triangle ABC, le rayon de C en A, qui contient un chemin plus Court que celui des deux lignes GB, BA, devroît au sens de notre principe être la seule et véritable route de la nature, ce qui pourtant est contraire à l'expérience. Mais on peut se défaire aisément de cette difficulté, en supposant avec vous, et avec tous ceux qui ont traité de cette matière, que la résistance des milieux est différente, et qu'il y a

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LETTRES. 4°l

toujours une raison ou proportion certaine entre ces deux résistances, lorsque les deux milieux sont d une consistance certaine, et qu'ils sont uniformes entre eux.

Ne vous étonnez pas de ce que je parle de ré- sistance, après que vous avez décidé que le mou- vement de la lumière se fait en un instant, et que la réfraction n'est causée que par l'antipathie na- turelle qui est entre la lumière et la matière; car, soit que vous m'accordiez que le mouvement de la lumière sans aucune succession peut être contesté et que votre preuve n'est pas entièrement démons- trative, soit qu'il faille passer par votre décision, à savoir que la lumière suit l'abondance de la ma- tière qui lui est ennemie, je trouve même en ce dernier cas que puisque la lumière fuit la matière, et qu'on ne fuit que ce qui fait peine et qui ré- siste, on peut, sans s'éloigner de votre sentiment , établir de la résistance vous établissez de la mite et de l'aversion.

* » * *

Soit donc par exemple en votre figure le rayon CB, qui change de milieu au point B, il se rompt pour se rendre au point A; si ces deux mi- lieux étoient les mêmes , la résistance au passage du rayon par la ligne CB seroit à la résistance au passage du rayon par la ligne BA comme la ligne CB à la ligne BA; car les milieux étant les mêmes, la résistance au passage seroit la même en chacun

46» LETTRES.

d'eux , et par conséquent elle garderoit la raison des espaces parcourus; d'où il suit que les milieux étant différents, et la résistance par conséquent différente , on ne peut plus dire que la résistance au passage du rayon par la ligne CB soit à la ré- sistance au passage du rayon par la ligne B A comme la ligne CB à la ligne BA; mais en ce cas la résistance par la ligne CB sera à la résistance par la ligne BA comme CB à une autre ligne dont la raison à la ligne B A exprimera celle des deux résistances différentes. Comme si la résistance par le milieu A est dou- ble de la résistance par le milieu C, la résistance par CB sera à la résistance par BA comme la ligne CB au double de la ligne BA; et si la résistance par le milieu C est double de la résistance par le mi- lieu A , la résistance par CB sera à la résistance par BA comme la ligne CB à la moitié de la ligne BA; de sorte qu'en ces deux cas , les deux résistances par CB et par BA étant jointes , pourront être ex- primées, ou par la ligne CB jointe à la moitié de la ligne BA , ou par la ligne CB jointe au double de BA.

Vous voyez déjà sans doute la conclusion de ce raisonnement; car, soient donnés, par exemple, les deux points C et A, en deux milieux différents, séparés par la ligne DB, et qui soient de telle na- ture que la résistance de l'un soit double de celle de l'autre , il faut chercher le point B , auquel le

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LETTRES. 4^3

rayon qui va de C en A , ou cTA en G , soit coupé ou rompu.

Si nous supposons que la chose est déjà faite , et que la nature agit toujours par les voies les plus courtes et les plus aisées , la résistance par CB , jointe à la résistance par BA, contiendra la somme des deux résistances , et cette somme , pour satis- faire au principe , doit être la moindre de toutes celles qui se peuvent rencontrer en quelque autre point que ce soit de la ligne DB ; or, ces deux ré- sistances jointes sont en ce cas, comme uous avons prouvé , représentées , ou par la ligne CB , jointe à la moitié de BA, ou par la même ligne CB, jointe au double de BA.

La question se réduit donc à ce problème de géométrie : étant donnés les deux points C et A , et la droite DB , trouver un point dans la droite DB, auquel, si vous conduisez les droites CB et AB, la somme de CB et de la moitié de BA contienne la moindre de toutes les sommes pareillement pri- ses , ou bien que la somme de CB et du double de BA contienne la moindre de toutes les sommes pareillement prises , et le point B qui sera trouvé par la construction de ce problème sera le point se fera la réfraction.

Vous voyez par qu'il faut que le rayon se coupe et se rompe lorsque les milieux sont différents; car bien que la somme des deux lignes CB et BA soit

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4(54 LETTRES.

toujours plus grande que la somme des deux lignes CD et DA , ou que la toute CA , néanmoins la ligne CB jointe à la moitié ou au double de BA peut être plus courte que la ligne CD jointe à la moitié ou au double de DA.

Je vous avoue que ce problème n'est pas des plus aisés ; mais puisque la nature le fait en toutes les réfractions pour ne se départir pas de sa façon d a- gir ordinaire, pourquoi ne pourrons-nous pas l'entreprendre?

Je vous garantis par avance que j'en ferai la so- lution quand il vous plaira , et que j'en tirerai même des conséquences qui établiront solidement la vérité de notre opinion. J'en déduirai d'abord que le rayon perpendiculaire ne se rompt point , que la lumière se rompt dès la première surface sans plus changer le biais qu'elle a pris ; que le rayon rompu s'approche quelquefois de la perpen- diculaire, et qu'il s'en éloigne quelque autre fois, à mesure qu'il passe d'un milieu rare dans un plus dense , ou au contraire ; et , en un mot , que cette opinion s'accorde exactement avec toutes les appa- rences. De sorte que si elle n'est pas vraie, on peut dire ce que disoit Galilée en un sujet différen t, que la nature semble nous lavoir inspirée, per pi- gliarsi gioccon ostri ghiribizzi.

Mais j'ai tort de ne songer pas que le sujet de cette lettre ne devoit être qu'un remerciement. Je

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I

LETTRES. 465

vous conjure , monsieur , d'excuser sa longueur, quand ce ne seroit que par l'intérêt que vous y avez, et de la recevoir en tout cas comme un té- moignage de l'estime que j'ai pour votre savoir, et du respect avec lequel je suis, etc.

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LETTRE DE M. DE FERMAT

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A M. DE LA CHAMBRE,

TOUCHANT LA IHOPTRIOIÎF..

»

(Lettre 5i du tome III.)

A Toulouse , \v irr jour de Tan rfifir*.

Monsieur,

11 est juste de vous obéir, et de terminer enfin par votre entremise le vieux démêlé qui a été de- puis si long-temps entre M. Descartes et moi, sur le sujet de la réfraction , et peut-être serai-je assez heureux pour vous proposer une paix que vous trouverez avantageuse à tous les deux partis.

Je vous ai dit autrefois dans ma première lettre que M. Descartes n'a jamais démontré son principe; qu'outre que les comparaisons ne servent guère à

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466 LETTR ES.

fonder des démonstrations, il emploie la sienne à contre-sens , et suppose même que le passage de la lumière est plus aisé par les corps denses que par les rares , ce qui est apparemment faux. Je ne vous dis rien du défaut de la démonstration en elle- même, quand bien la comparaison dont il se sert seroit bonne et admissible en cette matière, pour- ceque j'ai traité tout cela bien au long dans mes lettres à M. Descartes pendant sa vie , ou dans celles que j'ai écrites à M Clerselier depuis sa mort. J'a- joute seulement qu'ayant vu le même principe de M. Descartes dans plusieurs auteurs qui ont écrit après lui , leurs démonstrations, non plus que la sienne , ne me paroissent point recevables , et ne méritent point de porter ce nom. Herigone se sert pour le démontrer des équipondérants, et de la raison des poids sur les plans inclinés; le père Maignan y veut parvenir d'une autre manière: mais il est aisé de voir qu'ils ne démontrent ni l'un ni l'autre, et qu'après avoir lu et examiné avec soin leurs démonstrations , nous sommes aussi incer- tains de la vérité du principe qu'après avoir lu M. Descartes.

Pour sortir de cet embarras, et tâcher de décou- vrir la véritable raison de la réfraction , je vous in- diquai dans ma lettre que si nous voulions em- ployer dans cette recherche ce principe si commun et si établi , que la nature agit toujours par les voies

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LETTRES. 4O7

les plus courtes 9 nous pourrions y trouver facile- ment notre compte. Mais parceque nous doutâmes d'abord que la nature , en conduisant la lumière parles deux côtés d'un triangle, puisse jamais agir par une voie aussi courte que si elle la conduisoit par la base ou par la sous-tendante , je m'en vais vous faire voir le contraire de votre sentiment, ou plutôt de votre doute , par un exemple aisé. Soit en la figure le cercle ACBG, duquel le dia- mètre soit AOB , le centre O, ejt un autre diamè- tre GOC; des point G et C soient tirées les per- pendiculaires sur le premier diamètre GH , CD. Supposons que le premier diamètre AOB sépare deux milieux différents, dont l'un qui est celui de dessous AGB soit le plus dense , et celui de dessus ACB soit le plus rare, en telle sorte, par exemple, que le passage par le plus rare soit plus aisé que celui par le plus dense en raison double. Il suit de cette supposition que le temps qu'emploie le mobile , ou la lumière de C en O , est moindre que celui qui les conduit d'O en G; et que le temps du mouvement de C en O, qui se fait dans le mi- lieu le plus rare, n'est que la moitié du temps du mouvement d'O en G ; et par conséquent la me- sure du mouvement entier parles deux droites CO et OG peut être représentée par la somme de la moitié de CO et de la totale OG. De même, si vous prenez un autre point comme F, le temps du mou-

3o.

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/|68 LITTR1S.

vement par les deux droites CF et FG peut être représenté par la somme de la moitié de CF et de la totale FG. Supposons maintenant que le rayon CO soit 10, et par conséquent le diamètre total COG sera 20 ; que la droite IlO soit 8 , la droite OD soit aussi 8 , et qu'enlin la droite OF ne soit que 1 : je dis qu'en ce cas le mouvement qui se fait par la droite COG se fera dans un temps plus long que celui qui se fait par les deux côtés du triangle CF, FG.

Car si nous prouvons que la moitié de CO jointe à !a totale OG contient plus que la moitié de CF jointe à la totale FG , la conclusion sera manifeste , puisque ces deux sommes sont justement la me- sure du temps de ces deux mouvements ; or la somme de la moitié de CO et de la totale OG fait justement i5. Et il est évident par la construction que la droite CF est égale à la racine carrée de j 17, et que la droite FGest égale à la racine carrée de 85. Mais la moitié de la première racine jointe à la se- conde fait moins que 69 et 4 , et 59 et 4 sonttencore moindres que 1 5. Donc la somme de la moitié de CF et de la totale FG est moindre que la somme de la moitié de CO et de la totale OG, et partant le mouvement par les deux droites CF, FG se fait plus tôt et en moins de temps que par la base ou sous-tendante COG.

Je suis venu jusque sans beaucoup de peine ;

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LETTRES. 4 $9

mais il a fallu porter la recherche plus loin ; et parceque, pour satisfaire à mon principe, il ne suffit pas d'avoir trouvé un point comme F , par le mouvement naturel se fait plus vite , plus aisément et en moins de temps que par la droite COG, mais qu'il faut encore trouver le point qui fait la conduite en moins de temps que quelque autre que ce soit , pris des deux côtés, il ma été nécessaire d'avoir en cette occasion recours à ma méthode De maximis et minimis , qui expédie ces sortes de questions avec assez de succès.

Dès que j'ai voulu entreprendre cette analyse , j'ai eu deux obstacles à surmonter : le premier, que bien que je fusse assuré de la vérité de mon principe , et qu'il n'y ait rien de si probable ni de

•Il

Jf

toujours par les moyens les plus aisés, c'est-à-dire, ou par les lignes les plus courtes lorsqu'elles n'emportent pas plus de temps , ou en tout cas par le temps le plus court, afin d'accourcir son travail et devenir plus tôt à bout de son opération ( ce que le présent calcul confirme d'autant plus, qu'il paroît par que la lumière a plus de diffi- culté à traverser les milieux denses que les rares, puisque vous voyez que la réfraction vise vers la perpendiculaire dans mon exemple, ainsi que l'ex- périence le confirme, ce qui pourtant est contraire à la supposition de M. Descartes ), néanmoins j'ai

47° LETTRES.

été averti de tous côtés , et principalement par M. Petit, que j'estime infiniment, que les expé- riences s'accordent exactement avec la proportion que M. Descartes a donnée aux réfractions ; et que , bien que sa détermination soit fautive , il est à craindre que je tenterai inutilement d'introduire une proportion différente de la sienne , et que les expériences qui se feront après que j'aurai publié mon invention la pourront détruire sur l'heure. Le second obstacle qui s'est opposé à ma recher- che a été la longueur et la difficulté du calcul , qui , dans la résolution du problème dont je vous parlai dans ma lettre , et que je vous témoignois n'être pas des plus aisés , présente d'abord quatre lignes par leurs racines carrées , et engage par conséquent en des asymétries qui aboutissent à une très grande longueur.

Je me suis défait du premier obstacle par la con- noissance que j'ai qu'il y a infinies proportions , différentes de la véritable , qui approchent d'elle si insensiblement, qu'elles peuvent tromper les plus habiles et les plus exacts observateurs. Ainsi n'y ayant que le second obstacle à vaincre , je m'é- tois résolu très souvent d'employer la bien-aimée géométrie], c'est ainsi que Plutarque l'appelle , pour vous satisfaire, et pour me satisfaire moi-même» mais l'appréhension de trouver, après une longue et pénible opération , quelque proportion irrégu-

LETTRES. 4/1

lière et fantasque , et la pente naturelle que j'ai vers la paresse, ont laissé la chose en cet état, jus- qu'à la dernière semonce que M. le président de Mi remont vient de me faire de votre part , que je prends pour une loi plus forte que ni mon appré- hension ni ma paresse ; si bien que je me suis ré- solu de vous obéir sans autre retardement.

J'ai donc procédé sans remise, en vertu de l'o- bédience, comme parlent les moines, à l'exécution de vos ordres ; et j'ai fait l'entière analyse en forme, dans laquelle le désir passionné que j'ai eu de vous satisfaire m'a inspiré une route qui a abrégé la moitié de mon travail , et qui a réduit les quatre asymétries que j'avois eues en vue la première fois à deux seulement, ce qui m'a notablement sou- lagé.

Mais le prix de mon travail a été le plus extraor- dinaire, le plus imprévu et le plus heureux qui fut jamais ; car après avoir couru par toutes les équations, multiplications, antithèses, et autres opérations de ma méthode, et avoir enfin conclu le problème que vous verrez dans un feuillet sé- paré, j'ai trouvé que mon principe donnoit juste- ment et précisément la même proportion aux ré- fractions que M. Descartes a établie.

J'ai été si surpris d'un événement si peu attendu, que j'ai peine à revenir de mon étonnement; j'ai réitéré mes opérations algébriques diverses fois,

47 ar LETTRES.

et toujours le succès a été le même, quoique ma démonstration suppose que le passage de la lu- mière par les corps denses soit plus malaisé que par les rares; ce que je crois très vrai et indispu- table, et que néanmoins M. Descartes suppose le contraire.

Que devons-nous conclure de tout ceci ? Ne suf- fira-t-il pas, monsieur , aux amis de M. Descartes que je lui laisse la possession libre de son théorème?1 N aura-t-il pas assez de gloire d'avoir connu les démarches de la nature dans la première vue , et sans l'aide d'aucune démonstration ; je lui cède donc la victoire et le champ de bataille, et je me contente que M. Clerselier me laisse entrer du moins dans la société de la preuve de cette vérité si importante, et qui doit produire des consé- quences si admirables.

J'ajoute même, en faveur de son ami, qu'il semble que cette grande vérité naturelle n a pas osé tenir devant ce grand génie, et qu'elle s'est ren- due et découverte à lui sans s'y laisser forcer par la démonstration, à l'exemple de ces places qui, quoique bonnes d'ailleurs, et de difficile prise, ne laissent pas, sur la seule réputation de celui qui les attaque , de se rendre à lui sans attendre le canon.

Je vous annonce donc, monsieur, j'annonce à M. Clerselier, et à tous les amis de M. Descartes r qu'il ne tiendra plus à l'incrédulité des géomètres r

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LETTRES.

qu'on ne doive attendre ces merveilles que M. Des- cartes a fait espérer avec raison de ses lunettes elliptiques et hyperboliques , pourvu qu'on puisse trouver des ouvriers assez habiles pour les faire et pour les ajuster.

Il resteroit encore une petite difficulté, que la comparaison de M. Descartes semble produire: c'est qu'il ne paroît pas encore pourquoi la balle qui est poussée dans l'eau n'approche pas de la perpendiculaire, ainsi que la lumière ; mais outre qu'on pourroit soupçonner que la réflexion se mêle dans cet exemple à la réfraction, et que la figure ou la pesanteur peuvent contribuer à la dif- férence de ce mouvement, je n'ai garde d'entrer dans une matière purement physique : ce seroit entreprendre sur vous, monsieur, qui en êtes le maître, et faire irruption dans votre domaine. Je finis donc , après vous avoir déclaré que je con- sens , si vous le trouvez à propos , que l'accommo- dement entre les cartésiens et moi soit publié dans les académies ; et après vous avoir conjuré de re- cevoir au moins l'effet de ma prompte obéissance pour une preuve certaine et plus que démonstra- tive de la passion avec laquelle je suis, etc.

Si vous persistez toujours à n'accorder pas un mouvement successif à la lumière, et à soutenir qu'il se fait en un instant, vous n'avez qu'à com- parer ou la facilité , ou la fuite et résistance plus

474 LETTRES.

ou moins grande, à mesure que les milieux chan- gent ; car cette facilité ou cette résistance étant plus ou moins grande en différents milieux , et ce en une proportion diverse, à mesure que les mi- lieux diffèrent davantage , elles pourront être con- sidérées en une raison certaine, et par conséquent tomber dans le calcul, aussi bien que le temps du mouvement , et ma démonstration y servira tou- jours d'une même manière.

Je n'ai pas étendu mon opération tout en- tière : il n'a pas été nécessaire, puisque ma mé- thode est imprimée tout au long dans le sixième tome du Cours mathématique d'Hèrigone , et que j'en ai assez dit pour être entendu. Si vous m'or- donnez de parcourir tous les détours de l'analyse en forme, je le ferai; et je n'aurai pas même beaucoup de peine à faire la démonstration par la composition, c est-à-dire en parlant le langage d'Euclide.

ANALYSE POUR LES RÉFRACTIONS.

(Version.)

Soit le cercle ADBI 1 , dont le diamètre ADB sépare deux milieux de diverse nature , le plus rare desquels soit du côté ACB, et le plus dense du coté À1B. Que le centre du cercle soit 1), tombe le rayon CD du point donné C; il est

» Figure i \.

LETTRES.

question de chercher le rayon diaclastique DI, c'est-à-dire de trouver le point I, tend Je rayon rompu.

Pour le faire soient menées sur le diamètre les deux lignes droites perpendiculaires CF, IH. Et puisque le point C est donné, avec le diamètre AB , et le centre D , le point F est aussi donné , et la ligne droite FD.

De plus, que la raison des milieux, c'est-à-dire que la raison de la résistance du milieu le plus dense soit à la résistance du milieu le plus rare comme la ligne droite donnée DFà une autre mise hors le cercle, à savoir M, laquelle sera plus pe- tite que la ligne droite DF, puisque, par une raison plus naturelle, la résistance du milieu le plus rare est moindre que celle du plus dense.

Nous avons donc à mesurer les mouvements qui se font par les lignes droites CD et DI, par le moyen des deux lignes droites M et DF, c'est-à- dire que le mouvement qui se fait par les deux lignes droites CD et HI est représenté par la somme des deux rectangles, dont l'un est contenu sous les lignes CD et M, et l'autre sous les lignes DI et DF.

La question se réduit donc à ce point, de cou- per tellement le diamètre AB au point H, qu'ayant mené de ce point-là la perpendiculaire HI, et ayant joint du centre D au point I la ligne DI, il arrive

47° lut rats.

cjue la somme des deux rectangles sous CD et M et sous DI et DF contienue le moindre espace.

Et, afin d'en venir à bout par notre mé- thode, qui a déjà eu cours parmi les géomètres, et qu'Hérigone a rapportée dans le sixième tome de son Cours de mathématique , il y a près de vingt ans :

Que le rayon CD qui est donné soit nommé N, le rayon DI sera aussi N; que la droite DF soit nommée B, et soit supposé que la ligne droite DH soit A; il faut donc que NM f NB soit la moindre quantité.

Concevons que la ligne droite DO prise à dis- crétion est égale à l'inconnue E, puis joignons les deux lignes droites Cl), OI. Le carré de la ligne droite CO, parlant en termes analytiques, sera N 2 -j- E 2-2 BE; et le carré de la droite 01 sera N 2 f E 2 f 2 AE, par conséquent le rectangle con- tenu sous les deux lignes CO et M sera, selon ces mêmes termes analytiques, la racine carrée de M 2 N 2 -f- M 2 E 2 - 2 M 2 BE, et le rectangle contenu sous les deux lignes 01 et B sera la racine carrée deB2N2fB2E2f2B2 AE. Or, ces deux rectangles doivent, selon les préceptes de l'art, être égaux aux deux rectangles MN et BN.

Après cela il faut carrer le tout, afin d'en ôter l'asymétrie, et après avoir retranché les termes communs , et avoir mis d'un côté le terme asy-

LETTRES.

métrique, on carrera derechef le resle, après quoi, ayant ôté les termes communs, et divisé les autres par E, et ayant enfin retranché les termes homogènes qui sont affectés de la lettre E , selon les préceptes de notre méthode, qui est connue depuis long-temps de tout le monde, puis ayant fait un parabolisme, il arrive enfin une équation très simple entre A et M; c'est-à-dire que depuis le premier jusqu'au dernier, et ayant ôté tous les obstacles des asymétries, il se trouve enfin que la ligne droite DH dans la figure est égale à la ligne droite M.

D'où Ton voit que le point diaclastique se trouve de la sorte. Si après avoir mené les deux lignes droites DC et CF, l'on fait que comme la résis- tance du milieu dense est à la résistance du milieu rare, ou bien comme B est à M, ainsi la droite FD soit à la droite DH, et que du point H l'on élève sur le diamètre la perpendiculaire HI, qui rencontre le cercle au point I, ce point sera celui la réfraction portera le rayon. Et partant le rayon passant d'un milieu rare dans un dense, se rompra en approchant de la perpendiculaire. Ce qui s'ac- corde entièrement et généralement avec le théorème de M. Descartes, dont notre analyse a fait voir la démonstration très exacte tirée de notre principe.

M. Descartes, très savant géomètre, a proposé une raison des réfractions, laquelle, à ce que Ton

47$ LETTRES.

dit, est conforme à l'expérience; mais pour en faire la démonstration, il a demandé qu'on lui accordât, et on a été obligé de le faire, que le mouvement de la lumière se faisoit plus facilement et plus vite par un milieu dense que par un rare; ce qui toutefois semble contraire à la lumière naturelle. Or, cela nous ayant porté à tâcher de déduire la vraie raison des réfractions d'un axiome tout con- traire, savoir est que le mouvement de la lumière se fait plus facilement et plus vite par un milieu rare que par un dense, il est arrivé néanmoins que je suis tombé dans la même proportion que M. Descartes. Cependant je laisse aux plus subtil set sévères géomètres à voir si Ton peut par une voie tout opposée rencontrer la même vérité sans tomber dans le paralogisme; car pour moi, pour parler sans feintise, j'aime beaucoup mieux con- noîlre certainement la vérité que de m'arrêter plus long-temps à des débats et contentions su- perflues et inutiles.

La démonstration que j'avance est appuyée sur ce seul postulat ou fondement , savoir est , Natu- ram per vias breviores operari , c'est-à-dire que la nature agit par les moyens ou par les voies les plus faciles et les plus promptes; car c'est ainsi que j'estime que l'on doit entendre cet axiome , et non pas comme font plusieurs , que la nature agit toujours par les lignes les plus courtes.

L F.TTRE S.

Car tout de même que quand Galilée examine le mouvement naturel des corps pesants, il ne le mesure pas tant par l'espace que par le temps ; de même je ne considère point ici l'espace plus petit ou la ligne la plus courte , mais ce qui se peut parcourir plus promptement , plus commo- dément, et en moins de temps.

Cela posé , supposons deux milieux de diverse nature dans cette première figure1, et que le dia- mètre ÀNB du cercle AHBMV sépare ces deux milieux, dont l'un , qui est du côté de M, soit le plus rare , et l'autre , qui est du côté de H , soit le plus dense ; et du point M vers H soient menées les lignes droites MN, NH, MR, RH, qui se rompent dans le diamètre aux points N et R , puisque la vitesse du mobile par le milieu MN , qui est sup- posé rare , est plus grande , selon notre axiome ou postulat, que celle du même mobile par le mi- lieu NH, et que les mouvements sont supposés uni- formes dans chacun de ces milieux, la raison du temps du mouvement par le milieu MN , au temps du mouvement par le milieu NH , est composée, comme tout le monde sait , de la raison de l'es- pace MN à l'espace NH , et réciproquement de la raison de la vitesse par le milieu NH à la vitesse par le milieu MN.

Si donc l'on fait que comme la vitesse par le

1 Figure i5.

4^0 LETTRES.

milieu MN est à la vitesse par le milieu NH , ainsi la ligne droite MN est à NI ; le temps par le milieu MN au temps par le milieu NH sera comme IN à NH.

De même Ton démontrera que si Ton fait que comme la vitesse par le milieu plus rare est à la vitesse parle milieu plus dense , ainsi la ligne MR est à RP , le temps du mouvement par le milieu MR sera au temps du mouvement par le milieu RH comme la ligne PR est à la ligne RH.

D il suit que le temps du mouvement par les deux lignes MN , NH , est au temps du mouvement par les deux autres MR , RH , comme l'agrégé des deux lignes IN , NH , est à l'agrégé des deux au- tres PR, RH.

Quand donc la nature dirige un rayon de lu- mière du point M vers le point H, il faut chercher un point quel qu'il soit, commé N, par lequel la lumière puisse parvenir par inflexion pu réfrac- tion du point M au point H en moins de temps. Car il est très probable que la nature , qui avance toujours le plus qu'elle peut ses opérations, tendra d'elle-même vers ce point-là. Si donc l'aggrégé ou la somme des deux lignes droites IN , NH , qui est la mesure du temps du mouvement par la ligne rompue MNH, se trouve être la moindre quantité* on aura ce que Ton cherche.

Or cela suit du théorème proposé par M. Des-

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LETTRES. 4^1

cartes , comme je vais vous faire voir par ma bonne géométrie.

Car M. Descartes dit que si du point M on mené le rayon MN , et que du même point M on abaisse la perpendiculaire MD, et si avec cela Ton fait que comme la plus grande vitesse est à la moindre , ainsi la ligne DN est à NS , et que du point S soit élevée la perpendiculaire SH , et mené le rayon NH, pour lors le rayon de lumière, qui vient du milieu rare M au point N, se rompt à la rencontre du milieu dense , et va au point H , en approchant de la perpendiculaire.

Or notre géométrie ne répugne en façon quel- conque à ce théorème, comme l'on verra parla pro- position suivante , qui est purement géométrique.

Soit le cercle AHBM dont le diamètre soit ANB, le centre N, dans la circonférence duquel ayant pris un point à discrétion comme M, soit mené le rayon MN , et soit abaissée sur le diamètre la perpendiculaire MD ; que Ion sache outre cela la proportion qui est entre le plus ou moins de facilité que les différents milieux donnent au passage de la lumière, et qu'ainsi Ton fasse DN à NS. Que DN soit plus grande que NS, et que du point S soit élevée la perpendiculaire SH qui rencontre la cir- conférence du cercle au point H , duquel soit mené au centre le rayon UN ; puis soit fait comme DN est à NS , ainsi le rayon MN soit à la ligne droiet

10. 3i

48^ LETTRES.

NI. Je dis que la somme des deux lignes droites IN, NH , qui est la mesure du temps par les deux lignes MN , NH, comme il a été prouvé ci-dessus, est la moindre de toutes ; c'est-à-dire que si , par exemple, Ton prend un point tel que Ton voudra, comme R, du côté du semi-diamètre NB, et si l'on joint les deux lignes droites MR , RH , et que l'on fasse que comme DN est à NS , ainsi MR soit à RP , pour lors la somme des deux droites PR et RH , qui est aussi la mesure du temps par les deux lignes MR , RH , comme il a été aussi prouvé ci- dessus , sera plus grande que la somme des deux autres droites IN et NH.

Or , pour le prouver , soit fait comme le rayon MN est à DN , qu'ainsi RN soit à NO; et comme DN est à NS * qu'ainsi NO soit à N V. Il paroît par la construction que la ligne NO est plus petite que la ligne NR, d'autant que la ligne DN est plus pe- tite que le rayon MN ; il est évident aussi que la ligne NV est plus petite que la ligne NO , puisque la ligne NS est moindre que la ligne ND.

Cela étant posé , le carré de la ligne MR est égal au carré du rayon MN, plus au carré de la ligne NR , et à deux fois le rectangle sous DN et NR par la 1 2 du 2. Mais puisque par la construc- tion , comme MN est à DN , ainsi NR est à NO , il s'ensuit que le rectangle fait de MN , NO , est égal au rectangle de DN , NR, par la 16 du 6. Et

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LETTRES. 485

partant le rectangle de MN , NO, pris deux fois , est égal à deux fois le rectangle de DN, NR.

Par conséquent le carré de la ligne MR est égal aux deux carrés MN et NR , et a deux fois le rectangle sous MN , NO. Or, le carré de la ligne NR est plus grand que le carré de la ligne NO, puisque NR est plus grand que NO. Partant le carré de la ligne MR est plus grand que les deux carrés MN , NO avec deux fois le rectangle sous MN, NO. Or est-il que ces deux carrés MN, NO avec deux fois le rectangle sous MN , NO, sont égaux au carré qui est fait des deux lignes MN, NO comme d'une seule ligne droite, par la t\ du 2. Donc la ligne droite MR est plus grande que la somme des deux lignes droites MN et NO.

Mais puisque par la construction comme DN est à NS , ainsi MN est à NI , et ainsi aussi NO est st NV , partant comme DN est à NS , ainsi sera la somme des deux lignes MN, NO, à la somme des deux lignes IN , NV , par la 12 du 5. Or, comme DN est à NS , de même aussi MR est à RP ; par conséquent comme la somme des deux lignes MN, NO est à la somme des deux lignes IN , N V , ainsi la ligne MR est à RP. Or est-il que la ligne MR est plus grande que la somme des deux lignes MN , NO , par conséquent la ligne PR est aussi plus grande que la somme des deux lignes ÏN , NV, par la 1 4 du 5.

3i,

^84 LETTRES.

Il ne reste plus qu'à prouver que ia ligne RH est plus grande ou du moins n'est pas plus petite que la ligne HV , après quoi il sera constant que la somme des deux lignes droites PR, RH est plus grande que la somme des deux lignes droites IN, NH

Dans le triangle NHR , le carré RH est égal aux deux carrés HN et NR , moins deux fois le rectangle sous SN, NR par la i3 du 2. Mais puis- que par la construction , comme le rayon M N , ou son égal NH, est àDN , ainsi NR est à NO ; et que comme DN est à NS , ainsi NO est à NV ; il s'en- suit qu'en raison égale comme HN est à NS , ainsi NR est à N V , par la 22 du 5 , l'on voit que NR est plus grande que NV. Et partant le rectangle des deux lignes HN et NV est égal au rectangle de SN et NR, par la 16 du 6. Par conséquent le rêctangîé sous HN et NV pris deux fois est égal à deux fois le rectangle sous SN et NR. C'est pour- quoi le carré de HR est" égal aux deux carrés HN , NR , moins deux fois le rectangle sous HN , NV. Mais le carré NR a été prouvé plus grand que le carré NV, partant le carré HR est plus grand que les deux carrés HN , NV, moins deux fois le rectangle sous HN , NV. Mais les deux car- rés HN, NV, moins deux fois le rectangle sous HN , NV, sont égaux au carré de la droite HV, par la 7 du 2. Par conséquent le carré de HR

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LETTRES.

est plus grand que le carré de HV, et partant la ligne HR est plus grande que la ligne HV. Ce qui nous restoit à prouver.

Que si Ton prend le point R 1 du côté du semi- diamètre AN , quoique les deux lignes droites MR et RH se rencontrent directement , et ne consti- tuent qu'une seule ligne droite , comme dans la seconde figure, la même chose arrivera (car la dé- monstration est générale et pour toute sorte de cas), c'est-à-dire que la somme des deux lignes droites PR , RH sera plus grande que la somme des deux lignes droites IN, NH. Et pour le prouver, soit fait comme ci-devant, comme le rayon MN est à la ligne DN , ainsi RN soit à NO, et comme DN est à NS , ainsi NO soit à NV. Il est évident que la ligne NR est plus grande que NO , et que la ligne NO est plus grande que VN. De plus, que le carré MR est égal aux deux carrés MN , MR , moins deux fois le rectangle sous DN , NR , par 1 3 de 29 , ou bien , comme il a été prouvé ci-dessus, moins deux fois le rectangle MN , NO.

Mais puisque le carré NR est plus grand que le carré NO , il s'ensuit que le carré MR sera plus grand que les deux carrés MN , NO , moins deux fois le rectangle fait sous MN, NO. Or est-il que les deux carrés MN, NO, moins deux fois le rectan- gle fait sous MN , NO, sont égaux au carré de la

* Figure 1 6

486 LETTRES.

ligne MO par la 7 du a. Par conséquent le carré de la ligne MR est plus grand que le carré de la ligne MO , et partant aussi la ligne MR est plus grande que la ligne MO.

Mais puisque par la construction , comme DN est à NS , ainsi MN est à NI , et ainsi aussi NO est à NV; donc comme MN est à IN , ainsi NO est à NV; et en permutant , comme MN est à NO, ainsi IN est à N V. Et en divisant , comme MO est à ON, ainsi IV est à VN; et en permutant , comme MO est à IV, ainsi ON est à NN , ou DV à NS, ou MR à RP.

Or Ton a prouvé auparavant que MR étoit plus grande que MO , donc PR est aussi plus grande que IV; partant il ne reste plus qu a prouver, afin que la preuve soit entière , sinon que la droite RH est plus grande, ou du moins n'est pas plus petite que la somme des deux lignes droites HN, NV, ce qui n'est pas difficile.

Car le carré RH est égal aux deux carrés de NH et NR joints à deux fois le rectangle sous SN et NR, ou bien , par ce qui a été prouvé ci-devant, joints à deux fois le rectangle sous HN et NV; mais le carré RN est plus grand que le carré NV, donc le carré HR est plus grand que les deux carrés HN et NV, avec deux fois le rectangle sous HN et NV;mais le carré de NN, NV, comme une seule ligne droite, est égal aux deux carrés de

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LETTRES. 4^7

HN , NV, avec deux fois le rectangle sous HN, NV, par la 4 du â : donc le carré de HRest plus grand que le carré de HN, NV, comme une seule ligne; et partant la ligne droite HR est plus grande que la somme des deux lignes droites HN , N V, ce qui restoità prouver. D'où il suit, par ce qui a été montré ci-devant , que la ligne droite HR est plus grande que la somme des deux lignes droites HN, NV.

Partant il est évident que les deux lignes droites PR et RH, ou la seule ligne droite PRH (quand il arrive que ce ne soit qu'une seule ligne droite), sont toujours plus grandes que les deux lignes droites IN et NH; ce qu'il falloit démontrer.

488

LETTRES

LETTRE DE M. CLERSELIER

A M. DE FERMAT,

a l'occasiox de sa derhière a m. de la chambre, ad sujet de la dioptrique.

(Lettre 5a du tome III.)

Du 6 mai i66a.

Monsieur,

Ne croyez pas que ce soit à dessein de troubler la paix que vous présentez à tous les descartistes* que je prends aujourd'hui la plume à la main : les conditions sous lesquelles vous la leur offrez leur sont trop avantageuses, et à moi en particulier trop honorables, pour ne la pas accepter; et si tous ceux qui ont jamais eu des démêlés avec leur maître étoient aussi sincères que vous, vous la ver- riez bientôt établie partout au contentement de tous les partis. Il y avoit encore deux sortes d'es- prits à satisfaire au sujet de la réfraction ; les uns peu versés dans les mathématiques, qui ne pou-

uiyi

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LETTRES.

voient comprendre une raison prise de la nature des mouvements composés ; et vous leur avez fait entendre raison, en leur proposant un autre prin- cipe, plus plausible en apparence , et plus propor- tionné à leur portée, à savoir, que la nature agit toujours par les voies les plus courtes et les plus simples; les autres qui y étoient trop adonnés, et qui ne pouvoient se rendre aux raisons pures et simples de la métaphysique, qu'il faut pourtant nécessai- rement joindre avec celles-là , pour leur donner la force de la conviction ; et vous leur avez ôté cet obstacle, en conduisant votre principe par un rai- sonnement purement géométrique : et comme ces deux sortes de personnes étoient sans doute beau- coup plus en nombre que les autres , vous méritez aussi sans difficulté une plus grande part dans la gloire qui est due à une si belle et si importante découverte. Je ne vous l'envie point, monsieur, et vous promets de le publier partout, et de con- fesser hautement que je n'ai rien vu de plus ingé- nieux ni de mieux trouvé que la démonstration que vous avez apportée. Permettez-moi seulement de vous dire ici les raisons qu'un descartiste un peu zélé pourroit alléguer pour maintenir l'honneur et le droit de son maître, et pour ne pas relâcher sitôt à un autre la possession il est , ni lui cé- der le premier pas.

1 . Le principe que vous prenez pour fondement

490 LETTRES.

de votre démonstration, à savoir que la nature agit toujours par les voies les plus courtes et les plus simples, n'est qu'un principe moral, et non point physique , qui n'est point et qui ne peut être la cause d'aucun effet de la nature. Il ne l'est point, car ce n'est point ce principe qui la fait agir, mais bien la force secrète et la vertu qui est dans chaque chose, qui n'est jamais déterminée à un tel ou tel - effet par ce principe, mais par la force qui est dans toutes les causes qui concourent ensemble à une même action , et par la disposition qui se trouve actuellement dans tous les corps sur lesquels cette force agit; et il ne le peut être : autrement, nous supposerions de la connoissance dans la nature; et ici par la nature nous entendons seulement cet ordre et cette loi établie dans le monde tel qu'il est, laquelle agit sans prévoyance, sans choix, et par une détermination nécessaire.

2. Ce même principe doit mettre la nature en irrésolution, à ne savoir à quoi se déterminer, quand elle a à faire passer un rayon de lumière d'un corps rare dans un plus dense. Car je vous demande s'il est vrai que la nature doive toujours agir par les voies les plus courtes et les plus sim- ples, puisque la ligne droite est sans doute et plus courte et plus simple que pas une autre? quand un rayon de lumière a à partir d'un point d'un corps rare pour se terminer dans un point d'un

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LETTRES. 49 1

corps dense , n'y a-t-il pas lieu de iaire hésiter la nature, si vous voulez qu'elle agisse par ce prin- cipe , à suivre la ligne droite aussitôt que la rom- pue, puisque si celle-ci se trouve plus courte en temps, l'autre se trouve plus courte et plus simple en mesure? Qui décidera donc, et qui prononcera là-dessus?

3. Comme le temps n'est point ce qui meut, il ne peut être non plus ce qui détermine le moiw vement; et quand une fois un corps est et dé- terminé à aller quelque part, il n'y a nulle appa- rence de croire que le temps plus ou moins bref puisse obliger ce corps à changer de détermination, lui qui n'agit et qui n'a nul pouvoir sur lui. Mais comme toute la vitesse et toute la détermination du mouvement de ce corps dépendent de sa force et de la disposition de sa force , il est bien plus na- turel , et c'est à mon avis parler plus en physicien , de dire, comme fait M. Descartes , que la vitesse et la détermination de ce corps changent par le changement qui arrive en la force et en la disposi- tion de cette force, qui sont les véritables causes de son mouvement , que non pas de dire , comme vous faites, qu'elle change par un dessein que la nature a d'aller toujours par le chemin qu'elle peut parcourir plus promptement ; dessein qu'elle ne peut avoir, puisqu'elle agit sans connoissanee* et qui n'a nul effet sur ce corps.

LETTRES.

4. Gomme il n'y a que la ligne droite qui soit déterminée, il n'y a aussi que cette ligne-là seule la nature tende dans tous ses mouvements; et bien que parfois un corps par son mouvement décrive actuellement une autre ligne, néanmoins, à considérer l'un après l'autre tous les points qu'il a parcourus, ils sont plutôt les points d'autant de lignes droites qu'il quitte successivement, que ceux d'une ligne courbe qu'il tende à décrire; et il les a plus tôt parcourus comme tels qu'autre- ment, puisque, sitôt que ce corps est laissé et aban- donné à la force qui le meut en chaque point, il se porte à suivre la ligne droite à laquelle ce point appartient, et point du tout la ligne courbe qu'il a décrite. Cela étant, s'il est question de porter un rayon de la lumière du point M au point H, il est certain que la nature l'enverra tout droit par la ligne MH , si cela se peut. Et de fait quand le mi- lieu est semblable et égal , elle n'y manque jamais; mais quand le milieu par la lumière passe change de nature, et oppose plus ou moins de résistance à son passage et a son cours, qui fera changer sa direction à la rencontre de ce milieu? Que peut-on soupçonner qui en soit la cause? La brièveté du temps? nullement. Car quand le rayon MN est parvenu au point N, il lui doit être indif- férent, suivant ce principe, d'aller à tous les points de la circonférence BHA, puisqu'il lui faut autant

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LETTRES. 4<P

île temps à parvenir aux uns qu'aux autres; et cette raison de la brièveté du temps ne le pouvant emporter alors vers un endroit plutôt que vers un autre, il y auroit raison qu'il dût plutôt suivre la ligne droite; car pour choisir le point H plutôt que tout autre, il faudrait supposer que ce rayon MN, que la nature n'a pu envoyer vers sans une tendance indéfinie en ligne droite, se souvînt qu'il est parti du point M, avec ordre d'aller chercher, à la rencontre de cet autre milieu, le chemin qu'il pût parcourir en moins de temps, pour de arriver en H. Ce qui, à vrai dire, est imaginaire, et -nullement fondé en physique. Qui fera donc chan- ger la direction du rayon MN (quand il est par- venu au point N) à la rencontre d'un autre milieu, sinon celle qu'allègue M. Descartes? qui est que la même force qui agit et qui meut le rayon MN , trouvant une autre disposition à recevoir son ac- tion dans ce milieu que dans l'autre, ce qui change la sienne à son égard , conforme la direction de ce rayon à la disposition qu'elle a pour lors. Et pourcequ'au point de rencontre de cet autre mi- lieu, c'est la seule force qui porte le rayon en bas qui se ressent de la diversité à recevoir son action , qui est entre le milieu d'où il sort et celui il entre (celle qui le porte à droite ne s'en ressentant point, à cause que ce milieu ne lui est aucunement opposé en ce sens-là), le changement qui arrive à

494 LETTRES.

la façon dont l'action de la force qui le porte en bas est reçue dans ce point de rencontre change aussi la direction du rayon , et le fait détourner du côté il est attiré, selon la proportion qui se trouve alors entre l'action de cette force et celle de l'autre; et cela me semble si clair , qu'il ne doit plus rester aucune difficulté.

5. S'il semble apparemment plu3 raisonnable de croire que la lumière trouve plus aisément passage dans les corps rares que dans les denses, ainsi que vous le supposez, fondé sur l'expérience de tous les corps sensibles, qui l'ont sans doute plus libre dans ces sortes de milieux, il est aussi , ce me sem- ble, plus raisonnable de croire que les corps qui entrent dans des milieux qui font plus de résis- tance à leur passage que ceux d'où ils sortent, comme vous supposez que les corps denses font à la lumière, s'efforcent de s'en éloigner, et ne s'y enfoncent que le moins qu'ils peuvent; ce que l'expérience confirme. Ainsi quand une balle est poussée de biais de l'air dans l'eau , bien loin de continuer son mouvement en ligne droite, et beau- coup plus de s'enfoncer davantage en approchant de la perpendiculaire, elle s'en éloigne autant quelle peut en s'approchant de la superficie. Et vous avez fort bien reconnu la force de cette ob- jection, que vous appelez pourtant légère, mais que vous ne sauriez résoudre que par le principe

LETTRES. 4<)5

de M. Descartes , qui ruine entièrement le vôtre : car si par votre principe même la balle doit s'éloi- gner de la perpendiculaire, pourquoi la lumière s'en approche-t-elle? Et si la balle ne suit pas votre principe, comme en effet elle ne le suit pas, pour- quoi la lumière le suivra-t-elle ? Cela ne fait-il pas plutôt voir que, dans l'un et dans l'autre exemple, la nature n'agit pas par votre principe ?

6. Cette voie que vous estimez la plus courte, parcequ'elle est la plus prompte, n'est qu'une voie d'erreur et d'égarement, que la nature ne suit point, et ne peut avoir intention de suivre; car comme elle est déterminée en tout ce qu'elle fait , elle ne tend jamais qu'à conduire ses mouvements en ligne droite; et ainsi si vous voulez que d'abord elle tende de M vers H, elle ne peut s'aviser de dresser un rayon vers N, pourceque ce rayon de soi n'y tend nullement; mais elle dressera son rayon vers R , et ce rayon étant une fois par- venu, qui est le plus droit, le plus court, et le plus bref de tous ceux qui peuvent tendre à ce point. Pour aller maintenant d'R en H , le plus droit en- core, le plus court, et le plus bref, est d'aller tout droit vers H. Et ainsi si la nature agissoit par votre principe même, elle devroit aller directement de M vers H ; car d'un côté elle est nécessitée à diriger d'abord son rayon vers R , et de votre principe même le porte vers H.

/|90 LETTRES.

7. Et bien que vous ayez très clairement dé- montré, suivant votre supposition, que le temps des deux rayons MN , NII , pris ensemble, est plus bref que celui de deux autres quels qu'ils soient, pris aussi ensemble, ce n'est pourtant pas la raison de la brièveté du temps qui porte ces deux rayons par ces deux lignes. Car seroit-il bien possible qu'un rayon qui est déjà dans l'air, qui a déjà sa direction toute droite , et qiû ne tend nullement ailleurs, sitôt qu'on lui oppose de l'eau ou du verre, s'avisât de se détourner ainsi qu'il fait, pour le seul dessein d'aller justement chercher un point son mouvement composé soit le plus bref de tous ceux qui y peuvent aller du lieu de son dé- part? cette raison seroit bien métaphysique pour un sujet purement matériel. Ne doit-on pas plu- tôt croire, ainsi que j'ai déjà dit, que comme c'est la force du mouvement et sa détermination qui ont conduit ce rayon dans la première ligne qu'il a décrite, sans que le temps y ait rien contribué, c'est le changement qui arrive dans cette force et dans cette détermination qui lui fait prendre la route de l'autre qu'il a à décrire , sans que le temps y contribue, puisque le temps ne produit rien.

8. Enfin la différence que je trouve entre M. Des- cartes et vous, est que vous ne prouvez point, mais que vous supposez pour principe , que la lumière passe plus aisément dans les corps rares que dans

LETTRES. 497

les denses ; au lieu que M. Descartes prouve , et ne suppose pas simplement, ainsi que vous dites, que !a lumière passe plus aisément dans les corps den- ses que dans les rares. Car, posé votre principe, et posé que la nature agisse toujours par les voies les plus courtes, ou les plus promptes, vous concluez fort bien que la lumière doit suivre le chemin qu'elle tient dans la réfraction; M. Descartes, sans rien supposer , se sert seulement de l'expé- rience même, pour conclure que la lumière passe plus aisément dans les corps denses que dans les rares, et donne en même temps le moyen de me- surer la proportion avec laquelle cela se fait. Et pourcequ'il jugeoit bien que l'expérience jour-

_

nalière que nous avons du contraire pourroit nous donner lieu de nous en étonner, il en rend la rai- son physique dans la vingt-sixième page de saDiop- trique , à laquelle on peut avoir recours. -

Mais s'il est vrai que la lumière passe plus diffici- lement dans les corps rares que dans les denses, comme la raison alléguée en ce lieu-là par M. Des- cartes semble le prouver; et s'il est vrai aussi que la nature n'agisse pas toujours par les voies les plus promptes , comme l'exemple de la balle qui passe de l'air dans l'eau le justifie, adieu toute votre dé- monstration ; et même, comme vous dites avoir au- trefois proposé vos difficultés à M. Descartes , à lui, dites- vous, viventi alquc sentienli , sans que ni

IO. 3 2

4f)8 LETTRES.

lui ni ses amis vous aient jamais satisfait , ne pour- roit-on pas aussi dire qu' il vous a fait réponse de son vivant , et ses amis depuis sa mort , tibi, in- quam , vivenli , et nisi dicere ne fus esset , adderem et non intelligenti , puisqu'il y en a qui se persua- dent de la bien entendre. Et enfin , comme vous dites que la nature semble avoir eu cette déférence et complaisance pour M. Descartes, que de s'être rendue à lui, et lui avoir découvert ses vérités sans s'y laisser forcer par la démonstration , ne peut-on pas dire que vous avez forcé la géométrie , toute sévère qu'elle est , à vous en fournir une , par le moyen de cette double fausse position. Après quoi je laisse aux plus sévères et plus clairvoyants natu- ralistes à juger qui de vous deux a le mieux ren- contré dans la cause qu'il a assignée à la réfrac- tion.

Cela n'empêche pas qu'à considérer les choses d'une autre façon , je ne sois d'accord avec vous que la nature agit toujours par les voies les plus courtes et les plus promptes : car comme elle n'a- git que par la force, qui l'emporte nécessairement, et qu'elle est toujours déterminée dans son action , elle fait toujours tout ce qu'elle peut faire , et ainsi , , quelque route qu'elle prenne, c'est toujours la plus courte et la plus prompte qui se pou voit, eu égard à toutes les causes qui l'ont fait agir et qui l'ont déterminée.

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LETTRES. 4l)9

Après vous avoir ainsi proposé ce qui me fait persister dans mes premiers sentiments , je ne laisse pas de me sentir obligé de me rendre, et d'acquies- cer en quelque façon aux vôtres ; et , bien loin de vous disputer la gloire d entrer dans la société de la preuve d'une vérité si importante , je pense avoir trouvé un moyen qui vous doit mettre tous deux d'accord , en laissant à chacun la part qui lui ap- partient. Il semble que, comme la lumière est la plus noble production de la nature, elle la laisse aussi agir d'une manière la plus régulière et la plus universelle , et qu'elle a fait que, dans son ac- tion , tout ce qu'elle emploie de principes dans toutes les autres causes se rencontrent tous ensem- ble dans celle-ci. Ainsi, pourceque les mouvements des autres corps dépendent de la force qui les meut et de la détermination de cette force , la lumière , suivant ces lois, tantôt se continue en ligne droite, et tantôt s'en écarte en s'approchant ou s éloignant de la perpendiculaire. Mais pourceque nous voyons aussi que la nature agit toujours par les voies les plus courtes , il falloit que la lumière s'accommodât à cette loi. M. Descartes a fait voir que la lumière suit dans la réfraction les lois ordinaires du mou- vement de tout le corps ; et vous , monsieur, avez fait voir que quoique la lumière semble dans la fraction prendre un détour, et oublier qu'elle doit agir par les voies les plus courtes, elle observe

32.

30O LETTRES.

néanmoins cette loi avec une exactitude si grande qu'on n'y sauroit rien désirer : et ainsi on peut dire que vous avez travaillé conjointement avec M. Des- cartes à justifier en cela la nature, et à rendre rai- son de son procédé : lui par des raisons naturelles et communes à tous les corps; et vous, monsieur, par des raisons mathématiques , tirées de la plus pure et plus fine géométrie ; et même , comme cette preuve géométrique étoit la plus difficile à trouver et à démêler, je veux bien que vous l'em- portiez par-dessus lui ; et dès à présent je signe et souscris à une éternelle paix avec vous, et neveux plus désormais contester sur l'inefficacité de votre principe , et sur la différence qui est entre le vôtre et le sien , puisqu'il conclut une même chose , et nous enseigne une même vérité. Je suis , etc.

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LETTRES. 501

# *

AUTRE LETTRE DE M. CLERSELIER

A M. DE FERMAT

SUR LE SUJET.

(Lettre 53 du tome III.)

# *

Du i3 mai 166a.

Monsieur,

C'est par Tordre de l'assemblée qui se tient toutes les semaines chez M. de Montmort que jevous écris aujourd'hui , pour vous faire une amende honora- ble d'un méchant mot latin que j'ai mis dans la lettre que je me donnai l'honneur de vous écrire il y a huit jours , dont je lui fis la lecture mardi dernier. Ce fut la seule chose quelle y trouva à redire ; et je l'avois bien senti moi même en l'écrivant, aussi avois-je tâché de l'adoucir par le correctif qui le précède ; cependant nonobstant cela j'en reçus une réprimande publique , et aussitôt je me proposai de vous en faire mes excuses au premier ordinaire , ce que je fais aujourd'hui d'autant plus volontiers qu'outre que par cette soumission je vous ferai

f)02 LETTRES.

connoître l'ingénuité de mon procédé, cela me donnera aussi occasion de vous dire quelque chose que je fus obligé de répliquer à quelques objec- tions qui me furent faites par quelques uns de ras- semblée , afin de rendre la pensée de M. Descartes, touchant la réfraction, plus claire, par un exem- ple familier, et qui est tout-à-fait propre au sujet. Si je n'avois point été si impatient que de vous en- voyer une chose qui étoit prête il y avoit plus de quinze jours , et que l'engagement que j'avoism'a- voit obligé de faire voir dès lors à M. de La Cham- bre , j'aurois évité le reproche de la compagnie, et ne serois pas tombé dans cette faute.

Mais j'eus peur qu'il me fallût encore différer plus long-temps d'en parler à l'assemblée, qui avoit déjà remis par deux fois la lecture que je lui en vouiois faire, pourcequ'elle vouloit aussi avoir en même temps les sentiments de M. Petit , qui lui avoit fait connoître, dès la première fois que votre lettre parut devant elle, qu'il avoit plusieurs choses à dire , et contre ce que vous écrivez à M. de La Chambre, et contre ce que M. Des- cartes a écrit.

Pour moi, qui nem'étois pas trouvé à l'assemblée quand votre lettre y fut lue la première fois , et qui me dispensois alors souvent de m'y trouver, à cause de quelques affaires plus importantes que la détention de M. de La Haye, mon gendre, me don-

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e

LETTRES. ,r)o3

noit , pour poursuivre à la cour sa liberté , je ne l'eus pas plus tôt vue que je crus être obligé d'y faire réponse , comme étant une suite des petits démê- lés que nous avions déjà eus autrefois ensemble sur la même matière , et parce aussi que vous me faites l'honneur de me nommer par trois fois dans votre lettre, et de sembler m'y convier.

J'avois donc préparé ma réponse le plustôt que j'avoispu, et pensois la faire voir à la compagnie, mais elle ne le jugea pas à propos pour ne point prévenir M. Petit dansla repartie qu'il avoit promis de vous faire; mais, craignant que cela n'allât trop en longueur, je me résolus de moi-même , samedi dernier, de vous l'envoyer, avant que de l'avoir fait voir à la compagnie , de qui j'ai reçu les avis trop tard pour m'empêcher de tomber dans cette faute, mais non pas pour vous en faire mes excu- ses , et vous en demander le pardon.

Et , pour le mériter en quelque façon , souffrez que je m'explique un peu plus au long que je ne le fis la dernière fois , pour vous faire comprendre ce que je pense de la pensée qu'a eue M. Descartes touchant la réfraction.

Il est certain qu'à considérer tout seul le rayon AB , en tant qu'il est dans l'air, il ne va ni à gauche ni à droite, ni en haut ni en bas, mais toute sa tendance est d'aller vers D, et n'a qu'une seule di- rection. Mais sitôt qu'on lui oppose un autre mi-

5o4 LETTRES.

lieu , par exemple CEE , dans lequel il soit obligé de passer, on peut dire, et il est vrai, qu'à 1 égard de ce milieu il a diverses tendances ; car si on le lui oppose directement, sa chute est perpendicu- laire , et n'a qu'une direction à son égard ; mais si on le lui oppose de biais comme il est dans la page 20 de la Dioptrique , alors ce rayon à son égard a une double direction, l'une qui le fait tendre vers lui , qui est de haut en bas , et l'autre qui le porte de gauche à droite, à laquelle ce mi- lieu n'est point du tout opposé ; et si on le lui op- posoit d'une autre façon , la même direction, qui maintenant est de gauche à droite, pourroit être celle qui le porteroit vers lui , et l'autre , celle à laquelle ce milieu ne seroit point opposé; et selon que ce milieu est plus ou moins incliné à ce rayon, les deux tendances ou directions qu'il a à son égard sont diverses, et peuvent avoir, l'une à l'égard de l'autre diverses proportions.

Mais quand je parle de tendance, de direction , ou de détermination , ne vous allez pas imaginer que j'entende parler d'une direction sans force et sans mouvement , ce qui seroit chimérique et im- possible , ne pouvant y avoir de direction sans mouvement ou sans effort ; mais j'entends par ce mot de direction ou de détermination vers quel- que endroit toute la partie du mouvement qui est déterminée à aller vers cet endroit-là*

LETTRES. 5o5

Donc, selon que le milieu est plus ou moins in- cliné au rayon , la force, qui à son égard le porte vers un certain endroit, peut être plus ou moins grande que celle qui le porte vers l'autre. Par exemple, si l'angle ABC est égal à l'angle ABH, les deux parties du mouvement , dont lune le porte en bas et l'autre à droite , sont égales , s'il est moindre sa force est moindre, et s'il est plus grand elle est plus grande ; mais, quelle que soit l'incli- nation du rayon sur le milieu, il y a toujours une partie de la force de son mouvement à la- quelle ce milieu est opposé , et une autre à la- quelle il ne l'est point. Or, tandis que le rayon est dans l'air , la proportion , quelle qu'elle soit , qui est entre ces deux parties du mouvement, que nous supposons uniforme , le porte dans la ligne AB; et tandis que rien ne la change, ou tandis qu'elles changent, en gardant toujours entre elles une même proportion , le rayon va toujours en ligne droite.

Mais lorsque le rayon AB de la page 20 étant parvenu au point B rencontre un autre milieu , si ce milieu ne présente pas au rayon la même fa- cilité à se laisser pénétrer qu'avoit l'air, il doit arriver du changement au cours du rayon , à cause que ce milieu n'est opposé qu'à la détermination , ou à la partie du mouvement qui le porte vers lui, et non point à l'autre ; et s'il présente moins de

5o6 LETTRES.

facilité au passage du rayon queue fait l'air, la ré- sistance qu'il apporte à la partie du mouvement qui tend vers lui , et non point à l'autre, laquelle en ce point de rencontre demeure précisément la même , fait que n'y ayant plus la même propor- tion entre ces deux parties du mouvement , qui toutes deux ensemble portoient auparavant le rayon dans la ligne AB , elles doivent lui faire changer de détermination , et le porter vers le point tend la direction qui s'ajuste avec la proportion qui se trouve alors entre elles , et ainsi le faire éloigner de la perpendiculaire.

Que si au contraire le milieu qu'on oppose au rayon AB présente plus de facilité à son passage que ne faisoit l'air, cette nouvelle facilité qu'il ap- porte, et qui n'est ressentie que par la partie du mouvement qui tend vers lui, et non point par l'autre , comme j'ai déjà dit, doit changer sa direc- tion, à cause que cela change la proportion qui est entre les deux parties, dont le mouvement entier de la balle est composé, et le détourner par conséquent vers la perpendiculaire; ce qui arrive quand un rayon de lumière passe de l'air dans de l'eau ou dans du verre.

Et pour faciliter la compréhension de tout ceci par un exemple aisé, représentez-vous un corps sphérique bien dur et bien poli, mis sur une planche très dure aussi et très polie, dont le bout

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LETTRES. 507

s'appuie sur l'extrémité d'une table, en sorte que la planche soit inclinée sur la table et fasse un angle aigu avec elle. Il est certain que ce mobile roulera sur cette planche , et ce d'autant plus ou moins vite que la planche sera moins ou plus in- clinée sur cette table. Mais, quel que soit le mouve- ment du mobile sur cette planche , il est certain qu'à l'égard de la table il a deux déterminations ; l'une, qui le porte vers elle, par laquelle il des- cend ; et l'autre , qui le porte vers l'une des mu- railles de la chambre, par laquelle il avance de ce côté-là; et il est si vrai qu'il a ces deux impressions, qu'il les garde encore toutes deux lorsqu'il est en l'air hors de la planche; et s'il ne lui en restoit qu'une quand il est hors de dessus la planche, il ne suivroit que celle-là seule ; par exemple , il tom- beroit perpendiculairement à terre , sitôt qu'il a quitté la planche , s'il ne lui restoit que celle de sa chute.

Mais considérez ce qui arrive au mobile quand il est au point il quitte la planche, et vous verrez qu'il arrive la même chose à la lumière quand elle passe de l'air dans l'eau ; et parcequ'a- lors la partie du mouvement qui porte le mobile en bas trouve plus de facilité ou moins de résis- tance à son action quand il est hors de dessus la planche et dans l'air qu'elle n'avoit quand il étoit sur la planche , et que celle qui le porte vers la

5o8 LETTRES.

muraille demeure la même (bien que ce soit encore la même force totale qui pousse en ce point-là le mobile, et que la force des deux parties de son mouvement prises séparément soit la même), néanmoins, parceque la proportion qui étoit aupa- ravant entre la facilité ou la résistance que pré- sentoitle milieu à ces deux forces est changée, et que , dans ce point de sortie , il trouve plus de fa- cilité pour descendre qu'auparavant, sans qu'il en trouve ni plus ni moins pour aller vers la muraille, pour cela il arrive qu'il ne suit plus la direction de la ligne qu'il avoit parcourue sur la planche , mais qu'il en prend une autre, laquelle est propor- tionnée au plus de facilité qui se trouve alors en l'une de ces forces plus qu'en l'autre; ce qui fait que le mobile en quittant la planche s'approche de la perpendiculaire, comme fait aussi la lu- mière en entrant dans l'eau, pour la même rai- son.

Et c'est à mon sens une des choses des plus ai- sées à concevoir qu'il est possible; et c'est aussi à mon avis tout ce qu'a voulu dire M. Descartes au sujet de la réfraction. Je ne prétends pas néan- moins pour cela vous avoir persuadé; il suffit que je me sois donné à entendre, afin que vous ne croyiez pas que je suive aveuglément M. Descartes , ou que je vous contredise de gaieté de cœur. Je vous ressemble en ce point , que je n'aime et ne

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LETTRES. 509

cherche que la vérité; et celte conformité que j'ai avec vous me fait espérer que vous ne me dés- avouerez pas, quand je m'avouerai partout, etc.

Pour éclaircir davantage cette matière, j'appor- terai encore ici un exemple, qui résout à mon avis la plupart des difficultés que l'on peut faire sur ce qu'a dit M. Descartes touchant la réfraction , dans sa Dioptrique.

Il est constant par l'expérience, que, de quelque façon que la boule A soit poussée au point B, par les boules C, D, E, F, G, et quelles que soient les différentes déterminations dont on peut supposer, que celle de leur route soit composée , elles la pousseront toujours vers II.

Premièrement, pour la boule E, il est clair qu'elle la doit pousser vers II , puisque la boule A s'oppose totalement à sa détermination; mais ce qui est clair pour la boule E] doit pareille- ment être entendu des autres, qui, bien qu'elles viennent de biais vers la boule A, ne la touchent au point B et ne la poussent qu'en tant qu'elles descendent vers H, et non point en tant qu'elles vont vers I (ou vers K); c'est pourquoi elles ne sauroient imprimer d'autre mouvement à cette boule, sinon de la faire aller vers II. Or, quoique les déterminations des boules D et F soient op- posées, en tant que l'une va à droite et l'autre à gauche, elles ne le sont point en tant qu'elles des-

5 10 LETTRES.

cendent, et ainsi elles doivent produire sur la boule A un même effet, qui est de la pousser vers H.

Mais si nous supposons que la boule A soit dure et immobile, toutes ces boules, après l'avoir ren- contrée, seront contraintes de changer la détermi- nation qu'elles avoient d'aller vers H, en celle d'aller ou de réfléchir vers L, et garder les autres si elles en avoient, auxquelles elle ne peut ap- porter de changement , à cause qu'elle ne leur est point opposée en ce sens-la : et ceci explique la réflexion à angles égaux.

Que si nous supposons que ces boules aient communiqué de leur mouvement à la boule A , ce ne peut être qu'au sens qu'elle leur est opposée ; et partant ce ne peut être que le mouvement vers H qui puisse recevoir de l'altération, et non point celui vers I (ou vers K), lequel par conséquent doit demeurer le même et en son entier. Si bien que ces boules perdant au point B de la force qui les détermine à aller vers H, et ne per- dant rien de celle qui les détermine à aller vers I, elles sont contraintes de se détourner, et de prendre en ce moment une autre direction, la- quelle elles gardent toujours, quelque résistance que le milieu apporte après cela, qui peut bien les faire aller moins vite, mais non pas changer leur direction, à cause qu'il peut bien être opposé à

LETTRES. 5 1 1

leur vitesse, mais non point à la direction qu'elles ont prise, puisque nous supposons qu'il est également facile ou difficile à s'ouvrir ou pénétrer de tous côtés; et cela explique la réfraction qui s'éloigne de la perpendiculaire.

Que si au contraire nous supposons que ces boules étant au point B, la boule A leur cède plus aisément, et les entraîne pour ainsi dire vers H, cela fait que ces boules descendent plus vite ; mais cela ne change rien à leur mouvement vers la droite (ou vers la gauche) , auquel elle n est point opposée; et ainsi ces boules, au moment qu'elles sont au point B, étant plus disposées à aller vers H qu'elles n'étoient auparavant, et n'étant ni plus ni moins disposées qu'elles étoient à aller vers I, elles doivent changer de direction, et la garder après l'avoir prise; et cela explique la réfraction vers la perpendiculaire.

Et pour faire voir que la résistance plus ou moins grande du corps du milieu n'y fait rien , et ne change point la détermination que la boule prend au point B , considérons ce qui peut arriver à la boule A , selon les différents cas qu'on peut s'imaginer. Par exemple, si la boule E tombe per- pendiculairement sur A, et qu'elle lui commu- nique la moitié de son mouvement, ira-t-elle? Sans doute qu'elle ira vers H, et la force qu'elle reçoit en ce moment ne la peut déterminer à aller

5 1 2 LETTRES.

que vers ; mais est-ce à dire qu'en allant vers H elle décrira en deux moments une ligne aussi longue qu'a fait E en un moment? Oui, sans doute, si vous supposez que le milieu quelle parcourt lui donne passage aussi facilement qu'avoit fait l'autre; mais si ce milieu lui résiste davantage elle en décrira une plus courte; comme aussi elle en peut décrire une égale, ou même une plus lon- gue, si ce milieu résiste autant ou moins à la force qu'elle a reçue.

Que si nous supposons que c'est Tune des autres boules C, D, F, G qui rencontre A au point B, il s'ensuivra la même chose, à savoir, qu'elle sera contrainte par la force qu'elle recevra de prendre sa détermination vers H , comme aupara- vant, au moment même qu'elle en est touchée; et la/jualité du milieu ne changera point cette déter- mination , sinon qu'ayant reçu moins de force, parceque n'étant touchée que de biais elle n'est pas poussée par toute la force de la boule qui la touche, elle ira moins vite.

Que si nous supposons que la boule A étoit dé- jà en mouvement, et se mouvoit vers 1, la chute de l'une de ces boules sur elle n'apporte aucun chan- gement à la détermination quelle avoit à aller vers , c'est-à-dire à toute la force de son mouvement qui la déterminoit à aller vers I , et partant elle doit continuer d'y aller comme elle faisoit aupa-

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LETTRES. 5 I 3

ravant; mais elle doit aussi aller en même temps vers le côté la détermine l'impression qu'elle a nouvellement reçue par la chute de Tune de ces boules; si bien que dès ce moment elle doit pren- dre sa direction.

Mais si nous supposons que le milieu elle se trouve après cela lui résiste davantage que ne faisoit l'autre, cela ne change point la détermina- tion qu'elle a prise, mais fait seulement qu'elle le parcourt moins vite qu'elle n'auroit fait; car enfin la proportion qui étoit en ce moment entre ses deux forces, l'a déterminée à aller quelque part; et quelque facilité ou difficulté qu'apporte ensuite le corps du milieu qu'elle doit parcourir, comme elle est égale en tout sens, cela ne peut rien changer à la détermination qu'elle a prise en sa superficie ,et ne la doit ni plus ni moins détourner; et la même proportion est ici gardée qu'entre de forts ou de foibles mouvements également proportionnés.

Par exemple, que la boule À soit poussée par deux forces égales vers B et vers C en. même temps, que doit-il arriver, si elle est dans l'air? Il arrivera que ces deux forces ayant un grand effet sur elle, la pousseront en un moment jusques en 1): mais si elle étoit dans l'eau, alors ces deux forces n'ayant pas un si grand effet sur elle, ne la pous- seront que jusques en E; mais elle ne changera point pour cela de direction.

io. 33

5 1 4 LETTRES.

Et ce que je dis de la boule A, qui est poussée par des forces égales dans deux milieux différents, se doit entendre tout de même de toute autre sorte de proportion qui soit entre ces deux forces ; savoir est , que la diversité du milieu ne change point la direction à laquelle les forces qu'elle a la déterminent au premier moment, mais peut seu- lement changer sa vitesse.

Par exemple, que la boule A soit poussée en même temps par deux forces, dont l'une la pousse du double plus fort vers C que l'autre ne fait vers B. Que doit-il arriver si elle est dans l'air? Il arrivera que ces deux forces , ayant un grand effet sur elle, la pousseront en un moment jusques en D : mais si elle étoit dans l'eau , alors ces deux forces n'ayant pas un si grand effet sur elle, mais ne lais- sant pas de l'avoir de tous côtés proportionné à leur force , parceque l'eau s'ouvre également de tous côtés, ne la pousseront que jusques en E; mais elle ne changera point pour cela de di- rection, laquelle elle prend dès le premier mo- ment.

Et ainsi ayant égard aux premières suppositions que fait M. Descartes , lorsqu'il se sert de l'exemple d'une balle pour expliquer la réflexion et la réfrac- tion dans le chapitre second de sa Dioptrique, c'est- à-dire supposant que ni la pesanteur ou la légè- reté de la balle , ni sa grosseur , ni sa figure , ni

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LETTRES. 5 1 5

aucune telle cause étrangère ne change son cours , ce qu'il dit ensuite est véritable , c'est à savoir qu'il ne faut considérer que la détermination que prend la balle au moment qu'elle est au point B, sans se mettre en peine de ce qui peut arriver de change- ment en sa vitesse dans le milieu qu'elle parcourt par après ; pour ce que c'est seulement au point B qu'elle est contrainte de changer de direction , à cause du changement qui arrive en ce point dans la proportion qui est entre les deux forces qui com- posent tout son mouvement; et la direction qu'elle a une fois prise au point B, elle la garde par après, et la suit plus ou moins vite, selon le plus ou moins de résistance du milieu.

RÉPONSE DE M. DE FERMAT

A M. CLERSELIER.

( Lettre 5/t du tome III. )

Du u mai i66a.

Monsieur,

Vos deux lettres des sixième et treizième de mai m'ont été rendues eu même temps; elles me font

33.

5 1 6

LETTRES

plus d'honneur que je n'en devois raisonnable- ment attendre; et bien loin que vos mots latins m'aient choqué/je suis persuadé que, dans la sup- position de votre sentiment sur le sujet de la dé- monstration de M. Descartes , il n'y en a point de plus véritables en aucun endroit de vos lettres; car si cette démonstration est dans les règles des dé- monstrations certaines et infaillibles , il n'est rien de plus vrai, sinon que ceux qui n'en sont pas convaincus ne l'entendent point. La qualité essen- tielle d'une démonstration est de forcer à croire ; de sorte que ceux qui ne sentent pas cette force ne sentent pas la démonstration même, c'est-à-dire qu'ils ne l'entendent pas. Je n'attribue donc , mon- sieur , qu'à un excès de courtoisie et de civilité cet adoucissement que MM. de votre assemblée vous ont inspiré, et je vous en rends très humbles grâces. Pour la question principale, il me semble que j'ai dit souvent , et à M. de la Chambre et à vous, que je ne prétends ni n'ai jamais prétendu être de la confidence secrète de la nature ; elle a des voies obscures et cachées que je n'ai jamais entrepris de pénétrer: je lui avois seulement offert un petit se- cours de géométrie au sujet de la réfraction si elle en eût eu besoin ; mais puisque vous m'assurez , monsieur , qu'elle peut faire ses affaires sans cela, et qu'elle se contente de la marche que M. Descartes lui a prescrite, je vous abandonne de bon cœur

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LETTRES. 5lJ

ma prétendue conquête de physique, et il me suffit que vous me laissiez en possession de mon pro- blème de géométrie tout pur, et in abstracto;par le moyen duquel on peut trouver la route d'un mobile qui passe par deux milieux différents , et qui cherche d'achever son mouvement le plus tôt qu'il pourra. Et je ne sais pas même si la merveille ne sera point plus grande , en supposant que j'aie mal deviné le raisonnement de la nature; car peut- on s'imaginer rien de plus surprenant que ce qui m'est arrivé? J'écrivis, il y a plus de dix ans, à M. de La Chambre, que je croyois que la réfraction se de- voit réduire à ce problème de géométrie, etj'étois pour lors tout-à-fait persuadé que l'analyse de ce problème me donneroit une proportion différente de celle de M. Descartes; et néanmoins en tentant le problème, qui est assez difficile, dix ans après, j'ai trouvé justement la même proportion que M. Des- cartes. Si j'ai dit un mensonge, n'ai-je pas quelque raison de prétendre que c'est un de ces mensonges fameux desquels il est dit dans le Tasse , comme

je vous ai déjà écrit ,

Quando sara il vero

Si bello, che si possa à ti preporre.

En voilà de reste ; je croise les armes : per- mettez-moi seulement, s'il vous plaît, d'as- surer ici M. Ghanut , et M. l'abbé d'Issoire , son

5 1 8 LETTRES.

fils, de mon obéissance très humble; je n'ai pas l'honneur d'être connu du père, mais pourquoi serois-je le seul de toute l'Europe qui n'aurois pas une entière vénération pour lui. Je suis , etc.

a

LETTKE DE M. CLERSELIER,

-

QUI FUT LUE D ANS l' ASSEMBLÉE DE M. DE MONTMOR , LE I 3 JUILLET l658, SOUS LE NOM DE M. DESCAETES , ET COMME SI C'EUT ÉTÉ LUI QUI LEUT AUTREFOIS ÉCRITE A QUELQUUN DE SES AMIS, SERVANT DE RÉPONSE AUX DIFFICULTÉS QUE M. DE ROBERVAL Y AVOIT PROPOSÉES EN SON ABSENCE , TOUCHANT LE MOUVEMENT DANS LE PLEIN. >

(Lettre 97 du tome III.)

Monsieur,

J'ai déjà tâché autant que j'ai pu de résoudre ou plutôt de prévenir les difficultés que vous me faites, touchant l'impossibilité du mouvement des parties de la matière dans le plein, ayant éclairci* ce me semble, assez nettement , en divers endroits de mes Principes, selon que mon sujet m'y a porté, toutes les choses qui pouvoient y faire concevoir de la répugnance ou de la difficulté : mais pource- que je vois que , quelque soin que j'aie pris , je n'ai

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LETTRES. 5ig

pourtant pu faire que des personnes très habiles ne soient tombées dans les mêmes difficultés, je veux ici faire mon possible pour les ôter entière- ment; et pourceque je juge que cela ne procède que faute de bien comprendre toute l'économie de mon système, et la suite des raisons qui servent à faire concevoir comment cela est possible, je vous remettrai ici devant} les yeux tout ce que je ju- gerai nécessaire à cet effet , et qui m'a fait avoir des pensées toutes contraires aux vôtres, et trouver de la facilité vous ne trouvez que de la répu- gnance. Si tous ceux qui ont quelque chose à m'objecter vouloient en user comme vous , je me suis assez déclaré pour les obliger à croire que je ferois tout mon possible pour les satisfaire; mais la plupart se contentent de me condamner sans m'ouïr et faute de m'entendre; et quelques uns se- roient bien aises de se divertir par des disputes sans fin , et par des discours dont le sens s'évanouit aussitôt que le son des paroles, à quoi je vous confesse que je ne me suis jamais voulu soumettre; ce qui sans doute aura pu foire croire ces jours passés , à l'un des plus savants et des plus estimés mathématiciens de la France , que je n'avois eu aucune réponse à faire à ses difficultés (qui res- sembloient entièrement aux vôtres), pour n'avoir pas voulu entrer en contestation avec lui chez une personne de marque, et en assez bonne compagnie;

520 LETTRES.

mais je ne le fis que pour l'obliger à écrire, à quoi je le conviai , ce que pourtant je n'ai pu encore obtenir de lui jusques à présent : de sorte que s'il a lieu de se vanter que je fus lors sans repar- tie, je puis aussi de mon côté me glorifier que je l'ai réduit à n'oser écrire. Mais, en attendant qu'il s'y soit disposé , je veux vous divertir et moi aussi par la réponse que j'ai à vous faire , arrêtant tantôt votre esprit sur la considération des êtres de ce monde, et tantôt le faisant promener dans un monde tout nouveau.

Premièrement, je remarque que tous les corps de l'univers sont composés d'une même matière, et que cette matière ne consiste qu'en l'étendue, en longueur, largeur et profondeur, qui est telle que chacune de ses parties occupe toujours un espace tellement proportionné à sa grandeur, qu'elle n'en sauroit remplir un plus grand, ni se resserrer dans un moindre, ni souffrir que pen- dant qu'elle y demeure quelque autre y trouve place.

2. J'ajoute que cette matière peut être divisée en un nombre indéfini de parties, chacune des- quelles est capable d'une innombrable variété de figures et de mouvements.

3. Je ne mets aucune différence réelle entre cette matière et ce que les philosophes ont cou- tume de nommer espace; à cause que je ne cou-

LETTRES. 521

çois l'un et l'autre que sous la notion d'une chose étendue en longueur, largeur et profondeur. Et quand on y en voudroit établir quelqu'une, elle seroit de nulle importance pour mon dessein , qui est d'expliquer nettement les raisons de tous les effets de la nature ; puisque je ne parle jamais de cet espace que comme d'une chose abstraite, que mon esprit considère ; et que je suppose cette ma- tière comme un vrai corps parfaitement solide, qui remplit entièrement et également toutes les longueurs, largeurs et profondeurs de ce grand et immense espace que les philosophes appellent imaginaire, et qu'ils nous disent être infini: et de vrai ils doivent bien en être crus, puisque ce sont eux-mêmes qui l'ont fait.

4- Il est aisé de voir que je ne puis admettre de vide, puisque ce vide qu'on me voudroit faire admettre auroit les conditions que je donne à la matière, et partant, selon moi, seroit un vrai corps; et de plus, ayant supposé que la totalité de l'espace est remplie d'un vrai corps, ou d'une matière parfaitement solide , dont les parties ne se peuvent ni étendre ni resserrer, il est impossible que je puisse concevoir aucun vide en la nature.

5. Bien que je suppose que cette matière n'a la forme ni de la terre, ni du feu, ni de l'air, ni d'aucune autre chose plus particulière; non plus que les qualités de chaude, de froide, de sèche %

522 LETTRES.

d'humide, de légère ou de pesante ; et que je ne suppose aussi en elle aucun goût, ou odeur, ou son , ou couleur, ou lumière, ou autre chose sem- blable, dans la nature de laquelle on puisse dire qu'il y ait quelque chose qui ne soit pas évidem- ment connue de tout le monde, il ne faut pas . penser pour cela qu'elle soit cette matière pre- mière des philosophes, qu'on a si bien dépouillée de toutes ses formes et qualités, qu'il n'y est rien demeuré de reste qui puisse être clairement en- tendu : au lieu que la nature que j'attribue à cette matière est si claire, et toutes ses propriétés, à savoir, sa divisibilité, et la grandeur, la figure, la situation et le mouvement de ses parties, si in- telligibles, qu'il n'y a rien que le commun même des hommes conçoive plus clairement et plus distinctement.

6. Mais, pour éviter toute dispute avec les phi- losophes de ce monde , permettez maintenant pour un peu de temps à votre pensée d'en sortir, et de considérer ce qui pourroit arriver dans un autre tout nouveau , si je lui en faisois naître un en sa présence dans les espaces imaginaires , sans y rien supposer de plus que ce que j'ai déjà dit; et vous verrez que, sans y recevoir d'autres lois que les lois ordinaires de la nature, elles seront suffisantes pour faire que, les parties de cette vaste matière, ou si vous voulez de ce chaos, se démêlent d'elles-

LETTRES. 525

mêmes , et se disposent en si bon ordre , qu'elles auront la forme d un monde très parfait, et dans lequel on pourra voir non seulement de la lumière, mais aussi toutes les autres choses tant générales que particulières qui paroissent dans ce vrai monde.

7. Avant que je vous explique ceci plus au long ( ce que je pourrai faire quelque jour , puisque vous m'en priez, me contentant aujourd'hui de parler de ce qui peut servir à l'éclaircissement de vos difficultés présentes), arrêtez-vous un peu à con- sidérer ce chaos, et remarquez qu'il ne contient au- cunechose qui ne vous soit si parfaitement connue, que vous ne sauriez pas même feindre de l'ignorer. Car pour les qualités que j'y ai mises, si vous y avez pris garde, je les ai seulement supposées telles que vous les pouvez imaginer ; et pour la matière dont je l'ai composé , il n'y a rien de plus simple ni de plus facile à connoître dans les créatures inani- mées; et son idée, à savoir l'étendue, est tellement comprise dans toutes celles que notre imagination peut former, qu'il faut nécessairement que vous la conceviez, ou que vous n'imaginiez jamais au- cune chose.

8. Toutefois, pourceque les philosophes sont si subtils, qu'ils trouvent des difficultés dans les choses qui semblent les plus claires aux autres hommes , et que le souvenir que vous avez de leur matière première ( qu'ils confessent eux-mêmes être

5^4 LETTRES.

assez malaisée à concevoir ) vous pourroit divertir de la connoissance de celte dont je parle , il faut que je vous dise en cet endroit que , si je ne me trompe , toute la difficulté qu'ils éprouvent dans la leur ne vient que de ce qu'ils la veulent dis- tinguer de sa propre quantité et de son étendue extérieure. Toutefois je veux bien qu'ils croient avoir raison , car je n'ai pas dessein de m'arrèter à leur contredire; mais ils ne doivent pas aussi trou- ver étrange si je suppose que la quantité de la matière que j'ai décrite ne diffère non plus de sa substance que le nombre fait des choses nombrées; et si je considère son étendue , ou la propriété qu'elle a d'occuper de l'espace , non point comme un accident^ mais comme sa vraie forme et son essence ; car ils ne sauroient nier qu'elle ne soit très facile à concevoir en cette sorte. Et mon des- sein n'est pas aujourd'hui devons expliquer comme eux les choses qui sont en effet dans le vrai monde; mais seulement d'en feindre un à plaisir , dans le- quel il n'y ait rien que les plus grossiers esprits ne soient capables de concevoir, et qui puisse tou- tefois être créé tout de même que je l'aurai feint. Si j'y mettois la moindre chose qui fût obscure, il se pourroit faire que parmi cette obscurité il y au- roit quelque répugnance cachée , dont je ne me serois pas aperçu , et ainsi que sans y penser je sup- poserois une chose impossible; au lieu que pou-

LETTRES. 525

vaut distinctement imaginer tout ce que j'y mets, il n y a point de doute qu'encore qu'il n'y eût rien de tel dans l'ancien monde, Dieu le pourroit tou- tefois créer dans un nouveau ; car il est certain qu'il peut créer toutes les choses que nous pou- vons clairement et distinctement imaginer.

9. C'est pourquoi je me garderai bien, comme ont fait quelques uns , de supposer en la composition d'un système des choses qui soient autant ou plus difficiles à concevoir que ce qu'ils prétendent ex- pliquer par elles ; ainsi je n'ai garde de supposer que le soleil soit extrêmement chaud, ni que la matière dont le monde est composé soit fluide, liquide, perméable et diaphane , et qu'avec cela elle a cette vertu de pouvoir être raréfiée , ou condensée , se- lon que la chaleur est plus forte ou plus foible; et beaucoup moins, que toute la matière de l'univers , et chacune de ses parties, a une certaine propriété par la vertu de laquelle toute cette matière s'unit et s'assemble en un seul corps continu, dont toutes les parties ont inclination et font effort pour se joindre les unes aux autres , en s'attirant récipro- quement l'une l'autre ; en sorte que chaque partie de la terre , ou de l'air , ou de l'eau , ou de quel- qu'autre planète , a en soi deux vertus semblables, l'une qui les joint avec les autres parties de leur planète , et l'autre qui les unit avec le reste des parties de l'univers , sans que l'une de ces deux

52Ô LETTRES.

propriétés empêche l'effet de l'autre ; car toutes ces choses me semblent avoir besoin de grande explication , et la plupart même me semblent in- concevables, à moins que d'admettre dans les par- ties delà matière une intelligence et une puissance toutes divines ; outre que ceux-là mêmes qui sup- posent toutes ces qualités dans la matière dont l'univers est composé n'ont pu encore bien expli- quer jusques ici ce qu'ils entendent par la matière, sans quoi néanmoins tout ce qu'ils disent ne sauroit passer tout au plus que pour de pures suppositions, qui n'ont point la clarté que doit avoir un prin- cipe , et qui ne peuvent servir à faire connoître au- cune chose.

1 o. Mais pour venir à vos difficultés , la première chose que je désire que vous remarquiez est la dif- férence qui est entre les corps durs et ceux qui sont liquides ; et pour cet effet, pensez que chaque corps peut être divisé en des parties extrêmement petites. Je ne veux pas déterminer si leur nombre est in- fini ou non , mais à tout le moins il est certain qu'au regard de notre connoissance il est indéfini; et que nous pouvons supposer qu'il y en a plusieurs milliers dans le moindre petit grain de sable qui puisse être aperçu de nos yeux. Et remarquez que si deux de ces petites parties s'entre-touchent sans être en action pour s'éloigner l'une de l'autre, il est besoin de quelque force pour les séparer tant

LETTRES. 527

peu que ce puisse être; car étant une fois ainsi posées , elles ne s aviseroient jamais de s'en ôter d'elles-mêmes. Remarquez aussi qu'il faut deux fois autant de force pour en séparer deux que pour en séparer une , et mille fois autant pour en séparer mille , de sorte que s'il en faut séparer plusieurs milliers tout à la fois , comme il faut peut-être faire pour rompre un seul cheveu, ce n'est pas mer- veille s'il y faut une force assez sensible ; mais au contraire, si deux ou plusieurs telles parties se touchent seulement en passant, et lorsqu'elles sont en action pour se mouvoir l'une d'un côté, l'autre de l'autre, il est certain qu'il faudra moins de force pour les séparer que si elles étoient tout-à-fait sans mouvement; et même qu'il n'y en faudra point du tout si le mouvement avec lequel elles se peuvent séparer d'elles-mêmes est égal ou plus grand que celui avec lequel on les veut séparer. Or je ne trouve point d'autre différence entre les corps durs et les liquides , sinon que les parties des uns peuvent être séparées d'ensemble beaucoup plus aisément que celles des autres ; car même celles des corps les plus durs peuvent être séparées par une force capable de vaincre leur résistance : de sorte que, pour composer le corps le plus dur qui puisse être imaginé, je pense qu'il suffit si toutes ses parties se touchent sans qu'il reste d'espace entre deux, ni qu'aucune d'elles soit en action pour se mouvoir.

528 LETTRES.

Car quelle colle ou quel ciment y pourroit-on ima- giner, outre cela, pour les faire mieux tenir lune à l'autre. Je pense aussi que c'est assez pour composer le corps le plus liquide qui se puisse trouver, si toutes ses plus petites parties se re- muent le plus diversement Tune de l'autre, et le plus vite qu'il est possible, encore qu'avec cela elles ne laissent pas de se pouvoir toucher Tune l'autre de tous côtés, et se ranger en aussi peu d'espace que si elles étoient sans mouvement.

1 1. Car souvenez-vous que tous les corps, tant durs que liquides, sont faits d une même matière; et qu'il est impossible de concevoir que les parties de cette matière composent jamais un corps plus solide, c'est-à-dire qui occupe moins d'espace qu'elles font lorsque chacune d'elles est touchée de tous cotés par les autres qui l'environnent. D'où il suit, ce me semble, que s'il peut y avoir du vide quelque part, ce doit plutôt être dans les corps durs que dans ceux qui sont parfaitement liquides; car il est évident que les parties de ceux- ci se peuvent bien plus aisément presser et agen- cer Tune contre l'autre, à cause qu'elles se remuent sans cesse, que non pas celles des autres qui sont sans mouvement; et par exemple, si vous mettez de la poudre dans quelque vase , vous le secouez et frappez contre, pour faire qu'il y en entre da- vantage; mais si vous y versez quelque liqueur,

LETTRES.

elle se range incontinent d'elle-même en aussi peu de lieu qu'on la peut mettre.

1 2. Je me souviens bien de la difficulté que vous me faites là-dessus, qui est assez considérable; c'est à savoir que les parties qui composent les corps liquides ne peuvent pas, ce semble, se remuer incessamment, comme j'ai dit qu'elles font, si ce n'est qu'il se trouve de l'espace vide parmi elles, au moins dans les lieux d'où elles sortent à me- sure qu'elles se remuent. Mais à cela, j'ai deux choses à repartir, qui doivent, à mon avis, satis- faire toute personne qui veut écouter la raison, et non pas se faire des obstacles invincibles de ses difficultés. La première est la connoissance parfaite de la nature des trois éléments de ce monde telle que je l'ai décrite, et la seconde est la façon que gardent les corps en se remuant.

13. Pour celle-ci, je n'ai pas seulement connu par la raison , mais j'ai même reconnu par diverses expériences que tous les mouvements qui se font au monde sont en quelque façon circulaires, c'est-à-dire que quand un corps quitte sa place, il entre toujours en celle d'un autre, et ainsi de suite jusques au dernier, qui occupe au même in- stant le lieu délaissé par le premier; en sorte qu'il ne se trouve pas davantage de vide parmi eux lorsqu'ils se meuvent que lorsqu'ils sont arrêtés.

Et remarquez ici qu'il n'est point pour cela néces- 10. 34

530 LETTRES.

saire que toutes les parties des corps qui se meu- vent ensemble soient exactement disposées en rond comme un vrai cercle, ni même qu'elles soient de pareille grosseur ou figure ; car ces inégalités peuvent être récompensées par d autres inégalités qui se trouvent en leur vitesse; et par la facilité que les parties les plus subtiles et les plus déliées des corps liquides, qui peuvent bien n'être pas toutes égales, ont à se diviser. Or on ne remarque pas communément ces mouvements circulaires, quand les corps se meuvent dans l'air, d'autant que la plupart sont accoutumés à ne concevoir l'air que comme un espace vide; mais voyez nager des poissons dans le bassin d'une fontaine , s'ils ne s'approchent point trop de la surface de l'eau, ils ne la feront aucunement branler, encore qu'ils passent dessous de tous côtés avec une très grande vitesse: d'où il paroît manifestement que l'eau qu'ils poussent devant eux ne pousse pas indif- féremment toute l'autre, mais seulement celle qui peut mieux servir à parfaire le cercle du mouve- ment , et rentrer en la place qu'ils laissent ; et cette expérience seule suffit pour montrer combien ces mouvements circulaires sont aisés et familiers à la nature. Et la raison nous montre qu'il ne s'en peut faire d'autres, à cause que tout étant aussi plein qu'il sauroit être, un corps ne peut quitter sa place qu'il n'entre dans celle d'un autre, lequel

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LETTRES. 55 1

doit enfin venir occuper la place abandonnée par le premier, comme n'y en ayant point d'autre il se puisse mettre en tout le reste de l'univers.

14. Enfin, je n'ai plus qu'à expliquer la nature que j'attribue à chacun des éléments, afin que vous la puissiez une fois bien concevoir; car toutes vos difficultés ne viennent que faute de cela. Je conçois le premier comme une liqueur la plus subtile et la plus pénétrante qui soit au monde; et ensuite de ce que je vous ai dit ci-devant, touchant la nature des corps liquides , je m'imagine que ses parties sont beaucoup plus petites, et se remuent beaucoup plus vite qu'aucunes de celles des autres corps; ou plutôt , pour bannir tout-à-fait le vide de la nature , et pour ôter même toutes les chi- canes que les plus difficiles et les plus scrupuleux me pourroient faire là-dessus , je n'attribue à ses parties aucune grosseur ou figure déterminée, mais je me persuade que l'impétuosité de son mouvement est suffisante pour faire qu'il se divise en toutes façons et en tous sens par la rencontre des autres corps, et que ses parties changent de figure à tous moments, pour s'accommoder à celles des lieux elles entrent; en sorte qu'il n'y a ja- mais de passage si étroit, ni d'angle si petit entre les parties des autres corps, celles de cet élé- ment ne pénètrent sans aucune difficulté, et qu elles ne remplissent exactement. Pour le second

34.

532 LETTRES.

élément 9 je le conçois bien aussi comme une li- queur très subtile, en le comparant avec le troi- sième; mais pour le comparer avec le premier, il est besoin d'attribuer quelque grosseur et quel- que figure à chacune de ses parties, et de les ima- giner à peu près toutes rondes, et jointes ensem- ble ainsi que des grains de sable ou de poussière; en sorte quelles ne peuvent si bien s agencer, ni tellement se presser Tune contre l'autre, qu'il ne demeure toujours autour d'elles plusieurs petits intervalles , dans lesquels il est bien plus aisé au premier élément de se glisser, que non pas à elles de changer de figure tout exprès pour les remplir: et ainsi je me persuade que ce second élément ne peut être si pur en aucun endroit du monde, qu'il n y ait toujours avec lui quelque peu de la matière du premier. Après ces deux éléments, je n'en reçois qu'un troisième, duquel je juge que les parties sont d'autant plus grosses, et se meuvent d'autant moins vite à comparaison de celles du second , que font celles-ci à comparaison de celles du premier; et même je crois que c'est assez de le concevoir comme une ou plusieurs grosses masses dont les parties n'ont que fort peu ou point du tout de mouvement qui leur fasse changer de situation au respect Tune de l'autre.

i5. Et remarquez que ce n'est pas sans raison que je ne reçois point d'autres éléments que ces

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LETTRES. 535

trois que j'ai décrits; car la différence qui est en- tre eux et les autres corps que les philosophes ap- pellent mixtes ou composés, consiste en ce que les formes de ces corps mêlés contiennent toujours en soi quelques qualités qui se contrarient et qui se nuisent , ou du moins qui ne tendent point à la conservation l'une de l'autre, au lieu que les formes des éléments doivent être simples, et n'a- voir aucunes qualités qui ne s'accordent ensemble si parfaitement , que chacune tende à la conserva- tion de toutes les autres. Or c'est ce qui se ren- contre dans les formes de ces trois éléments. Mais si vous examinez toutes les formes que les divers mouvements, grosseurs, figures et arrangement des parties de la matière peuvent donner aux corps mêlés, je m'assure que vous n'en trouverez aucune qui n'ait en soi des qualités qui tendent à faire qu'elle se change, et en se changeant qu'elle se ré- duise à quelqu'une de celles de ces éléments.

Mais de plus, comme je ne reçois que trois élé- ments, de même aussi, si nous considérons géné- ralement tous les corps dont l'univers est com- posé, nous n'en trouverons que de trois sortes qui puissent être appelés grands et nombres entre ses principales parties, à savoir, le soleil et les étoiles fixes pour le premier, les cieux pour le second, et la terre avec les planètes et les comètes pour le troisième. C'est pourquoi nous avons

534 LETTRES.

grande raison de penser que le soleil et les étoiles fixes n'ont point d'autre forme que celle du pre- mier élément tout pur ; les cieux, celle du second, et la terre avec les planètes et les comètes, celle du troisième. Et pour les corps mêlés, nous n'en apercevons en aucun autre lieu que sur la super- ficie de la terre ; et si nous considérons que tout l'espace qui les contient, à savoir, tout celui qui est depuis les nues les plus hautes jusques aux fosses les plus profondes, est extrêmement petit à comparaison de toute la terre et des immenses étendues du ciel, nous pourrons facilement nous imaginer que ces corps mêlés ne sont tous ensem- ble que comme une petite écorce qui s'est engen- drée au-dessus de la terre, par l'agitation et le mélange de la matière du ciel qui l'environne; de sorte qu'il ne peut y avoir de corps mêlés ailleurs que sur les superficies de ces grands corps; mais il semble que il faille de nécessité qu'il y en ait : car les éléments étant chacun de nature fort con- traire , il ne se peut faire que deux d'entre eux s'en- tretouchent, sans qu'ils agissent contre les super- ficies l'un de l'autre, et donnent ainsi à la matière qui y est les diverses formes de ces corps mêlés.

16. C'est assez pour ce coup vous entretenir du gros de mon système : je reviens à vos difficultés qui doivent, ce me semble, être maintenant levées. Je demeure d'accord avec vous que chaque partie

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LETTRES. 535

de la matière du premier élément, la plus petite qui soit , considérée dans l'état qu'elle est au mo- ment qu'on la considère, est figurée , et aussi solide qu'elle puisse être ; mais vous ne devez pas con- fondre la notion de solide avec celle de dur. Car, par exemple, le soleil est très solide, et néanmoins il est le corps le moins dur, et le plus liquide qui soit, puisqu'il est composé de la matière la plus subtile, la plus fluide et la plus pénétrante que nous puissions imaginer; et dont chaque partie prise à part, et considérée toute seule, ne doit pas non plus être appelée dure, à cause qu'elle n'a point de grosseur ni de figure déterminée, mais qu'elle se peut diviser à tous moments en plusieurs diverses façons ; ce qui est le propre des corps li- quides et non pas des corps durs. J'accorde aussi que chaque petite partie du premier élément ne se pourroit mouvoir , au moins d'un mouvement direct , si toutes celles qui la touchent immédia- tement étoient dans le repos , et ne lui pouvoient faire passage. Mais il ne faut pas simplement con- sidérer chaque partie dans l'état présent elle est, il faut aussi que vous considériez celles entre les- quelles elle est, dans l'état présent elles sont; et poureeque toutes ensemble elles composent un corps parfaitement liquide , toutes sont dans le mouvement, toutes disposées à céder leur place, et toutes sans aucune figure déterminée; de sorte

536 LETTRES.

que si chaque petite partie a quelque figure dans le moment auquel vous la considérez , comme de vrai elle en a une, elle n'est point pour cela obligée de la garder dans le moment suivant, si la détermination son mouvement la porte l'o- blige à changer sa figure pour s'accommoder à celle des lieux elle doit entrer. Car, si vous vous en souvenez, je vous ai dit que chaque partie de la matière du premier élément étoit si petite, et d'ailleurs se mouvoit si vite, que la seule im- pétuosité de son mouvement étoit suffisante pour faire qu'elle se divisât, rompît, brisât, ou s'éca- chât en toutes façons et en tous sens par la ren- contre des autres corps. Il n'est donc pas besoin d'aller jusques au bout du monde pour trouver le cercle qui se doit faire, afin que la moindre partie de la matière du premier élément se meuve ; car sans être obligée d'imprimer aucun mouvement dans pas une autre , elle se peut mouvoir à son aise dans la place même que ses voisines sont dis- posées à lui céder en se remuant; et pour rendre la chose plus intelligible par un exemple sensible, quand vous faites mouvoir un bâton en ligne droite , il est certain que lorsque sa première partie A se remue et qu'elle a avancé d'un pouce, sa seconde partie B en même temps a aussi avancé d'un pouce, et a justement rempli sa place, la- quelle a été occupée par celle marquée C, et ainsi

LETTRES. 557

de suite jusques au bout du bâton ; et l'espace délaissé par la dernière du bâton a été aussi en même temps rempli par autant d'air que la pre- mière avoit chassé vers quand le bâton a com- mencé à se mouvoir; non qu'il soit nécessaire que le bâton ait donné aucun mouvement à l'air, mais seulement il a pu déterminer celui que l'air avoit déjà à faire pour qu'il s'allât ranger à la place que l'extrémité du bâton délaissoit. De sorte que si vous avez bien compris la nature que j'attribue à la matière subtile; et comment se font les mouve- ments circulaires, qui ne doivent point nécessai- rement être ni des ovales ni de vrais cercles , mais qui ne sont appelés circulaires qu'à cause que leur mouvement finit il avoit commencé , quel- que irrégularité qui se trouve dans le milieu; et aussi que toutes les inégalités qui peuvent être dans la grosseur et dans la figure des parties peuvent être récompensées par d'autres inégalités qui se trouvent en leur vitesse, et par la facilité que les parties de la matière subtile, ou du pre- mier élément, qui se trouvent mêlées partout, ont à se diviser et à accommoder leur figure à celle de l'espace qu'elles doivent remplir, je m'as- sure qu'il ne vous restera plus aucune difficulté touchant le mouvement des parties de la matière dans le plein. J'aurois poussé la chose plus avant , si j'eusse eu affaire à quelque personne moins

55S LETTRES.

docile que vous, et plus résolue a contredire; mais j'aime mieux vous laisser cela à méditer un peu , pour y accoutumer votre esprit , et pour délasser le mien , à qui il ne reste plus de force ni d'haleine que pour vous dire que je suis , etc.

A M. DE LA FORGE,

MÉDECIN A SAUMUR.

OBSERVATIONS DE M. CLERSEL1ER ,

TOUCHANT LACTION DE LAME SUR LE CORPS.

(Lettre 125 du tome III.)

A Paris , le 4 décembre i6Go.

Monsieur ,

Je ne sa vois pas encore que vous fussiez un si bon maître d'escrime ; car je vois que vous ne vous contentez pas d'esquiver ou de parer aux coups de civilité qu'une juste connoissance que j'ai de votre mérite m'avoitfait vous porter ; vous les repoussez contre moi si vivement , que vous me mettez tout hors de garde , et m'ôtez le moyen de m'en défen-

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LETTRES. 539

dre; mais je veux bien recevoir en moi les coups d'une main si adroite , si officieuse et si agréable que la vôtre , et me confesser à présent vaincu , pour n'avoir pas la honte de l'être plus d'une fois. Trêve donc, s'il vous plaît, désormais de tout com- pliment entre nous.

Ce que j'ai maintenant à vous dire est que je vois fort peu de différence entre ce que vous pensez de la façon dont 1 ame et le corps agissent l'un sur l'autre , et ce que je vous ai fait voir que je pensois là-dessus. Je trouve comme vous que la force qui meut, et même celle qui ne fait que dé- terminer à son gré et comme il lui plaît le mou- vement , ne dit rien en soi de corporel , et partant je ne trouve point d'inconvénient qu'elle puisse appartenir à l'âme. Bien plus, je trouve que cette force n'est point du tout du ressort du corps, mais qu'elle doit nécessairement venir d'ailleurs , pour avoir son effet dans le corps : car l'essence du corps ne consistant que dans l'étendue en longueur, largeur et profondeur , je trouve ensuite que cette étendue a bien de sa nature d'être divisible en plu- sieurs parties, et ces parties d'être capables de mouvement; si bien qu'un corps en particulier est de soi capable d'être mû, mais non pas de se mou- voir soi-même , ni de mouvoir un autre corps, si- non en tant que déjà il est ; et ainsi le principe du mouvement est hors du corps.

540 LETTRES.

Mais comme nous ne connoissons que deux sortes de substances, lune spirituelle et l'autre corporelle , il est nécessaire que toutes les proprié- tés que nous reconnoissons avoir quelque existence appartiennent à lune ou à l'autre de ces deux sub- stances , et partant que celles que nous reconnois- sons ne point appartenir à la substance corporelle, comme celle de donner le premier mouvement au corps , ou de lui en imprimer un tout nouveau qui augmente la quantité de celui qui est déjà dans le monde , appartiennent à la substance spi- rituelle.

Mais à quelle substance spirituelle ? A la finie , ou à l'infinie ? Je dis qu'il n'y a que l'infinie seule qui soit capable d'imprimer le premier mouvement au corps ; mais que la finie , comme l'âme de l'homme , peut seulement être capable de déter- miner le mouvement qui est déjà. Dont la raison est que je ne reconnois point d'autre puissance capable de créer, ou de faire qu'une chose qui n'est point soit et existe, que celle de Dieu; à cause que la distance infinie qu'il y a du néant à l'être ne peut être surmontée que par une puissance qui soit actuellement infinie.

Vous me direz peut-être que le mouvement n'é- tant qu'un mode de la matière, lequel suppose déjà son sujet, au moins par un ordre de nature, il n'est pas besoin d'une si grande puissance pour l'y

LETTRES. 54l

introduire; la matière de sa nature étant divisible , et sans répugnance à le recevoir.

Mais à cela je réponds que comme, avant que la matière fût , il falloit la voix toute-puissante du Créateur pour la faire sortir du néant elle étoit; de même , pour mouvoir ou animer cette matière, et faire sortir de son néant le principe général et universel de toutes les formes , il ne faut pas moins que la même voix; et celle d'aucun autre esprit ne sauroit être assez forte pour se faire entendre et obéir, à moins que la volonté du Créateur ne se trouve jointe avec la sienne. Car quelles que puis- sent être les propriétés de cette matière , elles ne sauroient être autres que Dieu Ta voulu ; et ainsi quand il seroit vrai qu'à la voix d'un ange , c'est- à-dire au désir de sa volonté , la matière auroit été mue et divisée la première fois , sa voix n'au- roit été que l'instrument de celle de Dieu , de qui la vertu seule auroit opéré cette merveille, n'étant pas possible que le néant du mouvement obéisse qu'à une puissance infinie.

Il n'en est pas de même de la détermination du mouvement , qui n'ajoute rien de réel dans la nature , et qui ne dit rien de plus que le mouve- ment même , lequel ne peut être sans détermina- tion. Si bien que ce n'est pas merveille que l'âme ait la faculté de le déterminer, ainsi que notre propre expérience nous convainc qu'elle a; car

542 LETTRES.

cela n'empêche pas que Dieu ne soit l'auteur de toutes les formes qui arrivent successivement à la matière , qui sont toutes des effets, des suites et des dépendances du mouvement qu'il y a introduit et qu'il y conserve, et qu'ainsi il ne soit véritable- ment créateur de toutes choses.

De savoir maintenant comment se fait cette dé- termination , il est vrai que nous n'avons pas con- noissance de quelle façon notre âme envoie les esprits animaux dans les nerfs, et ensuite dans les muscles, pour mouvoir nos membres conformé- ment à nos volontés : mais, comme nous enseigne notre maître, il ne faut pas s'en étonner; car cette façon ne dépend de lame seule, mais de l'union qui est entre 1 ame et le corps; union qui ne dé- pend pas non plus d'elle, et dont tous les effets ou les suites sont pour cela même en quelque façon con- fuses et obscures à 1 ame ; d'où vient qu'il appelle nos sensations des pensés confuses. Et néanmoins, si nous y voulons prendre garde , nous avons con- noissance de toute cette action par laquelle l'âme meut les membres , en tant qu'une telle action est dans l'âme, et dépend d'elle; puisque ce n'est rien autre chose en elle que l'inclination de sa volonté k un tel ou tel mouvement, laquelle inclination lui est claire , et n'a rien d'obscur. Mais que cette inclination de sa volonté soit suivie du cours des esprits dans les nerfs et dans les muscles, et de

LETTRES. 543

tout ce qui est requis pour ce mouvement, cela n'arrive pas simplement parcequ'elle le veut, au- trement notre volonté seroit toujours exécutée, et le corps ne seroit jamais paralytique (car quand est-ce que notre Ame a jamais plus de volonté de faire mouvoir le corps auquel elle est jointe , que lorsqu'il n'est pas en état de lui obéir); mais cela arrive à cause de la convenable disposition le corps se trouve quand notre âme veut et se dé- termine à quelque mouvement , de laquelle dispo- sition elle peut bien n'avoir point de connoissance.

Mais ce n'est pas tout ; car il faut outre cela que l'âme soit unie à ce corps qui est bien dis- posé; d'autant que 1 ame n'a point de pouvoir sur le corps le mieux disposé du monde auquel elle n'est point unie. Mais quoique notre âme ne con- noisse pas la manière de son union , elle ne peut pourtant pas méconnoître l'union qui est entre son corps et elle; ce qu'elle témoigne assez par les dé- terminations de sa volonté, qui se portent toutes à mouvoir le corps auquel elle sait être jointe, et non pas les autres.

Ce n'est pas encore assez que le corps soit bien disposé, ni que notre âme lui soit jointe , afin que de l'inclination de notre volonté il s'ensuive un mouvement dans le corps ; il faut de plus que ce mouvement soit joint naturellement avec la vo- lonté que nous avons (ce qui montre que cette

544 LETTRES.

liaison ne vient pas de nous , puisque nous n'en sommes pas les maîtres, et partant qu'elle vient de l'auteur de cette union ) : car nous pouvons avoir moins de volontés qui ne seront point suivies de leurs effets , quoique notre corps ne manque pas de disposition pour les exécuter; par exem- ple , ayons , tant qu'il nous plaira , la volonté d'ex- citer dans notre corps cette disposition qui cause en nous le sentiment de la joie ou de la tristesse , nous n'en viendrons jamais à bout, quoique notre, corps ne manque pas de disposition pour cela, puisqu au moindre sujet qui se présente, c'est-à- dire à la moindre pensée à laquelle ce mouvement ou changement du corps est naturellement joint r il ne manque pas d'en prendre aussitôt la disposi- tion.

On ne peut pas dire aussi que notre âme soit jointe et unie à un corps , quoiqu'il se meuve con- formément à sa volonté, à moins que ce mouve- ment ne suive immédiatement de sa volonté, et que l'âme avec cela ne connoisse qu'elle lui est unie par un sentiment ou perception qu'elle ne peut pas ne point connoître. Car, par exemple, quand je remue un bâton , ou une plume, comme je fais à présent, quoique cette plume se remue conformément à ma volonté, son mouvement ne vient pourtant pas immédiatement de ma volonté, puisque ce n'est que par l'entremise de ma main

LETTRES.

qu elle se remue ; et si un chien vient quand on l'appelle , quoique en cette rencontre il fasse ce que notre volonté veut , nous savons pourtant bien par notre propre expérience que notre âme n'est pas unie au corps de ce chien; aussi faut-il em- ployer ou la main ou la voix, ou quelque autre signe extérieur pour le faire venir vers nous , et non pas seulement la pensée, ou l'acte intérieur de notre volonté, laquelle suffit pour mouvoir le corps bien disposé auquel notre âme est jointe, quand ce mouvement est naturellement joint avec la pensée ou la volonté que nous avons.

Ce n'est pas que je ne croie que l'âme peut être unie à un corps sans qu'il y ait aucune apparence extérieure de cette mutuelle correspondance d'ac- tion et de passion qui est entre l'un et l'autre, et sans qu'il en reste aucun souvenir; cela se recon- noît dans la léthargie, nous ne pouvons pas désavouer que pour lors l'âme ne laisse pas d'être unie au corps , quoique le commerce qui a cou- tume d'être entre l'un et l'autre semble presque tout interrompu, et que nous n'ayons aucune sou- venance de tout ce qui s'est alors passé dans notre âme à l'occasion du corps. Mais je ne puis pour- tant croire que l'âme ne s'aperçoive toujours de l'union qu'elle a avec le corps auquel elle est jointe, quand elle y fait réflexion. Et de cette per- ception résulte en l'âme une connoissance que ce

35

546 LETTRES.

corps lui appartient d'une autre manière, plus proche et plus particulière, que tous les autres qui sont au monde; elle connoît que cette union le rend et le fait sien, et que c'est par elle et à cause d'elle seulement que ce corps est en effet et réellement son propre et véritable corps.

Que si après cela nous voulions aller plus avant, pour savoir comment notre âme, qui est incorpo- relle, peut mouvoir le corps, M. Descartes ajoute fort judicieusement au même lieu qu'il n'y a ni raisonnement ni comparaison tirée des autres choses qui nous le puisse apprendre , mais que néanmoins nous n'en pouvons douter, puisque des expériences très certaines et très évidentes ne nous en convainquent que trop tous les jours. Et il faut bien prendre garde que c'est une de ces choses qui sont connues par elles-mêmes, et que nous obscurcissons toutes les fois que nous les voulons expliquer par d'autres. Et la raison qui me fait acquiescer à ce sentiment de M. Des- cartes est que je trouve que nous ne devons et ne pouvons non plus connoitre comment le spiri- tuel agit sur le corporel, ou le corporel sur le spi- rituel, que nous pouvons connoitre comment Dieu a créé toutes choses, comment il s'est fait enten- dre et obéir par le néant, bref comment il agit hors de lui; car ce sont des effets de sa toute-puissance et de sa sagesse, qui sont au-dessus de la portée

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LETTRES. 5^7

de nos esprits; n'étant pas possible que des esprits finis comme les nôtres puissent connoître la ma- nière d'agir de l'esprit infini, ni que la créa- ture puisse comprendre comment elle est sortie des mains de son créateur. La créature peut bien connoître et admirer l'effet de sa toute-puissance en se voyant et se regardant quand elle est, mais elle n'a pu connoître avant qu'elle fut la manière dont il s'est servi pour la faire être ; de même aussi l'âme peut bien connoître et admirer l'effet de son union avec le corps, et le pouvoir réciproque qu'ils ont l'un sur l'autre, mais elle ne peut pas rendre raison de son union ni de ses effets; car n'y ayant aucun rapport ou affinité entre les pro- priétés de l'un et de l'autre, c'est-à-dire entre les mouvements du corps et les pensées de l'âme, l'union qui est entre les uns et les autres ne peut avoir d'autre cause que la volonté de celui qui les a joints et unis ensemble, et il n'y a que la seule expérience qui nous puisse apprendre quelle est cette union. Je suis , etc.

FIN DU TOME DIXIÈME.

55.

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TABLE

DES LETTRES CONTENUES DANS LES TOMES VI A X.

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Rxiubqvi. Lei lettres de Descarte* te trouvant classées suivant l'ordre de date dans cette

nouvelle édition , il a paru nëceuaîre d'établir, par une table, la concordance de ce nouve ordre avec celui qui a été tuivi dan* la première édition in-4°f imprimée en 1666. Le* chif- fre* entre parenthèces sont les numéros du volume et de la page de celte première édition.

- -

ANNÉE 1629.

A M. Febbibb, sur les lunettes. ( III, 98. ) Tome VI , page 5 Au même, idem. ( III , 99. ) -

De M. Fbbbieb, idem. (III» 100.) 13

A M. FxaRtcB, idem. (III, 10a. ) ag

An mèjif , idem. (III, ,02.) 45 A M.***, sur divers sujets de physique et de mathématiques.

(III, 100. ) 47

Ao R. P. Mbesenwb, questions diverses. (II, lia.) 53

Ad même , sur la proposition d'une nouvelle langue. ( 1 , 11 1. ) 6 s

Au m 8MB , questions diverses. ( II, io5. ) yt

ANNÉE 1 630l

99 112

Au R. P. Mbeskjcne, questions diverses. (II, 104. ) Au même , idem. (II, x 10. )

Au msue , idem. ( I , 113.) tg0

A M.***, ( Isaac Bekcmanx ) , touchant son indiscrétion. (II, a.) i£i Au même, sur divers sujets de physique. (II, ia. )

Au R. P. Mkbskwwb, questions divergea. (II, 61.)

A M.*** (Ferbieb), réponse à quelques plaintes. ( II , 6a,) 16a

A on R. P. de l'Oeatqibe, même sujet. (II, 63. )

Ao R. P. Mebskhhe, questions diverse». ( H, 74. ) ,^6

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55o

TABLE.

AN-NÉE 1 63 1 .

Ad K. P. Mkbsbhnb , questions diverses. ( H , 65. ) J79

Ad même, idem. ( II, 66. ) i£5

A M.*f* , jugement sur quelques lettres de Balzac. (I, ioo.) 189

A M. de Balzac, lettre d'amitié. (I, 101. ) 197

Ad même , idem. ( 1 , 102. ) 2oo

A M.**', sur divers sujets de physique. ( III, 1 11. ) ao4

ANNÉE l632.

Ad R. P. Mfksewwe, questions diverses. (Il, 67. ) 108

Au même, idem. (11, 68.) aia

A M.*** (Goûts), sur la géométrie. ( II, 69. )

Ad MâMR,idem. (II, 70..) 220

ANNÉE 1 633.

Ad R. P. Mbbjehhe, questions diverses. \llt 71.) aaj

Ao même, idem. ( 1 1, ga. ) 226

Al mi'mk , idem. (II, 73 .) 2Z0

Av MftME,idcm. (II, 7}.) 355

Ao même, idem. (II, 75.) 225

Ad même, idem. (II, 76. ) ' ' afa

Ap mêmk, idem. (II, 77.) afo

Ad mêmk, idem. (II, 80. ) a5o

Ad même, idem. ( IJ, lof. ) 25~

A M.***, question astronomique. (II, 17.) 26i

années 1 655 et iô36:

À M. Mobi.-v, sur la lumière. (I, 57. ) 270

Ao R. P. Meeseknb , questions diverse?. (II, m.) 275

A M.*** ( Va« 11 r or, helant) h: ) , sur ics cercles qui paraissent

autour d'une chandel'e. ( IF, 102. ) 279,

A M.*" (Myoobgb), questions diverses. (II, io3. ) a8a

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TABLE. 55 1

ANNÉE l637.

Au R. P. Mbbsbnnb, question de physique. (III, 73.) 394 A M. ob Zuitlichen, consolations sur la mort de sa femme.

(I, 306.) 3 3

A M. questions diverses. (I, 110.) 3o5 A M."* (db Zuitlichen ?), présent de ses ouvrages au roi et au

cardinal de Richelieu. (I, 104.) 3i3

A in R. P. Jésuite, envoi de sa Géométrie. (III, 36. ) 3i6

A M.'", idem. (III, 37.) 3i8

A un R. P. Jésuite, idem. (11,78.) 3ao

A UN GBNTILHOMMB DE M. LB PBINCE d'ObANGB , idem. (II, ;<_).) 331

A M.*** (Pollot?) questions de physique. (11, 81.) 323

A M.*** (de Zuitlicben) , questions diverses. (II, 82.) 5*9

A un R. P. Jésuitb , remerciements de ses objections. (II, 83.) 33a

A M. Plbhpius, sur les objections de M. Fromondus. (II, 7.) 354

Au même, réponse aux mêmes objections. (II, 8.) 338

Au même , sur le même sujet. (11,9.) 56a De M. de Febmat au R. P. Mebsenne , sur la Dioptrique.

(111, 36.) 365

Du mi' me au même, idem. ( III, 77. ) 368

Au R. P. Mebsbnne , idem. ( III , 78. ) 07! Au même, réponse aux objections de M. de Febmat, sur la

Dioptrique. (III, 79. ) 376

ANNÉE l658.

De M. db Fbbmat au R. P. Mbbsbnnb, sur la Dioptrique. (III, 4<>.) 38 f

Au R. P. Mebsbnne, idem. ( III , £i. ) 393

A M . M ydobcb, idem. ( III , 4a. ) 4oa

Db M. de Febmat a M. Clebselibb, idem. ( III , 43. ) 410

Du même idem , idem. ( 111 , 44* ) 4ia

De M. Clbbselieb a M. db Febmat , idem. ( III , 45. ) 431

De M. Rohault a M. db Febmat, idem. ( III , 46. ) 433

Db M. db Febmat a M. Clkbsrmeb, idem. (III , 47* ) 44s

Du même au même , idem. (III , 48. ) 449 De M. Clbbsklirb a M. db Febmat, idem. (III, ^9.) 455 De M. db Fbbmat a M. db la Chambre , idem. ( III , 5o. ) 477 Du mêmb aumêmb, idem. (III, 5i. ) 485

55 a TABLE.

Du M. CLEifiKLiBB a M. de Fbbmat, idem. ( III , 5a. ) 5o8

Dr mkmk ai jii'mf., idem. ( J1I , 5JL ; 5 -x i

Réponse de M. db Fumât. (III, 5^.) 556

ANNÉE lG58.

Ai IL P. Mebsehhb , sur la Dioptriquc. (IIIt, ) Tome VII. 5

Au m i m k | sur le livre de De tnaximis et minimis de M. de Fermât.

(111, 56. ) fi

A M*** (Mvdobcb) , rép. à un écrit des amis de M. de Fermât.

(111,5*) !i

Écbit de quelques amis de M. de Fermât , servant de réponse à

la précédente. ( III , 5JL ) 25 Au R. P. Mbbseknb, sur l'écrit précédent. (111,59.) 25 Al m&mb, sur les questions numériques proposées par M. de Sainte- Croix. (111,740 4o Au m£me , sur les mathématiques. (III, dû. ) 5 î A M. Habdy, idem. (III, 6i. ) 6a Au R. P. MaBiEKM , idem. ( III , 6a. )

A M. de Febhat, idem. (III , ) 8_£

Au même, idem. ( 111,64. ) &5

Au R. P. Mbbsbbkb, idem. ( 111 , 65. ) £8

Au même , idem. ( III , 6JL ) î m

Du R. P. Mebsenkb , idem. ( III , 67. ) ipj.

Au R. P. Mbbsbhse , idem. ( III , 6JL ) 1^0

Au mêhe, idem. ( III, 6g. ) iS^

Au même , idem. ( III , 70^ ) 170

ÏVin R. P. Jésuite , idem. ( 1 , 55. ) l8j

A uk R. P. Jésuite , idem. ( 1 , 5JL ) ujo

De M. Mobik , sur la lumière. ( 1 , 58* ) 202

A M. Mobis , idem. ( 1 , 59. ) aôo

Au u km h , idem. ( 1 , 60. ) a5S

Db M. Mobiit , idem. ( Lt 6'- ) a5g

A M. MoBirr , idem. (J , fii. ) »2§

De M. Mobi!» , idem. ( 1 , 6JL ) icp

Au R. P. MEnsEïiifB , question de physique. ( I , tJï. ) ùûâ

AU M KM K , idem. (I, 74.) 3a8

De M. Plempius, sur le mouvement du cœur. ( 1 , 22± ) 558

A M. Pi.empius , réponse à ce sujet. ( 1 , 6JL ) 5Jj2

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TABLE. 555

Du mi- me , même sujet. ( 1 , 79. ) 36i

Au m k me , même sujet. ( I , So. ) 365

A un R. P. Jésuite , diverses questions. ( 1 , 1 i4- ) 076

A un a ut de M. Dbscabtbs, objections contre la Métbode et les

Météores. (II, 1. ) 384 Réponse de M. Dbscabtbs aux objections de la précédente. ( II , 2. ) 390

Au R. P. Mrbshîsue , diverses questions. ( II , 8|. ) A M. Zuitlichbw, sur la taille des verres. : 11,85.)

4o5

410

A M. Pollot, même sujet, fil, 86.)

4»4

A M.*** (Zuitlichbn), diverses questions. ( II, 87.)

4i7

Au R. P. Mkesbitnb , idem. (11,88.)

4aa

Au mêmb, idem. (II, 89.)

427

Au même, idem. (II, 91.)

434

Au même , idem. ( II, ga.)

Tora. VIII.

3

A M.*** , sur la taille des verres. ( II, 93. )

Ad R. P. Mkiiskiïxb, questions diverses. (11, g4» )

33

A M. Fbbiciclb, question arithmétique. (II, 95.)

4i

A M. Plkmpics, sur des objections. (II, 99. )

47

A M."**, sur le dessein d'une science universelle. (II

, 100.)

5o

A M.***, sur les eaux fortes. (II, 101.)

53

A M.***, sur la méthode. ( I, 34. )

57

A M.***, pour obtenir la grâce d'un pavsan. (1, 108.)

59

A M.***, sur la Physique. (III, iu4-)

63

Ac R. P Mbiisbunb, idem. (III, io5.)

65

ANJVEE IDjp.

A M.*** (Dbsargubs), question de physique. (II, a

7.)

€7

Au R. P. Mkbsenne , questions diverses. (11,96.)

Au mi-mk, idem. (II, 97.)

83

Al mP.uk, idem. (II, g8.)

A M. db Bkau.nb, idem. (III, 91.)

101

Au R. P. Merskn.tk , idem. (111,84.)

11a

A M.*** (db Bbaurb), idem. (11, aS. )

îaa

Au même, sur l'impression de sa Physique. (H, 36.)

ia6

Au R. P. MiiiisRflisK , questions diverses. ( 1 1, 28. )

12S

Au même , idem. (II, 29. )

Au même, idem. (II, 3o. )

i58

A M. Schooten, mathématiques. (III, 8a. )

1 i 2

554 TABLE.

A M.**' , idem. (III, 72.) ,4,

Ad R. P. Mbbsbkhb, questions diverses. (II, 52. ) 159

Ao même, idem. (II, 33.) 170

Au mêju , idem. ( II, 34.) 17-

ANNÉE l640.

Ao R. P. M bb sbkh b , questions diverses. (11,35.) 190

A M. Meissoioueb, sur la glande conarion. (II, 36. ) 200

Ad R. P. Mkbsbkrb , questions diverses. (11,37.) 202

Ad même, idem. (11,38.) ai3

A M. Régics , sur la circulation du sang. ( I, 81 . ) 219

Ad R. P. Mbbsenkb, diverses questions. (11,33.) 229

A M. Dbscabtes, objections sur les Méditations. (II, i5.) 242

De M. Dbscabtes, réponse à ces objections. (II, 16 ) 26G

Ad R. P. Mbbsehwb, sur la Dioptrique. (111,3.) 286

Ao R. P. Recteur du collège de Clermont, idem. (III, 4.) 288

A M.*** (Ziituchbh ) , idem. (111,107.) 294

Ao R. P. Mbrsbnnb , questions diverses. (II, 4o.) 298

Ao même, idem. (II, 4*0 3i8

Ao MEMB, idem. (111,7.) 322

Ao même, idem. ( 111, 9. ) 33o

Ao R. P. Boordin. ( III, 16. ) 358

Ad R. P. Mbbsbnrb , questions diverses. (II, 43* ) " I 1

Ao même, idem. (II, 43. ) 346

A M. Rbcios ", sur la circulation du sang. (I, 82. ) 356

Au R. P. Mbbsbhhb , sur la Dioptriquc. (III, i3. ) 358

Ao mêmb, idem. (III, 2.) 366

Ao même, questions diverses. (Il, 440 JJ7

Ao même, idem. ( II, 45. ) 387

A en R. P. docteur de Sorbonne (Mbbsb.knb ) , idem. (11,46.) 3g3

Ao R. P. Mbbsbkhb , idem. (H, 47*) 3g5

Ao même, idem. (11,48.) 397

Au mT.mk, idem. (II, 49-) 4ul

Ao même, idem. (III, i4>) 4o9

A M.***, touchant sa Philosophie. (II, 117.) 4*3

A M.'", questions diverses. (II, 118. ) 4*7

A M.**' (Zoitucdbh), en faveur de MM. Barxics et Bloembrt.

(II, Si.) 44

TABLE.

555

AU 11. J :MkBSE1>fc , (JUtïSllUIii> UAVeraKS» ^ Al, .MJ. ;(

A mm

ANNÉE 1 64 *

Au même, idem. (II, 5i.)

454

Au Htm , idem. (II, 5a. )

440

A M***, consolation sur la mort d'an frère. (I, 107. )

445

Ao R. P. Mkhskhhe , sur la Dioptrique. (III, 3o. )

448

Au même, réponse de M. Hobbcs à la précédente. (III, 3a. )

455

Au R. P. Mbbsbjihb , sur la Dioptrique. (III, 34.)

474

Au mîmr, réponse à la lettre de M. Ilobbes. (111, 55.)

481

Au memb, questions diverses. ( H, 58.)

49 1

Au mémb, idem. (III, 109.)

498

Au uêub, idem. (11, 54»)

5o4

A M. Rbgius, questions diverses. (1 , 84* )

5n

Au m£mb, idem. ( 1 , 85. )

5i8

Au R. P. Mbbsbhhi , idem. ( III , 1 aa. )

519

Au uêmb, idem. ( III , ia5. )

5a4

Au R. P: Mbbsbkhb , idem. ( II , 55. )

55 1

A M. *** (l'abbé Delauïiay), sur l'A me. ( 11 , 56. )

555

Au R. P. Mkbsbsne, questions diverses. ( II , 5y. )

538

Aumêmr, idem. ( II , 58.)

54i

A M. *** , sur l'éducation de son fils. ( Il , go. )

546

A M. Rbgius, questions diverses. (I, 86. )

549

Au 11ÊMB , idem. ( 1 , 87. )

55 1

1 /I OU \

Au même , idem. 1 1 , 00. J

0 r> à

Au même , idem. ( I , o5. )

556

Au R. P. Mbrsbbkb, idem. (III, 28. )

5 60

ANNÉE l6'|2.

A M. Regius, sur la défense d'enseigner ses principes. ( 1,91.)

56a

Au R. P. Mbbsenne, questions de physique. (III, n4«)

564

A un R. P. db l'Obatoihk , questions de m étaphysique. (I, io5.) 568

A M. Rbgius , idem. ( 1 , 90* )

576

Au m 1* mf, , idem .( 1 , 89. )

579

Au même, idem. (I, 9a. )

607

Au R. P. Mebsbnnb , questions diverses* (Il ,60.)

609

A M. Rbgius, sur les persécutions qu'il éprouve. (I, g5.)

614

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556 TABLE.

A »| anr la drmissiim do II TiTrnv ( 111 mfi ^

- V lli f OUI la \A\ , LU lOO IUII Ul/ Ml Uv 1 \J J 1111-, I Uv F

ix ifi . i\fcu i us 5 ui » t rs gii ] f . es. v 1 > 9 r * >

fi*1*

0 /

A J . , ^ dr zjLirLiLiiE!i j , s UT son livre uc nmnuo . ( 1 1 1 , i 20. )

Au R. P. DinsT) à l'occasion des septièmes objections. Tome IX.

•r

A en R. P. .1 1 s 1 1 t e ( le P. Vatibb ) , diverses questions. ( 1 , 116.)

62

Au R. P* Mkrsrnke, idem. ( III» ii3. )

Au même, idem. (II, 109.)

Du R. P. Mrhskunk a M. Vœtius , sur les Méditations, etc.

Si

ANNEE IO4.}.

.'v M. ^ de /jUitlicheh j , questions ue pnysique. (11} 110. y

»7

Au n. 1. Mersk>->k , mcni. (11, lit». )

10a

A n u £ u v î t ] t » m ( W i r i NI \ /VU MhMK j J U L III ^ Ll , I UO . j

A \T *** ciir cri m T1 1* ** 1 1 ô flr»c Mi*criif*0. il f An ^ /\ 1T1 ^ 9 1 J I > U 1 1 JL i il 11 L Uc* (M ^Uvs* ^ 1 1 1 j IUO» J

1 20

A M \ D i M V 1,1 ]7>P,VTH PRITf ritQfllC PAT.ATtKfK Hlir l'iiniofl llp l'une

avec te corps. ^ 1 9 2Q« ^

1 2.)

A VA u £ v i r ni * * m p emof II 'i Ar , I#* HRNK ) Illt-IilC oUILl. V 1 î OWJm J

1 29

A M. de IkiTKHDicTT, sur l'existence de Dieu, etc. ( Il , 10. )

x35

A M. •**, questions de mathématiques. (III, 7Q.)

l5q

A la paiNCBisB Elizabbth, idem, fil, 8o. )

143

A la Mf.MK, idem. (III , 8i. )

»4'9

ANNEE 1044-

A on R. P. Jésiitr, (III, 17.)

Db M. Bevebovic, sur la circulation du sang. (I, 7S.

i57

A M. Bevebovic , réponse à la précédente. (I, 76.)

i5S

A uwR. P. JésuiTB (lb P. Mbslakd) , diverses questions. ( 1, n5.) 162

A un R. P. JésuriB, idem. ( III , 18. )

•74

A un R. P. Jésuite ( le P. Ghablet), envoi de sa Philosophie.

( m, »9-) >76 A un R. P. Jescitb (lb P. Dihbt) , idem. ( III , ao. ) 178

A un R. P. J*soitb, idem. ( III, ai.)

179

Au R. P. Ghablbt, sur sa Philosophie. ( III , 32. )

180

A un R. P. Jésuite, idem. ( III, %Z»)

83

A un R. P. JiisuiTB, (III, 34. )

i85

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TABLE.

A i.a prikcr3sr Élizabbth, questions de physique. ( I, 5i.)

ANNÉE l645. A M. l'abri* Picot , idem. (III) 1 1 5. )

Au R. P. Mbsland , sur ses principes de philosophie. (III, a5 . ) A M. Clbrsblibb, questions de physique. ( 1 , 117. )

A LA PRIfICBSSB KLIZAR8TH , SUr SA Milité. (I, 30.)

A la mP.mk , même sujet. 1 , 34. ) A la même, idem. (1*5.)

A la mbms , divers sujets de philosophie. (1,4.) A la h me, idem. ( I » 5. ) A la même, idem. (1,6. ) A la même, idem. ( ït7«) A la même , idem. (1,8. ) Lrttrb apologétique aux magistrats de la ville d'Utrecht , contre

MM. Vobtius père et fils. (II, i. ) a5o

A M. Rbgios , sur son ouvrage. ( I , 96. ) 3a5

Au même , idem. ( 1 , 97. ) 5a5

Au même , idem. ( 1 , 98. ) 5a8

A vh sRiGifBca, questions diverses. ^ I, 5a. ) 53i

A un sbigrbur, idem. ( 1 , 53. ) 336

A M."* , idem. ( I, 109. ) 54a

A M.'" , questions de mathématique et de physique. ( 11 , a3. ) 5^5

A M.'", idem. 354

A M.'", idem. (III, 110. ) 36a

ANNÉE l640.

A la princesse Éuzabbtii, questionsde Métaphysique et de morale.

(1,9) ' 366

A la même, idem. (I, 10. ) 071

A la même . idem. 1 , 1 1. ) 378

A la même, idem. ( I , ta. ) 585

A la même, idem. ( I , a5. ) 587

A LA PRINCESSE LoUISB. ( I , l4 ) 3q6

A la princbsjb Élizarrth , idem. ( 1 , 2.5. ) 097

A LA PRINCRSSR LoUISR. ( I , l6.) fai

A la princesse Élizarrtit , sur sa santé. ( I , 17. )

557

186

189

19a

195

200

204

307 an ai5 22a a3o a36

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558 T A. BLK.

A t* fbincbssb Louisb. ( I , 18. ) 4o6

A M. Chahut. ( 1 , 3a. ) 4o8

Al/ MÊME. (I , 33. ) 4tL

Ao MÊME. (I, 34.) 4»3 A vx sBiGKEi b, questions de physique. ( 1 , 54. ) 4 «8 A es R. P. Jésuite ( le P. Noël ) , sur la Physique. ( I , n3. ) 4*7 Au même. ( 111 , 5. ) 429 Au msmb, idem. ( III , 6 .) 43a A M.***, réponse à un imprimé qui a pour litre, De duohut cir- cuits. (Il, 18. ) 4^4 A M.*'*, questions diverses. (II, n3. ) 4^8 A M. Clebsbmeb , sur sa Philosophie. (1, 1 18. ) 44l A M. Dbscartes, objections contre ses Principes. II. l T. 446 Réponsi: aux objections de M. Lecomte. ( 11, i4« ) 4q4 Au R. P. MBBdBRAB , questions de mathématique et de physique.

(111,85.) 5o7

A M. de Caveh dish , idem. ( III , 86. ) 5ia

AM'M, réponse à la précédente. ( III , 88. ) 53o Au R. P. Mersbkhb , questions de mathématique et de physique.

(111,89.) 534

A M.' M ( de Cavbsdish ) , idem. ( III , 90. ) 539

Au même , idem. ( III , 91. ) 54a

Au R. P. Mrbsbhhe, idem. ( III , 9a. ) 547

Au même , idem. (III, 93. ) 55o

Au msmb , idem. ( III , 95. ) 555

Au même , idem. ( III , 96. ) 563

AM."' ,idem. (III, 99.) 57i

ANNÉE l647.

A M. Chakut, questions diverses. ( 1 , 35. ) Tome X. 5

A Madabb idem. ( II , aa.) aa A M. Descabtbs ( de MM. les Curateurs l'Académie de Leyde}.

(H,l9.) ' a6 Au même ( de M. WBTBucnovBK , secrétaire ). ( 1 1 , ao. ) a; A MM. lbs Ccbatbubs db l'académie, réponse aux deux précé- dentes. ( II, ai. ) a9 A M. Wbvbmchovbr , idem. ( II , a a .) 35

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TABLE. 559

A M.*** , au sujet des précédentes. ( II , 114. )

36

A la pbikcbssb Elizabktb, idem. ( I, 1 >. )

4o

A M. Choit , questions diverses. ( 1 , 36. )

45

A LA PHMCKSSB ÉlIZABBTH. I , 20. )

55

A LA MÊMB. M , 21. )

57

A la h i- 1 > h DiStitfDS, questions de philosophie, ( I, 1.)

A M. Chanut, idem. ( I , a. )

65

Dl. LA PRI>f hS*»E DUS IBETII , 1 Ut: 111 [l t •' 1 J

fit

°7

A M.*** , remarques sur un placard imprimé en 10^7. ( I , 99. )

70

A M. db Zoitlicbbb , questions de physique. ( III , 112. )

1 12

Au R. P. Mbbsk.nne, questions diverses. (III, 118. )

n5

A"\"VÉF l(5i8.

A la PimcBSSE Élizabbth , sur un Traité de l'érudition. ( 1 , 25. )

120

A M. Chahut , sur les écrits envoyés à la reine de Suède. ( 1 , 57. )

123

A M."*, questions diversesé ( III , 12A.)

127

A M. Chanut. ( I, 4o« )

A PBincBSSB Élizadbtb. ( I , il. )

i3>

A M. Dbscabtbs . questions de physique et de philosophie. (11,3.)

l37

REPONSE A LA PRKCBDKHTB, ( II. 4* )

\L6

RÉPLIQUE A LA PRKC KDK.VTK. (11,5.)

i5o

Rirons b de M. Dbscabtks. (11,6.)

i56

r

A LA PBINCBSSB ElIZABBTH. ( 1 , 26. )

164

A M*** , questions de mathématiques. (II, S?.. )

168

Db M. Mobos , métaphysique ( 1 , 66. )

178

Rkponsb dbM. Dbscabtks, iJem. ( 1 , 67.)

l<;3

Réplique db M. Morts, idem. (1 , 68. )

209

Réponse de M. Dbscabtbs , idem. ( 1 , 60. )

2Ô5

Db M. Mobus, idem. ( I , 70. )

246

Du kAhk , idem. ( 1 , 71. )

272

*

A M. Mobus , idem. ( 1 , 72. )

2Q1

A la princesse Élizabbtb, sur la mort du roi d'Angleterre, etc.

(I,27.)

297

A la pbihcbssb Élizabith , sur son indisposition. (I , 28. )

302

A M. Chabot, sur une réponse à la reine de Suède. ( 1 , 38. )

307

A la bri. ne db Suedb , sur le souverain bien. ( 1 , 3q. )

3i 1

Dr M. Scbootbb, mathématiques. (III, 116. )

3i3

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560 TABLE.

Rkporsf db M. Di cartes, idem. ( III ,117. ) 3i6

A M. Chahut, sur son appel en Suéde. (I, 4a , 43. ) 3ao

A la pbircessb Élizabetb , idem. ( I , 44. ) 327

A M. Chahot, idem. (1,45, 46»47« ) 3*9

A la pbpicessb Élizabbth , idem. ( 1 , 48. ) 333

A M. Fbbirsiibmius , idem. ( 1 , 49. ) 335

A M. Clbrselibb , sur la troisième méditation. ( I , 119. ) 338

A M. db Cabcavi , mathématiques. ( III , i5. ) 545

Dr M. de Cabcati , idem. (III, 76. ) 545

A M. db Cabcavi , idem. ( III, 77. ) 55 1

De M. de Cabcavi , idem. ( III , 78. ) 56a

A la pbihcbssb Élizabbth , sur son arrivée en Suède. ( 1 , 5o. ) 5;3

Db M. Clbbsblieb a M. H. Moaos, philosophie. ( 1 , 64. ) 379

Db M. Morts a M. Clebselikb , idem. ( III , 65. ) 38a Db M. db Fbbhat a M. Clebselieb , sur la Dioptrique. (111,43,44-) 38o

RrpohsbdbM. Clebselikb, idem. ( 111,45. ) 4oo

De M. Rohaolt a M. db Fermât , Dioptrique. ( III , 46. ) 4 1 2

Db M. de Pkbmat a M. Clbrselibb, idem. ( 111 ,47, 48.) 422

Rrponsb de M. Clebselieb, idem. (III , 49* ) 4^5

De M. de Fbbmat a M. de la Chambbb, idem. ( 111 , 5o, 5i. ) 457

De M.'Clbbselieb a M. de Fbbmat , idem. ( III , 5a , 53. ) 488

Réponse de M. de Febmat, idem. ( III , 54. ) 5i5

Dr M. Clkbselieb, physique. ( III, 97. ) 5i8

Du même a M. db la Force, métaphysique. ( III, ia5.) 538

PIM DE LA TABLE.

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